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Dark Springs

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volume 1, Chapitre 5 « Nouvelle 2 - L'orpheline (partie 2/3) » volume 1, Chapitre 5

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Lorsqu’il s’éveilla le lendemain matin, Henry se trouvait sur le ventre, son bras droit pendant dans le vide à côté du lit. Pendant quelques secondes, il envisagea la possibilité que ce dont il se souvenait n’avait jamais eu lieu. Il poussa finalement sur ses bras pour se retourner et se laissa retomber sur le dos. Après une profonde inspiration, il se contorsionna pour s’extirper du matelas trop mou et se redressa, légèrement ébloui par le soleil radieux.

Après un rapide passage par la salle de bain, il retourna dans la chambre pour récupérer quelques vêtements propres et se retrouva de nouveau confronté au bout de papier dont la nuit n’avait fait qu’un vague souvenir intangible.

Pourtant, il se trouvait là, sur le parquet patiné par les années. Les mots résonnèrent à nouveau dans sa mémoire et les pièces du puzzle s’emboitèrent à nouveau comme l’évidence d’un souvenir trop présent.

Il ne croyait pas au destin, aux routes tracées d’avance par quelque plan divin inavouable. Henry était pragmatique et se contentait d’apprécier les faits corrélés ou non. Il ramassa le bout de papier déchiré et s’habilla avec empressement : il devait impérativement finaliser le papier que Robert lui avait demander de rédiger à sa place concernant les vœux du maire pour la ville et il n’avait pas intérêt à fauter.

Ce n’était pas tant la pression qui lui retombait sur les épaules, mais davantage l’envie de se faire une place dans la petite communauté. Les petites villes étaient des microcosmes qui ne laissaient aucune place au doute ou à l’absence de légitimité.

En somme devenir l’homme du journal lui permettrait de se sentir définitivement chez lui.

Il boutonna le col de sa chemise et descendit les escaliers au pas de course.

Le journaliste récupéra sa serviette et quitta la maisonnée en claquant la porte. L’esprit curieusement éveillé par le mot laissé par sa visiteuse nocturne, il avait en tête de mener son enquête sur cet orphelinat aussi discret qu’étrange.

Aussi brève fut-elle, la rencontre avec les sœurs venues chercher l’enfant avaient posées de nouvelles interrogations dans son esprit. Emilie était au centre de ses pensées comme la proie d’un chasseur prise en pitié par un promeneur.

En arrivant au bureau, il constat l’absence du propriétaire des lieux.

Il était seul et allait pouvoir se concentrer sur sa tâche. Après quelques essais infructueux, Henry se servit une tasse de café noir et s’installa de nouveau derrière son bureau quand quelques mots s’imposèrent à lui comme l’évident commencement d’un article élogieux.

La porte s’ouvrit sans ménagement et son regard se posa sur l’allure bonhomme de Robert.

« Henry, vous êtes déjà là ?

— J’ai eu quelques idées intéressantes pour l’article concernant la mairie.

— Bien, bien… Nous en parlerons plus tard. »

Le vieux journaliste dépassa le bureau sans même adresser une main amicale à son employé et referma la porte derrière lui. Pendant qu’il rédigeait, Henry entendit la voix de Robert s’élever à travers la porte de son bureau. La conversation était ponctuée de quelques rires gras et désagréables et il dut faire preuve de beaucoup d’effort afin de se concentrer.

Ce soir-là avait lieu un événement sans précédent : un homme allait poser le pied sur la Lune et toute l’Amérique était en ébullition. Il était prévu qu’une retransmission en directe prolongerait inhabituellement l’émission de télévision au-delà de vingt et une heure.

Robert s’en réservait la primeur, préférant garder les unes et les félicitations pour lui. Henry, lui, devait se contenter de combler les blancs, préparer la mise en page et apporter l’épreuve à l’imprimerie. Fêtes paysannes et chats volés constituaient son quotidien à la rédaction.

Il se le promit, une fois de plus : un jour il prendrait sa place et dirigerait cet humble quotidien.

Comme convenu, Robert quitta son bureau une heure plus tard, tandis que le papier noirci par Henry attendait sagement sur un coin de son bureau. Le vieil homme ne daigna pas y jeter un œil, chose qu’il avait pourtant toujours expressément exigé.

Bien trop préoccupé par l’incident de la nuit précédente, Henry réfléchissait.

Il devait admettre que sans ce mot étrange laissé par l’enfant, il aurait probablement admis l’affirmation du shérif sans réfléchir… Il se trouvait face à un dilemme étrange qui consistait dans la préservation de son envie d’enquêter et la mise en danger de sa carrière.

À New-York, il n’aurait jamais envisagé de prendre sur son temps libre pour effectuer des recherches concernant la fugueuse d’un orphelinat perdu dans la forêt. Mais dans les montagnes, l’affaire prenait un tournant mystérieux qui faisait remonter son besoin de creuser la surface. De découvrir si quelque chose d’autre se terrait là, en-dessous de cette demi-vérité.

A bien y réfléchir, il trouva que cette histoire ferait un Pulp captivant pour les lecteurs du Hérald. Et puis si ses divagations se trouvaient proches de la réalité, il pourrait porter assistance à cette fillette pour qui il ne pouvait s’empêcher de ressentir de la compassion.

Peut-être pouvait-il espérer faire avancer les choses en proposant au rédacteur en chef quelques idées importées de la civilisation des grandes villes : insérer dans la feuille de choux un peu trop sage de Dark Springs quelques fictions modernes qui faisaient le succès de certains quotidiens de l’Est.

Robert était de nouveau planté devant lui et saisit la feuille sans ménagement. Son regard parcourait rapidement les lignes imprimées par la machine à écrire et il ponctuait parfois les fins de phrases de quelques onomatopées incompréhensibles.

« Pas mal… Faites partir ça à l’imprimeur dans l’après-midi.

— Merci, dit-il en l’observant comme s’il attendait autre chose.

— Je serais absent d’ailleurs tout l’après-midi. »

Henry avait entendu parler d’un événement organisé par la mairie le soir-même concernant l’aventure vécue par les hommes de la Nasa ; le petit monde de Dark Springs n’était finalement pas si différent de celui des grandes villes. Il était simplement un peu plus lent.

Il s’imagina quelques rencontres guindées réservées aux célébrités locales. Intérieurement, il se demanda ce que pouvaient bien se raconter ces personnes vivant d’une relative notoriété lors de ces réunions à huis-clos.

« Je porterais moi-même le papier concernant Armstrong.

— Très bien… Monsieur, je… »

Il marqua une pause, hésitant à dévoiler à son employeur ses ambitions personnelles de peur de le froisser. Il se leva de l’assise inconfortable de la chaise en bois et observa attentivement les photographies affichées au mur.

« Je me demandais si… Vous accepteriez de m’autoriser à rédiger un sujet moins ordinaire. »

Le journaliste fronça les sourcils comme si cela lui permettait de sonder l’esprit d’Henry. Il sembla réfléchir quelques instants et expliqua :

« Le Herald est un journal local, Crawford, pas le New-York Times.

— Je sais, mais je pense que cela peut aussi intéresser vos lecteurs…

— Faites, dit-il en accompagnant sa résignation d’un geste de la main. Mais je devrais exprimer mon accord, compris ? »

Le plus jeune des deux intériorisa la réaction à la petite victoire qu’il venait d’obtenir et se contenta de saluer Robert avec un respect outrancier.

Enquêter lui plaisait, mais la perspective de pouvoir rédiger un papier dont il avait lui-même eut l’idée le ravissait encore davantage.

Robert s’apprêtait à quitte le bureau, vraisemblablement rattrapé par le temps qu’il ne maîtrisait plus et fit volte-face juste avant de quitter les locaux du journal.

« Pas de polémique, compris ?

— Compris. »

Il arqua un sourcil perplexe dans un réflexe nerveux et referma la porte probablement plus rapidement qu’il ne le souhaitait.

Henry boucla son papier et décida de se débarrasser de la besogne qui l’attendait. Avec un empressement peu commun, il rassembla ses affaires et glissa son papier dans la serviette en cuir marron. Il déposa sa note à l’imprimeur afin qu’elle soit intégrée à l’édition du lendemain et s’installa au volant de sa voiture.

Il se déplaçait rarement en voiture, préférant de loin profiter de la relative douceur de la fin de l’été, mais aujourd’hui, il avait fait une exception.

La vieille Ford grinça lorsqu’il referma la portière. Henry n’aimait pas particulièrement l’idée de se mettre à dos le shérif du coin, mais il pensait que quelque chose d’étrange entourait la fugue d’Emilie.

Il se fit donc la promesse de ne rien laisser paraître, de cacher au maximum son jeu et ses intentions. Après quelques secondes, il enclencha le contact et la voiture s’engagea dans le trafic du début d’après-midi.

En arrivant au bureau du shérif, il sentit son estomac se retourner. Il n’avait pas enquêté depuis New-York et dissimulé la vérité était un art qu’il n’avait plus pratiqué depuis longtemps.

La pointe de stress qui noua son estomac le lui rappela sans ménagement.

« Bonjour, dit-il à la secrétaire flanquée derrière un guichet trop haut.

— Bonjour, répondit-elle avec classe avant de reposer devant elle le papier dont elle détaillait le contenu. En quoi puis-je vous aider ?

— Je souhaiterais voir le shérif Dawkins. »

Elle approuva d’un sourire contraint et se leva avant de lui dire :

« Attendez-ici, je reviens immédiatement. »

Elle lui désigna quelques sièges placés de part et d’autre de la large porte en verre de l’entrée et Henry la remercia. Elle revint un instant plus tard accompagné d’Andrew Dawkins.

« Shérif… le salua-t-il en accompagnant ses paroles d’une main tendue.

— Monsieur Crawford, vous souhaitiez me voir ?

— Oui, je voulais m’entretenir avec vous au sujet de ce qu’il s’est passé hier soir. »

Le shérif leva les yeux au ciel dans un réflexe qu’il ne tenta même pas de dissimuler puis l’invita à le suivre dans un couloir s’échappant sur la gauche. Ils parvinrent à un bureau où étaient entreposés des diplômes et quelques collections de balles de baseball.

L’atmosphère était baignée d’une vague odeur de café refroidi et la tasse disposée sur un sous-verre aux couleurs de l’équipe locale de ce sport le laissait à penser qu’Andrew revenait à peine de son repas. Henry détailla le reste du mobilier d’un coup d’œil discret et comprit immédiatement le caractère méthodique et organisé de son hôte. L’homme auquel il faisait face n’était pas quelqu’un que l’on pouvait facilement mener en bateau.

Le journaliste allait devoir être vigilant s’il entendait garder pour lui l’objectif de son enquête.

« Je vous écoute, dit-il au visiteur en l’invitant à s’asseoir. Que voulez-vous savoir ?

— En fait, je me posais des questions sur cet endroit, vous savez comme je travaille pour Le Herald, j’aimerais pouvoir faire un papier…

— L’orphelinat était tenu auparavant par un groupe de moines, il y a une vingtaine d’années de cela.

— Vous disiez qu’elles étaient arrivées il y a peu ?

— Cet orphelinat a fermé, comme je vous l’ai dit. Il a été rouvert car d’autres enfants avaient besoin d’aide. Les sœurs de la Charité sont arrivées d’un couvent de Sacramento, me semble-t-il. Pourquoi diable, vous intéressez à cet endroit ?

— Cette enfant, Emilie… Je me demandais comment avait-elle pu échapper à la vigilance de religieuses dont c’est le travail.

— Vous devez savoir que les enfants dont elles s’occupent ne sont pas parmi les plus faciles. Personne ne leur jette la pierre, bien évidemment. Tous ont vécus des moments difficiles.

— Cela va de soi », approuva-t-il sur un ton convenu.

Le shérif attrapa la tasse posée devant lui et en avala une gorgée. Henry saisit alors l’opportunité de poser une question sans être interrompu :

« Avez-vous eu des nouvelles ? »

Andrew reposa sa tasse et avala difficilement, pressé par la conversation de répondre à une question qu’il n’avait pas envisagée.

« Que voulez-vous dire ?

— La fillette, comment va-t-elle ? »

Le shérif grimaça puis l’observa avec curiosité.

« Le docteur l’a examinée chez vous, elle n’avait que quelques plaies superficielles et ne souffrait de rien d’autre.

— Vous n’avez donc pas appelé l’orphelinat pour…

— Quand bien même le téléphone aurait été installé là-bas, ce qu’il me semble déjà vous avoir dit cette nuit, je ne suis pas certain que cela vous regarde, répondit le shérif d’un ton plus autoritaire.

— Comprenez-moi Shérif Dawkins, même en venant de New-York, je n’ai pas vraiment l’habitude de trouver une jeune fille sortant des bois en chemise de nuit comme si elle fuyait des loups. Elle paraissait vraiment effrayée. Je ne connais même pas son nom complet… »

Andrew fronça les sourcils et fixa ses prunelles bleues dans le regard de son visiteur qui commençait à s’agiter. Henry se fit plus pressant, il comprenait que la situation était délicate et que son hôte ne souhaitait pas lui en dire davantage sans savoir ce qu’il allait pouvoir en faire.

« Emilie Brown, si vous voulez tout savoir. »

Son sang ne fit qu’un tour et Henry finit par remettre les pièces du puzzle en ordre tandis qu’Andrew avalait une nouvelle gorgée du nectar sombre.

« Brown, ce n’était pas le nom de ces vacanciers dont l’histoire à fait le tour de tous les journaux du pays ?

— Les Brown ont vécu quelque chose de terrible… Mais Emilie est la seule à s’en être sortie vivante. Vous semblez connaître les détails de cette histoire, apparemment. »

Il était vrai que l’affaire avait tiraillé le pays tout entier pendant des semaines ; la famille Brown s’était retrouvée isolée en montagne pendant l’hiver dernier et les recherches avaient duré des mois. Pendant des semaines, les secours n’avaient été que pure perte de temps et, quand enfin la famille fut retrouvée, aucun de ses membres en dehors de la fillette du couple n’avait pu survivre à un hiver loin de tout.

La randonnée avait mal tourné et Emilie s’était retrouvée seule au milieu d’une nature foisonnante et dont elle n’avait pu réchapper que par quelque miracle. Son père, sa mère et son frère n’avait eu aucune chance.

« Je vous l’ai dit, les sœurs s’occupent d’enfants à problèmes et Emilie en est une. Personne ne sait réellement ce qu’elle a vécu ni même ce à quoi elle a assisté. »

Une pointe d’agacement avait ponctué le discours d’Andrew qui n’avait pas repris une seule fois son souffle pendant toute sa tirade. Henry se résigna, il n’apprendrait rien de plus et préféra opter pour un repli avant que les choses ne tournent mal.

« Désolé de vous avoir dérangé Shérif, je sais que vous devez être un homme très occupé. »

Andrew se releva de son siège avec aisance et salua Henry sans plus de cérémonie. La tension était palpable mais le représentant de l’ordre l’interpella juste avant qu’il ne quitte son bureau.

« Dark Springs n’est pas New-York non plus, monsieur Crawford. Ne faites pas d’un incident isolé une affaire d’état. Cette gamine mérite d’avoir la paix. »

Le ton était donné et Henry préféra ne pas répondre. Il ne souhaitait pas envenimer une situation qui pouvait potentiellement aboutir à quelque guerre en rangs serrés.

« Merci pour votre temps. »

Henry salua la secrétaire affairée à son bureau et il sentit peser sur ses épaules le poids du regard d’Andrew jusqu’à ce que la porte se referme enfin derrière lui.

De retour dans sa voiture, Henry était formellement décidé à poursuivre ses investigations. Il n’avait plus réellement envie d’écrire à ce sujet, mais il avait en mémoire le mot laissé sur son canapé par une fillette effrayée.

Pourquoi avait-elle fui l’orphelinat ? Et plus important encore : pourquoi, alors qu’ils ne se connaissaient pas avait-elle décidé de lui faire confiance ?

Ces questions étaient purement rhétoriques, mais quelques possibilités affleuraient dans ses pensées comme des évidences un peu trop crédibles.

Il démarra le moteur et prit la décision de rejoindre le Diner pour réfléchir à la meilleure façon de vérifier que la fillette n’était pas en danger. Il ne souhaitait pas s’introduire sans motif sur une propriété dont il ne savait rien, mais savait par expérience qu’une organisation catholique ne refusait jamais d’aider son prochain.

Le Butcher’s Old Diner était la figure de proue de la restauration locale. La salle était petite mais l’odeur de friture et des parts de gâteaux toutes plus appétissantes les unes que les autres lui mirent l’eau à la bouche.

Henry n’avait rien avalé depuis vingt-quatre heure en dehors des tasses de café noir englouties et son ventre le lui rappelait un peu trop douloureusement.

En arrivant dans la salle, il vit le vieux propriétaire des lieux s’avancer vers lui d’une démarche nonchalante. Il était grand et ses larges épaules laissaient davantage penser à un bucheron qu’à un cuisinier passionné.

Son torchon sur l’épaule, il délesta son oreille du crayon qui s’y trouvait perché et lui dit :

« Qu’est-ce que je vous sers aujourd’hui ?

— Je vais prendre un burger et des oignons fris.

— Avec ça ?

— Un soda. »

D’un naturel plutôt à l’aise avec sa clientèle, Bob Butcher fit volte-face et disparut par la porte battante menant à la cuisine ; il réapparut de l’autre côté du passe-plat ouvert sur le bar et Henry entendit le frémissement de la viande jetée sur le grill.

Son estomac ronronna Ă  nouveau et il fit le vide dans sa tĂŞte.

Emilie Brown était donc une enfant blessée qui avait vécu des choses terribles et ne supportait pas de vivre dans cet orphelinat ; pour quelle autre raison aurait-elle fuit les sœurs comme elle l’avait fait sinon ?

A dire vrai, aucune raison ne lui venait en tête. Rien de crédible en tout cas.

Lorsque l’assiette s’échoua devant lui, son nez lui rappela qu’un sandwich apetissant l’attendait juste devant lui et il ne résista pas plus longtemps à l’appel de son ventre.

Les burgers du Butcher’s étaient toujours un ravissement pour ses papilles. Henry prit tout son temps et sorti un carnet sur lequel il évita soigneusement de mettre des taches de graisse.

Il y déposa en vrac quelques idées entre deux bouchées ; ses interrogations étaient tantôt effrayantes, tantôt réconfortantes, mettant en avant des coïncidences étranges.

« Il vous faudra autre chose ? intervint le vieil homme au crâne rasé en récupérant son assiette vide.

— Un café, s’il vous plait. »

Il s’en fut sans dire un mot et disparut derrière son comptoir, hors du champ de vision du journaliste trop captivé par son affaire pour lui prêter la moindre attention.

Lorsqu’il revint, Henry avait sorti un billet de dix dollars à son attention que le commerçant saisit maladroitement ; le regard du journaliste était insistant.

« Vous devez voir beaucoup de monde ici ?

— J’ai pas mal de clients, en effet, répondit-il avec fierté.

— je n’en doute pas une seconde. Mais vous devez entendre des choses, non ?

— Comme quoi ?

— J’aimerais en apprendre plus sur cet orphelinat qui se trouve… »

Henry vit le regard du propriétaire des lieux s’assombrir ; il se ravisa mais poursuivit malgré tout :

« Il est dirigé par des sœurs, c’est bien ça ?

— C’est ce qu’on raconte, oui.

— Je suis tombé sur un article dans les archives du Herald qui parlait de la fermeture de l’endroit et…

— Cet endroit a été un lieu de souffrance, cracha-t-il.

— Que voulez-vous dire ? »

William s’éclaircit légèrement la voix, conscient qu’il dépassait peut-être ce dont il s’autorisait d’ordinaire à parler en public.

Il se pencha légèrement en avant et baissa d’un ton tout en jetant un œil aux clients assis derrière lui.

« Cet endroit, on dit qu’il est maudit.

— Oh, je ne crois pas à ces sornettes ! répliqua Henry, convaincu.

— Ce n’est pas ce que l’on croit qui rend les choses réelles… Des enfants sont morts dans cet endroit il y a vingt ans. »

La curiosité du journaliste était piquée et il enregistra chaque mot du restaurateur dans sa mémoire. Il comprit immédiatement pourquoi Andrew Dawkins s’était brutalement emporté lors de leur courte entrevue au bureau du shérif.

Sans avoir été impliqué du fait de son jeune âge, Andrew devait avoir entendu cette histoire pendant des années. Peut-être même avait-elle entaché la réputation de quelques personnalités locales. Tout était possible.

« Je ne sais pas ce qui a bien pu se passer dans la tête de ces grenouilles de bénitier pour rouvrir un endroit pareil, mais une chose est certaine : mieux vaudrait que cet endroit disparaisse pour de bon.

— Vous savez combien d’enfants y sont admis ?

— Elles ne se mélangent pas à la population. Tout ce que je sais, c’est que la dernière fois tout s’est très mal terminé. »

Un client assit au bar le héla et le propriétaire prit congé en le remerciant. Ainsi Henry était sur la piste de quelque chose de plus gros qu’il ne le pensait initialement. Il avala le contenu de sa tasse en quelques gorgées et rassembla ses affaires.

Avant de se rendre sur place, il souhaitait retrouver de quoi alimenter sa curiosité dans les archives du journal local. La voiture vrombit sur l’asphalte chauffé par le soleil de la fin d’été et parvint rapidement au bureau.

Le local disposait d’une cave attenante où se trouvaient entreposées l’ensemble des archives du Herald. Un escalier en bois assez étroit descendait dans les entrailles bétonnées du petit immeuble et le journaliste dû faire preuve de montre de courage pour descendre dans le noir.

Arrivé au bas des marches grinçantes, il tira sur une petite chainette pendant du plafond. Avec une appréhension relative, il jaugea les étagères s’élevant en rangées du sol au plafond et commença à fouiller.

Après quelques temps passés à consulter les informations dispensées sur les étiquettes, Henry découvrit la boite qui l’intéressait : celle qui contenait les archives du mois de mai 1949, date évoquée par le propriétaire du diner.

Les feuilles de choux d’alors lui semblèrent plus fournies que l’actuelle double-page du journal. La poussière remuée par le feuilletage lui piqua les yeux, mais il trouva bientôt l’objet de son attention. Le papier jauni était assez fragile et le journaliste prit d’extrêmes précautions pour ne pas l’endommager en le consultant.

« Effroi et stupéfaction au lendemain du drame.

Ce dimanche matin, il n’aura échappé à aucun habitant que les tristes événements du Prieuré Saint François resteront dans l’histoire de Dark Springs. C’est hier, aux alentours de 21 heures que l’incendie se serait déclaré d’après le Shérif Eliott Dawkins ; s’il on a aucune certitude concernant le nombre de survivants, des représentants de l’Eglise catholique de l’Etat seront sur place dans la journée pour enquêter sur les circonstances de l’accident.

L’orphelinat tenu des moines du diocèse de Seattle ne rouvrira pas d’après les autorités. Aucun communiqué public n’a encore été publié. »

Un incendie avait ravagé une partie du prieuré, conduisant à la mort de plusieurs enfants. En parcourant les numéros des semaines suivantes, Henry ne trouva aucune nouvelle mention de l’événement, aucun rapport des autorités ni aucune déclaration de l’Eglise.

Il entreprit de ranger les journaux dans le bon ordre et replaça la boite à sa place sur l’étagère de cette année-là. Henry n’avait pas obtenu de réelle réponse à ses interrogations, mais des questions encore plus nombreuses s’étaient imposées à lui.

Le ciel s’assombrissait lorsqu’il quitta les locaux du journal et il entra dans sa voiture au moment où les premières gouttes de pluie d’écrasaient sur le bitume. Il saisit le carnet de notes rangé dans sa serviette en cuir et y résuma l’essentiel de ce qu’il avait retenu du précédent incident de l’orphelinat.

Il n’avait aucune certitude quant à la tournure des événements actuels, mais Emilie l’avait intrigué et ému. Elle n’était sans doute pas sans problème mais elle n’était pas non plus l’enfant perturbée que le shérif lui avait décrit.

Elle avait peur, c’était une certitude et il ne pouvait pas fermer les yeux et prétendre que rien n’avait attiré son attention. Ne serait-ce que par acquis de conscience.

Henry retira de sa sacoche une carte des routes locales et pointa la direction nécessaire pour se rendre sur place. Il devait en avoir le cœur net, savoir ce qu’il était advenu de la fillette après leur rencontre et s’assurer que sa mauvaise impression laissée par la rencontre avec les sœurs venues la chercher n’était qu’une appréhension sans fondement.

Sa montre lui indiquait qu’il était encore tôt et il enclencha une vitesse en prenant pour direction la route du nord.

Le trajet menant à l’endroit où se trouvait le Prieuré Saint François traversait l’épaisse forêt de sapins. Le temps couvert assombrissait davantage encore son voyage à tel point qu’il déclencha l’allumage des phares. Ainsi plongé dans l’ombre des arbres, la visibilité était tout juste digne des fins d’après-midi en plein hiver.

La route devint plus sinueuse alors qu’il abordait le dernier kilomètre ; l’orphelinat avait été érigé sur un plateau plus en altitude et il comprit pourquoi les deux nonnes avaient mis autant de temps pour rejoindre Dark Springs le soir où elles vinrent récupérer la fillette chez lui.

Suivre les lacets formés par l’asphalte allongeait considérablement la distance séparant la bâtisse religieuse du quartier où il vivait.

Il se demanda malgré tout, comment Emilie avait pu parcourir autant de distance ? Elle ne pouvait avoir atteint la ville en une heure ou deux et devait s’être échappé dans le courant de l’après-midi au plus tard.

ℹ️ Fin de la partie 2 sur 3


Texte publié par Théâs, 28 septembre 2025
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