Le petit robot avance dans le froid glacial. Le regard fixé sur l’horizon de la neige et de la glace. Un ciel bas et lourd. Le vent qui siffle et qui le secoue. Mais la petite créature continue son périple. Sur le métal rouillé qui protège son cœur et son cerveau de rouages s’accrochent des plaques de givre.

Ses yeux noirs et ternes sont fixés droit devant lui. Entre ses mains, serrée contre son torse, il tient une étoile qui étincelle légèrement. Petite étoile dorée, dont la lumière clignote et se bat vaillamment contre l’obscurité de l’hiver.

Les ordres de son humain, gravés en lui, résonnent inlassablement : « Suis la clochette, mon petit Rouage. Emporte l’étoile là où elle doit se rendre, là où les cloches retentissent ». Dès qu’il a quitté le chalet isolé de l’inventeur, il a capté le faible tintinnabulement porté par le vent hurlant. Il file à sa poursuite, courant sur la neige glissante, et toujours le son le guide. De plus en plus fort. De plus en plus clair. Joie et légèreté chevauchant les ailes du vent. Rouage perçoit des images, des scènes dans cette clochette agile, qu’il ne comprend pas, mais qui lui semblent plaisantes. Son cerveau reconnait des pains d’épices, des sucres d’orge, des lutins qui dansent, d’autres qui travaillent, des décorations scintillantes.

Au bout de ce qui pouvait être des heures, une journée peut-être — mais Rouage ne s’intéresse pas au temps, seulement à l’étoile recroquevillée contre lui et à sa mission —, il descend une courte pente et se fige. La cochette est tellement limpide dans cet endroit. Il remarque que le vent ne souffle plus. Un calme surnaturel règne, comme si un dôme transparent recouvrait l’endroit. Ses rouages se réchauffent.

— Nous y sommes, petite étoile, murmure-t-il de sa voix cabossée.

Il regarde autour de lui, cherche le réceptacle de la précieuse étoile qui s’est perdue près de la maison de l’inventeur, un jour de tempête. L’étoile de Noël, lui a-t-il dit. Celle qui doit réveiller le seigneur du Nord, le souverain de Noël.

Ses yeux se posent sur une tige solitaire, un peu tordue et frêle qui perce à travers la neige. Il s’avance jusqu’à elle et perçoit haut et fort, le chant de la clochette. Dans un crissement de métal gelé, il sourit.

— Je crois que tu es arrivée à destination, mon amie.

Il pose l’étoile en haut de la tige. Le doux scintillement de l’astre devient lumière, puis brillance, décorant la neige d’un éclat doré. Rouage recule, émerveillé. La tige s’épaissit et grandit à une vitesse vertigineuse. Dans un craquement, des branches jaillissent et se couvrent d’aiguilles d’un vert profond : la pauvre tige devient un sapin gigantesque, au sommet duquel trône l’étoile égarée.

Un autre son retentit et s’enfle. Rouage tourne sur lui-même. Non, pas un son, mais une multitude : d’innombrables clochettes, et des rires, des chants. Autour de lui, le décor uniforme et sombre change. Dans une lumière douce et chatoyante, des silhouettes se précisent de seconde en seconde : des chalets aux toits de bois recouverts de neige, une fontaine d’où jaillissait de l’eau vive et un immense palais au loin, tours de glace et de cristaux. Rouage se déplace un peu pour mieux voir. Il distingue du mouvement, des silhouettes sortent des maisons et s’attroupent autour de lui. Du groupe de lutins et de lutines en habits rouges et verts, des murmures joyeux se mêlent au vent qui s’est apaisé. Les petits êtres admirent l’immense arbre, en le pointant du doigt.

— Tu as accompli un vrai miracle, fait une voix grave juste derrière Rouage.

Le petit robot se tourne et lève les yeux : un homme immense, au regard aussi profond que les gouffres glacés, aux traits altiers, à la barbe grisonnante, le fixe avec gratitude.

— Sans toi, nous n’aurions pas pu revenir dans ce monde pour Noël. Je te remercie, petit robot.

L’homme s’agenouille et lui tend la main. Rouage pose sa petite main rouillée dans celle du souverain.

— Tu es le bienvenu ici, aussi longtemps que tu le voudras. Et demande-moi ce que tu veux : je te l’offrirai.