21. Recognition

Jeudi 22 mai 2070 - Marseille

Sept jours. Sept jours se sont écoulés sans aucune nouvelle d’Adara. La date du prochain tournoi est tombée hier et je bous d'impatience. Toutefois, je voudrais que ce soit elle qui fasse le premier pas, cette fois.

Pas sûr que je puisse attendre aussi longtemps…

Mon inquiétude a repris le dessus après quelques nuits plus tranquilles. J'ai peiné à fermer l'œil. Je m’extirpe seulement du lit alors que le soleil brille déjà haut dans le ciel. La chaleur devient suffocante à mesure que l'été approche.

Jay me lance un salut distrait quand je me pointe dans notre pièce à vivre. Je l'ai convaincu que nous devions prendre plus de temps afin d'élaborer notre plan en le baratinant à propos de la sécurité matricielle. Il a râlé un peu, néanmoins mon ami m’accorde assez sa confiance pour ne pas poser plus de questions. Je me fais couler un café avant de m’affaler à côté de lui sur le canapé.

– Tiens, t'as vu ça ? m'apostrophe-t-il. La fille de Johnson s'est fait enlever. Y a pas tout le monde qui a tes scrupules !

– Qu'est-ce que j'en ai à faire de…

Mon cœur s'emballe tout à coup.

– Attends, quoi ?

Je me redresse sur le sofa et arrache son comtech des mains de Jay.

Sa fille…

– Hey ! Qu'est-ce qui te prends !?

Son portrait me fixe. Son visage s’est affiné, mais je la reconnais sur le champ. Malgré le petit sourire qu'elle affiche sur ses lèvres pulpeuses à souhait, je peux lire sa mélancolie dans son magnifique regard ambré aux nuances de jade et sur les doux traits de son visage hâlé.

Dynah Johnson…

Une sensation vertigineuse m'envahit.

– Mec, tout va bien ? s'inquiète Jay. T'es pâle comme un cul d'un coup !

Une conversation lointaine me revient, comme une claque en plein visage :

“ – Pourquoi tu t'en prends pas à sa famille ? Œil pour œil…

– Je suis pas ce genre de type ! Je ne vais pas me rabaisser à son niveau. Lui seul mérite de souffrir.

– T'es sûr que tu veux pas jeter un œil ? Il a une fille plutôt canon, à peu près ton âge, peut-être que tu pourrais la séduire pour…

– Jay ! T'es vraiment irrécupérable !”

Je serre les dents tandis qu'une déferlante d'émotions contradictoires s'abat sur moi. J'ai occulté toutes ces informations. Je ne voulais pas me souvenir qu’elle était la fille de l’homme responsable de ma déchéance.

Oh, Dynah…

Je laisse échapper un flot de jurons en crescendo. Est-ce un piège ? Non. Ils n'ont rien en commun, mis à part ce lien du sang. J'en suis persuadé, surtout maintenant que je l'ai retrouvée. Ses réactions, ses craintes… Si elle m'a caché son identité, c'est parce qu'elle était terrifiée.

Elle avait juste peur que je l'abandonne à nouveau…

Je ferme les yeux et inspire profondément pour tenter de calmer mon souffle et mon rythme cardiaque.

– Sérieux, t'as fait quoi cette nuit ? Tu veux un verre d'eau ?

Je parcours nerveusement l'article en ignorant les interrogations de Jay, accaparé par les pensées qui défilent trop vite dans ma tête. Elle est introuvable depuis plus de quarante-huit heures, selon sa gouvernante… Nina ! Je tente de maîtriser tout ce flot continu qui m'assaille pour me concentrer sur la suite. Les témoignages sont contradictoires. Un avis de recherche international a été lancé. J'envisage le pire. Et si Johnson était lui-même l'instigateur de ce kidnapping ? Il serait bien capable de porter atteinte à sa propre fille, voire de la faire disparaître après son affront… Je frissonne en lisant son discours débité avec emphase.

Il est peut-être déjà trop tard.

– Mais enfin Rev, dis quelque chose, tu me fous les j’tons !

– Il faut qu'on la retrouve.

– Heeein !? T'es fada ou quoi ? T'as bu quoi ? T’as pris quoi ?

Je me lève brusquement sans lui donner de réponse, lui balançant son appareil qu'il rattrape de justesse. J'ai l'impression que mon crâne ne va pas tenir le choc.

Il faut que je me calme…

– Je vais courir.

Jay se place immédiatement devant la porte, les sourcils froncés.

– Tu crois vraiment que j’vais te laisser partir dans cet état, sans rien m'expliquer ?

Je soupire bruyamment. Bien sûr qu'il a besoin d'explications. Je ne peux pas le laisser sur le carreau.

– Viens avec moi, si tu veux. Je t'expliquerai en chemin. Mais là j'ai besoin de courir. Tout de suite.

– Ok. Je t'accompagne, consent-il avec réticence.

Je reste muet tandis que je prends machinalement mon itinéraire habituel. Il fait bien trop chaud pour un jogging, en réalité. Ça m'est égal. Jay n’a pas couru avec moi depuis un bail. Je sens la frustration qui émane de lui devant le silence que je lui impose. Il va falloir que je dise quelque chose avant qu’il n’explose littéralement.

– C’est elle.

– Mais encore ?

Je sens à quel point il fait l’effort de se contenir. Je savais qu’il pouvait être patient, cependant j’admire son calme apparent. Peut-être que la course lui demande trop d’effort.

– La fille de la matrice. C’est elle.

J’entends presque les rouages de son cerveau se mettre en branle. Il commence déjà à s’essouffler.

– Donc… Arrête-moi si j’me trompe… T’as le béguin pour la fille de Johnson… gladiatrice à ses heures perdues ?

– C’est à peu près ça. En un peu plus compliqué.

– Tu t’es décidé à suivre… le plan que j’t’avais proposé… je sais même plus quand ?

Sacré Jay. Je ne peux pas m’empêcher de sourire malgré la gravité de la situation. Il souffle comme un bœuf, à présent. Aussi, je ralentis l’allure.

– Non. Je la connaissais, avant.

– Oh… T’as retrouvé la mémoire et tu m’as rien dit ?...

Il a stoppé sa course sous le coup de la surprise. L’angoisse que je perçois dans son ton me laisse perplexe. Me cache-t-il quelque chose, lui aussi ? Ce n’est pas ma priorité pour l’instant. Néanmoins, je garde cette possibilité dans un coin de mon esprit déjà bien encombré.

– Et donc… reprend-il en me rattrapant tant bien que mal, tu comptes faire quoi… exactement ?

– Je ne sais pas encore, mais je ne resterai pas les bras croisés. Je compte bien lui venir en aide.

– C’est pas pour... jouer les rabat-joies mais… Je pense que Johnson... a tous les moyens possibles et imaginables... de la retrouver sans notre aide, hein !

– S’il le veut bien, oui.

– Pourquoi il voudrait pas... retrouver sa fille ?

– Parce qu’elle est dans notre camp, Jay.

Il s’arrête encore une fois. Je n’ai pas envie de rentrer dans les détails, aussi, je poursuis sans l’attendre. Malgré sa fatigue évidente, il parvient à revenir à ma hauteur.

– Finalement… c’est peut-être bien elle… qui a mis ce foutu plan à exécution !

– Fous-moi la paix. Je sais ce que je dis.

– Arrête-toi… Faut qu’on cause… sérieusement !

Je l’ignore et accélère. Je lui lance, pour la forme :

– On se retrouve à l’appart dans une heure !

Je l’entends me traiter de jolis noms d’oiseaux tandis que je me dirige vers ma planque secrète. Ce local caché au fond d’une ruelle, même Jay n’a aucune idée de son existence.

Le grincement habituel de la porte ne me surprend pas quand j’y entre. Au milieu du fouillis, je m’assois sur le canapé-lit. Je respire profondément pour tenter de calmer les battements de mon cœur malmené et entreprends de plonger dans la matrice.

La rivière m’accueille de son gazouillis apaisant. Lorsque je m’approche, j’aperçois immédiatement la petite plume bleue accrochée à la berge, flottant au gré de l'onde limpide.

Elle m’a laissé un message… Pourvu que je puisse y trouver un indice !