Jessica nâa pas le temps de terminer sa phrase. Les lumiĂšres de la petite salle de trois mĂštres sur quatre dans laquelle elle se tenait allongĂ©e, s'allument.
Ăblouie, la jeune femme Ă©merge de sa torpeur. Ăprouve des difficultĂ©s Ă sortir de la concentration dans laquelle elle s'Ă©tait plongĂ©e, soucieuse de ne pas omettre un dĂ©tail important susceptible de fausser son entretien.
Elle se redresse. Lisse, nerveuse, ses longs cheveux bruns nouĂ©s en queue de cheval. Tord sa bouche en une moue dubitative. Adosse son corps svelte au canapĂ© couleur crĂšme. RĂ©ajuste dâun index solennel et tremblant, les petites lunettes aux montures azures tombĂ©es sur le bout de son nez pĂąle et aquilin.
VĂȘtue dâun chemisier rouge, dâun jean bleu et de baskets vertes Ă lacets jaunes fluo, ses vĂȘtements tranchent net avec son environnement : murs, plafond blancs, et sol carrelĂ© gris opale aseptisĂ©s dâun centre mĂ©dical.
Ses yeux vairons brun-vert fixent avec intensité la paroi face à elle.
Les trois lettres couleur Ă©meraude dâun logo UPJ sây animent. Pivotent dans un effet miroir. Sâimmobilisent quelques secondes. Tournent dans lâautre sens. Entament un nouveau et inlassable cycle.
La fille semble attendre que quelque chose se produise.
Impatiente, elle agite ses jambes. Ne sait pas quelle position leur donner. Cherche Ă se mettre au mieux Ă son aise.
Presquâen cadence, fĂ©brile, elle mordille sa lĂšvre infĂ©rieure.
à sa gauche, un crochet encastré dans le mur, soutient un petit blouson de cuir bleu.
à sa droite, un sas opaque fermé dissimule un lieu incertain.
DerriĂšre elle, se dresse le mur contre lequel son divan, siĂšge dâune patiente anxieuse en attente de son dĂ©plaisant verdict, se trouve accolĂ©.
Quelques secondes dâune interminable attente, passent.
Sur lâĂ©cran-mur, le sigle se rĂ©duit. Se dĂ©place en haut Ă gauche. CĂšde la place au chiffre 113. Il se positionne dans le coin supĂ©rieur droit.
En milieu de paroi, le visage en gros plan dâun homme aux tempes grisonnantes, le nez chaussĂ© de montures noires, apparaĂźt.
Ses larges Ă©paules laissent entrevoir la blouse blanche dâun mĂ©decin ou dâun infirmier dâhĂŽpital.
Son regard sans expression, se pose sur Jessica. De la voix Ă lâenthousiasme surjouĂ© dâune pub, il sâexprime :
« Merci dâavoir choisi Ultra Psy Jet pour votre entretien psychologique ! Votre temps de parole est Ă©coulĂ© ! Si vous dĂ©sirez poursuivre votre consultation, merci dâaccepter le prĂ©lĂšvement de 100 crĂ©dits supplĂ©mentaires ! »
En bas de l'écran, le prix annoncé s'affiche.
« Refuser ! » sâĂ©crie sans hĂ©sitation, la jeune femme.
En rĂ©ponse immĂ©diate Ă lâinjonction, le montant s'Ă©vanouit. Lâhomme, imperturbable, reprend alors dâune voix monocorde :
« Fin du diagnostic demandĂ©e. Analyse des donnĂ©es en cours⊠Merci de bien vouloir patienterâŠÂ»
Puis, sans transition, il poursuit sur un ton commercial :
« Un rĂȘve rĂ©current dont vous nâarrivez pas Ă vous dĂ©barrasser ? Une envie soudaine de violence ? Un dĂ©sir dâattenter Ă lâintĂ©gritĂ© physique dâun bien ou dâune personne, y compris de vous-mĂȘme ? Le groupe UPJ reste Ă votre Ă©coute 24 heures sur 24. DiscrĂ©tion assurĂ©e ! 100 crĂ©dits seulement, la consult⊠»
Le psychologue sâinterrompt soudain. Son portrait se rĂ©duit. Se dĂ©place sur la gauche. Se cale sous le logo UPJ.
Avec lâintonation dâun mĂ©decin Ă la lourde tĂąche dâannoncer une mauvaise nouvelle, il se met Ă dĂ©livrer sa conclusion. Chacun des mots quâil prononce, sâinscrit aussitĂŽt Ă la surface du mur-Ă©cran.
« Diagnostic terminé !
Patiente, Jessica Ward, 26 ans. Bloc 113.
1. Scanner cérébral : aucune lésion trouvée.
2. ProbabilitĂ© que votre rĂȘve soit un souvenir rĂ©manent : 0%
3. ConsĂ©quence probable de votre rĂ©cente opĂ©ration : phobie de la CYBERNĂTIQUE rĂ©vĂ©lĂ©e.
4. Peur des INSECTES détectée.
5. DangerositĂ© du patient Ă lâindice UPJ BorgDetect Âź: 0.
6. Attention : orientation hétérosexuelle, compromise ! »
Alors que les points 3, 4 et 6 virent à un rouge vif, les autres passent au vert. Le médecin, imperturbable, continue son exposé.
« Traitement proposé :
Votre rĂȘve trouve racines dans votre refus dâadmettre votre homosexualitĂ©. Celle-ci, latente, a Ă©mergĂ© Ă la suite de votre rĂ©cente hospitalisation.
Nous vous proposons donc un remĂšde simple, 100 % naturel et efficace.
Pour guĂ©rir, il vous suffit dâaller Ă la rencontre dâautres femmes, via notre site de rencontre UPJ True Love Âź.
Voulez-vous procĂ©der Ă une inscription ? Pour une souscription immĂ©diate Ă ce service, vous bĂ©nĂ©ficierez dâune remise de 10 pourceâŠÂ»
Le chiffre 150 clignote en bas dâĂ©cran.
« Refuser ! Ăa va pas non ?? Je suis pas lesbienne, moi ! Je serais quand mĂȘme au courant ! âTain ! Câest quoi ces obsĂ©dĂ©s ?
DĂ©tailler âorientation hĂ©tĂ©rosexuelle compromiseâ ! »
Le texte dĂ©file jusquâĂ sâarrĂȘter au paragraphe demandĂ©. Celui-ci passe aussitĂŽt en surbrillance. Puis, une fenĂȘtre en forme de phylactĂšre se colle Ă sa bordure infĂ©rieure. La bulle se remplit alors de commentaires.
La voix du psychologue en fait une lecture lente. Lâintonation quâil prend rappelle celle dâun professeur en train de donner un cours Ă de jeunes enfants Ă la comprĂ©hension rĂ©putĂ©e laborieuse. Il sâattarde sur certains mots. En articule chaque syllabe. Va jusquâĂ en exagĂ©rer la prononciation.
« Dans le questionnaire que vous aviez renseignĂ© en ce dĂ©but dâentretien, vous affirmiez, dâune part ĂȘtre hĂ©tĂ©rosexuelle.
Dâautre part, vous indiquiez que votre derniĂšre relation amoureuse remonterait Ă plus de 6 mois, ce qui nous rĂ©-vĂš-le une vie sexuelle non Ă©-pa-nou-ie.
De plus, dans votre rĂ©-cit, vous vous identifiez in-con-scie-mment Ă un homme. Vous y faites la rencontre dâune femme Ă la beautĂ© et au sourire Ă©nig-matique qui vous attire et vous piĂšge contre votre grĂ© dans la ruelle sombre de vos sentiments amoureux.
Votre refus de reconnaĂźtre votre homosexualitĂ© se marque, dâune part, par la sensation de froid intense que vous ressentez lorsque cette femme vous vole un baiser. Ainsi que par la violence de sa consĂ©quence : votre mort, que vous devez regarder en face.
Dâautre part, lorsque vous rencontrez cette inconnue, vous nâosez pas affronter le regard des autres (dans votre rĂȘve, les gens ne possĂšdent pas de visage). Et vous i-dĂ©-a-lisez cette Ăąme sĆur sous les traits dâune âelfeâ.
Vous avez donc honte de vous avouer votre orientation sexuelle et de devoir la dĂ©-voi-ler Ă vos proches que vous estimez ne pas ĂȘtre capable de vous comprendre. Voi-re mĂȘme, de vous rejeter pour ce que vous ĂȘtes.
Pertinence probable de notre conclusion : 99,9 %
- Mais, câest nâimporte quoi cette analyse ! Et câest quoi cette histoire de âphobie de la cybernĂ©tiqueâ ? DĂ©tailler ce point ! »
AussitĂŽt lâordre sâexĂ©cute. Le phylactĂšre se dĂ©place vers le paragraphe incriminĂ©. Il passe Ă son tour en surbrillance.
Sans prĂȘter attention aux protestations lancĂ©es par la jeune femme, lâhomme entreprend de le lire dâune façon tout aussi appliquĂ©e que le prĂ©cĂ©dent.
« Si nous nous rĂ©fĂšrons Ă vos antĂ©cĂ©dents mĂ©dicaux, une hospitalisation, en dĂ©but de mois dernier, pour accident domestique, sâest soldĂ©e par lâimplantation dâun Ćil gauche artificiel.
Si nous recoupons les donnĂ©es Ă ce sujet, votre dossier dâassurance santĂ© nous indique que le montant proposĂ© ne pouvait pas couvrir la substitution biologique que vous dĂ©siriez.
Et que, votre compte en banque et votre rĂ©cent emploi dâassistante administrative chez Pharma Corp & Cie, ne suffisaient pas Ă financer un tel soin.
Vous avez donc, Ă contre-cĆur, dĂ» recourir Ă la cybernĂ©tique.
Nous notons Ă©galement un refus inconscient dâaccepter cet implant. En effet, vous portez toujours vos lunettes correctrices, alors que votre plus ancienne ordonnance ophtalmologique Ă©tablie la seule dĂ©ficience innĂ©e de votre Ćil gauche.
De plus, un mouvement bancaire en date de la semaine derniĂšre, nous indique un achat de lentilles colorĂ©es, prothĂšses que vous aviez lâhabitude d'acquĂ©rir avant lâaccident.
Nous attirons votre attention, dâune façon tout Ă fait bienveillante cela dit, sur un fait que vous ne pouviez ignorer : un implant cybernĂ©tique ne nĂ©cessite aucune correction. Vous nâavez donc plus besoin de lentilles et encore moins des lunettes que vous arborez aujourdâhui.
Ă cela nous ajoutons que dans votre rĂȘve, vous vous dĂźtes choquĂ©e par la dĂ©contraction de la femme que vous dĂ©crivez comme âpossĂ©dant des prothĂšses remplaçant ses deux jambesâ.
Et enfin, le personnage mis en scÚne dans votre cauchemar se fait exécuter par une arme cybernétique.
Tout cela dĂ©note dâun refus de la cybernĂ©tique Ă tendance phobique.
- Pfffff. Jâen ai assez entendu ! On va sâarrĂȘter lĂ ! Je veux mĂȘme pas savoir, câest quoi que lâindice borg bidule !
- Consultation terminée !
Diagnostic Ă©tabli. Solution proposĂ©e : refusĂ©e. La patiente nâest pas coopĂ©rative. Chances de guĂ©rison fortement compromises !
Fin de la session de consultationâŠ
Merci dâavoir choisi Ultra Psy Jet, Jessica ! Bonne journĂ©e et Ă trĂšs bientĂŽt chez UPJ ! »
En un clin d'Ćil, le portrait du psychologue et les textes disparaissent du mur. Laissent la place au grand logo vert dâUPJ.
« Câest ça ! Compte la-dessus ! »
Jessica hausse les Ă©paules. MaugrĂ©e des insultes Ă©touffĂ©es. Se lĂšve dâun bond du canapĂ©. DĂ©ploie comme un ressort, son corps sportif de prĂšs dâun mĂštre soixante-dix. Attrape son blouson. Lâenfile d'un geste rapide. Se dirige vers la porte du bloc 113.
Ă son approche, celle-ci s'ouvre sur une petite coursive. Nu de toute dĂ©coration, de petits orifices ouverts Ă intervalles rĂ©guliers dans le plafond en assure lâĂ©clairage.
« Et dire que jâai pris ma journĂ©e et que jâai dĂ©pensĂ© 100 crĂ©dits pour ça ! Myguan va mâentendre ! Câest Ă cause dâelle si je suis venue ici ! »
La jeune femme sâengage dans lâĂ©troit corridor. Bat le carrelage dâun pas dĂ©cidĂ©.
Soudain, son visage se crispe. Ses lÚvres se déforment en un rictus de douleur. La brune finit par porter la main à son front. Par ce geste, espÚre pouvoir en extraire la souffrance. La faire passer de son crùne, vers le bout de ses doigts.
« En plus, voilĂ que je commence Ă avoir la migraine ! JâĂ©tais pourtant en pleine forme ce matin ! Pffff ! JournĂ©e de merde ! »

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