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Réforme infernale

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Réforme infernale

© Rose P. Katell (tous droits réservés)

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes de l’article L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Le poing d’Astraghar, dĂ©mon ancestral, percuta le mur du salon principal sans qu’il en Ă©prouve la moindre douleur. FrustrĂ©, il cracha ensuite un juron rageur, avant de secouer la tĂŞte… Maudit soit son plus jeune cousin. Ce petit salopiaud mĂ©ritait de subir la torture rĂ©servĂ©e aux âmes dans leur bel Enfer !

Un grognement lui Ă©chappa. Pour quelle raison l’avait-il laissĂ© entrer, d’abord ? N’aurait-il pas Ă©tĂ© plus simple de dĂ©daigner sa prĂ©sence sur son parvis ? Rah ! Il se dĂ©testait.

Sa solitude et son éloignement des affaires lui avaient toujours convenus. Toujours. Sans la remarque du fameux salopiaud – qu’Astraghar avait eu l’imbécillité d’écouter –, nul doute que ça aurait continué. Mais lui l’avait accueilli chez lui, dans sa villa du Premier Quartier jadis gagnée à la dure, et l’éhonté commentaire avait été formulé… Il ne lâchait dès lors plus ses pensées et tambourinait contre ses tempes.

Les dents d’Astraghar se serrèrent comme il tentait de maĂ®triser sa colère ; il exĂ©crait cette vieille amie et s’interdisait d’y succomber depuis que la jeunesse, pĂ©riode oĂą il avait manquĂ© ĂŞtre lui-mĂŞme torturĂ© pour ses excès, l’avait quittĂ©. Ah ! Son cousin pouvait remercier son contrĂ´le.

Lui, trop âgĂ© et dĂ©passĂ©. DĂ©sormais inapte Ă  la collecte d’âmes. Un « papy » qui se reposait sur ses anciens lauriers…

Ses ongles pointus s’enfoncèrent au creux de ses paumes. Oser lui tenir un tel discours après son nombre d’exploits. Quel toupet ! Son dĂ©part Ă  la retraite avait beau dater de plusieurs siècles, il avait malgrĂ© tout entraĂ®nĂ© plus d’âmes vers leur perte que n’importe quel autre dĂ©mon – fut-il encore actif ou non.

Un soupir se faufila entre ses lèvres. De la connerie, ouais. Ces accusations moqueuses étaient de la pure connerie. Elles ne méritaient même pas son attention.

Pourquoi alors ne parvenait-il pas Ă  s’en dĂ©faire ? Pourquoi s’en souciait-il ?

Parce qu’il n’avait pas les moyens de nier la course du temps ? Peut-ĂŞtre… Il s’était Ă©coulĂ© un sacrĂ© paquet depuis son dernier contrat !

Parce que la traque lui manquait ? Inconsciemment ?

Hmm. Se l’être caché lui ressemblait bien…

Astraghar grimaça. Merde ! VoilĂ  qui Ă©tait infernal.

*

Astraghar tendit sa main Ă  l’humain en face de lui dans un sourire carnassier – malgrĂ© l’incertitude visible de celui-ci, il le tenait ; son instinct ne lui mentait pas.

— Vous pouvez vraiment le faire ?

Il garda son bras levé pour répondre :

— Tout est possible pour les miens, mon ami. Tout… Du moment qu’on paie, s’entend.

— Donc, contre mon âme à l’heure de ma mort, vous me rendez célèbre durant ma vie, résuma l’humain, comme dans le but de s’en convaincre, tandis qu’il transpirait la cupidité.

Le sourire d’Astraghar s’élargit.

— Gagnant-gagnant. Tu attrapes cette foutue main, et je prends soin de ton cas les dix prochaines annĂ©es ! L’opportunitĂ© est rĂ©elle : ta carrière de batteur dĂ©colle, les concerts s’enchaĂ®nent pour ton groupe et toi, te mènent Ă  l’international. Personne n’ignore plus ton nom ! Partant ?

— Et une fois ces dix ans Ă©coulĂ©s ?

— Je ne m’occupe plus de toi, trancha-t-il.

— Mais…

— Eh ! Tu l’as affirmĂ© : tu as du talent et tu le sais. Ta renommĂ©e Ă©tablie, tu te contentes de crĂ©er, le reste suivra !

— Je…

— C’est que je n’ai pas l’intention de demeurer plantĂ© lĂ  des heures ! Tu n’es pas le seul chanceux chez qui j’ai prĂ©vu une petite visite, aujourd’hui.

Si l’humain pinça les lèvres, il n’en effectua pas moins son choix : ils échangèrent une poignée moite.

— Félicitations, s’enorgueillit Astraghar. Tu ne le regretteras pas.

— Tenez votre engagement.

— Je n’ai qu’une parole…

Pendant combien de minutes Astraghar resta-t-il ensuite sur place après le dĂ©part de sa proie, occupĂ© Ă  se gorger de son succès ? Lui-mĂŞme n’aurait su le dire ! Une chose Ă©tait pourtant sĂ»re : il n’en revenait pas du caractère rapide et efficace de sa « première » mission. Vu la longĂ©vitĂ© de sa retraite, il s’était prĂ©parĂ© Ă  un minimum de difficultĂ©s. Et il n’y en avait pas eu une. Ah, il n’en Ă©tait pas peu fier !

Un sentiment de bien-être le gagna. Reprendre du service n’était pas déplaisant.

La venue de son cousin s’était finalement montrée utile. Son inactivité avait pesé sur son cœur sans qu’il le réalise… Oh, il était envisageable que sa sérénité actuelle découle de la fin de son oisiveté et s’essouffle vite. Néanmoins, en attendant, il allait bien. Agréablement bien.

AmusĂ© par ses Ă©tats d’âme, Astraghar secoua la tĂŞte. Il Ă©tait temps de bouger. Qu’allait-il faire ? Traquer une nouvelle cible ? Flâner sur Terre afin d’en dĂ©couvrir tous les changements ? Le choix Ă©tait cornĂ©lien ! Aussi indĂ©cis que tentĂ© par les deux solutions, il tergiversa en silence…

… Jusqu’à ce qu’une odeur d’œufs pourris lui monte au nez.

Du soufre.

Astraghar arbora un rictus. L’effluve accompagnait les siens lors de leur transfert dans le monde terrestre. Un dĂ©mon de bas Ă©tage venait-il essayer de lui racheter l’âme du musicien ? Si oui, il allait s’en mordre les doigts… Astraghar avait cette pratique de faible en horreur !

Une réplique acerbe déjà sur la langue, il se retourna, avant de ciller devant l’apparition d’un démon tiré à quatre épingles. Pimpant.

Un hoquet surpris manqua lui Ă©chapper. Par les neuf cercles ! Que signifiait cette connerie ? Depuis quand les collecteurs ressemblaient-ils Ă  des prospecteurs mortels ?

— Astraghar, je prĂ©sume ? l’interrogea le dĂ©mon.

— En effet, rĂ©pondit-il en se gaussant de son ton pincĂ©. Et vous ĂŞtes ?

— Agent Lirh, du CCD. Je suis…

— Le CCD ? rĂ©pĂ©ta Astraghar.

C’était quoi, ce truc ? Il n’en avait pas le plus mince souvenir !

Un regard empli de consternation, voire de dédain se posa sur lui. Ses paupières se plissèrent.

— Le Centre de Contrôle des Démons.

— Jamais entendu parler.

Les sourcils d’Astraghar se froncèrent. Un centre de contrĂ´le ? Pas moyen ! Son cousin ne lui en avait touchĂ© aucun mot.

— Très amusant, répliqua le dénommé Lirh d’un timbre monocorde. Soit. Je suis là pour vous mener à votre audience. Vous êtes mis en examen pour infraction majeure au sujet de l’âme de Thibault Deforges.

Astraghar en sursauta presque. C’était une blague ? Ouais, c’en Ă©tait forcĂ©ment une ! Ça l’était mĂŞme s’il n’avait annoncĂ© son retour Ă  personne !

— Si vous vous foutez de ma gueule…, menaça-t-il soudain.

— En ai-je l’air, Astraghar ?

— Je suis « mis en examen » ? Pour avoir rĂ©coltĂ© une âme ?

— Exact. Nous y allons ?

— Non !

— La sanction sera pire si vous résistez, le prévint Lirh sans plus d’émotion.

D’une respiration, Astraghar s’exhorta au calme. Une farce, absolument. Et si mauvaise qu’elle ne méritait pas qu’il autorise la colère à l’envahir.

— De quoi suis-je accusĂ© ? demanda-t-il.

— Marché conclu en l’absence d’un contrat.

Ah ! C’était la farce du siècle, en vĂ©ritĂ© !

— Avec les nôtres, agent Lirh, un marché est un contrat.

— Navré, mais le vôtre n’était ni écrit ni imprimé en double exemplaire.

— Ben voyons… Allez, conduisez-moi à votre maudit CCD, soupira-t-il.

Qu’il apprenne au moins qui était le génie à qui il devrait faire oublier l’envie de s’amuser.

*

Ce n’était pas une blague, en fin de compte ; le CCD existait bel et bien !

Astraghar s’y trouvait. HĂ©bĂ©tĂ© par sa dĂ©couverte, il patientait dans une affreuse salle d’attente, en compagnie de Lirh, le temps que dĂ©bute son improbable audience. Sur ses traits, une grimace Ă©tait figĂ©e – cette histoire l’effrayait quand il y rĂ©flĂ©chissait. Une faute majeure commise par absence d’accord tangible... OĂą donc Ă©tait passĂ© l’Enfer qu’il avait toujours connu ?

Son attention se porta sur Lirh. Il n’était, Ă  l’évidence, ni un collecteur ni un tortureur – ce qu’Astraghar pensait pourtant ĂŞtre les deux seuls statuts des siens. Il s’était prĂ©sentĂ© en tant qu’agent. HĂ©las, le titre ne lui apprenait rien… Ce pète-sec se contentait-il de jouer les messagers pour le fameux haut dĂ©mon censĂ© le recevoir sous peu ? Ou avait-il un autre rĂ´le ? Et, d’ailleurs, qui avait dĂ©cidĂ© celui-ci ? Ou la fondation du CCD ?

Astraghar grinça des dents et lutta afin de ne pas le montrer. Combien de choses avait-il manquĂ©es durant sa retraire dorĂ©e ? Son monde lui semblait devenu fou. TraĂ®tre.

— Je vais poireauter longtemps ? pesta-t-il.

— On vous recevra au plus tĂ´t. RefrĂ©nez votre ardeur ; un peu d’humilitĂ© enfin, vous avez Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© !

Il n’eut pas l’occasion de répliquer. Une porte s’entrebâilla, puis une voix sèche s’éleva :

— Suivant : Astraghar.

Astraghar se leva en grommelant, pressé d’en terminer avec ce cirque – bien réel… –, et dédaigna Lirh qui prenait congé

— Entrez, ordonna ladite voix.

Il s’exécuta. Assise derrière un bureau empli de dossiers épars, une haute démone robuste et faussement souriante l’invitait à la rejoindre.

— Vous pouvez ĂŞtre fier, attaqua-t-elle dans un rire trop enjouĂ©. Première activitĂ© dĂ©tectĂ©e après un silence s’éternisant, et dĂ©jĂ  une infraction ! Votre but Ă©tait-il d’être remarquĂ© ?

Astraghar renifla.

— Mon but était d’enrôler une âme.

—… Sans contrat Ă©crit ?

— Pourquoi s’en embarrasser ? souffla-t-il. La parole des nĂ´tres est sacrĂ©e : « promesse rompue, âme perdue ».

L’Enfer avait-il oubliĂ© ses principes ? Peuh ! Inimaginable.

Pitié et mépris se mêlèrent au sein du regard de son interlocutrice. Par réflexe, les poings d’Astraghar se contractèrent.

— Ce précepte est dépassé depuis que le CCD ordonne la collecte d’âmes. Avec lui, les promesses rompues n’existent plus : elles sont sévèrement sanctionnées. Nul collecteur ne s’attribue d’ailleurs plus de mérites injustifiés, car nous chiffrons tout. Les ressources des neuf cercles sont distribuées en fonction du résultat, moins sur base d’une quelconque célébrité.

La mâchoire d’Astraghar se serra. La haute dĂ©mone insinuait-elle qu’il avait jadis gonflĂ© son succès ?

— Il y a des règles à respecter, ajouta celle-ci.

— Vous vouliez que je le devine ?

Des mots crachĂ©s plus que formulĂ©s. Rah ! Il lui fallait se dominer ; une fois cette affaire arrangĂ©e, il ferait en sorte de ne plus remettre les pieds ici. L’apparition d’un centre aussi ridicule dans son existence n’allait pas gâcher sa reprise !

— Je voulais que vous vous informiez, Astraghar. Revenir vers votre travail sans vous y employer était stupide.

Astraghar en avala sa salive de travers. En voilà une qui n’avait clairement aucune idée des atrocités que son courroux lui avait laissé commettre…

— Quoi qu’il en soit, le CCD a décidé d’être magnanime. En effet, minauda la haute démone, nous partons du principe que vous avez fauté par ignorance. Vous n’aurez, dès lors, qu’un simple avertissement. Mais nous avons l’autorité nécessaire pour saisir vos biens autrefois gagnés, sachez-le.

Ses pupilles s’écarquillèrent. Et puis quoi, encore !?

— Nous ne vous avons jamais approché par le passé en raison de votre inertie. Nous avons jugé que votre demeure et son contenu vous revenaient de plein droit, vu vos siècles de pratique. Alors ne nous le faites pas regretter : formez-vous.

*

D’un mouvement souple, Astraghar tendit un stylo plume Ă  l’humaine devant lui – son visage Ă©tait affable, presque sĂ©ducteur. Il contint ensuite une exclamation de joie. L’odeur du dĂ©sespoir avait toujours Ă©tĂ© sa favorite !

— Il ne soupçonnera rien, n’est-ce pas ? Lui ou un autre ?

Il secoua la tĂŞte.

— Si vous signez, ma belle, votre connard de mari ne sera bientôt plus un problème et votre réputation restera intacte.

L’humaine mordilla sa lèvre inférieure, contusionnée, avant d’inspirer longuement. Elle lui arracha alors le stylo des mains pour inscrire son nom sur l’accord.

— Je suis votre dĂ©vouĂ© serviteur ! la fĂ©licita-t-il. Rentrez chez vous en paix : une surprise vous y attendra vite – viendront dix annĂ©es de libertĂ©, je vous le garantis.

Elle acquiesça, le salua poliment, parut hésiter… Tourna les talons.

Les canines d’Astraghar se dĂ©voilèrent dans un sourire triomphant sitĂ´t qu’elle eut quittĂ© son champ de vision. Une âme de plus. DĂ©jĂ . Quelle victoire !

Comme beaucoup de ses proies, celle-ci ne mĂ©ritait pas l’Enfer… mais le business Ă©tait le business ! Sans oublier que les innocents ravissaient les tortureurs et contribuaient ainsi Ă  l’amitiĂ© entre leurs deux factions.

Le cĹ“ur lĂ©ger, Astraghar retourna dans le monde d’en bas. S’il ne ressentait pas le besoin de prendre une pause, il lui fallait rĂ©diger davantage de contrats, sans quoi il risquait de tomber Ă  court – une situation qu’il prĂ©fĂ©rait Ă©viter ; pas question d’entendre Ă  nouveau parler de ces emmerdeurs du CCD. Il n’eut cependant pas le loisir de s’atteler Ă  la tâche. Plusieurs coups secs et rapides furent frappĂ©s Ă  sa porte quelques secondes après son arrivĂ©e dans sa villa.

Ses sourcils se froncèrent. Une deuxième visite ? Hmpf ! Soit sa notoriĂ©tĂ© de solitaire se dĂ©tĂ©riorait… Soit son cousin avait eu vent de son come-back sur le marchĂ©. Souhaitait-il s’en attribuer le mĂ©rite ?

Prêt à montrer les crocs, Astraghar se dirigea vers l’entrée.

—… Encore vous !?

— Astraghar, le salua l’agent Lirh avec ennui. Veuillez me suivre. Sans opposer de résistance, s’il vous plaît.

Il cilla.

— Vous suivre ?

— Au CCD.

Son ventre se contracta sous une vague d’irritation. Ça n’allait tout de mĂŞme pas recommencer ? Et de quoi l’accusait-on, cette fois ?

— Je ne suis plus en infraction, se défendit-il, amer.

— Vous l’êtes, j’en ai peur.

Avec force, Astraghar agrippa le battant d’une main.

— J’ai des documents signés, Lirh.

— Qui ne sont pas valides. Non ! Surtout, ne niez pas.

Astraghar inspira pour que sa colère naissante reflue. Merde ! Pas moyen de remettre les pieds lĂ -bas – le cirque, très peu pour lui.

— J’ai plus important à faire de ma journée, souffla-t-il.

— Je vous conseille de…

Il referma la porte sur Lirh avant qu’il n’achève sa phrase.

*

Plus tard, lorsque trois dĂ©mons au physique de gorille pĂ©nĂ©trèrent dans son habitation, Astraghar eut peine Ă  se dĂ©fendre tant il fut choquĂ©. Pire, le temps d’un instant, alors qu’ils le maĂ®trisaient, il crut ĂŞtre, lui, victime d’un phĂ©nomène humain – Ă  savoir un cauchemar. TraĂ®nĂ© de force sur les routes pavĂ©es de l’Enfer, il ne songea mĂŞme pas Ă  une consĂ©quence de la façon dont il avait chassĂ© Lirh ; tout son ĂŞtre n’était que perplexitĂ©.

Pourtant, sitĂ´t qu’il se retrouva contraint de patienter Ă  l’intĂ©rieur de l’immonde salle du CCD, encadrĂ© par les fameux « gorilles », Astraghar comprit et admit l’évidence.

Ce foutu centre n’avait pas l’intention de lui ficher la paix.

— Bordel…

— Silence ! lui intima l’un de ses gardes.

Une Ă©tincelle de colère jaillit aussitĂ´t dans sa poitrine ; il inspira comme son nom rĂ©sonnait Ă  travers la pièce. On l’empoigna ensuite pour qu’il se lève.

— Ne me touchez pas.

Astraghar retint de justesse un geste menaçant. Sa bonne humeur était gâchée – sa journée également.

— Les ordres sont les ordres. Avancez.

Il obéit à contrecœur.

— Astraghar, le salua très vite la haute démone qui l’avait déjà reçu.

Enfin, si cracher son nom pouvait constituer une salutation…

— Au vu de votre réputation et de votre âge, j’avais envisagé que vous auriez la sagesse d’écouter mes recommandations.

Les poings serrés, il répondit sur un ton aussi sec que le sien :

— J’ai désormais un contrat manuscrit à proposer, il me semble.

— Ne m’insultez pas, siffla-t-elle. Votre torchon n’a rien de valable. Vous avez noirci une feuille sans prendre de renseignements sur le contenu attendu ou les formules obligatoires.

Astraghar renifla ; l’étincelle se changeait dĂ©jĂ  en feu. C’en Ă©tait trop !

— C’est vous et cet endroit qui m’insultez ! Vous insultez tout l’Enfer, en vĂ©ritĂ©.

— Comment osez-vous… ?

Il ne s’arrêta pas :

— C’est presque miraculeux de collecter une âme sans finir convoquĂ© ici. Ah ! De quelle façon les affaires sont-elles donc censĂ©es tourner ?

Avec lenteur, la haute dĂ©mone se leva de son fauteuil ; une attitude qui titilla sa colère.

— Je vous conseille vivement de vous calmer, Astraghar. Le CCD ne saurait tolérer un élément si… instable dans ses rangs. Ce monde a évolué pendant que vous vous prélassiez, c’est ainsi. Asseyez-vous et discutons de votre sanction.

— Non merci, refusa-t-il.

— Ce n’était pas une proposition.

Astraghar ne bougea pas. Sous le feu grandissant de son ressentiment, quelque chose d’autre était en train de remuer, un quelque chose qu’il n’identifiait pas.

— Vos contrats sont caducs, poursuivit la haute démone d’un air torve. Un délit assez grave en soi pour que vous ne compliquiez pas davantage la situation.

Ses bras se croisèrent en dessous de sa poitrine et pressèrent son buste, telle une ultime tentative pour conserver ses émotions à l’intérieur.

— Un accord est un accord, déclara-t-il. Vous vous perdez en absurdités.

Son interlocutrice fulmina.

— La collecte d’âme est une cause sĂ©rieuse ! En la rĂ©gularisant, le CCD fait vivre les cercles. Je n’appelle pas cela des absurditĂ©s.

Un rire jaune lui échappa.

— L’Enfer s’est construit sans le CCD.

— Et il s’est dĂ©veloppĂ© sans vous ! Asseyez-vous, maintenant.

Astraghar ne s’exécuta pas.

— Les accusations, enchaîna-t-elle avec raideur. Nombreux défauts de contrat, dont plusieurs majeurs : absence de termes clairs quant à la nature du marché proposé, non-respect du format standard, mention du droit de rétractation de l’humain manquante…

— « Droit de rĂ©tractation de l’humain » ? rĂ©pĂ©ta-t-il par automatisme. C’est une plaisanterie !

— Non – preuve que vous ne vous êtes pas renseigné. Bien sûr, c’est un droit factice : des petits caractères le rendent impossible à appliquer. Néanmoins, sa présence est nécessaire afin de rassurer les mortels et de les pousser à signer.

L’Enfer marchait sur la tĂŞte ! DĂ©finitivement. Les ongles d’Astraghar s’enfoncèrent dans la chair de ses paumes. Si les dĂ©mons n’étaient plus en mesure de convaincre leurs proies sans un mensonge Ă©crit noir sur blanc… Un cri silencieux rĂ©sonna sous son crâne.

— Trêve de bavardage, conclut la haute démone. Venons-en à l’essentiel. Puisque vous avez choisi d’ignorer mon avertissement, le CCD saisira votre villa dans les semaines à venir. Vous serez alors relogé au sein d’un quartier plus modeste et, surtout, encouragé à cesser vos activités.

— Vous m’en direz tant…

Son ton devenait tranchant, sourd. Le feu prenait des allures de brasiers ; il n’était pas loin de perdre le contrĂ´le.

— Nous en pensez-vous incapables, Astraghar ?

— Et vous ? rĂ©torqua-t-il, les yeux plissĂ©s. Me pensez-vous inapte Ă  dĂ©fendre ce qui me revient ?

— Vos privilèges n’ont plus lieu d’être et vos anciens exploits ne comptent plus – si exploits il y avait véritablement, étant donné qu’aucun recensement ne peut en témoigner.

Le « quelque chose » remuant en Astraghar cĂ©da ; comme ça, tout Ă  coup face Ă  la remarque – celle de trop. Il plongea dans sa fureur, s’y abandonna sans plus rĂ©flĂ©chir Ă  qui il avait Ă©tĂ© ou aux consĂ©quences. Et soudain, tout fut clair. Incroyablement clair.

Par Satan !

Il n’était pas sorti de sa confortable retraite par ennui refoulé. Encore moins à cause des mots de son cousin. Il avait refait surface parce qu’un point l’avait insidieusement travaillé…

Ah ! Que tout Ă©tait net, Ă  prĂ©sent !

L’insolence tĂ©moignĂ©e par son cousin avait Ă©tĂ© le dĂ©but de ce qu’il devait dĂ©couvrir ; un indice du changement survenu en Enfer en son absence. Sa colère, cette Ă©motion qu’il avait voulu dominer Ă  cause de son passĂ© houleux, n’était pas son ennemie, pas cette fois. Elle Ă©tait lĂ©gitime. Elle et son instinct l’avaient poussĂ© Ă  constater la dĂ©gradation de son « chez lui ».

Les lèvres d’Astraghar s’étirèrent avec avidité. Tandis que la haute démone le défiait par son attitude de protester à nouveau, il sut comment agir…

Le CCD aimait les rĂ©formes ? Parfait. Il allait leur en proposer une dont il ne se relèverait pas !

L’heure était venue de redonner à l’Enfer sa gloire d’antan.


Texte publié par Rose P. Katell, 15 juin 2023
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