Dans la vaste salle d’attente, l’ambiance se voulait de plus en plus pesante. Chaque parent se dévisageait, une flamme d’inquiétude dansant dans leurs prunelles, tandis que les enfants demeuraient bien trop sages à leurs côtés. Adara ignora l’œillade insistante de Clarence. Il était parmi les seuls à se tenir droit, fier et sans ombrage, comme s’il croyait totalement à sa pleine humanité. Des bribes d’incantation filtraient par-delà le bois de la porte. Rapidement, une première famille se retira, l’air soulagé. Le ballet commença, enchaînant les tests. Adara peinait à relâcher la pression. Elle allait forcément attirer l’attention, comme toujours. Azielle posa une main apaisante sur son épaule, bien qu’elle-même n’en menait pas large. Après un temps qui leur parut interminable, la famille Mac’Moore fut appelée.
Lux et son fils Clarence sortait de leur rituel, croisant Alistair et sa famille en coup de vent. Ils prirent malgré tout le moment de les regarder avec dédain, alors qu’Azielle refermait derrière elle. La pièce était vaste. Les grandes fenêtres furent occultées par des voilages noirs. La luminosité tamisée émanait du chandelier illuminé. Un cercle était tracé au centre de l’espace, rempli de sigils et divers symboles qu’Adara tentait de reconnaître. Chaque membre de la Main se tenait à un point stratégique du cercle. Shivansh Manda invita Adara à se placer au milieu. L’enfant s’exécuta, intimidée par l’allure sévère du représentant du Majeur. Svantje convia Alistair et Azielle à rester sur le côté.
— C’est un rituel rapide, une simple formalité, dit-elle d’une voix douce.
Shivansh haussa un sourcil. Il brandit une épée et dessina des symboles sur le sol.
— J’ai cru comprendre qu’elle était spéciale, nous verrons bien ce qu’il en est.
Alistair se crispa. Il avait peu côtoyé le Majeur, mais le peu qu’il voyait ne lui inspirait pas confiance. Il prit une grande inspiration et essaya de garder son calme. Chaque membre de la Main se mit en mouvement. Chacun brandissait un objet différent. Shivansh tenait toujours sa lame, Grimaldi portait un bâton gravé d’écritures curieuses, Svantje éleva un miroir en fer forgé aux arabesques de style art nouveau, enfin Angela fit couler de l’eau de sa coupe en cristal, tandis que Rayel manipulait un voile de soie. Adara serrait ses petits doigts contre ses genoux, sentant une vague d’énergie émerger de sa gorge. Sa vue se troubla. Des picotements vinrent dévorer sa peau, pendant qu’elle vacillait sur ses pieds. La Main se mit à scander dans une langue qui lui était étrangère. Chaque syllabe vibrait comme une cloche retentissante. Les ténèbres prirent le dessus.
Une lune. Un paysage lunaire, aux cratères éparpillés sur le sol gris. Au loin, l’horizon d’une planète violette aux multiples anneaux luminescents. Devant elle, une porte gigantesque, sur laquelle se tenait une créature difforme, recouverte d’un voilage qui lui collait à la peau. Un lourd parfum d’encens remplissait l’espace, qui paraissait infini. Le ciel étoilé, les anneaux, la porte et la créature, dans une vaste étendu sans nom et sans bruit. Puis vinrent les silhouettes, cinq ombres qui l’entouraient sans un mot. Adara regarda ses mains. Sa peau était diaphane, luminescente. De sa gorge émanait une douce chaleur, qui se répandait dans tout son corps. Elle essaya de se lever, mais une voix masculine l’intima de rester assise.
— Ne bougez surtout pas, nous sommes en train de vous scanner.
— Quel étrange paysage, intervint une voix féminine.
Adara crut reconnaître la voix de Svantje.
— Cette porte vient des profondeurs, elle est dangereuse, reprit la voix masculine, d’une voix incisive.
— Non, regardez plus attentivement Shivansh, il n’y a pas que ça.
Svantje pointa du doigt la voûte céleste. Des étoiles filantes dansaient avec les volutes de la Voie lactée. La lumière violette illuminait le ciel, offrant des aurores boréales à l’horizon. Svantje s’approcha d’Adara d’un pas léger. Pendant ce temps, une énergie sombre émanait du portail, ainsi que de la créature enrubannée de limbe. Une vibration contrastée dansait autour d’Adara, un peu perdue face à tout ce qui l’entourait. Svantje reprit la parole.
— Son âme est teintée d’ombre et de lumière, de matière et d’antimatière. Sa douceur ne dépend que de l’amour qu’elle recevra, sa violence de la haine qui la frappera.
— Son énergie vient aussi du Seuil, nous ne pouvons pas la laisser en vie ! s’insurgea Shivansh.
Adara se recroquevilla sur elle-même, tétanisée. Elle ne saisissait pas totalement ce qui se passait, mais l’attitude de Shivansh lui glaçait le sang. Il voulait l’éliminer? Pourquoi? Elle venait du Seuil? Elle ne comprenait plus rien.
Une autre voix jaillit d’une des ombres.
— Shivansh, je pense que le cas est plus complexe. Elle pulse une force qui pourrait nous être bénéfique. Si elle est canalisée, elle sera une alliée de poids contre les créatures du Seuil.
Adara crut reconnaître la voix de Rayel. Shivansh fulminait. Elle voyait sa silhouette s’agiter tout en la pointant du doigt.
— Rien de bon ne peut venir du Seuil!
— Shivansh, l’interrompit Rayel, tu sais très bien que tout dans le Seuil n’est pas mauvais. Les Gardiens, par exemple...
Shivansh se mit à grogner, apparemment à court d’arguments.
— Une engeance de Gardien, voilà ce qu’elle est.
— Les Gardiens sont nos alliés, Shivansh, répliqua Svantje.
Shivansh croisa les bras, dans une attitude presque enfantine. Adara tremblait, serrait ses doigts contre ses bras, écorchant sa peau de ses ongles bien entretenus. Allait-elle mourir? Pourquoi Shivansh s’acharnait à vouloir sa disparition? L’une des ombres s’agenouilla près d’elle.
— Ne t’en fais pas, Shivansh agit avec impulsivité, tout va bien se passer.
Cette fois-ci, Adara peinait à identifier la personne qui venait de lui parler. Les larmes commençaient à perler sur ses joues. Shivansh continuait de fulminer, mais les autres ne semblaient guère s’en soucier. Svantje reprit la parole.
— Elle devra être mise sous surveillance accrue. Si ses parents lui offrent tout leur amour, elle saura défendre notre cause.
Rayel opina à ses propos. Les deux autres se mirent à échanger quelques murmures, pendant des secondes qui parurent éternelles à Adara. Ils finirent par statuer.
— Elle est rare et précieuse, nous devons la laisser en vie, conclut une voix féminine aux accents nordiques.
— Vous le regretterez, marmonna Shivansh.
S’il était impossible de percevoir les traits de leur visage, Adara aurait juré voir un sourire sur la face vaporeuse de Svantje. Chaque membre de la Main se remit en place. Ils incantèrent, faisant graduellement disparaître le paysage étrange qui se désagrégeait dans une vive lumière aveuglante.
Progressivement, Adara émergeait, revenant à la réalité. Elle cligna des yeux, se trouvant allongée au sol, encore une fois. La pièce paraissait toujours aussi sombre, à peine éclairée par les bougies qui se consumaient à grande vitesse. Alistair et Azielle se précipitèrent vers elle. Ils vinrent la relever délicatement, pour la presser tout contre eux avec chaleur. Autour d’eux, chaque membre de la Main se dispersa, certains se rafraîchissant, d’autres s’éventant ou reprenant des forces. Adara serra fortement ses parents contre elles, les larmes aux yeux. À nouveau, ce sentiment de honte la submergea. Elle était une chose horrible, qui ne devait être qu’éliminée. Sans l’intervention de Svantje et Rayel, Shivansh l’aurait froidement exécutée. Son père caressa son visage, cueillant une larme du bout des doigts. Il fronça les sourcils.
— Que s’est-il passé? Pourquoi est-elle en pleurs?
Shivansh s’avança d’un pas décidé vers Alistair. Malheureusement pour lui, il était bien trop petit pour effrayer Alistair... Ainsi sa tentative d’intimidation passait allégrement à la trappe.
— Votre enfant est une engeance de Gardien du Seuil! Je suis pour sa suppression immédiate!
Alistair écarquilla les yeux. Une rage pernicieuse prit possession de ses veines. Tout son corps se tendit, se crispa, lui donnant l’allure d’un fauve prêt à bondir. Shivansh se ratatina, peu amène de son effet. La voix d’Alistair se mit à tonner.
— Ma fille n’est pas une engeance, et si vous touchez un seul de ses cheveux, je vous tue.
Svantje s’interposa vivement entre eux.
— Il n’y aura pas d’élimination, Shivansh est impulsif et agit comme un imbécile. Cependant, elle a un lien entre le Seuil et les étoiles, quelque chose d’unique et d’étrange. Elle sera sous surveillance, mais nous vous invitons à la combler d’amour pour orienter son âme vers la lumière.
Alistair s’apaisa au contact de Svantje. Il vit Azielle du coin de l’œil en faire de même. La fée avait pris un air sauvage, ses cheveux dansant sur ses épaules en un mouvement aquatique. Azielle serra sa fille contre elle, posant son regard sur Svantje.
— Je vous remercie pour cette explication, il est évident que nous la couvrirons d’amour.
L’index, Angela Stuhr, grande Nordique, griffonna quelques notes sur un bout de papier, qu’elle vint tendre à Alistair et Azielle.
— Écoutez, nous avons statué, il n’y a pas de raison pour qu’elle soit...éliminée. Mais venez chaque année à cette adresse, nous vérifierons son évolution régulièrement.
— Si cela garantit sa survie, je suis prêt à tout, répondit Alistair, visiblement soulagée.
Adara, quant à elle, restait perdue. Elle ne lâchait pas les jupons de sa mère, qui la berçait tendrement pour apaiser sa peur. Elle était définitivement une bête de foire, une engeance, bien qu’elle ne comprenait pas totalement ce mot. Elle était la bizarre, l’étrange même parmi les étranges. Cependant, elle allait survivre, vivre auprès de sa famille. Après tant de souffrance, malgré ces ombres au tableau, sa vie prenait un tout nouveau tournant.
Alistair échangea un peu avec les membres de la Main, mis à part Shivansh qui campait sur ses positions et n’approuvait pas la décision globale de l’Inquisition. Adara avait l’impression qu’il était lui aussi un enfant, en colère et imprévisible. Cela ne la rassurait guère de savoir qu’il faisait partie des responsables de son peuple magique. Quelque part, il ressemblait à Clarence, mais en plus impulsif. Heureusement, les autres constituants de la Main compensaient son immaturité apparente.
Enfin, ses parents terminèrent leurs échanges, emmenant Adara hors de cette pièce chargée d’émotions. Plusieurs regards fusèrent en leur direction. Les cris de Shivansh avaient attiré l’attention. Alistair se gratta la gorge et prit la parole face à l’assemblée.
— Tout va bien, c’est à votre tour.
Puis il sortit, invectivant Azielle et Adara à le suivre vers l’extérieur. Après toutes ces émotions, il avait vivement besoin d’un bol d’air frais. Ils rejoignirent les jardins, dont la présence rassurante d’Amélin apaisa instantanément Adara. Amelin rayonnait près d’un rosier. Elle sourit en les voyant et vint à leur rencontre.
— Tout s’est bien passé? demanda-t-elle d’une voix douce.
— Pas vraiment, enfin disons que cela aurait pu mal finir, répondit Alistair
Amelin haussa les sourcils.
— Que s’est-il passé?
Alistair et Azielle racontèrent en détail ce qu’ils avaient compris du rituel. Amelin les écouta attentivement, observant du coin de l’œil Adara qui restait prostrée contre sa mère.
— C’est un cas étrange et rarissime. Un lien entre profondeurs et étoiles...Je vais faire des recherches. En attendant, suivez leurs instructions. J’ai peut-être quelque chose qui pourrait vous aider.
Amelin les invita à la suivre. Elle s’engouffra à l’intérieur, les menant par le même chemin qu’elle avait montré à Adara pour se rendre à son bureau. Adara s’émerveilla à nouveau de toutes les splendeurs qu’elle emmagasinait dans un chaos organisé. Amelin les convia à s’assoir, pendant qu’elle se mit à fouiller dans son bazar ésotérique. Au bout de quelques minutes, elle finit par sortir une petite boîte nacrée, qui émanait d’une énergie douce et vibrante. Elle l’ouvrit et laissa apparaître une sphère brillante, aux reflets opalescents, aux couleurs laiteuses s’entremêlant à une rivière d’ombre.
— Voici un fragment stellaire, venue à la fois des profondeurs et des cimes les plus hautes du ciel. Il est aussi rare que ta nature et pourra t’aider à trouver l’équilibre.
Délicatement, Amelin attrapa la pierre, la tendant vers Adara. La petite avança timidement sa main, saisissant avec religion l'objet qui se mit à lueur à son contact. Une sensation de fraîcheur l’envahit, ainsi qu’un sentiment de déjà vu qui lui rappelait le paysage étrange qu’elle avait perçu lors de sa vision. Cette gemme lui donnait enfin l’impression d’être à sa place. Elle brillait d’un éclat fascinant qui dansait sous la lumière. Amelin lui offrit un doux sourire.
— Comment te sens-tu?
— C’est bizarre, je me sens bien, répondit timidement Adara.
— C’est parfait. Garde-la bien auprès de toi, elle t’aidera à trouver l’équilibre.
Azielle posa une main rassurante sur l’épaule de sa fille.
— Tout va bien se passer, je te promets que nous ferons tout notre possible pour t’aider. Nous t’aimons déjà , tu es notre fille et cela sera pour toujours.
Les larmes montaient à ses yeux. C’était la plus belle chose qu’on ne lui avait jamais dite. Adara fondit dans ses bras. Azielle la serra tendrement contre elle, et elle fut bientôt rejointe par Alistair. Amelin fut émue par la scène. Elle ne pouvait s’empêcher de ressentir de la fierté. Son travail avait permis à cette famille de naître et de s’aimer. L’avenir n’en sera que plus lumineux pour les Mac’Moore. Cependant, elle ne put s’empêcher d’avoir une certaine appréhension. Est-ce que les ténèbres cachées au coeur d’Adara sauront être totalement apaisées par leur amour? Est-ce qu’elle arrivera à dépasser son passé? Seul l’avenir le révélera.

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