La carte magnétique tournait entre les doigts de Cole, assis sur le sol dur du couloir. Un cadeau du scientifique, maintenant que Cole connaissait les mêmes dilemmes moraux que lui. Aider Dawn ? La laisser mourir ? Prendre le risque d'attendre qu'elle guérisse ? Il se demanda s'il était prêt à sacrifier la seule femme qu'il ait jamais aimé, même s'ils se connaissaient depuis peu.
Il sursauta quand la porte de la pièce de contrôle s'ouvrit. Nounours, en pleine forme, toisa l'indécis.
— Jedefray m'a demandé de te dire que Dawn est calme. C'est le moment, si tu veux entrer et... l'attacher. Pour sa sécurité.
Pas de réponse. Comme si Cole se réjouissait à l'idée de faire subir à sa compagne les horreurs qu'il avait vécu pendant des années. Nours reprit :
— Je sais que, contrairement à Jedefray, commença-t-il, toi, tu m'écouteras.
Cole arqua un sourcil et tourna son œil valide vers Nours.
— Je suis pas sûr du tout que t'aies la rage, malgré ce qu'il dit. Et, même si c'est le cas, y a peu de chances pour que sa méthode fonctionne sur toi. Si c'est ce qu'à Dawn, ça peut marcher. Mais pas sur toi. Pas si le virus fait partie de ton patrimoine génétique. C'est plus complexe que ça. Il a beau dire qu'il est bourré de diplômes et d'une connaissance absolue, j'ai plutôt l'impression qu'il tâtonne à vue...
Le jeune homme reporta toute son attention sur le badge entre ses doigts. De quoi entrer dans sa chambre. Essayer de raisonner Dawnie. Ou lui dire adieu.
— Je sais pas quoi faire, murmura-t-il.
Nours s'installa à côté de lui, juste en face de la porte derrière laquelle Dawn agonisait.
— J'ai... J'ai demandé à Jedefray de faire des tests sur moi. Prise de sang, scanner, IRM... Peu importe. Faut qu'on découvre pourquoi, moi, j'ai survécu à ma blessure. J'étais salement amoché. Pas moyen que j'en réchappe.
— Non ! Gronda Cole. Tu peux pas le laisser te faire ça. Il hésitera pas à te faire du mal...
— Je sais. Je suis prêts à courir le risque. Ça nous dira peut-être ce qu'à Dawn. Ce que t'as, toi. Et tous les gens de Monroe. Ça ira.
— Mais...
— Autant te dire tout de suite qu'il y a rien que tu puisses dire ou faire qui me fera changer d'avis.
Cole se tut. Il devait accepter. Nours voulait œuvrer pour le bien commun. Son camarade espérait juste trouver la solution avant qu'il ne soit trop tard et que Jedefray n'ouvre le crâne de son ami. Il se leva et, prêt à prendre la place du scientifique, fit biper le badge sur la console dont la porte menait à sa chambre.
Il entra à pas de loups et se rappela la présence de Lambda grâce au cliquetis de ses pattes sur le sol. D'instinct, il plaqua sa main comme pour retenir son ami de se ruer dans cet endroit si familier.
Cole n'osa pas appeler Dawnie. Mais il sentait sa présence. Non loin, sur le lit. Il se raidit quand la porte se referma. Il était seul avec elle. Sans savoir comment elle allait réagir à sa présence. Il s'avança. Doucement. Aux aguets. Mais ce qu'il vit lui fit baisser sa garde.
Dawn n'était pas simplement "calme". Elle était allongée, en position foetale. Elle tremblait. Les yeux révulsés. Sans énergie. Les veines vertes remontaient le long de ses bras, de sa nuque, de son visage méconnaissable.
Tout à coup, il se ficha bien qu'elle puisse l'attaquer. Il voulait être près d'elle. Subir avec elle. Prendre sa douleur, s'il le pouvait. Alors, il s'installa à ses côtés. Lui caressa ses cheveux poisseux de sueur et se colla contre son corps bouillant. Dawnie ne réagit pas. C'était là le pire, pour lui. Il laissa rouler quelques larmes sur ses joues, ferma les yeux et la serra plus fort contre lui, incapable de se défaire de cette ultime étreinte.
*
* *
La forêt s’étendait, les arbres immenses cachaient le ciel. Le brouillard stagnait entre les branches. Ce n’était plus l’hiver. La neige avait disparu. Les feuilles commençaient à repousser. Les boutons de jacinthes, de muguets formaient un lit douillet au pied des hêtres. Le printemps ? La rosée mouillait les pieds nus de Dawn. Elle marchait, calme, détendue, vers la source de ses changements.
“Je suis désolé…”, résonna la voix de Cole.
Au loin, la silhouette de Lambda apparaissait par intermittence. Dawn n’aurait su expliquer ce sentiment, mais elle était convaincue qu’il s’assurait du chemin qu’empruntait son amie. Tout comme elle avait la certitude que tout irait bien, à partir de maintenant. La température, fraîche, était une bénédiction pour son corps fiévreux. L’était-il encore ? Elle avait ce souvenir d’une chaleur insupportable, suffocante. Elle allait mieux. D’une manière où d’une autre, elle allait mieux.
“Je ne le laisserai pas te faire du mal…”, continua l’homme qu’elle aimait sans qu’elle ne le vit nulle part.
Les arbres dansaient sous la brise légère et semblaient saluer la jeune femme sur son passage. Elle remarqua alors qu’ils formaient une allée grossière, ils guidaient ses pas à leur manière. Soudain, se détacha de la brume le bâtiment central du laboratoire pharmaceutique Coldman. Un bloc de béton en ruine où s’entremêlaient les tiges épaisses d’une plante en sommeil. Les dernières pétales noires de ses fleurs se fanaient et tombaient sur l’herbe. La rose de Noël ne fleurirait plus avant quelques mois.
“Ne meurs pas, Dawnie, je t’en prie…”, souffla Cole.
Sur le toit de l’immeuble, Dawn devina la silhouette de Lambda au pied de son maître. Cole allait bien. Une vague de soulagement la submergea. Elle ne s’était jamais sentie si euphorique. Une lierre d’hellébore l’entoura délicatement par la taille. Quand ses pieds ne touchèrent plus sol, Dawn hoqueta de stupeur, mais voua une confiance aveugle envers le végétal qui l’amenait vers son sauveur. Une fois au sommet du monde, Dawn ne put réfréner son envie de prendre Cole dans ses bras.
Il le lui rendit son étreinte avec force et elle vibra sous la force de son amour. C’était étrange. Leurs émotions se répondaient, leurs cœurs battirent à l’unisson et leur esprit fusionnèrent. Les pensées de l’un n’avaient plus de secret pour l’autre et ils n’eurent plus besoin de se parler pour se comprendre.
La gorge de Cole se noua. Ce que Dawn avait vu lorsqu’elle était tombée malade, c’était son passé à lui. Il réalisa que chaque malade dont il avait croisé le chemin avait, à un moment donné, proféré les mots qu’il avait craché au scientifique lors de sa séquestration. Cole repensa à son malaise face aux tumeurs des arbres. Aux bulles qui éclataient quand il se trouvait dans une situation de stress, d’urgence. Si Dawn avait été malade ou en détresse, il l’entendrait, il s’en émouvrait. La quiétude ambiante lui indiqua tout le contraire.
Ce n’était pas ça, la rage et, tandis que Cole en arrivait doucement à cette conclusion, la brume se leva. Dawn lui caressa le bras, il la serra plus fort tandis que ses pensées s’affolaient. Ce n’étaient plus ses mots à lui qu’il voyait dans son esprit, c’était une intrusion. Les propos de Dawn.
Le terme le plus fréquent, c’était “libération”. Suivit d’ “évolution”. Cole lâcha sa compagne, reconnaissant d’une telle découverte. Qu’importe ce que le scientifique avait découvert, comment il l’avait ramené à la vie et pourquoi il l’avait enfermé. L’hellébore, l’humanité, la forêt… Tout le représentait et il représentait ce même tout. Il avait vomi ses émotions refoulées, il avait franchi de nombreux caps. Il s’était lié, d’une autre façon. Par l’amitié. Par l’amour. En retour, il avait fait don de ce qu’il était à cette société qui l’avait accueillie.
Bientôt, ils seraient comme lui. Affranchis de leurs souffrances, du silence imposé. Ils seraient eux-mêmes et s’accepteraient comme Cole s’acceptait désormais. Dawn acceptait aussi. Lambda également. D’autres suivaient le mouvement, mais ils n’apparaissaient à Cole qu’en phase de sommeil. Il était temps de se réveiller. De faire de ce rêve, une réalité.

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