Hélios aurait voulu se retrouver seul un moment pour faire le point, même s’il savait qu’Aurora l’attendait dans son Repère. Heureusement, elle était assise en lotus, les yeux clos, et ne sembla pas remarquer son retour. Soulagé, il s’installa lui aussi, à bonne distance. Il pourrait digérer ce qu’il venait de subir et retrouver une contenance après cette éprouvante conversation.
Il cessa un instant de maintenir l’Illusion Permanente de son halo lumineux pour recouvrer un peu d’énergie. La maintenir était épuisant, surtout lorsqu’il avait trop d’éléments à gérer. Ses pensées dérivèrent vers Ignus, maître en la matière. Lucien ne lui avait appris que les bases dans ce domaine, lui reprochant à chaque fois de préférer masquer ses émotions plutôt que d’apprendre à les contrôler.
Il observa silencieusement Aurora, se demandant ce qu’elle était en train de mijoter. Qu’est-ce qui l’avait poussée à agir ainsi ? L’avait-elle réellement pris en pitié ? Encore une pensée négative qu’il chassa aussitôt. Elle paraissait sincère et inquiète pour lui. La question que Lucien lui avait posée le taraudait.
« …connais-tu les conditions nécessaires pour pouvoir partager sa Lumière ? »
Avait-elle pu apercevoir les Ombres qui le rongeaient ? Lui avait-elle prêté de sa Lumière pour l’aider à les combattre ? Il ne comprenait pas ce que son mentor avait voulu insinuer… Si celui-ci avait eu un doute quant à la présence de ténèbres en lui, il l’aurait immédiatement fait comparaître et condamné, tout comme Ignus. Aucun traitement de faveur ne lui aurait été accordé. De cela, il en était certain.
Il s’en voulait de n’avoir pas pensé à se défaire de la Lumière d’Aurora avant de partir. Désormais, Lucien était au courant de leur connivence. De plus, il avait visiblement perdu sa confiance, ce qui allait sérieusement lui compliquer la tâche. Pourtant, sans cette Lumière, il n’était pas sûr qu’il aurait pu cacher aux yeux du Protecteur de la Lumière la noirceur qui s’emparait lentement de lui.
Aurora fronça légèrement les sourcils, ce qui le fit sourire. Elle était encore plus craquante avec sa petite moue concentrée. Il regretta un instant de l’apercevoir de moins en moins distinctement à mesure que sa propre Lumière se ternissait. Cette pensée lui permit de trouver le courage de repousser un peu plus les Ombres qui l’assaillaient continuellement.
Il ne s’approcha pas, continuant de l’observer, reformant son Illusion pour ne plus rien laisser transparaître. Soudain, elle sourit à son tour, les paupières toujours closes. Il ne sut si c’était ce qu’elle était en train de faire ou si c’était sa propre réaction, mais l’endroit s’éclaira d’un seul coup et il en fut surpris.
— Tu as voulu changer la déco, ma Petite Luciole ?
Elle ouvrit brusquement les yeux, surprise et mal à l’aise, se levant précipitamment. Ce surnom… Elle ne l’avait pas entendu depuis ce qui lui semblait être une éternité. Une sensation étrange de confusion chaleureuse l’envahit, confirmant à quel point la présence d’Hélios lui avait manqué. Pourtant, c’était bien elle qui avait choisi de mettre un gouffre entre eux.
— Tu es là depuis longtemps ? demanda-t-elle, évitant soigneusement le regard de son ami.
— Non. J’ai été retenu.
— Lucien…
— Exact.
Devait-il l’informer que Lucien était au courant ? Il hésita. De toute façon, elle le comprendrait bien assez tôt. Une nécessité plus urgente s’imposait pour l’instant. Il se leva à son tour, s’approcha et prit la main d’Aurora entre les siennes, mais elle la retira derechef.
— Je voulais juste… commença-t-il à se justifier.
— C’est bon je sais… Tu devrais la garder… au moins encore un peu.
Le doute n’était plus permis : elle savait. Aurora avait perçu que la noirceur de son Repère n’était que le reflet de sa déchéance. Son art de la dissimulation n’avait pas suffi. Que pensait-elle de lui, à présent ?
— Je vais mieux, maintenant, affirma-t-il de la manière la plus convaincante possible.
Combien de temps tiendrait-il encore sans cette aide précieuse ? Dans tous les cas, ce choix s’imposait, après ce que son mentor avait suggéré : aucun risque n’était acceptable à ses yeux pour sa jolie Luciole. Il réitéra donc son geste et sentit lentement la Lumière s’échapper pour retourner à sa propriétaire. Le processus s’acheva sans encombre.
À son expression, Hélios constata qu’elle désapprouvait totalement. Elle le scrutait désormais comme si elle le soupçonnait d’avoir sur lui une bombe qui pourrait exploser à tout moment.
— Je suis innocent, je le jure ! plaisanta-t-il en levant les mains, reculant d’un pas.
— Tssss…
Aurora secoua la tête avec un petit sourire, soulagée de ne rien remarquer d’anormal, puis elle croisa le regard d’Hélios. Elle baissa immédiatement les yeux, gênée, parce qu’à cet instant, il ressemblait tant à l’image qu’elle s’était forgée un peu plus tôt.
— Il faudra que tu m’expliques ce tour là … et comment as-tu fait pour raviver la flamme de ce lieu ? la taquina-t-il, curieux.
Si elle avait pu rougir, elle aurait certainement été écarlate. Pourquoi réagissait-elle ainsi ? Après tout, elle n’avait fait que s’imaginer son portrait… Pourtant, elle se sentait honteuse de lui raconter ça.
— Je ne sais pas…
— Tu es gênée parce que tu as eu l’impression de fouiller dans ma tête… devina-t-il.
— Je suis désolée… Je n’aurais pas dû faire ça…
— Ne t’en fais pas, le résultat en valait la peine, mais j’espère que tu n’as rien vu de compromettant !
Son humeur enjouée, en apparence, masquait à quel point il était terrorisé à l’idée de ce qu’elle avait pu découvrir. Que savait-elle, désormais ?
Aurora avait effectivement été interpellée par certains éléments qu’elle aurait aimé clarifier avec Hélios. Toutefois, elle ne voulait pas le brusquer. Et cette image idéalisée d’elle qui prenait beaucoup de place dans son esprit tourmenté… Cette pensée l’embarrassa davantage.
— Arrête… Je… hésita-t-elle.
Il lui lança un regard interrogateur. Alors elle se jeta à l’eau, sans réfléchir plus.
— Tu étais là … quand Ignace est parti ?
Elle cru voir l’aura d’Hélios vaciller légèrement. Son visage se rembrunit d’un seul coup et il détourna les yeux. Cette question s’avérait bien trop directe ; elle devrait se montrer plus prudente dans le choix de ses mots.
— Oui, répondit-il simplement.
Lucien avait tenté de joindre immédiatement Hélios après qu’il fut parti, sans succès. Des barrières de protection étaient érigées autour du Repère de ce dernier, sûrement de manière inconsciente. Il s’en voulait parce qu’il y était allé un peu fort pour tester son disciple, déformant éhontément la vérité, le poussant dans ses retranchements. Il avait voulu le brusquer un peu pour lui ouvrir les yeux et pour tenter de comprendre son but.
Hélios paraissait sincère dans sa volonté de sauver son ami, quel qu’en fût le prix. Aurora lui avait prêté sa Lumière, qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce même volontaire ? Son apprenti se sentait-il coupable au point d’avoir succombé aux Ombres ? Cela lui semblait improbable. Sa Lumière était si puissante ; il ne pouvait pas avoir sombré si facilement. Alors pourquoi ?
Chassant ces idées parasites de son esprit, il se rassura comme il le pouvait : si Aurora avait pu entreprendre cela, c’est qu’ils s’étaient réconciliés. Elle ne laisserait pas son apprenti faire n’importe quoi. À moins qu’elle n’approuvât le choix de celui-ci… auquel cas il pourrait ajouter une erreur à sa liste qui était déjà bien trop longue.
Lucien rejoignit son Repère. Il était temps d’agir pour tenter de réparer ce qui pouvait encore l’être. Une autre idée trottait dans son esprit depuis un moment. Il était temps qu’il la mît aussi à exécution. Il ferma les paupières, puis fit le vide. Il rechercha la présence de celui qu’il voulait joindre, le lien ténu qui le reliait encore à lui. Contrairement à ce qu’il avait prétendu devant Hélios, Ignus existait encore. Ce lien en était la preuve. Au prix d’une immense concentration, il parvint à établir un contact.
— Bonjour Ignus.
…
— Je sais que tu m’entends, Ignus.
— Tu sais bien qu’Ignus a été détruit, vieille branche. Appelle-moi Ignace, si tu veux discuter, ou sors de ma tête.
— C’est faux, je sais que tu es encore là , sinon je n’aurais pas pu communiquer avec toi. Sais-tu que Lumnia est au bord de la guerre par ta faute, Ignus ?
— Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Lumnia ne m’intéresse pas, pas plus que toi. Laisse-moi tranquille, je n’ai rien à te dire.
— Il faut que tu arrêtes, Ignus, sinon tu seras la cause de la destruction de tout ce qui existe. Tu es en train de devenir un Dévoreur d’Ombres…
— Je me fiche bien de savoir ce qui peut arriver aux Mondes, Lucien. Au fait, comment va ton cher disciple ? A-t-il déjà rejoint les rangs de Tenebrae ?
…
— Oh… Tu ne sais pas ? Il est plus fort que ce que je pensais s’il a réussi à s’en sortir tout seul… Je pensais qu’il allait ramper pour te demander de l’aide après ce que je lui ai fait subir. Il a même réussi à te cacher tout ça ! Tu as eu raison de le choisir lui, il apprend vite.
— Hélios est bien plus doué que tu ne le crois…
— Dommage pour lui que j’aie raté mon coup ! Il doit souffrir le martyre, pauvre petit… Il ne tardera certainement pas à suivre mes pas, sois en sûr. Et la belle Aurora ? À force d’essayer de maîtriser ses sentiments comme tu le rabâches sans cesse, elle a fini par se mentir à elle-même… Ils me font pitié, tes deux petits chouchous. Ne me dit pas qu’il sont ensemble, en ce moment ? Ce serait tellement tragique…
Lucien ouvrit brusquement les yeux, vidé. Communiquer d’un Monde à l’autre s’avérait complexe et éreintant. Bouleversé par ce que venait de lui apprendre Ignace, l’urgence imposait absolument qu’il rejoignît Hélios. Malheureusement, il ne réussissait toujours pas à le joindre dans son Repère. Il se trouvait avec Aurora… et si Ignace lui avait dit la vérité, il était dangereux. Les conséquences pourraient être désastreuses s’il sombrait maintenant.
Lucien perdait rarement son sang froid. Pourtant, il se trouvait impuissant. Comment cela avait-il pu se produire ? Qu’avait fait Ignace, exactement ? S’il avait bien compris, ce dernier avait tenté de détruire Hélios, mais n’avait fait que le blesser. Seulement, le Protecteur de la Lumière ne connaissait que trop bien les effets d’une blessure infligée par les Ombres. Son disciple n’avait aucune chance de s’en sortir sans aide. Comment avait-il pu lui dissimuler ça ?
Une autre évidence le frappa tout à coup. Cette manière de parler, ce ton… Ignus n’avait pas pu en arriver là tout seul. Il aurait dû y songer plus tôt.
Il fit apparaître l’ambiance sombre de Tenebrae sur un écran diaphane. Le visage anguleux de Donovan apparut, avec son sourire narquois.
— Tiens… Lucien, que me vaut l’honneur ?
— Tu as dépassé les bornes, Donovan.
— Mmmmh ? Je ne vois pas de quoi tu veux parler… C’est bien un de tes petits protégés qui a transgressé les règles du Traité, ou bien ai-je mal compris ? répliqua-t-il sur un ton faussement offusqué.
— Je suis certain que tu n’y es pas étranger. Tu ne lui avais pas déjà assez fait de mal comme ça ? Je crois que je sais, maintenant, comment Ignus a pu retrouver ses souvenirs d’avant…
Donovan éclata d’un rire mauvais. Il savait bien que les Ombres ne pouvaient exister sans Lumière, mais il se délectait de pouvoir affaiblir celle-ci à la moindre occasion. De plus, il ne pouvait laisser planer la menace que représentait le nouveau disciple de son éternel ennemi.
— Où est-ce que tu veux en venir ? Tu n’as aucune preuve de ce que tu avances, mon vieil ami. Désolé mais cette fois c’est moi qui mène la partie ; il me semble bien que tu es en échec, pas vrai ? Ton petit couple ne fait pas bon ménage… et si ce n’est pas lui qui la détruit, c’est elle qui finira par se charger de lui.
Lucien ne répondit rien. Ses yeux lançaient des éclairs. Qu’est-ce que son rival voulait-il insinuer ? Comment pouvait-il en savoir autant ?
— Si tu as dérogé au Traité en agissant sur Lumnia, je finirai par le prouver. Tu ne perds rien pour attendre, Donovan, finit-il par conclure d’un ton courroucé avant de couper la communication.
— Léo…
— Oui, Lucien ?
— J’ai besoin de toi immédiatement.
— Bien.
Lucien n’eut pas à attendre longtemps l’arrivée de son ami. Il savait qu’il pouvait compter sur sa loyauté sans faille, et regrettait d’en avoir sans doute abusé ces derniers temps. D’ailleurs, il put percevoir clairement les interrogations et les incertitudes du Guérisseur lorsque ses yeux sombres croisèrent les siens.
— Me voici.
— Je dois rassembler mon énergie au maximum, reste à proximité et préviens-moi s’il arrive quoi que ce soit.
— Bien… Est-ce qu’il y a autre chose que je dois savoir ?
Léo avait gardé un ton froid ; Lucien devrait discuter avec lui dès que possible. Cependant, l’urgence imposée par la situation l’en empêchait pour l’instant.
— Oui, si jamais tu croises Hélios, ne traîne pas dans les parages et préviens-moi immédiatement.
À cette dernière injonction, son ami ne masqua pas sa surprise mais acquiesça silencieusement.
— Je fais au plus vite, termina Lucien en disparaissant dans son Repère.

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