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Dark Springs

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volume 1, Chapitre 4 « Nouvelle 2 - L'orpheline (partie 1/3) » volume 1, Chapitre 4

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On raconte parfois que l’histoire d’une vie peut se résumer à une épitaphe sobrement gravée dans le marbre. Si elle est discutable de l’avis des habitants de Dark Springs, cette théorie n’aurait jamais pu s’appliquer à celle d’Henry Crawford.

Né un matin d'août 1941, Henry avait fait le bonheur de ses parents, convaincus qu'il deviendrait un médecin renommé ou un illustre scientifique destiné à rendre le monde meilleur. Henry, lui, rêvait continuellement de voir le monde et de pouvoir partager ses expériences et ses voyages avec celles et ceux qui souhaitaient l'écouter.

Malgré de brillantes études en journalisme et un goût certain pour l'écriture, les portes s'étaient rapidement refermées devant lui, ne laissant dans sa vie qu'une vague période d'errance qui ne prit fin qu’à son retour dans sa ville natale.

En 1969, il trouva une place au sein du Dark Springs Herald, loin de l'agitation des grandes rédactions nationales dont il avait toujours rêvé.

C'est pourtant ici qu'il s'apprêtait à faire l'une des plus importantes découvertes de sa carrière. Une histoire qui changerait sa vie à jamais.

Le bureau du Herald était plongé dans une semi-obscurité qui ne le dérangeait pas vraiment. Henry était assis à son bureau depuis des heures, une cigarette écrasée dans le cendrier à côté de lui.

Il vida d’une traite le café froid qui tournait dans sa tasse en grès et la reposa avec vigueur sur le sous-main en cuir. Les papiers étalés sur le bureau lui donnaient du fil à retordre à tel point qu’il se demandait comment il allait pouvoir faire tenir autant d’informations dans les cases qui lui avaient été allouées.

« Ça avance petit ? s’enquit le patron et seul autre journaliste du comté.

— Le papier sur la fête de la pêche est terminé, mais je ne suis pas au bout de la présentation du programme de la mairie. »

Le propriétaire du petit journal local, Robert Perkins, était en costume malgré la chaleur moite de la fin de journée. Sa chemise blanche en son col fermé par un nœud papillon marron paraissait étrangler son visage rond et rougeaud.

« Roger Conrad est un bon ami, et les habitants sont très heureux de le voir se présenter à nouveau.

— Ça ne débloque pas forcément mon dilemme.

— Ce que je veux dire, mon garçon, c’est que peu importe ce que tu diras dans son ton article. Personne ne s’attend à une analyse digne du Times.

La remarque de son patron n’était pas réellement faite pour le contenter ou le rassurer, du moins ce n’est pas comme ça qu’Henry le percevait. Robert saisit un chapeau posé négligemment sur la patère disposée près de l’entrée et le posa sur sa tête dans un soupir exagéré.

« Va au plus simple, lui dit-il en se retournant. Rappelle les faits et le projet principal nourri pour notre petite ville, les gens s’en contenteront. »

Henry approuva à regret et salua son patron d’un geste de la main. La porte du local claqua derrière lui et le journaliste replongea dans l’analyse du document que lui avait fait parvenir le candidat à sa propre réélection.

L’espace d’un instant, il avait brièvement repensé à ses rêves d’un journalisme au cœur de l’action, sur le terrain au cours d’une guerre ou à réaliser des reportages au bout du monde sur des peuples isolés aux croyances exotiques.

Pour passer le temps, il alluma le poste de radio positionné sur un meuble bas derrière lui et commença à battre le rythme de la musique de l’un des derniers succès d’Elvis. La feuille de papier insérée dans la machine à écrire devant lui resta désespérément vide.

En réalité, s’il était devenu si peu productif, c’était bel et bien parce que les tâches que lui confiait Robert étaient rébarbatives et sans intérêt. Au bout d’une demi-heure il avait griffonné quelques phrases sur un carnet dont il se servait d’ordinaire pour noter ses idées et décida qu’il était temps de rentrer.

Après un bâillement à s’en décrocher la mâchoire, Henry éteignit la radio puis les lumières et quitta les locaux du Herald dans le silence de la nuit.

À mesure que la nuit avançait, l’air s’était rafraichit dans la petite ville et la proximité du lac n’y était sans doute pas étrangère. Une douce odeur de pin et d’écorce se répandait dans les rues comme un rappel à l’été qui s’achevait. Henry se souvenait difficilement de son enfance, mais il les devinait les hivers rudes et interminables. Les souvenirs étaient tout ce qui lui restait de Dark Springs, car ses parents s’étaient installés à Seattle peu de temps après son départ pour l’université et n’était jamais revenu en dans la petite ville coincée entre les montagnes.

Le journaliste avait pu s’offrir une vieille maison située sur les hauteurs de la ville donnant une vue imprenable sur le lac. La demeure était dans un état dramatique, mais le charme indéniable de la façade en bois sculpté, des haut-plafond et du parquet ancien avait achevé de le convaincre de dépenser ses dernières économies. Henry aimait l’histoire autant que les voyages et cette maison avait vécus de nombreuses vies.

Après une vingtaine de minutes de marche, il vit se découper sur le ciel constellé de points blancs la silhouette de la demeure. Une brise légère faisait siffler les branches des sapins par intermittence et donnait à l’asphalte bordé par quelques lampadaires épars l’allure d’une route de campagne.

Légèrement réchauffé par une allure soutenue, Henry bifurqua en poussant légèrement le portillon qui se referma derrière lui dans un couinement caractéristique. Il gravit les quelques marches menant au à la porte d’entrée et glissa la clé à l’intérieur de la serrure.

Il savait que dans la région, personne ne fermait jamais à clé, mais vivre quelques années à New-York lui avait donné l’habitude de constamment vérifier la bonne marche des serrures. Une forme blanche le tira de ses rêveries.

Tel un animal effrayé par la lueur de phares, une fillette venait de tomber, face contre terre non loin de sa clôture.

« Tout va bien par-là ? » s’égosilla-t-il, la voix légèrement enrouée.

Il n’obtint aucune réponse et comme l’enfant ne réapparaissait pas, il se décida à abandonner ses affaires et s’assurer qu’elle n’avait rien. Après quelques enjambées sportives, il vit qu’elle semblait à bout de force, incapable de se relever. Avec beaucoup de précautions, Henry lui tendit une main amicale et il dut la soulever plus qu’il ne le pensait.

« Tu vas bien ? Où sont tes parents ? »

Mais la jeune fille au regard d’un bleu azur l’observait sans mot-dire, le souffle court. Intrigué, il tenta de voir par-delà les talus et les buissons qui s’amoncelaient en grappe depuis le bord de la route.

Rien ne retint son attention. La forêt était redevenue silencieuse et la respiration sifflante de la fillette demeurait la seule dissonance dans la mélodie nocturne.

Une fois relevée, l’enfant se jeta derrière lui pour y trouver refuge. L’inquiétude le gagnait et un millier de questions avaient fleuri dans ses pensées.

« De quoi as-tu peur ? » dit-il sans se retourner.

Elle n’eut aucune réponse à lui donner et le son de sa voix lui demeura étranger. Il ne percevait rien d’étrange à l’orée de la forêt, mais se décida à faire entrer l’enfant chez lui. Henry n’avait pas vraiment le choix de toute façon : elle se trouvait là, en chemise de nuit, ses pieds et ses mains écorchées, la figure sale et les yeux emplis de larmes.

Lorsque la porte se referma, il la guida dans le salon et alluma. La pièce était modestement agrémentée de quelques meubles anciens en bois sculpté. La télévision était dissimulée par un voilage blanc afin qu’elle ne puisse se couvrir de poussière.

Après quelques instants, il lui tendit un verre d’eau puis s’empara du combiné téléphonique posé sur le petit guéridon de l’entrée. Il avait fait raccorder la maison au réseau téléphonique parmi ses premiers investissements, convaincu de l’absolue nécessité et du confort que cela lui apporterait.

« Le bureau du shérif, s’il vous plaît. Oui, j’attends.

— Shérif Dawkins, quelle est votre urgence ?

— Bonsoir, Henry Crawford à l’appareil, je suis au 18 Forest Camp Street. Il y avait une fillette dehors, elle semblait seule et…

— S’est-elle présentée ? »

Jetant un coup d’œil à son invitée, Henry constata qu’elle avait pris le verre dans ses mains.

« Elle ne parle pas, ou elle ne peut pas le faire, mais je n’ai vu personne d’autre dehors. Je crois qu’elle est seule.

— Vous avez racheté la vieille maison sur la colline, n’est-ce pas ?

— Oui, celle avec la tour.

— Très bien, j’arrive dans une dizaine de minutes. »

Le shérif raccrocha sans formalités, et Henry fit de même. Il observa la jeune fille, manifestement inquiète, qui jetait des regards anxieux vers un bruit suspect.

Soucieux d’en apprendre plus sur elle, il approcha et s’agenouilla pour se mettre à sa hauteur. Le regard fuyant et le malaise grandissant sur son visage, il se força à avoir quelques paroles de réconfort :

« Tout va bien, tu es en sécurité maintenant, lui dit-il d’une voix adoucie. Tu ne veux vraiment pas me parler ? »

L’enfant leva vers lui un regard clair et innocent ; son visage blême et les cheveux noirs en bataille lui donnait une douceur particulière. Son visage était couvert de quelques traces noires et ses mains et ses pieds étaient empourprés par quelques écorchures sans gravité.

Elle but une dernière gorgée d’eau et reposa le verre vide sur la petite table basse faisant face au sofa. L’épuisement se lisait dans ses yeux et il ne mit pas longtemps à comprendre qu’elle allait s’endormir avant même l’arrivée du shérif.

Alors que la température baissait de nouveau, Henry se servit lui aussi un verre d’eau et l’avala d’une traite.

Soucieux, il récupéra dans la salle d’eau située au rez-de-chaussée la trousse à pharmacie et pris sur lui de tenter de soigner les quelques plaies de l’enfant. Elle ne semblait pas y porter une attention particulière et se dit qu’elle devait avoir plus peur de ce qui paraissait la pourchasser que de s’être infligé quelques douleurs.

Il revint à sa rencontre et lui montra la valisette blanche comportant une croix verte. La fillette resta silencieuse et quand il l’ouvrit eut un bref mouvement de recul ; Henry n’était pas particulièrement doué pour communiquer avec les enfants. D’aucuns pensaient même qu’il portait en lui ce même problème avec ses congénères adultes.

« Ça va piquer un peu, dit-il en imprégnant la gaze d’un peu d’alcool. Mais il faut désinfecter, tu comprends ? »

Il attendit une réponse, un signe de la tête que lui accorda la fillette après quelques secondes. Il demanda de tendre sa jambe et elle le fit avec approximation.

A sa grande surprise, elle ne changea pas d’expression et resta impassible. Lui qui trouvait cette étape toujours très douloureuse venait d’en prendre un coup par le sang froid de cette enfant. Après avoir désinfecté et nettoyer les coupures superficielles, Henry déroula la large bande à liseré bleu et fit trois tours sur le pied de la fillette avant de couper le tissu et d’en nouer l’extrémité.

« Tu es une petite fille courageuse dit-il en rangeant le matériel. Tu ne peux vraiment pas me parler ? »

Elle lui fit non de la tête et jeta un regard intrigué vers la fenêtre qui se trouvait derrière lui ; un moteur venait de s’arrêter dans la rue et il se dit qu’enfin quelqu’un de fiable allait pouvoir prendre le relais.

Henry se releva, déposa la boite sur la table et s’en fut vers la porte d’entrée. Le gyrophare de la voiture du shérif était éteint, mais il distingua le logo peint sur la portière avant de la Ford Mustang.

Son cœur battait plus vite à l’idée de l’arrivée du shérif, et il jeta un regard furtif vers la fillette, qui semblait se ratatiner sur le bord du sofa, ses petits bras entourant ses genoux. Le silence s’était installé dans la pièce, percé seulement par le tic-tac régulier d’une vieille horloge murale. Henry sentit la tension monter, mais il tenta de rassurer l’enfant d’un sourire maladroit, espérant qu’au moins la présence d’un adulte de plus la réconforterait.

Il alla tirer les rideaux, masquant la vue de la rue, puis revint s’asseoir à quelques pas de la fillette, attendant ensemble dans une atmosphère suspendue, presque irréelle. La lumière déclinait derrière les vitres, jetant sur la scène une teinte dorée mêlée d’inquiétude.

« Shérif… dit-il à l’attention de l’homme qui remontait l’allée.

— Je ne crois pas que l’on se soit déjà croisé, répondit-il le regard dissimulé dans l’ombre de son chapeau.

— Henry Crawford, je travaille pour le journal local. »

L’homme en tenue marron et chemise clair le jaugea avant de saisir la main tendue du journaliste.

« Je suis désolé de vous déranger, mais ce n’est pas une situation avec laquelle je suis à l’aise…

— Vous avez fait ce qu’il fallait. »

Sans bouger, il jeta un œil à l’intérieur et vit une fillette en chemise de nuit le pied droit emmaillotée dans une bande médicale.

« Que s’est-il passé exactement ?

— Je rentrais à peine et j’ai entendu la gamine courir vers la route. Elle a dû se prendre le pied dans une ronce et…

— Vous n’avez rien pu obtenir d’elle.

— Elle ne parle pas. Mais elle comprend. »

Il invita le représentant de la loi à entrer et les deux hommes traversèrent le vestibule pour rejoindre le salon.

« Je vais essayer de lui parler, mais vous devrez m’expliquer en détails la façon dont c’est arrivé. »

Henry approuva silencieusement et resta en retrait pour refermer la porte de l’entrée. Andrew Dawkins était shérif de la petite ville de Dark Springs depuis plusieurs années maintenant, mais il n’avait jamais réellement eu à gérer ce genre d’affaire.

Dark Springs n’avait pas un passé très calme, mais pour autant ce genre d’affaires demeurait extrêmement rare. Les interventions du shérif se cantonnaient à des rondes de surveillance, quelques arbitrages pour des querelles de voisinage et de temps à temps un passage en salle de dégrisement.

Henry n’en n’était pas certain, mais il avait la sensation que la fillette était plus à l’aise avec Andrew qu’en sa présence. Sans doute était-il père et, naturellement, le contact des enfants lui était plus familier.

« Je suis le shérif Dawkins, mais tu peux m’appeler Andrew, dit-il en ôtant son chapeau. Et toi, ma puce, comment tu t’appelles ? »

Il n’eut pour toute réponse qu’un long silence. La fillette ne clignait pas des paupières, ses prunelles bleues ne se raccrochant qu’en de rares occasions à Andrew puis Henry.

« Tu es avec tes parents ? »

Elle lui répondit par une négation appuyée du menton puis observa la bande sur son pied. Le shérif repositionna correctement la bande légèrement desserrée, mais l’enfant eut un mouvement de recul qui lui fit perdre ses moyens.

« N’aies pas peu, je ne vais rien te faire… dit-il pour l’apaiser.

— Tout va bien ? s’enquit Henry depuis l’embrasure de la porte.

— Oui, ne vous en faites pas. Vous pouvez rester avec elle, je dois passer un appel au poste…

— Oui, bien sûr. »

Le journaliste revint auprès de la fillette tandis qu’Andrew quittait la maisonnée pour rejoindre sa voiture. Il se pencha et, à travers la fenêtre du conducteur ouverte attrapa la radio reliée au tableau de bord.

« Les gars, est-ce que quelqu’un me reçoit ?

— Je vous écoute chef ! répondit immédiatement l’un de ses adjoints, Barry Wilmer.

— On a une enfant qui a été retrouvée, seule dans le quartier nord de la ville sur Forest Camp.

— Que doit-on faire, Shérif ?

— Préparer une alerte pour les bureaux du comté et demandez si une disparition a été signalée. Et prévenez le docteur, je veux qu’il vienne examiner la petite immédiatement.

— A vos ordres. »

Il baissa le volume de sa radio portative et retourna à l’intérieur en petites foulées. Il trouva Henry assis sur le meuble bas face au canapé. La fillette était couchée sur le côté et respirait doucement.

« Elle s’est endormie, précisa-t-il en glissant sur elle une couverture.

— Nous devons parler. »

Après avoir ajuster le duvet, les deux hommes retournèrent dans l’entrée.

« Vous avez du café ?

— Bien sûr », répondit Henry en l’invita à le suivre dans la cuisine.

Lorsqu’ils furent tous deux servis, ils reprirent leur conversation :

« Vous n’avez rien vu d’étrange ? s’enquit Andrew d’un œil circonspect.

— A part cette fillette sortant de la forêt en courant ? Non… Mais je suis new-yorkais, alors le bizarre a été mon quotidien pendant longtemps.

— Dark Springs est une ville plutôt calme, vous savez. Ici, il n’y a pas de vol, pas d'agression... »

Le contraste était saisissant, mais Henry ne l'avait réellement remarqué qu'en rencontrant les autres habitants de la ville. En plus de ne pas verrouiller les portes, les habitants semblaient tous droits sortis d’une de ces publicités présentant l’américain moyen : un être sympathique, avenant et toujours souriant.

Ici tout semblait si simple et les gens tellement décontractés et ouverts. En apparence du moins.

« Qu'allez-vous faire ? s'inquiéta brusquement le journaliste.

— Un médecin sera bientôt là et que je préviendrais les services sociaux au plus tôt demain matin.

— Et en attendant ? »

Le shérif fit mine de réfléchir et posa sur lui un regard interrogateur.

« Pour le moment, nous allons attendre ici, ses parents se manifesteront peut-être. »

Henry n'y croyait pas vraiment. Tout était très étrange dans cette histoire…

Il observa l'attitude du représentant de la loi et lui trouva un air nerveux qui contrastait avec l’assurance qu'il tentait de faire paraître.

Égoïstement, Henry pensa un instant au potentiel sujet qui venait de se présenter à sa porte. La curiosité l'emporta sur la raison et son esprit trop longtemps privé de faits divers échafauda quelques scénarios improbables.

Il se passa une vingtaine de minutes avant que le médecin d'astreinte n'arrive devant la propriété de Henry Crawford, sa mallette sous le bras et un air désabusé animant des sourcils trop fournis.

« Docteur Harold Grossman, se présenta-t-il d'une voix terne.

— Entrez, je vous en prie, l'invita Henry, volontaire et solennel.

— Merci. »

Le petit homme de science avait un crâne dégarni et quelques cheveux poivre et sel habillant encore ses tempes ; un costume terne et un peu trop lâche accentuait encore sa petite taille et son profil arrondi.

« Shérif, dit-il humblement en salua Andrew.

— Docteur, merci d'être venu.

— Où se trouva-t-elle ? demanda l'intéressé sans une once de politesse.

— Au salon, elle s'est endormie. »

A ce moment, il suivit la direction présentée par le shérif qui lui emboîta le pas. Henry lui trouvait un air désagréable et antipathique qui ne poussait pas vraiment à essayer d'en savoir plus sur lui. D'ordinaire, il trouvait dans chaque personne rencontrée quelque chose de fascinant qui, selon lui, méritait d'être raconté.

Sans doute était-ce dû à l'heure avancée.

Henry resta dans l'entrée pour éviter d'attirer sur lui les foudres de ses visiteurs sans doute trop soucieux de préserver l'intimité de leur échange avec la fillette. Le médecin ne paraissait pour autant pas spécialement à l’aise avec elle.

Henry se demanda ce qu'une telle intervention allait pouvoir leur apprendre si elle refusait obstinément de leur répondre.

« Monsieur Crawford, l'appela le Shérif sans même revenir vers lui.

— Vous pouvez me répéter ce qu'il s'est passé au dehors ?

— Et bien, comme je vous l'ai expliqué : elle est sortie des bois, dit-il en montrant la direction.

— Il pense qu'elle aura pu s'échapper de l'orphelinat St Pierre qui se trouve à quelques kilomètres au nord. »

Même s’il avait passé des années loin de Dark Springs, Henry n'avait jamais entendu parler de cet orphelinat. Son regard devait laisser transparaître son incrédulité car le shérif crut bon de préciser :

« Il est tenu par des sœurs catholiques qui ont investi un ancien prieuré datant de l'époque des premiers colons. »

Son esprit ne fit qu’un tour et son passé de lecteur de Pulp fit de nouveau surface comme s’il avait quinze ans à nouveau. Il chassa ces idées fantasmées d’une brève inspiration puis confronta le regard d’Andrew.

« Le téléphone est à votre disposition pour… vous savez : les contacter ?

— On ne peut pas dire qu’elles soient tournées vers la modernité. Il faudrait s’y rendre, mais à cette heure…

— Vous devriez, intervint le médecin en se rapprochant du duo. Elles n’ont pas la réputation d’être très maternelles et sont plutôt à cheval sur les principes. »

Le petit bonhomme avait replacé son chapeau en feutre sur le haut de son crâne et referma sa mallette de médecin. Il semblait vouloir dire qu’il en avait terminé avec sa mission, mais le shérif attendait malgré tout un rapport détaillé.

« Très bien… Je n’ai rien vu de particulier, vous avez visiblement correctement désinfecté les plaies et je ne suis pas spécialisé dans les comportement infantiles… Cette gamine semble en bonne santé et si elle est un peu sauvage, je ne pense pas qu’elle soit maltraitée.

— Que doit-on en conclure en ce cas ? reprit Henry en détaillant le médecin.

— Elle se sera enfuie d’un dortoir, profitant sans doute d’une baisse de vigilance des sœurs. D’un point de vue médical, elle va bien. »

Harold Grossman était un homme replet avec une lueur fatiguée dans le regard. Son âge accusait sans doute de quelques erreurs de diagnostic, mais le plus simplet des hommes pouvait émettre ce genre d’hypothèses. Il fit montre d’une discrétion exagérée et reprit :

« Je ne garantit rien sur sa santé mentale, elle a l’air d’une échappée de l’asile si vous voulez mon avis… »

Andrew qui avait failli accorder de l’importance aux mots du médecin se ravisa en comprenant vers quelle conclusion celui-ci tentait de les mener. D’une amicale tape sur l’épaule, le shérif reconduisit le vieil homme à la démarche chaloupée vers la porte d’entrée et échangea quelques mots avec lui avant qu’il ne prenne enfin congé.

« Très bien… Je n’ai rien vu de particulier, vous avez visiblement correctement désinfecté les plaies et je ne suis pas spécialisé dans les comportement infantiles… Cette gamine semble en bonne santé et si elle est un peu sauvage, je ne pense pas qu’elle soit maltraitée.

— Que doit-on en conclure en ce cas ? reprit Henry en détaillant le médecin.

— Elle se sera enfuie d’un dortoir, profitant sans doute d’une baisse de vigilance des sœurs. D’un point de vue médical, elle va bien. »

Harold Grossman était un homme replet avec une lueur fatiguée dans le regard. Son âge accusait sans doute de quelques erreurs de diagnostic, mais le plus simplet des hommes pouvait émettre ce genre d’hypothèses. Il fit montre d’une discrétion exagérée et reprit :

« Je ne garantit rien sur sa santé mentale, elle a l’air d’une échappée de l’asile si vous voulez mon avis… »

Andrew reprit contact avec son adjoint par radio et exprima sa décision pour la suite de l’intervention : l’un d’eux devrait se rendre au couvent aux première lueurs du jour.

A son retour, il demanda la permission au maître de maison de contacter son épouse par téléphone. Henry approuva de bon cœur et le laissa en toute intimité en rejoignant le salon.

Andrew revint vers lui après une dizaine de minutes puis il s’expliqua :

« Quelqu’un passera la chercher demain. Si ça ne vous gêne pas, j’attendrais ici avec elle que la sœur vienne la récupérer.

— Je vais aller chercher de quoi vous installer. »

Andrew accepta d’une brève inclinaison de la tête et s’assied dans l’un des fauteuils capitonnés de cuir brun. L’assise était particulièrement confortable, mais l’absence d’un coussin lui permettant de reposer sa nuque fit apparaître quelques raideurs dans son cou.

« Je n’ai pas pour habitude d’avoir des invités, mais je pense que ceci fera l’affaire. »

Henry lui tendait un coussin un peu tassé par les années et une couverture légère qui pouvait s’avérer utile au cœur de la nuit estivale. Les températures étaient fluctuantes à Dark Springs, sans doute du fait de sa situation géographique particulière : la chaleur de la journée s’étirait jusqu’au beau milieu de la nuit puis s’évanouissait jusqu’au lever du soleil.

Vers trois heures et demie du matin, trois coups secs frappés sur le bois massif de la porte d’entrée réveillèrent Henry, endormit dans le second fauteuil du salon. La faible lueur d’une lampe de chevet disposée sur un buffet bas dispensait une clarté ténue.

A mi-chemin entre rêve et réalité, le journaliste éprouva quelques difficultés à se redresser et vit que le shérif s’était assoupi. La fillette, elle, était immobile ses prunelles bleues tournées avec effroi vers la porte d’entrée.

« Ne t’inquiète pas, tu ne crains rien. Ce doit être les sœurs, elles vont te ramener chez toi. »

Mais la jeune fille lui saisit la main pour le retenir. Quelque chose de terrifiant habillait son regard, une émotion sur laquelle il ne parvenait pas à poser de mots.

Il n’arrivait pour ainsi dire jamais à cours d’adverbes idéaux ou de qualificatifs tombant à point nommé lors de la rédaction de ses articles. Mais son expression ne suscitait en lui rien d’autre que de l’effroi.

« Ne t’inquiète pas, tout va bien se passer, je te le promets.

— Ce sont elles, n’est-ce pas ? »

Le shérif bailla, une main devant sa bouche tout en se relevant, le dos visiblement endolori par les quelques heures passées sans bouger. Il devança Henry et ouvrit aux visiteuses.

Lorsqu’elles entrèrent, la poigne de la fillette se resserra autour des doigts du journaliste tant et si bien qu’il commençait à avoir mal.

« Emilie, lui sourit la première des religieuses. Nous devons rentrer. Immédiatement. »

Elle devait être âgée d’une soixantaine d’années et son teint un peu trop pâle lui donnait un air maladif qu’Henry discerna sans peine. Sa tunique noire et la coiffe blanche caractéristiques des religieuses catholiques accentuaient encore son air autoritaire et soulignaient l’austérité de son regard.

« Venez immédiatement jeune fille, réitéra-t-elle en tendant une main osseuse en direction de la fuyarde. Il est tard et nous avons suffisamment importunés ces messieurs. »

Sans faire lâcher prise à la fillette, Henry se retourna doucement et fléchit les genoux pour se mettre à sa hauteur.

« C’est un joli prénom, Emilie, » lui dit-il en souriant.

Le regard de la jeune fille était larmoyant et implorant à tel point qu’Henry se sentit mal. Il se retourna vers la religieuse engoncée dans sa toge trop large et s’excusa à son tour.

« Elle ne m’a pas importuné, elle s’est simplement perdue dans les bois.

— C’est la définition même d’importuner. »

Le ton sec et vindicatif de la vieille femme en soutane calma immédiatement ses envies de discuter avec elle. La religieuse insista d’un regard perçant à destination d’Emilie et secoua légèrement sa main pour lui rappeler ce qu’elle attendait de sa part.

Après quelques instants à hésiter et tandis que la seconde personne discutait avec le shérif, Emilie se résigna à saisir la main tendue de la sœur maigrichonne. Henry força un sourire de convenance et après l’avoir remercié pour sa sollicitude, toutes d’eux s’en retournèrent dans l’entrée.

De froides salutations plus tard, les deux femmes et l’enfant s’en retournaient vers le véhicule Ford familial garé devant la maisonnée. Le moteur toussota avant de démarrer et elles s’en furent après avoir opéré un demi-tour.

« Vous les aviez déjà rencontrées ?

— Lorsqu’elles se sont installées au prieuré, j’ai rencontré leur mère supérieure, oui.

— Vous avez remarqué ?

— Quoi ? rétorqua Andrew en levant uns sourcil.

— Emilie. Elle ne voulait pas y aller. »

Andrew inspira profondément avant de faire face au journaliste.

« C’est une enfant, qui a désobéi. Elle redoute sans doute la punition.

— C’est certain. Comme le disait le docteur, elle ne semble pas disposée à prendre les choses avec pédagogie. »

Andrew eut un rire moqueur qui s’évanouit aussi vite qu’il s’était manifesté :

« Elles gèrent un orphelinat, je doute qu’aucune d’elle ne se soit vraiment jamais occupée d’un enfant en dehors. »

Andrew se ravisa en voyant que son hôte ne le suivait pas sur ce chemin et toussa pour s’éclaircir la voix. Il ressentait quelque peu un malaise mais ce fut Henry qui désamorça la situation.

« Je vous remercie de vous être déplacé si vite… J’avoue que je n’aurais pas su comment réagir sinon.

— Je suis là pour ça. »

Le shérif lui tendit une main amicale et Henry la saisit avec fermeté. Il ne savait si l’heure tardive jouait avec ses nerfs ou ce qui s’était déroulé chez lui ce soir-là avait un caractère suffisamment étrange pour avoir éveillé son instinct de reporter.

Andrew Dawkins prit congé et monta dans sa voiture. Henry observa depuis le perron, le véhicule quitter le trottoir dans le silence de la nuit.

Après avoir ranger les coussins, il replia consciencieusement la couverture et vit un bout de papier en glisser. D’un geste, il déposa l’étoffe sur la table basse et s’en saisit.

Le morceau jauni semblait avoir été arraché d’un catalogue quelconque puis froissé avant de se perdre dans les replis.

« Aidez-moi. » Sa voix résonna faiblement dans la pièce, à mi-chemin entre la supplication et l’incrédulité, comme s’il cherchait à se convaincre que tout cela était bien réel et non le fruit d’un songe persistant. Son regard, alourdi par la fatigue, peinait à s’accrocher aux contours familiers du salon.

Un léger tremblement parcourut ses mains tandis qu’il serrait le bout de papier, signe discret de son trouble intérieur. Il inspira lentement, tentant de rassembler ses pensées éparses, et laissa ses yeux s’attarder un instant sur les ombres mouvantes projetées par la lumière tamisée. Peu à peu, il chercha à retrouver pied dans la réalité, s’efforçant de ne pas se laisser happer par l’étrangeté de la situation.

Le shérif avait sans doute raison : la fillette était sans doute effrayée par la punition à venir pour avoir tenté de fuir et le souci causé par son escapade nocturne. Le manque de sommeil obscurcissait ses pensées, traçant dans son esprit les contours de quelques romans policiers. Il chassa ces pensées irrationnelles et décida d’éteindre avant de s’éclipser à l’étage.

La chambre se trouvait à droite en haut de l’escalier et il s‘effondra sur le lit sans même prendre la peine de se déchausser. La nuit fut plus longue qu’à l’accoutumée et sans aucun rêve.

ℹ️ Fin de la partie 1 sur 3


Texte publié par Théâs, 28 septembre 2025
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volume 1, Chapitre 4 « Nouvelle 2 - L'orpheline (partie 1/3) » volume 1, Chapitre 4

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