Cole se réveilla en sursaut. Il s'était endormi ? Il n'en était plus sûr. Est-ce que, ce qu'il avait vu, était réel ? Sa tête bourdonnait. Dawn, elle, dormait à poings fermés. Elle n'avait plus de fièvre, pour le plus grand bonheur de Cole. Il l'embrassa sur la joue avant de se lever. Elle avait besoin de repos. De beaucoup de repos. Quant à lui... il avait un mystère à élucider. Un mystère à propos des plantes. Du moins, de son rapport à celles-ci.
— Bah tiens! s’exclama Cole à l’intention de Lambda. On va se renseigner sur l’erreur de la nature que je suis.
Cole attrapa depuis la petite bibliothèque du coin salon l’ouvrage à la couverture épaisse où on a imprimé la photographie d’une Gentiane bleue. Il posa ses fesses sur le canapé et passa son bras autour de Lambda pour le ramener vers lui et le câliner. Son ami ne demandait pas mieux que cet instant de calme. Il se délecta du contact du maître et s’avachit sur lui sans ménagement tandis qu’il ouvrit la page du sommaire.
— Hellé… hellé… hellébore. Page quarante-six.
Un peu de texte, de magnifiques images de cette plante aux multiples combinaisons de couleur. Il adorait les pourpres et les noires. Un coup d’œil sur le revers de ses poignets et il remarqua que les veinules vertes étaient à peine visibles. Étrange phénomène ou réalité ? Il ne savait plus.
— Tu crois vraiment qu’il y a de… ça… en moi ?
Lambda leva les yeux vers son maître. Il s’étira de tout son long et lui montra le ventre.
— T’as toujours réponse à tout, t’es fatiguant.
Cole lui gratta le ventre. Au moins, lui parler avait le don d’apaiser ses craintes. Il entreprit de lire les informations sur la rose de Noël.
Nom : Hellébore.
Non scientifique : Helleborus Rhizomateuse
Cole lança une œillade à son ami :
— T’as vu ça ? Les scientifiques ont encore frappé…
Pour toute réponse, l’animal remua la queue.
Famille : Renonculacées
Surnom : Rose de Noël (espèce de l’Helleborus Niger)
Floraison : novembre Ă avril
Hauteur : jusqu’à 70 centimètres.
— Pff ! N’importe quoi ! Je fais un mètre quatre-vingt. T’imagine, vieux ? Je suis le plus grand des hellébores. Cool, hein ?
Lambda savoura les caresses sans se soucier le moins du monde des blagues douteuses de l’alpha.
— Faut croire qu’on gère pas tous le stress de la même manière, hein mon pote ?
Description : tiges robustes portant à leur extrémité des cymes qui regroupent quelques fleurs. Elles se composent chacune de cinq pétales, de nombreuses étamines et de deux à dix carpelles libres.
Légende : La petite Madelon gardaient ses moutons dans un champs enneigé lorsqu’elle vit passer les Rois Mages allant porter leur présent à l’enfant Jésus. Madelon se mit à pleurer, car elle n’avait rien à offrir à cet enfant si important. Ému, un Ange descendit du ciel et offrit à Madelon l’hellébore, une rose de Noël à la fois délicate et émouvante.
Cole grimaça. Il avait peut-être offert son côté hellébore à Dawn et elle en payait le prix désormais.
Toxicité : Les feuilles, les fleurs, les fruits et surtout les racines sont hautement toxiques. Si les intoxications sont plus nombreuses chez les animaux que chez l’homme, il suffit de soixante-dix grammes de racines pour tuer un bœuf. Les symptômes qu’on retrouve le plus souvent comprennent des irritations bucco-pharyngées, une hypersalivation, des troubles gastro-intestinaux (maux de ventre, vomissements, colites, diarrhée). On peut aussi retrouver des troubles oculaires et cardiaques. La plante peut provoquer des irritations cutanées, démangeaisons et petites vésicules.
Cole relit le passage. Encore et encore. Jusqu’à ce que chaque mot soit imprégné dans son cerveau. La pharyngite de Dawn. L’hypersalivation des malades. Les vomissements des enragés, les nausées… mon putain d’œil révulsé et mes bras qui démangent ! pensa Cole. Le sang battit à ses tempes. C’était là . Devant ses yeux. C’était dans sa bibliothèque depuis le début.
— Lambda ! Bouge ! Vite !
Le chien sursauta devant les grands gestes du maître. Il descendit du canapé tandis que Cole bondit vers la vitre teintée et la martela de son poing. Jedefray ouvrit enfin la porte, Cole se rua vers lui et plaqua la double page ouverte sous son nez.
— T’as tout faux !
Sans même lire, il releva les yeux vers Cole, non sans le gratifier d’une grimace.
— Dis donc, ton langage. Je n’ai pas “tout faux”, non, je ne te permets pas.
— Mais ta gueule et lis !
— Y s’passe quoi ? demande Sven resté en arrière.
— Cole me montre son joli livre sur les…
L’intéressé allait lui balancer la reliure du livre dans le nez quand son air intello s’effaça de son visage. Cole résuma :
— Ravale ton égo deux minutes et imagine… imagine seulement que tu peux avoir tort. Qu’en bidouillant mon ADN, tu n’aies pas réveillé de virus.
Jedefray passa les doigts le long de sa bouche, Ă marmonner :
— La toxicité… je n’ai jamais pensé…
— J’ai raison ? demanda Cole, extatique.
— Je suis pas botaniste, déclara Calvin penché au-dessus de l’épaule de Jedefray, je saurai pas dire. Mais on saura vite.
Calvin. Il montra le pansement sur son bras. Une prise de sang. Il était devenu un cobaye à son tour.
— Nours, si on a cette… connexion bizarre entre nous, c’est parce qu’on a cette capacité à communiquer comme les plantes. Ça explique aussi pourquoi Sven n’est pas tombé malade alors que je l’ai griffé au visage ! Il n’y a que pour Marylou que…
— Cette… Marylou, le coupa Jedefray tandis que Sven pâlissait à chaque seconde, comment est-elle tombée malade ?
— Une griffure de chat, rappela Calvin.
Jedefray passa une main sur sa nuque, mal-à -l’aise. Le monde du scientifique s’écroulait. Son savoir. Ses ambitions. Déboutés en l’espace de quelques minutes par son propre rat de laboratoire.
— Quoi ? Vas-y parle !
— Disons… ce n’est pas incompatible… si le chat en question était… malade… gardons en tête l’idée que ça se transmette par la salive, et que l’animal s’est léché les pattes, puis a griffé cette femme… ça peut suffire. Attends…
Il poursuivit la lecture de l’article. Le scientifique lâcha alors un “nom de dieu, c’est pire que je pensais” qui glaça l’échine de ses compagnons.
— … autrefois appelée herbe aux fous, elle libère des toxines telles que l’helleboréine et l’helleborine capable de traverser l’épiderme. Comment ai-je pu passer à côté de ça ? Oh, bon dieu, mais qu’est-ce-que j’ai fait ?
— C’est moi, c’est ça ? déduisit Cole. Je libère des toxines et rends les gens fous. Je les entends. On se comprend sans avoir à se parler.
Sven renifla, au bord des larmes. Il osa une question :
— J’ai sûrement demander un truc con, mais… on va pas se leurrer. Tu nous a jamais apprécié des masses. Pourquoi nous, on est pas devenus barges ? Pourquoi Ana… et pas nous ?
Sa mère… L’avait-il mordue ? Griffée ? Intoxiquée ? Aucun souvenir ne lui revint.
— Je sais seulement que… j’ai demandé à Nours et Dawnie… de pas mourir.
Calvin esquissa un souvenir. Il ne voyait pas à quoi Cole faisait référence, mais il fut ravi d’en avoir désormais conscience. Jedefray émit une hypothèse :
— As-tu jamais voulu nous voir mort, Cole ? Les toxines sont un mécanisme de défense, je ne doute pas qu’une personne qui te tape sur les nerfs subisse ton courroux, même de manière inconsciente. Mais nous… ou plutôt, sans nous, que serais-tu devenu ? Aurais-tu pris le risque de rester seul ici jusqu’à ta mort ?
C’était plus profond que ça. Cole rougit à l’idée de dévoiler son moi profond. Celui qu’il refoulait depuis des années. Celui qu’il mettait un point d’honneur à leur cacher. Le petit garçon effrayé. L’enfant qui avait eu besoin de son père pour survivre. Pour, un jour, espérer vivre. Le gamin qui espérait voir son père prendre le dessus sur le scientifique. Retrouver sa chaleur, sa protection. Dans cette attente, ce même petit garçon transi de peur se réfugiait dans les bras de son oncle, savourait les moments simples qu’ils s’octroyaient, devant la télévision, les jeux-vidéos, les livres. Tonton, avec qui il avait toujours eu une forte connexion, lui racontait la vie. La normalité. Le préparait au Monde du Dehors, persuadé qu’un jour, il le verrait.
— J’ai… j’ai jamais voulu vous…
Sven claqua la langue. Son irritation raviva l’agitation de Cole.
— Nan, Cole. J’accepte pas. J’accepte pas qu’un jour, dans ta vie, tu te sois dit “tiens, je vais rendre ma mère folle”. Pas moyen, tu m’expliques ça ! Tu m’expliques pourquoi tu nous as enlevé Ana. Vas-y, j’écoute !
Les yeux suppliants de Jedefray poignardèrent le jeune homme en plein ventre. Son estomac grogna, une douleur sourde menaçait. Refoulée depuis quinze ans. Acculé par son père, par son oncle, il cessa de fuir. Il cessa d’ignorer la colère bouillonnante dans ses entrailles. Il accepta de se révéler, non sans éprouver quelques difficultés :
— J’me souviens pas de l’accident… j’ai des bribes… D’avant. D’après. C’est pareil pour le jour où… où je me suis réveillé et celui où… on m’a emmené à la maison.
Il essayait d’aller vite pour les empêcher de lui couper la chique.
— Je sais que… quand j’me suis réveillé… enfin, peu de temps après, je me sentais pas… moi-même. Genre, j’avais cette sensation bizarre d’être à côté de la plaque. J’étais pas moi. Je… je vous reconnaissais à peine.
Ses lèvres tremblèrent. Il avait honte. Un monstre. Sa mère avait raison.
— Tu m’disais que t’étais mon père… Et toi Sven, que t’étais mon oncle, mais… je ressentais rien. J’voyais vos visages pleins d’espoirs. Vous étiez heureux de me revoir, mais moi…
Comment continuer ? Sa phrase se perdit, il inspira profondément, à se rappeler ce vide qui trônait au plus profond de lui à cette époque. Une coquille vide. Sans âme. Détachée du monde et des autres. Il n’était plus au monde. Il était comme…
—… hors sujet. J’avais pas ma place. Jed, tu m’as dit “viens, on va voir maman” alors j’ai suivi comme un automate. J’me souviens plus bien de ce qu’il s’est passé ensuite, mais, quand j’suis arrivé à la maison et que je l’ai vue… à ce moment là je me suis vraiment réveillé. En dedans.
Il plaqua une main sur son cœur. Il aimait sa mère. Voilà une certitude à laquelle il n’avait jamais douté. Ses nerfs vibrèrent dans mon corps, il ravala ses sanglots. La colère s’agita, il l’attaqua de ses souvenirs. S’entendre mettre des mots sur ses maux le soulagea et rendit le tout bien plus réel.
— Pis elle m’a insulté… dit que j’étais pas son fils, que j’étais un monstre. Mais je voulais pas être un monstre ! Je voulais qu’elle m’aime, comme avant. C’était trop demandé, franchement ?
Sa vision se troubla, les visages frappés de tristesse disparurent derrière le voile flou. Il ne restait que lui et son flot d’émotions. Lui et sa rage intérieure contre laquelle il luttait. Les larmes ravagèrent les flammes de la colère dans son ventre, tourbillon infernal.
— Alors, quand tu m’as emmené dans vot’ chambre et qu’tu m’as laissé là , tout seul avec elle…
Trémolo dans la voix. Sa mère lui avait lancé un regard chargé d’incompréhension, le dédain absolu. Une inconnue. Elle l’avait oublié. Lui, son bébé. Son petit garçon. L’amour de sa vie. Il n’existait plus. Et elle ne se réfugiait pas derrière un habit de scientifique. C'était bien Maman. Sa maman qui le détestait.
— … maman me voyait pas. Sa haine du monstre transpirait par tous les pores de sa peau. J’en suffoquais. J’voulais lui faire comprendre. J’étais là . J’étais normal. Son Cole. J’ai voulu… j’ai voulu qu’elle soit comme moi ! Pour qu’elle m’aime à nouveau, mais… ah, putain !
Les larmes strièrent mes joues. Il s’effondra, sans force, contre le bras du canapé. Il s’entoura de mes bras. Il aurait voulu que sa mère agisse comme ça. Qu’elle le protège de lui-même. Il expulsa la rage. Il expulsa la haine dans un tsunami de cris désespérés. Les fourmis dansèrent dans mes mains, serpentèrent le long des avant-bras, des jambes aussi. Il suffoqua presque. Des mains se refermèrent sur ses épaules. Chaleureuses, pleines de tendresse.
— Oh, mon chéri…
Elles remontèrent le long de sa nuque jusqu’aux joues noyées. Il ouvrit les yeux. Découvrit les iris marrons d’un homme évanoui depuis longtemps dans le corps d’un scientifique. Il était là . Celui qu’il avait perdu le jour où il avait joué avec ses gènes. Celui que Cole appelait dans la détresse, sans qu’il l’entende ou le comprenne.
Jedefray posa la tête de Cole contre son épaule pour la première fois depuis une éternité. Dans un ultime effort, ce dernier tendit la main. Celle de Sven s’y accrocha de toute sa puissance. Aucune mère, mais deux pères. Il réalisa. Le torrent se calma. Ainsi étreint, il s’apaisa. Il chercha, dans ses entrailles, une once de haine. De rage. De colère. Enfin délesté du poids qui l’accablait depuis toutes ses années, il se délectait de leur disparition soudaine.

| LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
|
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
3335 histoires publiées 1461 membres inscrits Notre membre le plus récent est Xavier |