La neige tombait avec force depuis maintenant une dizaine de jours. De grandes bourrasques la faisaient voltiger dans tous les sens, si bien qu’il était impossible de voir à plus de trois mètres devant soi. Le froid était mordant. Au milieu de ce paysage cataclysmique se dressait un immense bâtiment dont la lumière qui émanait de l’intérieur donnait l’impression qu’il s’agissait d’un phare au centre d’un océan de coton. L’usine de fabrication de jouet du père Noël faisait la taille d’une dizaine de terrains de football. Elle était perdue au milieu de nulle part dans les alentours du Pôle Nord. Un sortilège puissant de protection lui permettait de ne pas être détecté par le commun des mortels. De grandes cheminées évacuaient des nuages de fumée roses pailletés. Nous étions le sept décembre et les préparatifs de Noël battaient leur plein. Georges Alain, lutin en chef de l’atelier numéro 2 était derrière son ordinateur à vérifier les dernières commandes qu’il venait de recevoir par mail. Chaque année, c’était la même chose, le mois de décembre était le mois le plus intense. Logique, me direz-vous. Pas pour Georges Alain qui ne comprenait pas, après environ cinq-cent-quarante-huit ans de bons et loyaux services au poste de lutin manager, pourquoi les gens ne faisaient pas leurs commandes de cadeaux à l’avance. Il savait très bien que son métier n’avait aucune reconnaissance de la part du reste du monde. Pour les gens, tout le mérite revenait au père Noël. Un constat qui mettait notre ami hors de lui. Oui, le père Noël avait un rôle très important dans toute cette histoire. Il était le grand boss, il dirigeait les lieux mieux que personnes, mieux que son père ne le faisait avant lui. C’était grâce à sa magie que tout l’atelier fonctionnait. En effet, le père Noël contenait en lui la magie de Noël, une force surnaturelle qui permettait de faire fonctionner tous les ateliers. Il était un petit peu la centrale électrique des lieux. Cependant, Georges Alain aimait dire à qui voulait bien l’écouter, que c’était bien joli de donner la lumière, mais sans les centaines de petites mains derrières qui s’affairaient à fabriquer tous les jouets, il n’y aurait pas de Noëls. Notre lutin en chef gérait tout ce qui avait un lien avec le multimédia : ordinateur, télévision, casque audio et bien d’autres. C’était une voie en expansion constante d’année en année et la charge de travail en était devenue insoutenable. Il avait d’ailleurs été obligé, l’an passé, d’aller voir le père Noël pour lui expliquer que s’il ne lui fournissait pas plus de personnel, ses gars allaient se mettre en grève. Une équipe d’une cinquantaine de lutins venant du pôle « jouets en bois » avait donc eu une formation expresse en multimédia pour venir donner un coup main, les jouets en bois étant devenu une catégorie légèrement tombée en désuétude. 

C’était un sept décembre comme les autres. Pourtant, Georges Alain sentit quelque chose d’anormal qu’il ne parvenait pas à expliquer. Une impression visuelle, comme si quelque chose était différent. Puis, avec un petit peu de concentration, il constata que son écran d’ordinateur était légèrement flou et que l’image tressautait par moment. Étrange, se dit-il, c’était la première fois qu’il constatait un tel problème. Il leva la tête et vit que l’intensité des lumières de l’atelier était plus faible qu’à l’habitude. Il se leva et se dirigea vers les machines de fabrications qui ne fonctionnaient qu’au ralenti délivrant dix ordinateurs à la seconde au lieu de vingt. 

 

- Cela fait longtemps que l’intensité des machines est diminuée ? demanda-t-il à l’un de ses employés.

- On vient juste de la constater, chef.

 

Alors qu’il se promenait dans l’atelier pour essayer d’identifier le problème, bien qu’il ne comprenait pas comment cela était possible étant donné que tout venait de la magie de Noël, toutes les machines s’arrêtèrent en même temps et l’atelier se retrouva plongé dans le noir complet.