Trass se réveilla en sentant une douce chaleur sur son corps. Il ouvrit difficilement les yeux alors qu’une lumière aveuglante l’assaillait. Sa vision floue revint petit à petit à la normale et il vit le ciel bleu au-dessus de lui. Son esprit était confus. Il lui fallut un moment pour retrouver ses souvenirs : il avait été jeté dans le lac Immortel et était en train de mourir de froid. Il ressentait une sensation habituelle, ce n’était plus la faim lancinante du passé qui l’étreignait, c’était un ressenti nouveau, plus profonde, une sorte de vacuité cosmique que même la nourriture ne semblait pas pouvoir combler. Pourtant, le souvenir de la faim physique, celle qui tordait ses entrailles et lui pinçait l’estomac, restait une ombre persistante derrière chaque pensée. Son corps réclamait de la nourriture avec insistance.
Il se leva en sursaut, regardant précipitamment autour de lui.
Il était sur une plage de galets, au bord d’une étendue d’eau claire où différents bateaux à voile pêchaient au filet. Surpris, le jeune garçon ne comprenait pas où il se trouvait ; il aurait dû être sur le lac gelé en train de mourir. Il n’assimilait pas la scène devant lui.
Il tourna la tête, voyant une forêt non loin, la plage et l’eau claire en face de lui. Ses yeux se posèrent sur ses vêtements en lambeaux. Toujours dans un état de confusion, il avança sur le sol instable des galets ronds. Il aperçut un appontement où des pêcheurs semblaient se préparer pour leur travail. Pieds nus, il courut vers ceux-ci.
« Excusez-moi, messieurs ! » dit-il en s’approchant d’eux.
Ils se tournèrent pour voir un enfant crasseux d’environ dix ans, aux cheveux noirs et aux yeux bleu très clair, habillé de guenilles. Autrement dit, un jeune clochard.
« Dégage de là , on est occupé ! » pesta l’un d’eux en le regardant avec dédain.
« Où sommes-nous ? » demanda Trass, gêné sous le regard des adultes le méprisant.
« Où nous sommes ? Tu viens d’où, gamin ? » demanda l’un des hommes en regardant Trass avec suspicion.
« Je… de Corcoil ? »
« Si tu viens de la ville, pourquoi tu demandes où tu te trouves ? Tu vois bien que tu es au lac Immortel, non ? » se moqua un second pêcheur.
« Excusez-moi de vous avoir dérangé », s’excusa rapidement Trass en baissant la taille avant de se retourner et de s’enfuir loin du ponton vers la forêt à proximité.
« Les adultes sont effrayants », se murmura-t-il.
Cette pensée lui sembla fausse, comme si cette sensation était quelque chose du passé. Son esprit semblait juger les événements différemment que dans ses souvenirs. En effet, les adultes n’étaient pas si effrayants. Avant, il avait peur d’eux parce qu’il était orphelin et qu’ils pourraient lui faire du mal, mais maintenant, inconsciemment, il semblait ne pas les considérer comme une menace, comme si quelque chose avait changé.
Il regarda son poing se fermer devant lui, une étrange sensation dans son corps et dans son esprit, mais trop lointaine et confuse pour qu’il puisse mettre un nom sur celle-ci.
« Le lac Immortel n’est plus gelé, accueillant de nombreux pêcheurs. L’homme de tout à l’heure a parlé de la ville de Corcoil, alors que dans mes souvenirs ce n’était au mieux qu’un hameau, un avant-poste vers les terres sauvages », se murmura-t-il pour rassembler ses idées.
Trass ne comprenait pas ce qu’il se passait. Il y réfléchit et put faire quelques déductions, mais des idées trop irréalistes, telles que les choses avaient évolué, qu’il se trouvait dans une dimension différente. Mais ces vraisemblances semblaient trop farfelues. Peut-être trouverait-il quelques réponses en allant au village.
Avec cette idée en tête, il se mit en route sur un chemin, non pas en terre battue, comme il l’avait parcouru tant de fois, mais de pavés taillés dans de la roche. Un chariot, tiré par un bœuf, empli de tonneaux de poissons, le dépassa sur cette route qui semblait être familière mais ; toutefois tellement différente de ses souvenirs. Il continua à avancer en observant autour de lui. La construction de l’accès ne devait pas être récente, des mauvaises herbes poussaient entre les pavés, les abords de la forêt étaient éclaircis et élagués.
Il arriva devant des murs lisses d’une dizaine de mètres de haut. Son cerveau traitait l’information tout en continuant sur la route et il vit l’entrée de la ville avec un gigantesque écriteau dont il reconnut les lettres qui symbolisaient « Corcoil », au-dessus de l’ouverture de cinq ou six mètres de large, surveillée par quatre gardes habillés d’armures de cuir renforcées de plaques de fer et armés de lances, surveillant les entrées et sorties de la cité de manière décontractée.
Trass passa devant l’un des gardiens qui le regarda de la tête aux pieds en faisant claquer sa langue, le regard méprisant, mais le laissant entrer dans la ville sans plus prêter attention à l’enfant. Elle semblait immense, des bâtiments à trois étages bordaient la route principale, les gens s’activaient tout autour, des carrosses se déplaçaient dans la rue tandis que des gardes par deux patrouillaient ici et là .
Observant autour de lui avec curiosité, une odeur riche et alléchante lui frappa les narines, forçant son estomac à gargouiller malgré lui. La faim, cette vieille compagne, se réveilla avec une acuité nouvelle. Sur un étal de rue, un vendeur retournait des brochettes de viande grillée sur un brasero. La viande, d’un brun doré, luisait de gras caramélisé, et l’odeur épicée du fumet s’enroulait autour de lui. Trass sentit sa salive s’accumuler, les yeux rivés sur les morceaux juteux. Il n’avait jamais vu une telle abondance, ni un tel festin à portée de main, même s’il savait que ce n’était pas pour lui.
Il se détourna malgré sa faim consumant qu’il ressentait
Il avança le long de la rue, se posant des questions. Était-ce vraiment son lieu de naissance ? Il se souvint de l’orphelinat, ou plutôt la maison de vieille dame qui accueillait les orphelins des alentours. Il chercha son chemin et s’engouffra dans une ruelle dans la direction approximative de ses souvenirs. Des habitations assez luxueuses l’entouraient, il ne reconnaissait rien. Et le docteur qui lui donnait du travail ? Il se mit à courir dans la direction de chez le médecin et se retrouva face à un grand bâtiment de quatre étages, un écriteau avec des lettres qu’il ne comprenait pas était affiché au-dessus de l’entrée. En tant qu’orphelin et membre de la plèbe, il n’avait jamais appris à lire, reconnaissant quelques mots comme le nom de son village, car il le voyait souvent à l’époque et savait ce qu’il signifiait.
« Que se passe-t-il ? » se demanda-t-il à haute voix alors qu’il continuait à regarder autour de lui, l’air abasourdi.
Deux gardes s’approchèrent.
« Hé, gamin, ne fais rien d’illégal ici, sinon on t’emmènera au tribunal et tu deviendras esclave ! » dit l’un d’eux en le regardant avec méfiance.
« Retourne au bidonville si tu ne veux pas de problèmes ! » annonça le second en lui montrant une direction, son regard empli de mépris.
« Je suis désolé, je m’en vais tout de suite ! » s’excusa Trass en s’enfuyant dans la direction indiquée par le garde.
Un bidonville ? Il se souvient que son village n’avait qu’une quinzaine de huttes de chaume, mais maintenant tout était si différent : des bâtiments luxueux, des routes pavées, des centaines de citoyens qu’il avait vus durant sa courte exploration et maintenant un bidonville ?
En suivant la rue, l’ambiance devint différente, s’appauvrissant. Les maisons n’avaient plus qu’un étage et leur qualité architecturale ainsi que leurs matériaux semblaient se dégrader au fur et à mesure de son avancée. Il arriva finalement au bidonville, les habitations, si l’on peut appeler celles-ci ainsi, étaient faites de matériaux de récupération dépareillés, toutes plus petites les unes que les autres. Des habitants étaient assis à même le sol au bord d’une route de terre battue, les yeux hagards et sans vie. Des cris et disputes pouvaient être entendus à travers les murs sans consistance de ce nouveau lieu qu’il découvrait.
Trass observa autour de lui tout en supportant l’odeur nauséabonde qui recouvrait le secteur, un peu comme des latrines que l’on n’a pas nettoyées depuis une décennie. Il n’y avait rien ici pour lui. Les citoyens des bidonvilles, du moins ceux qui avaient encore un peu de vie dans leur regard, l’observaient avec méfiance, dédain, pitié voire cruauté.
Ses parents étaient bûcherons et avant que la tragédie ne les emporte, ils vivaient en forêt. Il lui sembla qu’il serait plus en sécurité là -bas que dans ce lieu où il avait l’impression de pouvoir se faire rosser à tout moment. Il fit demi-tour et retourna vers l’entrée de la ville.
Seulement, le soleil avait baissé et les portes étaient closes. Il ne pouvait plus sortir de la ville. Le regard des gardes empli de suspicion tomba sur lui. Il ne ressentit pas d’autre choix que de retourner dans le bidonville et se cacher pour la nuit, pour éviter d’avoir des problèmes.
Il se faufila entre les bâtiments de fortune pour trouver un coin où il pouvait se cacher et rester loin des yeux des adultes. Installé entre deux murs de bois qui séparaient les habitations, Trass s’assit au sol en soupirant, essayant de faire le point sur tout ce qui lui arrivait. Son estomac se tordait de faim, une faim familière et pourtant plus profonde que jamais.
Il soupira essayant de détourner son esprit de cette sensation brulante.
La ville plus grande et semblant être pleine de vie, le lac qui n’est plus gelé… Serait-ce vraiment une autre dimension ? Comment avait-il fait pour arriver ici ? Et, que doit-il faire maintenant qu’il est seul sans connaissance dans un monde qui lui est inconnu ?
Fermant les yeux pour se reposer, ruminant ses questions existentielles, il entendit des bruits de pas s’approcher de sa cachette. Il ouvrit rapidement les yeux, apercevant une lumière dansante d’une torche. Il s’enfonça entre les deux murs pour se dissimuler dans l’ombre de la nuit. Un homme se pencha dans l’ouverture et sourit brillamment.
« Le rat est là les gars, on fait comme prévu, ne l’abîmez pas trop, on pourra le vendre au vieux Gribon, il adore les petits garçons », dit-il en regardant l’enfant tremblant dans l’impasse.
« Viens là , gamin, on n’va pas te faire de mal. » continua-t-il en tendant la main pour l’attraper.
Trass, voyant la main d’adulte s’approcher de lui, se souvint, malgré lui, de la poigne qui l’avait attrapé par le cou et jeté dans le lac Immortel. Il trembla de tout son corps, incapable de penser à autre chose. Cette pensée était « Je vais mourir ! » Il voulait vivre, il devait survivre, plus jamais face à la mort gelée et froide qui était encore gravée profondément dans son esprit. Il devait fuir, courir pour sa vie !
Son corps tremblait comme une feuille au gré du vent dans une bourrasque d’hiver précoce. Il cria et se mit à courir en donnant un coup de poing devant lui. Il devait fuir tout de suite.
Les cinq hommes regardèrent l’enfant hurler et se jeter sur leur chef, le poing fermé. Ils ricanèrent, que pouvait faire un merdeux contre un adulte au troisième niveau humain ?
Et un liquide chaud les éclaboussa. Leur chef avait un trou dans la poitrine et son corps tomba lentement tandis que le gamin courait pour sa vie loin d’eux. Les cinq criminels restèrent bouche bée pendant un moment avant de comprendre ce qui venait de se passer : l’enfant maigre et pauvre, ne ressemblant à rien, avait tué un rang 3 du domaine humain en un seul coup ? Ils déglutirent en regardant la direction où le gamin était parti avant de s’enfuir loin de la scène du crime et surtout loin de son chemin.
Trass, toujours dans un état de panique, ne se rendant pas compte d’avoir tué un de ses agresseurs, courait dans la rue malodorante du bidonville. Des larmes coulaient de ses yeux, il devait fuir le plus loin possible de ces adultes ! À force de courir et n’avoir que cette pensée en tête, il arriva au bout du bidonville où se dressait le mur de la cité qui séparait l’extérieur de l’intérieur. Il n’y avait plus d’issue, se sentant dans un coin. Toujours en état de panique, Trass regarda autour de lui pour trouver un passage salvateur, il devait s’enfuir, uniquement fuir pour sa vie.
Et, avançant d’un pas dans une direction quelconque, il sentit un léger vertige, se retrouvant sur une plaine d’herbe, le soleil brillait dans le ciel alors qu’à l’instant il faisait encore nuit. Il regarda autour de lui, mais ne vit personne, pas d’êtres humains juste la végétation verte. Trass souffla, calmant son esprit, même s’il ne savait ce qui s’était passé, au moins les adultes n’étaient pas là . Malgré lui, il s’écroula de fatigue tandis que le stress diminua. Allongé par terre sur le matelas d’herbe, il perdit doucement conscience, s’endormant de cette étrange journée.

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