— Mais, enfin, Sven ! Ce n’est pas difficile à comprendre, tout de même ! Qu’est-ce qui ne percute pas dans : “Cole a la rage”, enfin ?
— Ça explique pas l’hôpital bondé ! Surchargé ! Cole a raison, il a pas embrassé toute la ville, arrête de nous prendre pour des cons ! C’est ta plante, là , qui fout la merde.
— Comme si on pouvait manipuler la génétique comme ça, railla Jedefray en levant les yeux vers le plafond.
Lambda laissa échapper une sorte de hennissement désabusé. Cole, dans le même état d’exaspération, toqua sur la table du bureau jusqu’à obtenir le silence. Il se demanda ce qui était le pire entre le brouhaha de leur dispute ou le bruit des moteurs d’ordinateurs dans le silence de la pièce aseptisée.
— Jedefray, appela-t-il l’homme qu’il ne pouvait plus nommer “papa”, tu m’as dit tout à l’heure que tu ne ferais rien à Dawnie sans mon consentement.
Encore focalisé sur sa conversation précédente, il fallut un instant de retour à la réalité pour que Jedefray réponde :
— En effet, mon garçon.
— Prouve-moi que t’as raison, déclara le jeune homme.
— Cole, gronda le scientifique qui avait de plus en plus de mal à contenir sa frustration, j’ai fait mes recherches sur toi et les Pan Paniscus pendant des années. J’en sais beaucoup plus que toi sur le sujet. Crois-moi, tu…
— Comment tu expliques que Calvin s’en soit sorti, alors ?
Jedefray répondit sans attendre :
— Il n’y a que 5 à 20% de risques de contracter le virus en cas de morsure à la main.
Cole secoua la tĂŞte :
— Ça marche pas : il a été malade, il a eu de la fièvre, des vertiges… Il a forcément été… infecté. Juste, pas par la rage.
Jedefray renâcla :
— Et par quoi, alors ? Tu lui as offert des fleurs, c’est ça ?
— Si tu es tant que ça convaincu qu’il s’agit de la rage, reprit Cole dans un calme olympien en s’asseyant sur une chaise, vas-y. Convaincs-moi. Dis-moi comment j’ai décimé la population de Monroe.
Il lui envoya son siège à roulettes. Sven se contenta de s’adosser contre un plan de travail, tenaillé par la curiosité.
— Bien, approuva Jedefray en brossant les pans de sa blouse avec ses mains, si cela te permet d’être plus raisonnable, ma foi, pourquoi pas. Partons du postulat que tu as effectivement la rage, d’accord ? Histoire de simplifier les choses.
— Si tu veux, concéda Cole en mettant ses coudes sur ses genoux et ses mains croisés sous son menton.
— Tu es sorti d’ici, reprit Jedefray. Que s’est-il passé ensuite ?
C’était il y a si longtemps… Cole eut l’impression que plusieurs vies s’étaient écoulées depuis cet événement. Un autre temps. Une autre époque. Un autre lui.
— Me suis perdu dans la forêt, se rappela-t-il.
— Longtemps ?
La faim. Le froid polaire. La nuit noire. Les craquements sinistres des branchages. Cette impression que les arbres murmuraient. Les arbres murmuraient. Cole déglutit, la gorge serrée :
— Assez, ouais.
— Qu’as-tu fais dans cette forêt ?
— On va jamais arriver au bout de ton diagnostique si on revient sur chaque détail depuis que je me suis fais la malle.
— C’est important.
Cole se remémora son essai foireux de réaliser un feu de camp. Il avait soif. Faim. Très faim.
— Lambda m’a ramené un lapin, se souvint-il.
Jedefray fronça les sourcils :
— C’est-à -dire ?
— C’est-à -dire que j’avais la dalle.
Il n’avait pas envie de lui raconter l’odeur alléchante de la chair encore chaude, des viscères poisseuses qui l’avaient dégoûtées autant qu’elles lui avaient donné envie, du sang délicieux dans sa bouche,de la viande crue qui giclait sous ses dents.
— D’accord, s’étonna Jedefray. Et… Tu as fait quoi de… la carcasse ?
Cole gonfla les joues. Il se rappelait l’état de transe dans laquelle il s’était trouvé ensuite. De sa honte. De sa culpabilité. Puis plus rien jusqu’à son arrivée près de la route.
— Est-ce que tu l’as enterré ? simplifia le scientifique.
— Non.
— Nous y sommes !
Jedefray se frotta les mains avant de poursuivre :
— Tu as refourgué ta rage au lapin. S'il restait un peu de viande, un oiseau ou un rongeur, voire plusieurs, se seront fait plaisir. Les rongeurs sont arrivés en ville. Peut-être même par le voie de l’eau, la contaminant au passage. À moins que plus tard, tu ne te sois lavé dans la rivière, pourquoi pas. Bref, nos rongeurs malades ont attaqué les chats, qui ont attaqué à leur tour les humains qui se sont attaqués entre eux.
La pointe glacée du doute se répandit dans les veines de Cole.
— Tu t’es fait des amis ? s’enquit le scientifique.
— Ouais… au terrain-vague. On a mangé ensemble, mais ils ont pas… oh putain !
Cole se prit la tête entre les mains. Son sandwich. Il en avait refilé la moitié à Daniel. L’eau de la source au terrain-vague, Cole s’en était aspergé le visage. Il en avait bu pour se désaltérer.
— Les rats ont infecté les chats… Marylou… elle s’est faite griffer par un chat. Elle a dû boire l’eau de la source, aussi !
Cole se mortifia sur place. Il imaginait les ambulanciers débarquer, emmener Marylou aux urgences où se trouvaient déjà de nombreux malades, dont Marianne. Toutes les fois où Cole et Calvin avaient pris le métro, frôlé du monde. Daniel, quant à lui, avait répandu l’épidémie vers l’Ouest et, sans le savoir, les malades avaient assiégés la ville.
Le scientifique se releva de sa chaise, fier de son effet :
— Alors ? Peux-tu, toi, me prouver que la maladie qui ravage Monroe actuellement n’est pas la rage ?

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