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Dark Springs

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volume 1, Chapitre 3 « Nouvelle 1 - L'Ă©crivain (partie 3/3) » volume 1, Chapitre 3

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Ils arrivèrent devant la demeure tandis qu’un orage sans pluie illuminait le ciel d’éclairs silencieux.

Ainsi plongé dans le noir, le manoir familial avait l’air encore plus grand et effrayant que dans ses souvenirs. Hérissé de lances acérées, le toit s’allongeait vers la voûte céleste.

Puis il remarqua les larges racines échappées des fenêtres du premier étage et descendant en spirale le long du bardage en bois. Toute la maisonnée était envahie par la plante.

« Ce n’est pas comme dans la réalité, dit Roy à son père. Les racines viennent de la chambre de Miranda dans ce monde.

— Sa chambre ?

— Elle s’y trouvait quand je l’ai vue. »

L’adolescent désigna la fenêtre la plus à gauche d’où s’échappait une lueur jaunâtre.

« Depuis le début, l’entité n’a jamais quitté cet endroit. Quel rôle jouait Maman dans tout ça ? »

Le visage de son père s’affaissa tandis que Roy se sentait grandir à nouveau. Sa voix changeait, ses réflexions aussi et bientôt le rêve se désolidarisa complètement de ses souvenirs. Tout lui paraissait plus clair, bien que surréaliste. Il avait l’impression de se trouver piégé dans un de ses romans, comme un rappel à tout ce qu’il avait pu faire endurer à ses pauvres personnages.

Andrew l’observait avec attention. Son fils avait changé et il était désormais cet homme qu’il n’avait jamais eu l’occasion de connaître. D’un regard entendu, ils firent quelques pas en direction du perron de la maison. Elle semblait déserte, mais la noirceur s’était répandue à l’intérieur.

« Il faut la brûler, c’est bien ça ? déclara Roy sans quitter la façade des yeux.

— Ce ne sera sans doute pas aussi simple.

— Maman, elle est là-dedans, quelque part…

— Qu’est-ce que vous faites chez moi ? » intervint une voix juvénile derrière eux.

Les deux hommes sursautèrent et firent demi-tour pour poserleurs regards sur un enfant aux prunelles claires. Habillé d’un short brun et d’un t-shirt bleu, il les observait, à la fois étrange et imperturbable.

Ses cheveux noirs en bataille encadraient un visage encore arrondi par son jeune âge. Il était tel que Roy se souvenait de lui, affichant un air innocent en toute circonstance.

Le simple fait de le revoir rendait les choses plus difficiles pour lui qu’elles ne l’avaient jamais été.

« Will ? » dit Andrew, l’émotion brisant sa voix.

Son incrédulité face aux deux hommes laissait entendre qu’il n’avait aucun souvenir. À l’image d’Andrew dont l’esprit avait été endormi par l’illusion créée par Miranda, le jeune garçon ne voyait rien d’autre que de simples étrangers.

Sans plus attendre, il s’élança vers son fils disparu. Son corps s’évapora à l’instant même où ses bras entraient en contact avec lui. Miranda continuait à se jouer de lui.

Roy était perdu dans ses pensées, depuis qu’il avait reconnu l’apparition.

Quelque chose l’avait frappé : en dehors de lui-même, tous ceux qui se trouvaient dans ce monde étaient des personnes décédées dont l’esprit avait manifestement été touché par Miranda.

« C’était elle ? dit-il en faisant de nouveau face à la maison.

— De quoi tu parles ? »

Mais Andrew n’obtint aucune réponse. Sa propre mémoire était défaillante et certains détails du fantasme lui échappaient encore.

Le songe était une illusion. Ceux qui en étaient prisonniers se trouvaient incapables d’en voir les incohérences. C’était la seconde loi.

Roy connaissait ces lois par cœur pour les avoir énoncées dans le livre qui l’avait rendu célèbre.

« Elle a pris possession de la prison et c’est comme ça qu’elle vous manipule et qu’elle parvient à dissimuler la nature même de tout ça ! »

Tout s’éclairait sous un jour nouveau : la ville de Dark Springs dans laquelle ils se trouvaient tous enfermés reposait sur les seuls souvenirs de la grand-mère habitée par l’entité. Corrompue par un pouvoir dont elle était proprement incapable de contrôler l’essence, Miranda n’existait plus depuis bien longtemps.

« Et si elle pouvait d’influencer le monde… Le vrai monde ? C’est elle qui a assassiné William… Elle a provoqué ton accident et… Dieu seul sait ce qu’elle a pu faire à Maman…

— Mais c’est impossible, elle est piégée ici.

— Les racines de Ceïba... Tu as dit qu’elles s’étendaient au-delà de cette dimension, jusque dans la réalité et peut-être même…

— Dans tous les univers… » conclut Andrew en comprenant le cheminement de sa réflexion.

Tout convergeait inexorablement vers cet arbre et ses racines se frayant un chemin au travers du tissu de la réalité. S’il était capable de traverser les frontières, alors Miranda pouvait simplement vouloir en prendre le contrôle. Son pouvoir sur la le monde des vivants était limité par son enfermement dans le rêve et c’était sans doute pour cette raison qu’elle n’avait pas pu agir directement sur le destin de ses descendants.

Céïba était le meilleur moyen de briser ses chaînes.

« C’est comme ça qu’elle veut quitter sa prison.

— Si jamais elle parvient à s’en échapper, on ne sait pas ce qu’elle sera capable de faire…

— Je vais l’en empêcher. »

Andrew chercha son fils du regard avec une anxiété particulière ; il ne voulait pas le voir se mettre en danger. Pourtant, il savait ne pas être en mesure d’affronter l’entité tout seul.

Miranda avait ce pouvoir sur lui, cette capacité à influencer ses actes de telle sorte qu’il avait passé l’essentiel de son existence dans un rêve, sans voir la véritable nature de ce qui se tramait sous ses yeux. Il n’était qu’un figurant, simple spectateur dans un décor dont il était incapable de percevoir l’illusion.

« Tu restes ici, je m’occupe d’elle. »

Mais Andrew sentit une main qui le retenait par le coude ; la poigne était ferme et décidée.

« Elle a une emprise sur toi qu’elle n’a pas sur moi.

— Mais je…

— S’il te plaît. Fais-moi confiance. »

Andrew était réticent à laisser son unique enfant encore en vie s’engager dans la lutte contre l’entité noire. Roy était confiant quant à sa propre capacité à gérer la situation, mais il imaginait combien cela pouvait coûter à Andrew d’admettre qu’il ne pourrait l’aider.

« Tu sais que je dois y aller seul, n’est-ce pas ? »

Roy avait ce regard particulier en observant la maison, un éclair traversant ses pupilles à mi-chemin entre fureur et détermination. Il déverrouilla le coffre de la voiture de service de son père, en tira un bidon d’essence à moitié entamé et une petite mallette contenant le kit de survie.

« Je suis vraiment désolé… s’excusa Andrew, à la peine.

— Tu n’as rien à te reprocher, dit-il avec sincérité.

— J’aurais aimé être là… Enfin, le vrai moi aurait pu être avec toi.

— Tu l’étais. »

Il mit la main sur son cœur en signe de remerciement et lui adressa un sourire plein de compassion. La fierté que dégageait le regard d’Andrew était plus expressive que toutes les réponses qu’il aurait pu formuler.

« Juste, sois prudent une fois là-bas, fiston. »

Roy approuva et contourna le véhicule ; il posa le bidon sur la terre durcie par la nuit. Sa respiration formait des volutes de vapeur blanche devant lui, mais il n’avait pas vraiment froid.

Saisir pleinement ce qui les entourait et les subterfuges préparés par l’entité pendant ses années d’enfermement leur donnait l’impression d’un réveil brutal, d’une prise de conscience percutante.

Avec dextérité, il ouvrit la mallette et s’empara des torches rouges qui s’y trouvaient.

« Les racines de Ceïba sont censées se trouver sous la maison, mais même si je ne comprends pas pourquoi, ici, la seule possibilité que tu auras d’y accéder est en haut. »

Andrew avait désigné la chambre de Miranda ; c’était la source du mal et il devait s’agir du seul moyen de mettre un terme à ses méfaits.

« Bonne chance, fils. »

Après un dernier regard, Roy referma une main déterminée sur le bidon et s’employa à gravir les marches du perron menant à l’entrée. La porte s’ouvrit d’elle-même comme pour l’inviter à la franchir puis il s’engouffra dans la demeure sans regarder en arrière.

Quand la porte se referma derrière lui, il eut tout d’abord l’impression de se trouver dans un endroit connu et rassurant, mais la façade sa mémoire pervertie par le souvenir récent de Miranda se fractura. Avant ce soir-là, il n’avait jamais entendu son nom, jamais vu son portrait ou lu quoi que ce soit se rapportant à elle. Ses parents restant évasifs au sujet de ses leurs ainés, comme des secrets de famille que l’on préfère taire et enterrer.

Mais elle existait et vivait ici depuis plus longtemps que n’importe quel autre être humain.

« Tu n’aurais pas dû venir ici, Leroy… »

La voix provenait de toutes les directions, comme si la maison elle-même avait prononcé ces paroles et déversé sur lui une plainte incroyablement puissante. Mais il n’était plus effrayé. Il était guidé par un sentiment bien plus fort que la volonté d’une âme noire damnée par le pouvoir : l’espoir.

« Je n’ai pas peur de toi et je connais ton nom…

— Oh, voyez-vous ça… Penses-tu vraiment que je te donnerais ce pouvoir ?

— Tu n’es pas celle que tu prétends.

— Ah… susurra-t-elle avec une délectation particulière. Toutes les jeunes pousses ne sont peut-être pas aussi fragiles que je le pensais finalement. »

À ce moment-là, un bruit sourd en provenance de l’étage fit vibrer toute la structure de la maison.

La vieille femme au voilage noir apparut quelques mètres derrière lui et il tourna légèrement la tête pour l’apercevoir. Elle avait ce regard étrange et l’absence de lueur dans ses yeux l’effrayait plus qu’il ne voulait l’admettre. Ne disait-on pas que les yeux sont le reflet de l’âme ?

Pour Miranda, c’était étrangement vrai et la savoir désertée de toute vie lui donna un frisson.

« Tu ne trouveras pas ce que tu es venu chercher ici. Ni réconfort ni pardon.

— Je ne suis pas là pour ça, répliqua Roy en lui faisant face. Je ne suis plus ce gamin que vous pouviez effrayer. »

Elle rit si fort que le son de sa voix emplit tout l’espace autour d’eux.

Un nouveau coup fut porté au plancher au-dessus de lui et Roy avança vers elle ; elle disparut aussi vite qu’elle était apparue en s’évanouissant dans la pénombre. Seuls ses yeux et le contour de sa bouche à la dentition terne ressortaient dans les ténèbres.

« Tout ton monde sera bientôt à ma portée. Peu importe ce que tu feras, rien de tout cela ne pèsera dans la balance, essaya-t-elle de le décourager pour rompre le charme.

— Je connais votre nom. Je sais qui vous êtes et pourquoi vous êtes ici.

— Si vraiment tu avais été capable de faire ce que tu crois possible, je ne serais déjà plus là. J’ai vécu bien plus que tu ne serais en mesure de l’appréhender.

— Je ne m’adresse plus à Miranda… Mais à Ceïba. »

La vieille femme se figea. Son sourire disparut de son visage blanc et elle retrouva son masque de neutralité. La mélodie de La mer reprit à l’étage et Roy s’aperçut qu’elle était tout aussi surprise que lui de l’entendre.

Quelque chose venait de s’enrayer dans les projets de Ceïba.

Il prit son courage à deux mains et monta les escaliers au pas de course. En arrivant dans le couloir menant à la chambre de la grand-mère, Roy se trouva face à une porte close. Il déposa ses munitions sur le sol et fourra les deux torches dans la poche arrière de son jean avant de tenter de l’ouvrir.

Elle était verrouillée.

Au-dessous du battant, dans le mince écart qui séparait la porte du plancher, il vit à nouveau l’étrange lueur jaune pulser régulièrement. Il se fit la réflexion que le rythme présentait quelque chose de familier. La luminosité marquait les battements d’un cœur ; Leroy pouvait presque entendre les contractions tout juste couvertes par la musique.

Un coup d’épaule. La porte ne bougea pas. Un second, puis un troisième.

Rien ne semblait pouvoir y faire, mais il ne renoncerait pas.

Le temps pressait : la conclusion de toute cette histoire était proche, presque à portée de main.

Dans un ultime effort qui lui arracha un cri, la porte céda sous son poids ; l’intérieur de la chambre était simplement éclairé par un cristal luisant au nœud des racines.

Ces dernières formaient un nœud sur le lit ; entre les branchages épais parcourus par une ondoyante lumière, il distingua la forme d’un cœur.

« Roy… Tu ne devrais pas être ici… Elle va te trouver.

— La ferme, Elizabeth, il serait temps que vous appreniez à rester à la place qui est la vôtre. »

Si la voix de sa mère s’était clairement manifestée dans cet environnement étrange, il n’avait pas pu l’apercevoir dans la pièce ; Miranda, elle, se tenait debout devant la coiffeuse, un sourire machiavélique animant ses lèvres noircies.

« J’espère que tu mesures les répercussions que pourraient engendrer tes actions, Leroy. »

L’air déterminé sur la figure du fils d’Andrew et Elizabeth, ne déstabilisa pas l’apparition qui reprit aussitôt le fil de la conversation, comme si elle cherchait à le provoquer :

« À qui crois-tu qu’appartienne ce cœur ? »

L’évidence de la situation le rattrapa. Il ne voulait pas céder, quelle que puisse être la menace que la vieille femme s’apprêtait à lui présenter.

En y réfléchissant, elle n’avait de toute façon pas la nécessité de le lui expliquer : Elizabeth était au cœur de son éveil, celle par qui tout semblait recommencer et la clé dont elle avait besoin pour ouvrir la porte de sa geôle. Avec Andrew, son époux, ils avaient prêté serment de garder sa prison fermée, liant leur propre destin à celui de l’entité retenue hors de la réalité.

La mort d’Elizabeth était la seule chose qui entravait encore la conscience noire ; malgré le temps nécessaire pour rompre le charme, Miranda devait regagner en puissance avant de pouvoir s’échapper et nourrir la source de son pouvoir en était la seule contrainte.

« Ma mère… n’est plus. »

Sa gorge se serra. Le penser était une chose, mais le dire à haute et intelligible voix rendait la disparition encore plus douloureuse.

Consciente d’avoir touché son adversaire, Miranda sourit de façon insensée, ses lèvres s’étirant sur une large partie de son visage. Il était évident que la matriarche n’était plus qu’un vulgaire pantin de chair dans lequel la chose qui l’avait remplacée pouvait se manifester.

Elle se volatilisa d’un seul coup et reparut très proche de lui, tant et si bien qu’il faillit perdre l’équilibre. Elle n’avait pas d’emprise sur lui.

« Je ne voulais pas en arriver là, dit-elle d’une voix dénuée de toute humanité. Mais que fait-on aux enfants qui n’obéissent pas ? »

Un couteau apparut entre ses doigts blancs et elle se pencha vers Roy pour lui murmurer :

« Je déteste les enfants, mais crois-moi quand je te dis que je n’ai plus besoin de toi depuis que je sais comment tu as ouvert la voie jusqu’ici. »

La vieille femme serra les mâchoires et brandit la lame étincelante au-dessus d’elle. Roy tenta de reculer, mais il buta contre le mur du couloir.

Une détonation assourdissante retentit sur sa gauche et toucha l’âme noire en plein cœur. Il n’y eut pas une goutte de sang, pas un bruit de chair déchiquetée par l’impact, mais un cri tonitruant et menaçant à l’attention de l’auteur du tir.

Roy releva les yeux et distingua son père en haut de l’escalier. Il le fixa avec inquiétude avant de réitérer son coup et de frapper à nouveau le maigre corps.

Sans plus s’occuper de Roy, Miranda disparut et Andrew fut projeté en bas des de la rampe.

Le manoir familial tremblait jusque dans ses fondations ; la colère de l’entité semblait y provoquer un écho qui animait le bois de craquements lugubres.

Sans attendre, Roy récupéra le bidon d’essence et commença à le verser sur le lit envahi par les racines. Les battements se firent plus rapides, plus irréguliers aussi, mais il ne céda pas et jeta le jerricane vidé de son contenu. Plusieurs coups de feu retentirent encore dans le vestibule, mais son regard était capté par le cristal ambré au cœur de la plante.

« Tu n’as pas le choix, intervint de nouveau la voix douce d’Elizabeth. C’est le seul moyen d’en finir avec tout ça. Elle ne doit jamais s’échapper d’ici.

— Je suis désolé de ne pas avoir été là… dit-il sur le ton de la confidence. »

Pour toute réponse, il n’obtint qu’un soupir éthéré et lointain.

« J’ai eu la chance, au contraire, d’avoir un enfant merveilleux… De connaître mes petits-enfants. Ne laisse pas les remords gâcher ta vie.

— J’aurais voulu pouvoir faire mieux.

— Tu en auras l’occasion, quand tout sera terminé. Protège ta famille, sois présent pour eux comme nous aurions dû vous protéger William et toi. C’est la seule chose qui compte. »

Il approuva en silence et craqua la partie supérieure de la torche rouge ; une vive lumière crépita à son extrémité. Il fit quelques pas en arrière. Les bruits avaient cessé en contrebas et il ne pouvait pas se permettre d’attendre plus longtemps.

« Je t’aime, » murmura-t-il, les yeux emplis de larmes.

Le bâton incandescent retomba dans les nœuds de bois qui se contractèrent sous l’effet de la chaleur induite par la poudre enflammée. Le feu se répandit plus vite qu’il le pensait possible et il dut descendre en courant les escaliers.

Andrew gisait à côté de la porte, une plaie traçant sur son front une ligne sanglante. D’un geste malhabile, il aida son père à se relever et supporta l’essentiel de son poids sur ses épaules un peu trop frêles.

Lorsqu’ils furent enfin dehors, Roy remarqua à quel point il se sentait étrange ; son cœur battait plus fort et plus vite. Ses tempes étaient douloureuses et une céphalée intense avait envahi sa conscience et entravait dorénavant ses pensées.

Il laissa son père appuyé contre le capot de sa voiture et observa la ligne d’horizon. La nuit cédait place à une lumière terne qui rongeait le décor. Peut-être était-ce enfin la fin ? Miranda s’était évaporée comme une ombre disparaît au soleil de midi.

Le manoir était en flammes derrière lui et une vive explosion fit trembler la terre autour d’eux.

L’odeur âcre du bois brûlé et des fumées lui piquait la gorge, mais il était assailli par autre chose de plus tenace ; il vit s’éloigner la maison, son père, comme si son corps était attiré très loin par quelques fils invisibles.

La réalité redevenait tangible sous ses yeux et dans les flammes de la demeure il apercevait encore les limbes du rêve disparaître dans la chaleur du petit matin.

À travers le miroir, son père se redressa, ultime pont entre le fantasme et son monde. Il leva une main en signe d’adieu et tout s’estompa doucement dans un dernier soupir.

Roy laissa couler ses larmes en silence. Il en avait fini avec cette histoire, mais la confrontation avec son passé et l’impact de son éloignement avait été plus douloureux qu’il ne le pensait.

Que dirait-on de lui s’il venait à évoquer cette nuit avec ses proches ? Le prendrait-on pour un fou ? À coup sûr !

Il avait suffi de quelques instants pour que les pompiers parviennent au manoir dont la structure cédait sous son propre poids. Ils décidèrent de circonscrire l’incendie afin qu’aucune flammèche n’embrase la forêt toute proche.

« Vous allez bien ? s’inquiéta le chef des soldats du feu… Monsieur, vous m’entendez ? »

Pour toute réponse, Roy lui adressa un simple signe de la tête. Il était exténué et son cerveau refusait encore d’admettre ce qui s’était réellement passé, l'existence de ceux qu’il avait rencontrés de l’autre côté.

Ses pensées étaient noyées par un flot d’images et de questions sans réponse que son esprit ne parvenait à relier à la réalité. Comment croire, après avoir couché sur le papier tant d’histoires mystérieuses et sombres que quelqu’un était capable de faire ce que Miranda Dawkins avait fait ?

Bien plus que les ténèbres, c’était la noirceur de cette âme qui l’effrayait. La simple idée qu’un être si abject existe et puisse mener ses projets à terme le révulsait.

Pendant les jours qui suivirent, des questions qui demeurèrent sans réponse lui furent adressées. L’arrivée de Catherine dès le lendemain apaisa sa souffrance. Les mots durs qu’elle avait eus au téléphone n’avaient été qu’une conséquence malencontreuse de son passage dans un autre monde, une vision déformée de la réalité. Peut-être même un écho d’une existence bien différente dans laquelle ils étaient séparés ?

Il délaissa bien vite ses sombres souvenirs pour se recentrer sur le présent.

On lui confia l’alliance qui avait été retrouvée dans les décombres de la maison, seul vestige de plusieurs générations passées sous ce toit, face au lac bordant la ville.

Il pleura beaucoup, mais expliqua à son épouse qu’il avait obtenu ce qui lui faisait défaut depuis si longtemps : une chance de dire au revoir.

Après la tristesse viendraient l’acceptation et bien plus tard, le pardon.

Epilogue

Catherine s’installa confortablement dans son canapé, le regard tourné vers l’écran de télévision où un générique annonçait l’arrivée imminente d’un présentateur populaire des émissions nocturnes. Elle jeta un plaid sur ses jambes et saisit le saladier empli de pop-corn disposé sur la table basse devant elle.

L’appartement qu’elle occupait à Manhattan avait de hautes fenêtres donnant sur Central Park et la lumière tamisée des lampes conférait un peu de chaleur aux murs bleus du salon. L’ameublement était chic et raffiné, dans la plus pure tradition new-yorkaise.

Le présentateur captivait son audience par un discours rythmé et volontaire qui, sous quelques traits d’humour, déclenchait des rires trop francs pour être vrai.

Mais Kate savait que l’émission était en direct parce qu’une heure plus tôt, elle avait attendu que Roy s’engouffre dans le taxi le menant aux plateaux de télévision.

Il était le premier invité à intervenir ce soir et elle était si fière de lui. Comment aurait-il pu en être autrement ?

Elle s’était empressée de mettre ses enfants au lit avant de s’installer devant l’écran.

« Et sans plus attendre, il est l’écrivain le plus en vogue depuis dix ans et Hollywood adaptera bientôt l’un de ses plus gros succès, Mesdames et Messieurs, Leroy Dawkins ! »

Les haut-parleurs diffusèrent le jingle de l’émission tandis que l’invité saluait l’auditoire et prenait place dans un canapé sous les applaudissements nourris du public. Elle se félicita de l’avoir incité à ne pas mettre de cravate : Roy avait l’air plus détendu.

« Parlez-nous de votre nouveau livre, Roy ! Vos lecteurs, dont je fais naturellement partie, sont plutôt impatients de le découvrir. »

Quelques fans glissés dans le public répondirent en cœur et le présentateur l’invita à poursuivre :

« Peut-on connaître son titre ?

— Et bien, je pense que Janice, mon agent, ne m’en voudra pas trop, le titre est L’arbre d’entre les mondes. »

Le titre était limpide et Kate ne put réprimer un sourire de fierté ; il s’était ouvert à elle au sujet de son rêve étrange quelques jours après leur retour à New-York. Un songe dont il avait accepté de s’inspirer pour son nouveau livre, comme une façon de dire au monde ce qu’il avait vécu.

Elle attrapa la tasse de thé fumant et l’enserra de ses deux mains. Elle avait eu beaucoup de mal à convaincre son mari d’écrire ce livre qui lui servirait d’exutoire.

C’était nécessaire et même si Roy avait refusé de lui expliquer en détail ce qui s’était passé pendant son voyage, elle savait qu’il n’en était pas ressorti indemne.

« Mamaaaaan », intervint son fils depuis le vestibule de l’entrée derrière elle.

Kate se leva et se dirigea vers l’enfant en pyjama, passa une main délicate sur sa joue et s’accroupit pour se mettre à sa hauteur.

« Qu’est-ce qu’il y a mon ange, tu devrais dormir à cette heure…

— Je sais, mais je n’y arrive pas… Tu peux venir avec moi ?

— D’accord, juste un instant, mon chéri. »

Elle s’en retourna vers la télévision et enclencha l’enregistrement de l’émission puis elle revint dans le couloir et, d'une main le raccompagna jusqu’à sa chambre.

Une étrange odeur flottait dans la pièce, un effluve sucré et entêtant.

« Tu ne sens pas quelque chose de particulier, lui dit-elle, amusée ; l’enfant haussa des épaules et s’enfouit sous les draps.

— Vanessa a mis du parfum sur mon ours ! »

Le jeune garçon s’empressa de tendre la peluche à sa mère qui le huma avec attention ; la baby-sitter attitrée de la famille était une perle qui ne ratait jamais une occasion de leur faire plaisir.

« Oh… Il sent très bon cet ours, mais je n’arrive pas à savoir ce que c’est, feignit-elle pour l’encourager.

— Je sais ! dit-il avec entrain… Ça ressemble aux pommes à la vanille de la fête foraine ! »

Cette odeur lui rappelait quelque chose sans qu’elle soit capable de la replacer son contexte.

Soudain, elle sentit un souffle froid sur son épaule, un effleurement à peine perceptible ; il n’y avait personne quand elle se retourna sous l’effet de la surprise, mais la sensation sur sa peau demeura quelques minutes encore.

Lorsqu’elle eut réussi à aider son fils à se rendormir, Catherine tira doucement la porte de la chambre et entra dans le bureau de son mari par automatisme.

Le souvenir qu’elle cherchait lui revint d’un seul coup et les mots qu’avait couchés Leroy sur son manuscrit rejaillirent :

« L’entité était maligne et se répandait dans les ténèbres comme un cancer, toujours précédée d’une note sucrée et enfantine : celle de la pomme caramélisée à la vanille. »


Texte publié par Théâs, 26 septembre 2025
© tous droits réservés.
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