Lorsqu’il refit enfin surface, il faisait nuit et toute la maison était enserrée par les ténèbres. Son esprit mit quelques instants avant de revenir à la réalité qui l’entourait et dissiper le voile jeté par les rêves sur le manoir.
Lorsqu’il eut pleinement récupéré, il s’étira et attrapa le téléphone portable posé sur l’un des coussins du canapé. Il lui restait peu de batterie, mais il n’avait besoin que de quelques instants pour appeler son épouse, simplement pour entendre sa voix. Peut-être même pour pleurer un peu et l’écouter le réconforter.
« Leroy ? fit-elle en décrochant.
— Oui, ma puce, excuse-moi de ne pas t’avoir appelée plus tôt, mais je…
— Qu’est-ce qui te prend de me réveiller au beau milieu de la nuit ? dit-elle, la voix ensommeillée. Je t’avais demandé de ne plus le faire…
— Excuse-moi… Je…
— Écoute, je sais que ce n’est pas facile pour toi, mais ça ne l’est pas non plus pour moi… »
Kate avait la voix brisée, une chose qu’il n’avait encore jamais entendue avec autant de sincérité chez elle.
« Je n’en peux plus, répondit-elle entre deux sanglots.
— Pourquoi… Pourquoi tu pleures ? Dis-moi ce qui se passe… »
Roy s’était instinctivement levé de l’assise du sofa. Il passa machinalement sa main dans ses cheveux.
Son épouse renifla puis reprit :
« Ne joue pas les innocents s’il te plaît. Je n’ai plus la force de supporter ça… Ne rappelle plus, si tu ne tiens pas ta promesse, je serai obligée de le faire constater par nos avocats. Au revoir Leroy. »
Le coup était difficile à encaisser. Perdu entre le sommeil profond et les limbes d’une semi-conscience, Roy ne parvenait plus à discerner la réalité de la fiction créée par son esprit.
Le téléphone glissa de sa paume ramollie par la conversation et il lui sembla que tout lui échappait.
Tout se mélangeait dans un maelstrom invraisemblable.
Il se laissa retomber au fond du sofa capitonné puis se massa les tempes.
« Allez mon vieux, arrête de déconner maintenant. »
Lorsqu’il récupéra son téléphone, il tenta d’accéder aux messages pour se rassurer. S’il s’agissait d’un rêve, il serait incapable de lire ce qui s’y trouverait inscrit. C’était l’une des lois fondamentales. Pendant la phase de sommeil profond, le cerveau est inapte à assembler des idées cohérentes et notamment celles liées aux textes.
L’écran s’éteignit pour lui indiquer qu’il n’avait plus de batterie, mais ce ne fut pas ce qui l’inquiéta le plus. Un crépitement soudain précéda la mise en marche de la musique venant du premier étage. Elle était étouffée par l’épaisseur du plancher et circulait mal entre les murs, mais s’il ne reconnaissait pas les paroles, il identifia sans le moindre doute la mélodie de La Mer.
Délaissant le téléphone, Roy se raidit. Il sentit poindre une vive douleur au creux de sa nuque, un muscle froissé par la surprise.
Ignorant le pressentiment qui nouait ses muscles douloureusement, il quitta le salon en direction du hall. Il contourna la table basse, le bruit de ses pas étouffé par l’épais tapis sur lequel elle reposait.
Lorsqu'il arriva en bas des escaliers menant aux chambres, il n’y avait plus guère de doute sur la chanson jouée par le vieux tourne-disque. Elle se termina sur quelques notes de guitare qu’il connaissait si bien. Une lampe à huile fichée au mur sur le palier du premier étage était allumée et dispensait une lumière chaude et vacillante dans tout le vestibule ; son éclat était tranché par la balustrade finement sculptée et projetait sur le plancher de l’entrée des zébrures animées.
Son instinct lui hurlait de fuir, mais sa raison l’en empêchait. Hypnotisé par la chaleur de la flamme, il posa un pied assuré sur la première marche et entendit à peine le bois grincer sous son pas.
Roy parvint en haut et observa avec attention le couloir qui s’étirait de part et d’autre. Le feu pris au piège de son carcan de verre crépitait doucement.
Il avança lentement sur le tapis couvrant les lattes de bois du parquet et s’arrêta devant la porte entrouverte de l’une des chambres. La musique reprit du début et une ombre furtive glissa sur le sol dans l’entrebâillement.
Roy sentit tout son courage s’évanouir en lorsqu’il réalisa ou il se trouvait. Il posa une main tremblante sur le bois verni ; un léger mouvement du buste et il découvrit la chambre parfaitement en ordre d’où s’échappait une vague odeur de vanille et de pomme.
« Qui est là ? » dit-il avec appréhension.
C’est à ce moment qu’il remarqua la présence d’une femme en chemise de nuit. Assise devant la coiffeuse, elle brossait doucement sa chevelure ambrée et bouclée. Le tourne-disque à sa gauche jouait le morceau grésillant et sans paroles, accompagnant ses gestes d’une douceur surfaite.
Prise sur le fait, l’inconnue reposa délicatement la brosse ornementée sur le meuble ; la peau blême et fine de sa main laissait apparaître des veines bleutées saillantes parcourant un membre osseux.
« Que fais-tu de la politesse, Leroy ? dit-elle avec fermeté sans se retourner.
— Je… Qui… Qu’est-ce que… » balbutia-t-il, le souffle court.
Sa propre voix lui sembla étrange, moins rocailleuse qu’à l’accoutumée et s’il n’avait pas été un homme rationnel, il l’aurait pensée rajeunie.
« Ne t’apprend-on pas la correction à l’école ? »
C’est à cet instant précis qu’une main l’agrippa, une main qu’il avait aussitôt reconnue : sa mère lui lançait un regard inquiet.
« Tu sais bien que tu ne dois pas la déranger. Combien de fois te l’ai-je dit ? » lui rappela-t-elle avec autant de colère que d’inquiétude dans la voix.
Il se retrouva tiré dans le couloir et sa mère se tint dans l’embrasure de la porte ; il imagina un sourire forcé habillant ses lèvres d’un rouge éclatant. Son angoisse était presque tangible.
« Pardon Grand-Maman, je ne cesse de lui répéter, mais…
— Si vous étiez une mère un tant soit peu convenable, cela n’arriverait pas… »
Son ombre suggérait qu’elle se tenait devant elle sans que Roy ne puisse plus voir l’intérieur de la chambre.
À ces mots, la vieille femme dont il n’avait fait qu'imaginer le visage claqua la porte. Le sourire disparut des lèvres d’Elizabeth et elle adressa un regard désolé à son fils.
« Viens avec moi à la cuisine, ta soupe va refroidir. »
Elle descendit les marches avec élégance, drapée dans sa robe d’un vert bleuté aux reflets soyeux. Ses cheveux châtains bouclaient naturellement au-dessus de ses épaules couvertes par un châle blanc.
« Ne reste pas planté là », dit-elle en s’arrêtant à mi-parcours. Puis elle poursuivit en souriant : « Ton père sera bientôt rentré… »
Maman… pensa-t-il avec un mélange de terreur et de réconfort qui lui parut encore plus étrange. Il leva une main devant lui et constata que son alliance avait disparu ; la peau lisse de son bras, l’aspect rajeuni de sa voix… Tout concordait : il retrouva l’essence d’un souvenir et de son passé. Toute cette histoire était démente.
Il prit une profonde inspiration et dévala les escaliers plus énergiquement qu’il ne l’aurait souhaité pour se réceptionner sur le tapis desservant les pièces du rez-de-chaussée. Tant de questions se bousculaient dans sa tête, mais il se sentait bien incapable de briser ce rêve et la joie qu’il ressentait de revoir sa mère.
Il fit quelques pas en direction de la cuisine et une image claire et précise de son enfance lui revint. Sa mère était aux fourneaux devant le piano en fonte, affairée à préparer des plats mijotés tandis qu’un bol de soupe encore fumante attendait sur la table en bois.
Elizabeth cuisinait avec application, semblant virevolter entre les ustensiles et les meubles peints sans jamais se précipiter. Roy prit place en silence devant le récipient creusé ; l’odeur était alléchante et quelque chose qu’il n’avait pas ressenti depuis bien longtemps s’empara de lui.
« Es-tu satisfait de ta journée ? dit-elle à son attention.
— Comment ça ? »
Elle se retourna, un sourire éclatant illuminant son visage légèrement surpris.
« Tu sais bien… te retrouver Ici ? expliqua-t-elle d’un air innocent. Toucher ces affaires, voir nos albums photo… Comprendre pourquoi il a fallu que je meure pour que tu reviennes me rendre visite… »
Son cœur se brisa et il crut qu’il allait lui-même disparaître dans la noirceur qui envahit la pièce. La lueur des lampes de la cuisine semblait s'éteindre, rafraîchissant l’atmosphère. Les fenêtres ne laissaient plus entrer aucune lumière, comme si la nuit était tombée.
« Excuse-moi, je… »
Sa mâchoire se bloqua et il crut étouffer pendant quelques instants. Elizabeth le fixait d’un regard compatissant qui contrastait avec le sourire étrange qui habillait ses lèvres.
« Peu importe, dit-elle sur un ton toujours aussi joyeux en se retournant. Le dîner sera bientôt terminé et ton père rentré sous peu. »
Tout semblait irréel, si bien que Roy se pinça le bras pour vérifier. La douleur fut vive et faillit lui arracher une larme. Il se leva et retourna dans le petit vestibule de l’entrée. Le tourne-disque de l’étage crachait la même mélodie et reprenait depuis le début dès la toute dernière note sans jamais discontinuer.
« Où cours-tu comme ça ?
— Moi ? répondit Roy. Je… Je voulais aller voir Jeffrey pour… un travail à rendre.
— Non, ça ne fonctionne pas comme ça mon chéri.
— Mais maman ! »
Elizabeth pinça les lèvres et fronça légèrement les sourcils ce qui suffit à calmer les envies de rébellion de Roy.
Tout se mélangeait en lui : la réalité et le rêve fusionnaient avec les souvenirs pour ne plus former qu’un, de sorte qu’il ne pouvait plus les discerner.
« Nous attendrons ton père, comme il était prévu, et si lui t’y autorise, alors je ne m’y opposerai pas. Est-on d’accord ? »
Un marmonnement sortit de la bouche de l’adolescent qu’il était redevenu et Elizabeth sembla s’en contenter.
Tandis qu’elle s’en retournait vers la cuisine, une sonnerie puissante et irritante s’éleva non loin de lui. Elle fit volte-face, caressa la joue de son fils très tendrement puis décrocha le combiné téléphonique.
Tout lui revint brutalement.
La sonnerie, le téléphone tombant à terre…
Roy se retourna malgré lui pour assister à la scène qui avait bouleversé sa vie.
« Famille Dawkins… Il est un peu tard pour… Oui, bien sûr… Comm… Je… »
Ses lèvres s’affaissèrent lentement. Le regard fixé sur le vide en face d’elle, Elizabeth gardait la bouche ouverte comme si les mots affleuraient sans pouvoir s’en extraire.
La pire soirée de son adolescence avait refait surface dans sa mémoire et Roy avait compris le drame qui allait se jouer.
Quelque chose s’était brisé ce soir-là .
Les lumières de la maison baissèrent en intensité et il vit Elizabeth glisser le long du mur, le combiné lui échappant des mains. La mélodie qui emplissait la demeure se fit plus forte et pressante.
Roy lui trouva un air sinistre et leva un visage marqué par la tristesse vers le palier du premier étage, où se découpait une forme drapée dans un vêtement blanc.
Un sourire habillait les lèvres fines et rosées de la vieille femme aux cheveux couleur d’ambre. Son visage émacié et ses pommettes hautes lui donnaient un air sévère que son silence ne faisait qu’accentuer. Elle restait immobile sous le regard de son petit-fils et de sa belle-fille…
Lorsqu’il fit de nouveau face au guéridon supportant le téléphone, mère n’était plus là , comme balayée par un soupir.
Le bois du plancher craqua juste derrière lui. Quelqu’un approchait lentement. Il était incapable de se retourner, incapable de faire face à sa peur.
Tout cela s’était déjà produit. Vraiment ? Non… Tout ne s’était pas exactement passé comme cela. Sa mémoire lui jouait des tours qu’il éprouvait des difficultés à discerner.
« Tu n’as rien à faire ici, murmura-t-elle dans son dos. Tu ne peux rien changer, Leroy. »
L’air s’était considérablement rafraîchi, il sentait la morsure du froid sur sa peau et remonter le long de sa colonne vertébrale. Puis la main de sa grand-mère se posa sur son épaule et il en ressentit une vive douleur ; d’un simple toucher, elle lui brûla l’épiderme.
« Ton heure viendra, comme les autres. Et je serai là quand ça se produira. »
Le décor commençait à tourner et il avait la sensation d’être aspiré ailleurs. La voix rauque et caverneuse résonna autour de lui, tant et si bien qu’il fut obligé de fermer les yeux. Tout s’arrêta : la musique, la voix et le froid s’envolèrent en l’espace d’un battement de cœur.
À bout de souffle, mais de nouveau maître de ses gestes, il se trouvait pieds nus dans la neige et cerné par des arbres si hauts qu’il ne pouvait distinguer le ciel.
La nuit avait pris possession de la forêt. Roy ne reconnaissait pas l’endroit où il se trouvait et il lui était parfaitement impossible de se repérer dans la pénombre. Le froid s’insinua de nouveau en lui : il avait l’impression qu’il se frayait un chemin dans ses chairs et que des lames tranchantes fendaient ses os.
Sans réfléchir davantage, il quitta sa position et se mit à courir dans une direction, sans savoir où ses pas le conduiraient.
Rien de tout cela ne pouvait être réel. Rien de tout cela ne devait être réel.
Ses pieds s’enfonçaient dans la neige, brûlant sa peau au point qu’il eut bientôt l’impression de marcher sur des éclats de verre. La douleur gagnait en intensité à chacun de ses pas, mais il devait continuer quoiqu’il en coûte.
Roy devait découvrir pourquoi il se retrouvait piégé à assister à l’un des moments les plus terribles de sa vie. Il n’avait plus été le même après cela.
Elizabeth non plus.
Après quelques instants qui lui parurent durer une éternité, il parvint à une route bordant la plage ; le clapotis des vaguelettes animant la surface du lac le rassura.
La gorge sèche, hors d’haleine, Roy s’arrêta au bord de la chaussée et observa les alentours : il reconnut alors l’endroit où il avait atterri, tout près de l’entrée de la ville. Dark Springs s’élevait contre l'étendue d'eau ; la lumière de ses réverbères tentait de grignoter les ténèbres qui l’assaillaient.
Le bureau du shérif se trouvait juste à côté. Il lui suffisait d'en pousser la porte et de demander de l’aide.
Roy n’avait pas encore perdu tout espoir, mais le froid risquait de l’emporter s’il ne se hâtait pas d’atteindre le bâtiment. Sur le chemin qui menait au local établi en bordure de la ville, il se posa mille questions. Ses souvenirs étaient différents de ce qu’il venait de vivre ; il n’y avait jamais eu de grand-mère à l’étage, aucun tourne-disque n’avait déversé une musique vieillotte dans les couloirs du manoir familial ce soir-là .
On jouait avec sa mémoire, avec ses souvenirs, à tel point que la confusion prenait peu à peu le pas sur sa raison et son pragmatisme. Il arriva bientôt devant la façade en brique du bâtiment d’où s’échappait une lumière diffuse.
Raidi par le froid, il franchit la porte avec appréhension pour apercevoir derrière un bureau le visage fermé de la secrétaire acariâtre. Les traits rajeunis et les yeux écarquillés derrière ses lunettes, elle le dévisagea. Son regard était sévère et s’arrêta suffisamment sur ses pieds pour qu’elle n’ignorât pas qu’il se trouvait dans une situation difficile.
« Bonsoir, je… dit Roy en s’avançant prudemment.
— Que fais-tu ici, si tard ? » lui demanda-t-elle en dirigeant son regard vers le bureau qui lui faisait face.
Elle ne semblait pas avoir appris la nouvelle pour son père, comme si l’annonce faite à Elizabeth n’avait existé que dans la bulle de leur maison.
« Je… hésita Leroy. J’ai vraiment besoin de voir quelqu’un, l’un des adjoints est-il là ? »
La trentenaire aux traits pincés lui fit un sourire de convenance ; elle pencha légèrement la tête pour regarder par-dessus la monture de ses lunettes. Ses yeux bruns lui parurent moins austères que la veille ; elle soupira puis revint dans sa position initiale et décrocha le téléphone qui se trouvait devant elle.
« Quelqu’un veut te voir. Hum… D’accord, je lui dis. »
Puis elle reposa le combiné et observa de nouveau le visiteur.
« Tu connais le chemin, hm ? »
Sans attendre de réponse, elle se réinstalla contre le dossier de son siège et reprit la lecture de son roman. Roy s’engouffra dans le couloir menant aux bureaux et observa à nouveau les cadres sur les murs. Toutes les photographies étaient blanchâtres et des visages informes se succédaient.
« Fiston ? entendit-il devant lui. Qu’est-ce que tu fais ici ? »
Le cœur de Roy manqua un battement et il éprouva une grande difficulté à porter son regard vers l’homme qui se trouvait au bout du couloir.
« Leroy, je croyais que ta mère t’avait bien expliqué que tu ne devais pas… »
Sans plus attendre, l’adolescent se jeta contre son père qui, surpris par cette étreinte peu habituelle, fit quelques pas en arrière.
« Oh… laissa-t-il échapper pour toute réponse. Qu’est-ce qu’il se passe ? Et tu n’as pas de chaussures… »
Le regard circonspect d’Andrew se figea quelques secondes. Il n’avait pas pour habitude de voir son fils manifester autant d’affection envers lui.
« Okay… dit-il quand Roy relâcha son étreinte. Explique-moi pourquoi tu es là , et dans cet état.
— Je me suis perdu dans les bois… On était dehors et… mentit-il avant de croiser son regard. Je sais que tu ne me croirais pas si je te racontais la vérité. »
Andrew fronça les sourcils et l’invita à entrer dans le bureau. Mathilda, la secrétaire, était à coup sûr en train d’espionner la conversation, non par envie d’avoir de nouveaux ragots à se mettre sous la dent, mais par un besoin vital de tout savoir.
Si Roy s’était mis dans une fâcheuse posture, elle n’avait pas à être tenue informée des détails.
L’intérieur de la petite pièce était uniquement éclairé par une lampe de bureau. La lumière jaunâtre donnait une atmosphère chaleureuse et rassurante absorbée par le mobilier sombre.
Roy sentait enfin ses pieds se réchauffer lorsque son père lui tendit une couverture et une paire de baskets récupérée dans son vestiaire.
« Elles seront peut-être un peu grandes pour toi, mais au moins tu n’auras plus à traîner pieds nus, dit-il avec bienveillance.
— Merci, papa… dit l’adolescent avec une pointe de douleur dans la poitrine.
— Maintenant, raconte-moi tout, et en détail. »
Roy prit une grande inspiration tandis qu’Andrew s’asseyait en face de lui. Ce dernier fit glisser sur le bois de la table une tasse de café tout juste servie et l’invita à la tenir entre ses mains pour se réchauffer.
« Quelqu’un vous a fait du mal ? reprit son père très calmement, mais non sans une certaine tension.
— Non, papa… Mais promets-moi de ne pas m’interrompre, d’accord ? » s’enquit-il, la gorge nouée.
Le shérif approuva d’une brève inclinaison de la tête et Roy commença à lui expliquer comment il s’était retrouvé plongé en plein cauchemar. D’abord, Andrew eut du mal à considérer que son fils ne soit pas sous l’emprise de stupéfiants, avant de trouver dans son attitude et son histoire un écho à ses propres souvenirs d’enfance qui refaisaient surface. Une somme de détails minimes dans le discours qui n’auraient jamais dû lui paraître si familiers.
« Tu dis que ta grand-mère se trouvait dans la pièce quand vous avez reçu ce coup de téléphone ?
— Elle était à l’étage, mais je ne sais pas vraiment à quel moment elle est descendue.
— Et ta mère… Est-elle… »
Le shérif toussa, mal à l’aise.
« Elle a disparu juste avant que je me retrouve dans les bois…
— D’accord, donc elle n’est probablement plus là -bas … Enfin, je l'espère. »
Andrew déboutonna le col de sa chemise kaki comme s’il allait manquer d’air, et toussa de nouveau pour faire passer la gêne installée dans sa voix. Il se pencha légèrement sur son bureau et croisa les doigts avant de plonger son regard dans celui de son fils.
« Il y a… Des histoires qui circulent dans notre famille depuis… Très longtemps.
— Des histoires ? intervint Roy, incrédule.
— Les Dawkins sont présents à Dark Springs depuis sa fondation et le manoir a été construit peu de temps après leur arrivée ici, expliqua-t-il sur le ton de la confidence. Notre passé est lié à celui de cette ville. Il y a toujours eu quelque chose que l’on cachait aux autres, comme un squelette que personne n’avait envie de voir refaire surface. »
Andrew trouvait difficilement ses mots et réfléchit un instant avant de poursuivre.
« Qui est-elle ? trancha Roy dans un élan de courage. Qui est cette femme ? »
Les Dawkins avaient une histoire familiale complexe et émaillée de secrets. D’aussi loin que remontaient les souvenirs de Andrew, l’ombre avait toujours été présente sous une forme ou une autre depuis des générations. Ses propres parents l’en avaient préservé jusqu’à son adolescence et sa malencontreuse rencontre avec l’esprit noir. C’est ainsi qu’il le nommait.
C’est alors qu’on lui avait expliqué que la chose prenait le pouvoir sur un membre de la famille et patientait dans les ténèbres que quelque descendant affaibli puisse servir ses sombres desseins.
Miranda, sa propre mère, avait changé après sa naissance, quelques mois seulement après leur emménagement. Elle était progressivement devenue une autre femme, un être profondément triste et malveillant. Une femme dont les intentions n’étaient jamais clairement dévoilées. Andrew se souvint de l’histoire que lui avait révélée son père, de rumeurs invraisemblables sur un saule immense se tenant à l’endroit même où avait été érigé le manoir.
L’histoire restait vague et basée sur des superstitions d’un autre âge.
Les racines de l’arbre s’étendaient bien au-delà du monde réel, et plongeaient dans d’autres univers, dont certains étaient quasiment identiques à celui qu’ils connaissaient.
Même lorsqu’il fut abattu, cet arbre avait le pouvoir de conférer la vie éternelle à quiconque lui cédait une partie de son âme. Plus il prolongeait l'existence, plus il corrompait ce qu’il restait de l’esprit soumis, jusqu’à lui ôter toute trace d’humanité. Le prix à payer était lourd, mais terrifiés par la mort, certains cédèrent à l’appel de Ceïba.
« Si tout ce que tu m’as dit s’est réellement passé… Alors il va falloir faire en sorte que Miranda ne puisse pas quitter cet endroit. Si ta mère… »
Andrew réprima une larme malgré ses yeux humides.
Il faisait preuve de beaucoup de retenue et tenta de ne rien laisser paraître. Roy voulait croire qu’il ne s’agissait que d’un rêve, une mise en scène illusoire dans un esprit soumis à quelque influence extérieure. Mais il n’y parvenait tout simplement pas.
« Si nous sommes tous les deux partis, alors tu devras t’occuper de ça pour nous, d’accord ?
— Comment ? répondit Roy.
— On va devoir essayer quelque chose, mais je ne sais pas si ça fonctionnera. »
À ces mots, il se leva, prit sa veste et récupéra son arme enfermée dans un tiroir verrouillé quand il ne la portait pas.
« Qu’est-ce qu’on peut faire ?
— Botter le cul de Miranda. Ça devrait pouvoir te permettre de quitter cette foutue ville.
— Le quitter ? Mais, je…
— Cet endroit est une prison Leroy. Ceux qui ne sont plus en vie de l’autre côté ne pourront pas s’en échapper. »
Sa voix s’était affaiblie et l’aveu était terrible.
À dire vrai, Roy n’y avait pas encore pensé. Si ce monde n’était pas le sien, alors tout ce qui existait ici et avait disparu dans sa propre réalité ne pouvait quitter la première sans retourner au néant. Sa perception était biaisée par l’enchantement, altérée par un mélange de souvenirs et d’une vie fantasmée par la femme à l’origine de tout, mais certaines choses étaient immuables.
Ses parents étaient partis et il ne pourrait pas les ramener. L’infime partie d’eux qui subsistaient dans le songe de Miranda était purement factice, un grain de sable indésirable enrayant une mécanique dans laquelle elle s’était enfermée. En effet, si elle avait modelé sa prison à volonté, elle ne pouvait prendre directement le contrôle d’Andrew et Elizabeth. Roy avait compris que ses parents demeuraient eux-mêmes ici, bien qu’ils soient soumis à l’illusion du Miranda dans laquelle ils subsistaient.
Les voir ainsi, tels qu’ils avaient été pendant son enfance rendait les choses plus compliquées encore.
Malgré tout, il avait appris ce pour quoi il était ici : il devait mettre fin au règne de l’entité dont le seul désir était de vivre pour l’éternité, quoi qu’il puisse en coûter.
Andrew donna une veste à son fils et récupéra un fusil à l’armurerie. Il n’avait pas été difficile à convaincre, mais ce n’était que la première étape. Ils devaient impérativement contraindre la vieille femme à céder son emprise sur ce monde ; Roy n’avait aucune idée de la marche à suivre, mais il avait une entière confiance en son père.
Roy avait l’impression de redécouvrir sa famille. Il arrivait à peine à imaginer ce que cette part de son ascendant abandonnée à l’entité pouvait ressentir. Le pouvait-il ? Leroy lui trouva un courage sans borne qui ne ferait que renforcer l’image qu’il avait conservée de lui dans sa mémoire : un homme vaillant et prêt à tous les sacrifices pour sa famille.
Le shérif ouvrit la voiture à distance en passant devant le bureau déserté par la secrétaire ; Roy imagina qu’elle n’était qu’un pantin, un vague simulacre destiné à donner le change dans son univers trop vide.
Mais pour l’instant, ils ne devaient avoir qu’un seul objectif…
« Je suis désolé, s’excusa Andrew en allumant le moteur.
— Pourquoi ?
— De ne pas avoir été là . »
Il ne laissa pas le temps de répondre à son fils que le tout-terrain faisait déjà marche arrière ; les pneus crissèrent sur le bitume gelé et la voiture démarra en trombe en direction de la demeure familiale à l’autre bout de la ville. Dark Springs était morte et seuls les véhicules garés rompaient la monotonie du décor grisâtre.
La création de l’entité noire n’était pas seulement une reproduction fidèle de la bourgade, elle en avait profondément modifié les fondements et l’essence. Il ne s’agissait qu’une version de Dark Springs enlaidie par le pouvoir et la noirceur, définitivement plongée dans un cauchemar qui influait sur son architecture délabrée et inquiétante.
Andrew leva le pied de l’accélérateur en passant devant le Butcher’s Old Diner à mi-parcours. Plusieurs véhicules se trouvaient renversés un peu plus loin ; tandis qu’un break familial s’était encastré dans la vitrine d’un magasin, une jeep aux gyrophares étincelants était retournée sur le sol au beau milieu de la rue.
La voiture s’immobilisa au niveau de l’accident et, pour mieux vérifier si quelqu’un se trouvait en danger dans l’habitacle, le shérif déboucla sa ceinture.
Roy observait la scène avec effroi ; sous la force de l’impact, les vitres du tout-terrain avaient explosé, constellant le bitume d’un milliard de paillettes tranchantes.
Son sang ne fit qu’un tour en comprenant ce qu’ils avaient sous les yeux.
Tout se trouvait à l’arrêt, plongé dans une inertie totale ; l’odeur de l’acier en surchauffe se mêlait au parfum plus ténu et ferreux du sang. Roy quitta lui aussi la voiture pour tenter de stopper Andrew alors qu’il s’apprêtait à s’agenouiller devant la carcasse retournée.
Les éclats de verre effilés craquèrent sous les semelles de ses baskets. Des ondes de lumières rouges et bleues illuminaient le goudron mouillé par intermittence. Le logo doré peint sur la carrosserie brune ne laissait planer aucun doute dans l’esprit de Leroy concernant l’identité de son conducteur.
Andrew était bouleversé par la découverte de son propre corps reposant à même le sol à l’endroit même où aurait dû se trouver le pare-brise et défiguré par les éclats de l’explosion. En croisant son propre regard, la conversation avec son fils lui revint en mémoire comme un électrochoc.
« Papa ! murmura Roy à son attention.
— Je… Laisse-moi juste… Un instant. »
Andrew avait l’air sonné. Leroy avait beau avoir imaginé de nombreuses histoires dans sa vie, jamais il n’avait confronté l’un de ses protagonistes à la vision de sa propre mort ; il ne parvenait pas à savoir quelle réaction avoir. Devait-il lui parler ? Le réconforter ? Ou au contraire, l’aider à reprendre pied sans ménagement ?
En vérité, il se sentait totalement impuissant à voir cet homme à la respiration saccadée et sifflante tituber et prendre appui sur la carrosserie.
« Papa ! » tenta Leroy avec plus de conviction et de force.
Lorsqu’il sentit sur son épaule la main bienveillante de son enfant, Andrew se retourna, comme s’il avait été brusquement sorti d’un rêve. Son regard était lourd de sens.
Leroy aida son père à se relever. Malgré les circonstances, il lui trouvait une force de caractère et une volonté exceptionnelles.
« On doit continuer, lui dit-il tandis que le shérif s’asseyait sur le rebord du trottoir.
— Ce n’était pas au programme ça… répondit-il, hagard.
— Je ne savais pas non plus.
— Non, ne t’excuse pas… Ce n’était pas un reproche. »
Il se releva avec une extrême précaution et tendit une main rassurante à l’attention de son fils. Roy lui trouva cet air déterminé dans le regard. Quand bien même tout cela n’était qu’une succession de constructions mentales sur lesquelles il avait un pouvoir limité, son père avait la force de se battre.
Bien qu’incapable de comprendre comment tout cela pouvait exister et quelle était exactement la part de vérité dans ce monde, il restait confiant.
« Je ne savais pas ce que c’était arrivé ici… expliqua Roy, du regret plein la voix. Sinon, je ne t’aurais pas…
— Hé, mon grand, dit-il en posant ses mains sur les épaules de son fils pour le regarder droit dans les yeux. Tu n’as pas à t’excuser de quoi que ce soit. Elle cherche à nous détourner de notre objectif, ce n’est rien de plus. Salement. Mais cela veut aussi dire…
— Qu’on est sur la bonne voie ? »
Andrew lui adressa un sourire compatissant et ils s’en retournèrent vers leur véhicule.
La découverte était macabre. Assister à sa propre mort était bon à vous propulser au dernier stade de la folie. Andrew n’avait pourtant pas le temps de s’y attarder : en l’état des choses, sa seule et unique préoccupation était de mettre un terme à tout cela, pour son fils et ses descendants.
Le véhicule était de nouveau lancé à vive allure sur l’asphalte blanchi.
Roy en était conscient : Miranda les attendait et elle ne se laisserait pas oublier si facilement.
« Qu’est-ce qu’on va faire ? s’enquit-il auprès de son père, devenu simple spectateur d’un drame qui s’acheminait lentement vers une conclusion terrible.
— Je sais comment la détruire. Je crois que je l’ai toujours su.
— Vous ne pourrez rien y faire sans en payer le prix. »
La voix s’était élevée depuis la banquette arrière. Par surprise, le conducteur écrasa la pédale de frein de toutes ses forces et la voiture dérapa sur une trentaine de mètres.
« Maman ? » dit Roy en se retournant.
Andrew fronça les sourcils et attrapa l’arme rangée dans le holster sur sa poitrine. Avant même qu’il ne puisse la pointer en direction de l’intruse, l’ombre noire tomba en poussière et se matérialisa à nouveau dans la lumière des phares de la voiture.
« C’est elle, dit-il à l’attention de Roy auquel il tendait le fusil positionné entre eux. Tu te souviens comment on fait ? »
Pour toute réponse, l’adolescent arma le canon et quitta le véhicule, bientôt imité par son père.
« Vous ne pouvez rien contre moi. Vous êtes chez moi ici !
— Où est-elle, Miranda ? Où est Beth ? s’emporta Andrew.
— Oh… Vous croyez encore que vous pouvez quelque chose pour elle ?
— Où est ma mère ? »
Elle tourna un regard amusé vers Roy, son visage redevint celui de la vieille femme qui se réjouissait de la tristesse des souvenirs retenus dans la maison.
« Elle est morte, petit. Comme presque tout ce qui se trouve ici, je pensais que tu l’aurais compris ! »
Il pressa la détente, non sans subir l’effet du recul, et la vieille femme fit quelques pas en arrière, touchée par le projectile métallique. Jouant avec les sentiments de Roy, elle raffermit son sourire. Vêtue de noir et les cheveux tirés en arrière, Miranda portait un voile de deuil devant ses yeux. Elle lui parut capable de modeler ce monde volonté.
Ses lèvres violacées s’étirèrent au-delà ce qu’il semblait d’ordinaire possible et dévoilèrent ses dents grisâtres.
Andrew était tétanisé. L’apparition lui adressa un regard vainqueur tandis qu’une goutte de sueur dévalait la tempe encore palpitante du patriarche.
Miranda avait compris qu’il ne représentait pas la plus grande menace pour elle.
« Je ne crois pas avoir autorisé cela », murmura-t-elle de sa voix rocailleuse en désignant les armes.
Pour appuyer ses paroles, elle leva un poing décidé qu’elle serra si fort que les os de sa main apparurent nettement sous sa peau fine. Le fusil encore fumant de poudre que Roy tenait entre ses doigts lui échappa. L’acier se plia dans une cacophonie assourdissante tandis que le manche en bois se brisait sous l’effet d’une force invisible.
« Vous êtes en tous points consternant. Elizabeth, au moins, comprenait qu’elle ne pouvait pas gagner ici…
— Quoi ? Qu’est-ce que tu lui as fait ? s’emporta Andrew, serrant les poings.
— Enfin un peu de courage ? »
La grand-mère disparut un instant, enveloppée dans un brouillard obscur avant de reparaître juste devant Andrew qui, surpris, tenta de reculer sans succès. Il était immobilisé par quelque force invisible.
« Votre génération est décevante, cracha-t-elle, amère. Aucune bravoure, aucune loyauté à la famille. J’ai engendré bien malgré moi une descendance sans valeur. »
Elle mima le dégoût en tordant son visage d’une affreuse grimace révélant les rides et les cernes profondément marqués dans sa peau blême.
« Elle n’a pas supplié, n’a pas pleuré quand j’ai brisé mes chaînes… Son cœur encore chaud palpitant comme celui d’une vulgaire volaille dont on a tranché la tête. »
Les mots étaient durs, blessants. Sans doute volontairement.
Roy se sentit défaillir, pris d’un vertige en imaginant l’horreur de ce qu’avait vécu sa mère.
« Mais toi… Toi, bien sûr… Tu ne t’es rendu compte de rien », reprit-t-elle d’une voix adoucie.
Elle fit glisser le dos de sa main gauche contre la joue d’Andrew et laissa échapper un soupir de résignation, satisfaite de son effet.
« Tu es mort comme tu as vécu avant d’être oublié.
— Qu’as-tu fait… À ma femme… »
Miranda lui avait déjà tourné le dos et Roy vit son sourire grandir encore.
« Ce que je fais depuis toujours… »
Et elle s’éclipsa, s’envolant dans une brume noire et insaisissable qui disparut dans la nuit.
Andrew avait repris le contrôle de son propre corps, et Roy ne lisait plus sur son visage qu’une profonde détermination et une rage dont il ne le pensait pas capable. Pas après ce que l’entité lui avait lancé.
« Monte dans la voiture, ordonna-t-il sans ménagement. Allez ! »
Le regard posé sur lui par son père avait effrayé Roy qui se maudissait de ne plus être un adulte rationnel. Il se sentait bien incapable de le raisonner, redevenu l’adolescent un peu peureux et immature qu’il était autrefois.
« On ne peut rien lui faire ! dit-il enfin lorsqu’ils furent remontés dans le véhicule.
— Ce n’est pas elle qu’il faut abattre », suggéra Andrew en démarrant le moteur.
Tout s’éclaira sous un jour nouveau. Dans le récit que lui avait rapporté Andrew, l’entité en Miranda n’était qu’un parasite abreuvé par quelque chose d’ancien et de terrible.
S’il leur était parfaitement impossible de se débarrasser d’elle, ils devaient s’en prendre à la source même de son pouvoir. Les racines de l’arbre Ceïba s’étendaient sous la maison, entremêlées dans les fondations. D'après la légende, il traversait toutes les dimensions comme un pont que son bois formait.
« Il faut le détruire… murmura Andrew sans faillir. C’est le seul moyen. »
ℹ️ Fin de la partie 2 sur 3

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