Morag avait traversĂ© les terres comme un vent furieux. Elle avait poussĂ© sa monture depuis DĂčn Stoirm, aprĂšs avoir tournĂ© le dos Ă Iain maqq Baine et Keir le Noir en de mauvais termes. Leurs derniers mots avaient Ă©tĂ© Ă©changĂ©s dans les heurts de la dispute. Son frĂšre lui avait enjoint sans douceur de prendre la route. Elle ne se souvenait pas avoir jamais vu son aĂźnĂ© avec un tel masque de colĂšre. La seule voix dâIain aurait pu la jeter Ă genoux, si elle nâĂ©tait restĂ©e Ă©pouvantĂ©e par la violence de ses paroles. Non pas que son frĂšre se soit adressĂ© Ă elle en des termes injustes ; mais il avait mis un tel excĂšs dans ses propos que la jeune femme en avait encore des hoquets.
Keir, prĂ©sent dans ce duel, nâavait jamais baissĂ© le regard. Iain ne lâavait pas mĂȘme pris Ă parti, mais sa seule figure avait suffi Ă faire davantage plier la Picte. Alors mĂȘme que son entĂȘtement Ă rester nâĂ©tait en partie que la contradiction Ă demeurer auprĂšs de celui qui lâavait Ă©conduite, Morag sâĂ©tait finalement Ă©cartĂ©e et avait pris la porte dans un dĂ©pit bouillonnant de ne pouvoir dĂ©sobĂ©ir au chef de la tribu.
Depuis, sous les replis de ses laines, se frottant à la morsure du vent soufflé des hauts récifs, elle avait scellé ses lÚvres et jeté son poney le long de la cÎte, passant seule les étendues dans un souffle.
Le havre de Laimhrig sâĂ©tendait sur un large promontoire surplombant les eaux. La roche Ă©levĂ©e en longue colline sâavançait au-delĂ de la rive en plusieurs Ă©perons rocailleux dans les brisants de la baie, tandis que les racines du monticule se perdaient vers le rivage en une lagune claire perdue entre des doigts de terre sablonneuse. Au-delĂ du domaine, le relief entourant Laimhrig Ă©tait peu ravinĂ© ou inĂ©gal, la campagne se prolongeant en faibles proĂ©minences, les mamelons de quelques buttes herbeuses mourant finalement au-delĂ dâune lieue.
Aux pieds du haut crag, les eaux du bassin marin Ă©taient calmes, et bien que les courants fussent parfois polaires, le souffle des Arcaibh semblait beaucoup moins malmener cette partie de la cĂŽte. Sous cette latitude plus clĂ©mente, les Pictes avaient ainsi dĂ©veloppĂ© un systĂšme de pĂȘche rĂ©guliĂšre, faisant du lieu un carrefour commercial.
Deux enceintes ceinturaient le vaste hameau. Le cercle le plus extérieur, constitué de pierres et de larges rondins de bois, dont la hauteur atteignait trois aunes romaines, fermait la voie par la terre, son unique porche gardé au sud par des veilleurs donnant accÚs au premier plateau.
Dans lâencadrement de ce haut portique, des symboles paĂŻens couraient sur les veines de stĂšles immobiles, dâimposants monolithes bleutĂ©s contemplant les Ă©tendues, tout en supportant la charge de lâĂ©difice dâentrĂ©e. Sur lâaire oblongue dĂ©pliĂ©e au-delĂ du seuil avaient Ă©tĂ© implantĂ©s une forge, quelques ateliers, greniers, Ă©tables ou commerces qui composaient les secteurs du bourg, sâajoutant aux habitations rondes, parfois semi-enterrĂ©es, que les Pictes couvraient de chaume, de gazon ou de tourbe.
En franchissant une palissade de bois secondaire, une voie pavĂ©e conduisait Ă une terrasse et une citadelle mineure, faisant face Ă la mer. Le beffroi de bois posĂ© sur une base calcaire surveillait lâhorizon et devançait des abris tenant lieu dâarmurerie et de baraquements pour les hommes en armes. Cependant, le site Ă©tait moins une forteresse quâun lieu dâĂ©changes ; une garde y avait court, soutenant une armĂ©e plus rĂ©duite que celle de Klett, qui demeurait le principal poste militaire de la cĂŽte. Iain maqq Bain y envoyait donc deux fois par an une lourde cargaison dâarmes et une cohorte de ses propres hommes, pour la dĂ©fense du poste.
Au quatriĂšme soir aprĂšs lâarrivĂ©e des Norrois, Morag atteignit les portes de Laimhrig pour se prĂ©senter devant les battants fermĂ©s, pratique inhabituelle prĂ©sageant un triste Ă©vĂšnement. Le port devait ĂȘtre tombĂ© ; et avec lui, nombre de CalĂ©doniens. Le golfe Ă©tait prĂ©cĂ©dĂ© en toutes directions dâune Ă©tendue de terre uniforme, oĂč il Ă©tait difficile aux voyageurs de demeurer Ă couvert. Aussi, lâarrivĂ©e de Morag fut trĂšs tĂŽt notifiĂ©e par les sentinelles et lâalarme sonnĂ©e par un des guets.
Ă cet instant, lâhĂ©sitation Ă©branla la dĂ©termination de la Picte. La peur lui Ă©crasa le sein et sa main trembla en entendant le tocsin. Elle sâadressa Ă son frĂšre absent, tentant de chasser lâagitation de ses veines.
« Entends-tu lâappel au loin fait pour nous accueillir ?
Les sentinelles sont en plein branle-bas dâarmes.
Quâelles ne nous fauchent point dans ce vacarme
Dâune flĂšche par trop dâĂ©moi lĂąchĂ©e sans empire.
Je crains tout Ă coup pour ma gorge et ma vie.
Ces hommes daigneront-ils appuyer nos instances ?
DâUaine nous tenons sans feinte notre obĂ©dience.
Croiront-ils pourtant quâil nây en cela nulle duperie ?
Destrier et bijoux ne sont preuves de bonne foi.
ConfiĂ©s de plein grĂ© pour notre service Ă lâouest,
On pourrait aussi les croire butins bien funestes
De quelque déloyale ruse envers Keir au combat. »
Lorsquâelle eut passĂ© les derniers mĂštres, Ă hauteur de la palissade et de lâentrĂ©e du sud, la voie Ă©tait dĂ©sormais close. Dominant le seuil, postĂ© sur les couloirs de veille, le garde en charge de la surveillance tenait les huis fermĂ©s. Il sâexprima dans la langue de lâouest, dont certains mots avaient une consonnance proche du parler picte, mais qui demeurait obscure.
Il avait fait mander un homme, qui du haut des palis traduisait ses paroles dans lâidiome de Cait. Cet interprĂšte avait les traits ornĂ©s de symboles pictes, et devait ĂȘtre originaire du nord de lâAlbion, probablement dâun site conquis plus en aval. Certains postes militaires avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© confrontĂ©s aux hommes dâHibernie, et avaient tenu prisonniers dans le passĂ© des Scots desquels ils avaient appris le dialecte dâUlster. Cependant, si un fort avait Ă©tĂ© assiĂ©gĂ© au plus prĂšs des frontiĂšres de Cait, la nouvelle nâĂ©tait jamais parvenue jusquâĂ DĂčn Stoirm.
Cela inquiĂ©ta Morag. Lâattaque avait dut ĂȘtre brutale et lâeffectif hiberne important pour faire tomber DĂčn Obar ou DĂčn Fior, les bastions les plus Ă lâouest sur le littoral de la province. Si Uaine avait conquis une de ces places fortes, se liguer Ă son frĂšre ne reviendrait-il pas Ă lui livrer les clĂ©s du Fort TempĂȘte si les hommes dâYlgar en Ă©taient chassĂ©s ?
Les Pictes semblaient pris en tenaille entre les Loups et la Croix. Dans lâespoir quâUaine ne les ait pas livrĂ©s par duperie, Morag posa pied Ă terre quand on lui ordonna depuis lâenceinte de dĂ©monter et de se nommer sur le champ. Keir et Uaine nâĂ©taient quâun seul homme. Nâayant connu que la moralitĂ© du premier, il ne restait pas dâautres choix que de sâen remettre au second.
ArrangĂ©e Ă la façon des guerriers Pictes, toutefois le torse couvert, elle donna le faux nom masculin dâUoret et se prĂ©senta comme messager dâIain de Klett, seigneur du Littoral. En contrebas de lâescarpe, sous lâĆil des gardes, Morag tenta de sâassurer une relation cordiale avec les Scots. NâĂ©tant ni un pillard ni un rĂŽdeur, la raison de sa venue sous les remparts Ă©tait de quĂ©rir lâaide demandĂ©e par Uaine, pour qui elle intercĂ©dait auprĂšs du gouverneur. Ă ces mots, la figure du garde changea dâexpression, barrĂ©e dâun doute.
« Jâentends ta voix mais nâen comprends point le son.
PrĂ©tends-tu que le fils dâIryal serait toujours en vie ?
Par quel prestige en es-tu venu Ă connaĂźtre son nom,
Lors quâil fut perdu dans la bataille Ă trĂšs fort prix ? »
Or, la vie dâUaine, comme on le sait, nâavait pas Ă©tĂ© perdue au combat mais Ă©tait menacĂ©e avec celles des hommes de Klett. Lâincident devait certes intĂ©resser le frĂšre dâUaine qui commandait maintenant entre ces murs. Morag exigea de sâentretenir avec le gouverneur du site, alors que la lice demeurait close et les arcs armĂ©s le long du pourpris de chĂȘne. Elle nâavait point lâaine bardĂ©e, un vieux couteau Ă usage quotidien demeurait sous sa braie de laine, en dehors de quoi, elle Ă©tait sans ressources. Lâarme de Keir Ă©tait trop lourde pour ĂȘtre maniĂ©e aisĂ©ment. LâĂ©pĂ©e avait Ă©tĂ© bridĂ©e au harnais de sa monture et nâĂ©tait dâaucune utilitĂ© Ă Morag, qui faisait pĂąle figure devant le front ennemi.
On entendit quelques cris au-bas du mur, le premier garde interpellĂ© au-delĂ des huis par une poignĂ©e dâarrivants sâinformant du tumulte aux barriĂšres, aprĂšs que lâalarme eut Ă©tĂ© sonnĂ©e. La conversation Ă©tait indistincte, seules les rĂ©ponses du veilleur au sommet de lâenceinte parvenant aux pieds du rempart. La discussion perdura quelques minutes. On avait fait venir jusquâaux herses une soldatesque remuante, inutile contre un seul homme. Toutefois, lâagitation ne devait pas dĂ©senfler, puisque le seigneur possĂ©dant les clĂ©s de Laimhrig monta sur les chemins de ronde et vint se pencher au-dessus des palanques pour interpeler lâĂ©missaire qui lâavait sollicitĂ©.
« Salut à toi, enfant au sang bleu souverain des landes hostiles,
Fils rebelle par les bras lourds desquels sâĂ©pand le veuvage.
Bienvenu, prince insoumis des steppes Ă la violence fertile,
Engendré sous les vents, accouché sur le gel des rivages.
Te voici en terre conquise vassale de notre volonté.
Quel dessein Ă©perdu tâa menĂ© en ce lieu de pĂ©rils,
SĂ©jour oĂč ta libertĂ© native se trouve fort inquiĂ©tĂ©e,
Comme tes lendemains livrés à des ardeurs versatiles ?
Car je suis du sang de Glenarm, sujet au cĆur capricieux.
Ă des discours convaincants il mâarrive parfois dâagrĂ©er,
Si mon esprit sây plaĂźt cependant en un jour fort radieux,
Sans promettre de te ceindre au couchant de lauriers. »
Le Scots dominait le seuil du bourg. Fils cadet dâIryal de Gleann Arma, son nom de baptĂȘme Ă©tait AodhĂĄn[1], et sâil Ă©tait du mĂȘme sang quâUaine, il nâexhibait sur son visage aucun des traits de son aĂźnĂ©. Sâil avait le teint pĂąle et la chevelure brune, il ne portait aucune barbe. Il paraissait dâune carrure plus petite et moins large, son faciĂšs Ă©tait plus Ă©troit. Il y avait dans sa personne un aspect Ă©tonnant, car sa voix, sans porter loin et dâune tonalitĂ© souple, avait une inclinaison cordiale trĂšs en opposition avec sa charge ; et toutefois, dans cet attrait complaisant, on devinait un travers teintĂ© du fard de la civilitĂ©. Trop de politesse tuait le naturel et soulevait la mĂ©fiance. Il parlait avec panache, et dâune verte franchise qui confinait Ă lâexcĂšs. Il parut difficile de dire Ă cet instant de quel bois il Ă©tait fait, mais sembla par ses salutations dâun agrĂ©ment hypocrite, quoique bien naturel de la part dâun ennemi. Il avait distillĂ© dans ses paroles le fiel de la menace, tout en tenant un discours bien trop amical pour ne pas trahir de duplicitĂ©. Morag le trouva soudain farci de leurres dans ses atours et le considĂ©ra dâun Ćil critique. Elle le salua comme seigneur de Glenarm et de Laimhrig la Soumise. Sur quoi, elle raconta de sa voix la plus grave comment Uaine avait survĂ©cu et demeurait Ă lâest, bien que prĂ©sumĂ© mort par les Scots. Aux mains des Fils de la Louve, paĂŻens que les Pictes ne tenaient pourtant pas pour semblables, le seigneur GaĂ«l revendiquait lâĂ©gide de son frĂšre pour libĂ©rer le littoral. Morag exigeait en consĂ©quence ce devoir de crĂ©ance envers le sang dâUlster sous les remparts du havre.
AprĂšs avoir entendu cette histoire, AodhĂĄn demeura un temps plongĂ© dans le mutisme, abasourdi par la nouvelle. Dans lâintervalle, une incertitude troubla la jeune femme.
Le corps dâUaine nâavait pu ĂȘtre dĂ©comptĂ© parmi les cadavres aprĂšs la chute de Laimhrig. Pourtant, il Ă©tait douteux que des hommes aient Ă©tĂ© envoyĂ©s Ă sa recherche. Iain nâavait fait mention dâaucune rencontre Ă lâouest prouvant que des Scots sâĂ©taient avancĂ©s plus avant dans le territoire. MĂȘme Ă une journĂ©e de distance, le chef Picte nâavait notĂ© aucune activitĂ© inhabituelle, et il connaissait parfaitement son fief.
Lorsque la sĂ©vĂ©ritĂ© du regard dâAodhĂĄn tomba sur son front, Morag tenta de percer la façade du second fils dâIryal. AodhĂĄn la toisait avec une froideur non dissimulĂ©e, fixant sa silhouette dans un court Ă©change qui jeta la femme dans un malaise indĂ©fini. La contenance dâAodhĂĄn lui faisait dĂ©ployer un certain dĂ©fi, une menace tĂ©nue dont lâorigine Ă©tait douteuse. Il avait manifestĂ© un mĂ©contentement trĂšs passager, avant de recouvrer la parole. Il exigea quâon lui donne le nom de la monture qui avait appartenu Ă son frĂšre, ainsi que celui donnĂ© Ă la lame quâon lui avait confiĂ©e, car il hĂ©sitait Ă croire que son frĂšre fut en vie. Morag rĂ©pondit :
« Iarann[2] est son destrier que tous nomment aprĂšs lui lâArmure de Fer.
De sa robe gris acier lui vient ce titre. Son Ă©pĂ©e, il lâa nommĂ©e Fulgur[3].
La lame est demeurĂ©e intacte et sur lâacier on peut y lire une gravure :
âVirgo gloriosa, in necessitatibus, a periculis cunctis libera nos semperâ[4]. »
Morag leva le poing et tous devinĂšrent Ă son doigt le cercle de mĂ©tal prĂ©sentant les armoiries du clan de Glenarm. Il fut donc convenu que la Picte disait vrai. Tous se rĂ©jouirent, AodhĂĄn fit ouvrir la herse et ordonna quâon apprĂȘte un logement pour le messager entre ces murs maintenant entachĂ©s de catĂ©chisme.
Morag, sous ses atours masculins, fut bien introduite dans un baraquement attenant Ă la premiĂšre enceinte. Ces abris couraient prĂšs des palis en plusieurs huttes de bois et servaient de guĂ©rites aux hommes en office au plus prĂšs des remparts. Lâabri Ă©tait sommaire, aux parois comblĂ©es de chaume, et semblait inoccupĂ©. Le sol Ă©tait froid, lâĂątre mort. Tout Ă son inspection, elle fut interrompue par lâentrĂ©e brusque dâun homme, qui se trouvait ĂȘtre lâinterprĂšte tenu captif par la nĂ©cessitĂ© scots.
Ce dernier se prĂ©senta sous le nom de Drest. Il appartenait Ă la Horde dâObar, du Fort Estuaire. Ces dĂ©fenses Ă©taient levĂ©es plus dans le sud Ă la rencontre de trois Ă©tendues dâeaux, surplombant dâimmenses lacs qui venaient creuser la terre. DĂčn Fior, Fort Faucon, fermait au-delĂ les confins de Cait.
Les Scots avaient donc investi les golfes du sud-ouest. Lâespoir demeurait cependant, car Fort Faucon nâavait pas Ă©tĂ© assiĂ©gĂ©, et selon les dires de Drest, lâarmĂ©e dâUlster se trouvait fragmentĂ©e. DĂčn Stoirm ne pouvait ĂȘtre attaquĂ© sans plus de contingent. Cependant, AodhĂĄn ne patienterait pas beaucoup plus, dans la crainte de voir les Pictes de Cait se rallier. Il espĂ©rait lâarrivĂ©e dâune seconde flotte qui lui permettrait dâoccuper les abords de DĂčn Fior. Dans cette prĂ©vision, il comptait sur le fait que les Pictes des royaumes voisins ne se grouperaient pas facilement contre lâennemi, protĂ©geant avant tout leurs territoires. Il avait par ailleurs contenu la rumeur de ces dĂ©faites par des attaques rapides, lâinconvĂ©nient Ă©tant dâavoir divisĂ© ses troupes. Lâattente devait bientĂŽt prendre fin et les frais navires dâUlster aborder les rives de Laimhrig. Entendant ces Ă©chos, Morag se mit Ă rĂ©flĂ©chir. Avant la fin, il fallait conjurer la menace. Pouvaient-ils se fier aux Scots, comme Uaine lâavait conseillĂ© ? La rĂ©ponse de Drest laissait peu de bĂ©nĂ©fice Ă ce qui nâĂ©tait pas de sang bleu.
« Barbares civilisĂ©s au duvet dĂ©garni proprement par lâarrogance
TaillĂ© par les coups au toucher de soie sur lâĂ©chine dâun sanglier,
Trop délicats pour nos demeures dans la superbe de leur degré,
Civilisés et pourtant violents dans leur mépris de nos croyances !
CivilisĂ©s ils sont, oui, priant et blasphĂ©mant dans de mĂȘmes actes,
Répandant la mort ou la bonne parole sans généreuse hésitation,
Gentilhommes entachés de parjure dans leurs gestes de dévotion,
Pillant pour un ciel qui condamne le pĂ©chĂ© et mĂ©prise lâidolĂątre !
Prends garde Ă leurs paroles lestĂ©es dâartifices comme de perfidie.
Il coule de leurs bouches un sirop plus mortel quâun sang pestifĂ©rĂ©.
Ils sont haĂŻs dans le cĆur des hommes jusquâau creux de lâEmpyrĂ©e.
Ils nous mettraient volontiers à mort pour une parcelle de Paradis. »
Les Scots Ă©taient certes convertis ; naĂźtre dâun sang bĂątard Ă lâAlbion Ă©tait chez les Pictes une souillure. Uaine Ă©tait captif dâun dieu sans idoles, et le fruit dâune graine Ă©trangĂšre. Il ne sâĂ©tait pourtant pas couvert de honte durant tout le sĂ©jour quâil avait tenu dans le Val. Lui et son frĂšre ne valaient-ils pas mieux que les brutes qui avaient saccagĂ© DĂčn Stoirm ?
« Je jure, Aodhån est un jésuite bien hypocrite, menteur enduit de crÚme,
Un judas, un pharisien dans le langage évangéliste de ces bigots.
Il nâa de bien que la figure, façade trĂšs travaillĂ©e par trop dâego
Cachant la pourriture Ă la racine que ne purgerait aucun carĂȘme.
Il ne faut se fier en rien Ă lui, quand bien mĂȘme il semblerait entier.
Il noue et dénoue les intrigues à sa convenance sans franchise.
On ne conspire pas sous lâĂ©tendard de la vertu.
Quâon se le dise : AodhĂĄn est une vipĂšre dont la mue lâa dĂ©pouillĂ© de toute pitiĂ©. »
Drest nâaffectionnait pas les soumis Ă lâEsprit Saint ; câĂ©tait un trait commun Ă bien des Pictes. Cependant, il semblait honnir le personnage dâAodhĂĄn, le plaçant plus bas que tous les suivants de Padraig[5] quâil avait pu rencontrer. Morag nâen connaissait pas la raison. Uaine, qui avait prĂ©sidĂ© Ă la chute de DĂčn Obar, appelait en vĂ©ritĂ© plus de critiques que son frĂšre. Or, Drest tenait davantage grief au gouverneur dont la responsabilitĂ© dans les massacres Ă©tait secondaire. Parlaient-ils bien du second seigneur de la VallĂ©e de lâArmĂ©e[6], un croyant qui nâaurait jamais pu passer comme hĂ©rĂ©tique aux yeux des plus hauts Ă©vĂȘques ?
« Aodhån est un guerrier hutin et nul ne peut se prétendre son allié.
Je sais de lui ce que tout bon conflit dévoile au premier estoc de sang.
De tous ses offices, poses ou méthodes transpire son mobile indécent :
Celui de briser lâastre qui lâĂ©clipse pour trois oboles de son HĂ©liĂ©e[7]. »
Lâaccusation Ă©tait Ă peine voilĂ©e. Morag ne pouvait Ă©luder la charge.
« DâoĂč te vient cet Ă©lan plus algide que le marbre du SĂ©nat de Rome ?
Ce pays serait-il devenu lâEmpire des CĂ©sars rebĂąti loin des forums ? »
Drest ne changea pas sa version : il affirmait quâAodhĂĄn avait attentĂ© Ă la vie dâUaine, pareil Ă lâempereur NĂ©ron complotant contre son frĂšre. Il avait cĂŽtoyĂ© lâhomme suffisamment longtemps pour le croire.
La peste soit des Scots ! LâUlster ne leur accorderait donc aucun secours. Quel autre bras armĂ© pourrait maintenant se fĂ©dĂ©rer Ă la cause et les rejoindre dans la bataille ? Pouvaient-ils rallier DĂčn Fior pour y lever des troupes, alors mĂȘme que les Pictes de Klett se dĂ©couvraient un second ennemi, dont la puissance allait se renforcer ? Oui, la peste soit des GaĂ«ls. Iryal de Gleann Arma avait engendrĂ© un second fils homicide Ă la jalousie pugnace. Ce bĂątard chrĂ©tien pouvait leur coĂ»ter tout le littoral.
Morag mĂ»rissait quelques rĂ©flexions pour les soustraire Ă cet accul. Il leur fallait un soutien avant quâils nâaient plus aucun recul. Selon Drest, la seule voie possible Ă©tait dĂ©sormais celle du midi. Au-delĂ du Val des TempĂȘtes, bien plus au sud Ă quatre jours de voyage, en passant la Grande VallĂ©e et son canal, sâĂ©tirait une large forĂȘt sur un massif montagneux portant le nom de Bouclier du Nord. LĂ , une succession de sommets et de bois rayonnaient jusquâau domaine dâune occulte tribu dont le fief portait le nom des Terres des Mille Pierres.
Ce pays abritait en un lieu inconnu la plus grande nĂ©cropole de lâAlbion, la Mer de Cairns, un champ sans lisiĂšre, nu de haies ou buissons, mais sur lequel reposaient des milliers de tumuli, mausolĂ©e Ă ciel ouvert de la multitude tombĂ©e au combat, constituant lâentrĂ©e mĂȘme du clan. Cependant, ces lieux Ă©taient barrĂ©s par des enchantements et cachĂ©s aux yeux extĂ©rieurs. La longue piste que constituait le champ de cairns ne pouvait ĂȘtre franchi sans concession. La voie Ă©tait sacrĂ©e ; aucun ne longeait les tertres sans y avoir Ă©tĂ© invitĂ©.
Selon Drest, Morag devait se rallier le clan des Mille Pierres, dont les lĂ©gions cachĂ©es Ă©taient les plus nombreuses en Albion. Le pouvoir de leurs seigneurs venait dâune magie qui coulait dans leur sang et ne se trouvait dans aucune autre lignĂ©e. Aussi, la Horde nâaccordait cette puissance quâĂ peu dâalliĂ©s, dont elle se dĂ©tournait lors que le conflit Ă©tait soldĂ©.
Drest devait presser le faux Uoret dans cette entreprise, et il Ă©tait Ă©vident que sa haine envers AodhĂĄn Ă©tait sans failles ; sans oublier que le temps Ă©tait comptĂ©. Il en coĂ»tait une perte de plusieurs soleils pour atteindre les portes du domaine. Avant que le fils dâIryal nâempĂȘchĂąt lâentreprise, il convenait de quitter le port. La Picte pouvait encore passer les remparts sans coup fĂ©rir. AodhĂĄn la penserait repartie vers les falaises. Car qui la croirait au midi, lorsquâau levant devait se jouer le combat ? Avant que les Scots ne la considĂšrent comme fugitif, Morag devait gagner du terrain. Sous le couvert de la nuit, avec sa connaissance du relief, la Picte pouvait prendre une journĂ©e dâavance. Sa monture Ă©tait harnachĂ©e ; Drest encouragerait la certitude de lâennemi comme quoi elle Ă©tait rendue Ă lâorient. Il rejoindrait ensuite Morag pour pĂ©nĂ©trer le domaine de la Horde.
Au moment mĂȘme oĂč Drest sâintroduisait auprĂšs de son jeune compagnon, AodhĂĄn se ruait dans ses quartiers, le feu au sang. Ă sa suite, Enda, un de ses proches officiers de cavalerie, essuya cette triste humeur.
« Par tous les cercles de lâEnfer, comment tout cela est-il possible ?
Explique-moi : comment se peut-il quâUaine soit encore en vie ?
On mâa assurĂ© de sa mort Ă la bataille, son corps passĂ© au crible,
PercĂ© par des flĂšches tirĂ©es de ces armes prises Ă lâennemi.
On mâa rapportĂ© que son Ăąme avait bel et bien quittĂ© la lande.
Mensonges, traĂźtrise ! Je suis mystifiĂ© car il nâa point Ă©tĂ© abattu.
Il demeure en cette heure car on a passé outre mes commandes !
Mon frĂšre a Ă©chappĂ© au carnage lors quâil Ă©tait presque vaincu.
Tu ne souhaites pas souffrir cette colĂšre que mâinspirait Uaine.
Parle rondement pour ta défense avant que je ne te rosse.
Pourquoi nâest-il pas en cendres et qui sont ces hommes de Baine ?
Parle, coquin, parle, ou je jure de te faire battre jusquâĂ lâos. »
Il Ă©tait dans une rage Ă peine contenue. Enda tenta dâassagir son ressentiment.
« La faillite est assurément de notre fait dans cette affaire.
Lâestoc nâaura pas eu raison de son humeur et gaillardise.
Nous nâescomptions pas que la chance favorise votre frĂšre.
Deux fùcheuses conditions qui ébranlent notre entreprise.
Jâaime croire que le ciel ne nous a pas encore abandonnĂ©s.
La fortune varie souvent et les jours dâUaine sont en sursis.
Nâest-il pas tenu captif, par ces gens du nord emprisonnĂ© ?
Sa destinée est incertaine étant de ces barbares à la merci. »
Cependant, la fureur dâAodhĂĄn Ă©tait telle que son assurance envers ses hommes sâen trouvait diminuĂ©e.
« On prĂ©tend beaucoup de choses en ces vĂȘpres de mauvais augure.
Ma confiance dans les affirmations est donc de fait trÚs entamée.
Dis-moi, ai-je soudain tort de te croire tricheur, infidĂšle et parjure ?
Nâaurais-tu pas menti sur son sort aux seules fins de mâempaumer ? »
Aodhån avait dit ces mots le fiel à la bouche. Il crachait presque à la face de son capitaine qui lui répondit sans détours.
« Jâai armĂ© moi-mĂȘme lâarme avec force pour porter le coup.
Peut-on mâaccuser de pleutrerie pour cet acte de guerre ?
Sans quâon y voie lĂ mon Ćuvre jouĂ©e comme votre atout,
La flÚche a bien touché sa cible tout droit dans le travers.
Mây suis-je repris Ă trois fois ou ma main a-t-elle tremblĂ© ?
Nâai-je jamais hĂ©sitĂ© Ă prendre les armes pour votre camp ?
Ă vos prises de position, je ne crois jamais mâĂȘtre opposĂ©,
Aussi tĂ©mĂ©raires fussent-elles Ă lâencontre de votre sang.
Entre vous et Uaine, envers qui ai-je été le plus perfide ?
Félon à votre frÚre, trompant le monde sur ma droiture,
Renversant la succession sans prudâhomie mais en sĂ©ide,
De lâascendance encourant la colĂšre et du Ciel la brĂ»lure.
Quand la foudre mâaura enflammĂ© la chair et tout le cĆur,
Pour faire rĂŽtir mon Ăąme dans tous les cercles de lâEnfer,
Ne serais-je encore pour vous Ă la cause quâun imposteur,
Ayant triché de mes deux mains dans le but de vous défaire ? »
Enda, servant dans les phalanges de lâarmĂ©e rĂ©gionale de Glenarm, Ă©tait rĂ©putĂ© bon archer. Son aptitude au tir Ă©tait supĂ©rieure Ă celles des autres combattants du contingent. Il lui avait donc Ă©tĂ© commandĂ© dâabattre Uaine dans la mĂȘlĂ©e. Il Ă©tait tout acquis Ă la cause dâAodhĂĄn, depuis longtemps Ă son service. Il avait souvent cĂŽtoyĂ© sa haine muette. Il ne doutait plus depuis des annĂ©es quâil fut envieux de son frĂšre, au point quâil pouvait mĂ©dire de lui dans des silences coupables. Du cĆur dâAodhĂĄn transpiraient le souffle fiĂ©vreux de la vengeance. Le cadet dâUaine ne sâĂ©tait probablement jamais confiĂ© quâĂ lui sur ce feu qui arrachait Ă son Ăąme des cris sourds. Enda lâavait pris en pitiĂ©, avait tu sa folie et partagĂ© sa trahison. Lorsquâil lui avait Ă©tĂ© commandĂ© dâassassiner Uaine, il avait su quâil lui en coĂ»terait les portes du Ciel. Pour exĂ©cuter leur seigneur, câĂ©tait lâEnfer qui lui Ă©tait promis. Aussi les reproches qui lui Ă©taient adressĂ©s lui dĂ©plaisaient-ils et lâaplomb qui accompagna sa dĂ©fense ne manqua pas dâĂ©tonner AodhĂĄn.
« Ă tâentendre, je serais presque convaincu de toute cette probitĂ©.
Si seulement tu tâĂ©tais assurĂ© quâUaine nâĂ©tait plus de ce monde !
Ton bras a-t-il vraiment tendu la corde pour souhaiter le terrasser,
Ou ta main a hĂ©sitĂ© dans lâacte ne serait-ce quâune seule seconde ? »
Enda assura avoir portĂ© le jet avec intention durant la bataille. Mais le mensonge Ă©cĆura le fils dâIryal. Lâincurie Ă©tait suspecte alors mĂȘme que lâhabiletĂ© de son archer nâĂ©tait plus Ă prouver. Enda instruisait les conscrits de lâinfanterie au tir ; il Ă©tait par ailleurs le seul Ă pouvoir armer un arc en selle et atteindre une cible en mouvement. Sa vue portait loin, son bras Ă©tait sĂ»r, sa force pouvait lui faire bander un arc au repos trĂšs rapidement. Il avait une bonne assiette Ă cheval, un tempĂ©rament immobile mĂȘme en plein assaut. AodhĂĄn ne se rappelait pas lâavoir jamais vu manquer son but. Or, Uaine avait survĂ©cu Ă un de ses tirs. SĂ»rement Enda avait-il travesti la vĂ©ritĂ© dans la crainte dâun chĂątiment ; AodhĂĄn ne pouvait cependant souffrir dâavoir Ă©tĂ© leurrĂ©.
La rĂ©alitĂ© Ă©tait que lors de la bataille de Laimhrig aprĂšs lâassaut du port, abattre Uaine dans la mĂȘlĂ©e avait Ă©tĂ© une gageure. Que ce fut Ă cheval ou Ă terre, lâarc Ă©tait inutilisable en pleine attaque puisquâil fallait combattre Ă lâĂ©pĂ©e dans les corps-Ă -corps. Aussi, nâemployait-on jamais une arme de jet en combat rapprochĂ© - seuls les fantassins constituaient une mince ligne de tir. Lâamplitude manquait par ailleurs dans la lutte pour armer les flĂšches et la visibilitĂ© Ă©tait quasi nulle sous la pluie de coups. Uaine Ă©tant Ă cheval, il se trouvait souvent Ă©loignĂ© et occultĂ© par les projections, les estocs et les Ă©carts de sa monture. La seule façon de lâatteindre en plein combat Ă mi-distance Ă©tait lâemploi de ce que les Pictes utilisaient parfois comme arme de chasse.
Enda avait saisi un de ces artefacts lors de la prise de DĂčn Obar. On lâavait vu sâexercer Ă la maĂźtrise de cette main mĂ©canique, dont la lourdeur dĂ©sĂ©quilibrait le tir sans appui et altĂ©rait la prĂ©cision en selle. La lenteur de mise en Ćuvre Ă©tait par ailleurs un tel dĂ©savantage quâEnda savait ses possibilitĂ©s de tirs rĂ©duites. RĂ©armer trop de fois la baliste le mettrait Ă la merci des frappes ennemies. Au cĆur de la bataille, il avait donc armĂ© une premiĂšre fois la corde et placĂ© un trait court en bois peint dans une encoche retenant le projectile. Puis il avait rendu les rĂȘnes afin dâajuster le tir. Un brusque recul de la monture dâUaine pris sous les assauts lui avait fait rater son but.
Enda avait armĂ© une seconde fois la baliste Ă main. Du fait de la charge du fĂ»t, il nâavait pu calibrer son tir proprement. Aussi avait-il pris le risque de tirer sans ĂȘtre assurĂ© de la justesse de sa visĂ©e. Câest ce second tir qui avait pourtant touchĂ© Uaine.
Ă lâimpact, Enda avait soupçonnĂ© que lâatteinte ne pouvait ĂȘtre fatale. Il avait vu le commandant poursuivre le combat un carreau entre les basses cĂŽtes du flanc droit, lĂ oĂč aucun organe vital ne pouvait ĂȘtre percĂ©. Puis Enda avait vidĂ© ses Ă©triers, son cheval manquant de basculer sur ses jarrets lorsque des Pictes arrachĂšrent le Scots Ă sa selle. Contraint au sol de rĂ©sister Ă lâattaque, le capitaine avait perdu de vue Uaine, son visage maculĂ© de boue.
En vĂ©ritĂ©, le fils dâIryal avait ensuite tout simplement disparu. Certains hommes avaient signalĂ© sa monture blessĂ©e et affolĂ©e fuyant vers lâest. Bien quâaucune dĂ©pouille nâait pu y ĂȘtre trouvĂ©e, Enda avait assurĂ© que la blessure Ă©tait mortelle. AodhĂĄn lâavait cru bien volontiers tant la valeur de son second Ă©tait notoire. Or, il sâavĂ©rait quâUaine avait disparu, plus quâil nâĂ©tait trĂ©passĂ©. Le mensonge Ă©tait bien ancrĂ© dans la maison dâIryal.
La simple pensĂ©e de son frĂšre vivant anĂ©antit toute marque dâaffection et trace de prudence.
« Tu apprendras que lâintention ne peut Ă elle seule tuer un homme.
Je ne souhaitais ni nâespĂ©rais la mort de ce qui me tient lieu de frĂšre !
Non ! Je lâai promis devant tous les dĂ©mons de Satan en son royaume,
Rejetant le Christ et le Ciel dans les abysses et de ce monde la lumiĂšre.
Depuis si longtemps que je souffre sa compagnie comme ses absences !
PrĂšs de moi, il occultait de son ombre la triste parure dâĂȘtre second nĂ©.
Mais loin de tous, il fleurissait par ses victoires, effaçant la distance,
Glorieux et intrépide dans les batailles sous sa couronne de fils aßné.
Je tâai bien payĂ© pour lâexpĂ©dier par les moyens les plus insoupçonnables.
Je pensais mon ambition par ce crime satisfaite et mes espoirs accomplis.
Mais le nom odieux dâUaine a survĂ©cu, jusquâĂ la fin des jours impĂ©rissable,
FlĂ©au de ma naissance Ćuvrant contre ma gloire sans trĂȘve et sans repli.
Tue-le ! Quâil meure encore ! Je lui accorderai mille trĂ©pas sâil nous le faut !
Laisse-le pĂąlir en souffrance aux mains de ces hommes de raid Nordiens !
Passe-le au fer de tes lames en te rendant aux falaises, peu me chaut !
Que ma vie soit enfin délivrée de cette lÚpre lorsque la sienne prendra fin. »
En couvrant cette rivalitĂ©, Enda avait espĂ©rĂ© la dissiper. Il nâavait fait que lâĂ©touffer ; le mal Ă©tait enracinĂ© dans le sang dâAodhĂĄn. Le fiel semblait lâavoir consacrĂ© plus que les eaux du baptĂȘme. En cela, sa naissance lâavait destinĂ© au bĂ»cher de Satan. La violence, la rĂ©volte, les excĂšs Ă©taient ses pĂ©chĂ©s, couvĂ©s par le foyer de la haine accordĂ© Ă son premier jour. Car tel Ă©tait son nom, le « feu » dans la langue de ses pairs et il sâemploya Ă le nourrir du souffle de la colĂšre plus que celui du prestige.
Enda ne put jamais lâen libĂ©rer. Il fut pendant bien longtemps le tĂ©moin de cet infernal bĂ»cher dans lequel se consumait le fils dâIryal et qui commanda Ă sa chute. Car lĂ oĂč dâautres auraient pu employer autant dâĂ©lan pour gagner en renom, lui qui possĂ©dait la richesse sâappliquait Ă la dilapider en paiements dâactes scĂ©lĂ©rats, souillant son autoritĂ©, sâĂ©loignant de toute misĂ©ricorde par des pensĂ©es homicides. Et tout en donnant une image feinte dâobĂ©issance, il dirigeait son esprit vers les pires scĂ©lĂ©ratesses pour conquĂ©rir ce que son aĂźnĂ© possĂ©dait. EĂ»t-il Ă©tĂ© plus intĂšgre, Enda ne lâaurait pas prĂ©fĂ©rĂ© Ă son frĂšre. En un sens, son Ă©chec Ă soigner le Scots de cette maladie de lâĂąme Ă©tait une faillite intentionnelle ; eĂ»t-il guĂ©ri AodhĂĄn de son feu, la souffrance de ce dernier en aurait Ă©tĂ© amoindrie et sa profondeur diminuĂ©e.
Cette rancĆur devait ĂȘtre nourrie par une fĂącheuse nouvelle apportĂ©e avant la fin de ce jour. Il fut rapportĂ© que le Picte Uoret, sorti il y avait dĂ©jĂ plus dâune heure, nâĂ©tait pas reparu. AprĂšs avoir attendu son retour jusquâĂ une pĂ©riode tardive de la nuit, il avait fallu se rendre Ă lâĂ©vidence que le messager de Klett ne reviendrait pas Ă Laimhrig, tous ses effets ayant disparu avec lui. Avec cette disparition venait la crainte dâavoir Ă©tĂ© trompĂ©s, Uoret passant aux yeux des Scots pour un espion. AodhĂĄn craignait Ă prĂ©sent deux choses : quâUoret ne rapporte aux Pictes de lâest lâĂ©tat du contingent et de tout ce quâil avait pu voir et entendre ; dâautre part, que son frĂšre bien vivant, avait par quelques moyens dĂ©tournĂ©s eut connaissance de sa trahison et cherchait Ă le confondre. Qui pouvait dire ce qui Ă©tait tombĂ© dans lâoreille de ce chien Picte ? Il devint alors nĂ©cessaire dâarrĂȘter sa chevauchĂ©e.
[1] PrĂ©nom irlandais pouvant se prononcer âay-dawnâ, âay-gawnâou âay-hawnâ.
[2] En gaĂ©lique irlandais, âferâ.
[3] En latin, âfoudreâ.
[4] âVierge glorieuse, dans lâĂ©preuve, de tous les dangers dĂ©livre nous toujours.â
[5] Saint Patrick dâIrlande, qui est en fait originaire du Pays de Galles, et ne fut jamais canonisĂ© par lâĂglise catholique.
[6] Traduction de âGleann Armaâ.
[7] Tribunal populaire dans la GrÚce antique détenant le pouvoir judiciaire. Une allocation journaliÚre de trois oboles était versée aux citoyens pour les inciter à se présenter en tant que jurés.

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