Mardi 27 mai 2070 - Marseille
Jay ne s'est pas épanché sur sa mésaventure. Il m'a vaguement parlé d'une ancienne querelle. Il se serait interposé entre deux camps et en aurait fait les frais. Je me contente de sa version édulcorée, même si je ne lui cache pas ma frustration et mon inquiétude.
Je suis aussi préoccupé par les sous-entendus de Fanny qui tournent en boucle dans ma tête depuis ces deux derniers jours. Je n'ai pas voulu brusquer Jay qui se remet lentement mais sûrement de sa blessure. Néanmoins, demain, tôt dans la matinée, prendront place les combats des Gladiateurs Matriciels dont l’issue me paraît incertaine. Alors, ce soir, je n'y tiens plus et finis par craquer.
– Jay… Ça fait longtemps que j’ai envie de savoir, mais je n’ai jamais osé te poser la question. Qu’est-ce qu’il s’est passé exactement, il y a dix ans ? Je veux dire, tu m’as sauvé la vie, mais pour quelles raisons étais-tu présent, à ce moment-là  ?
– Je savais bien que ce moment finirait par arriver, soupira-t-il après un court silence. Pour te raconter tout ça, j’ai b’soin d’un remontant. Viens.
Il m'invite dans son bar fétiche. Cependant, il reste muet durant tout le trajet, ce qui ne lui ressemble pas du tout. Nous arrivons finalement avant que je ne perde patience et nous prenons place à sa table attitrée, à l'écart de toute agitation. Une fois que nous avons passé commande, je le fixe d'un air éloquent.
– Voilà … Hum.
Je le laisse tenter de formuler ce qui lui pèse sans appréhensions. J’ai toujours eu confiance en lui, malgré ses tendances aux embrouilles. Mon pote ne me décevra pas maintenant. Il expire bruyamment encore une fois avant de se lancer :
– J’ai été engagé par Ray et Jessica Evans, il y a onze ans.
J'écarquille les yeux, abasourdi à l'évocation de mes parents.
Il sait qui je suis depuis le début…
Je me ressaisis et fais mine de boire en gardant mon calme pour l'inciter à continuer. Il déglutit, son regard me fuit.
– Lorsqu’ils ont eu des problèmes, poursuit-il, ils ont voyagé jusqu’ici. Ton père m’a demandé de l’aide. Nous avions nos différends… Mais après tout, je lui en devais une, et nous avions le même père.
J’en avale de travers et me mets à tousser comme un asthmatique. Quand je me calme enfin, je croise son sourire contrit.
– Tu es mon oncle ?...
– Ouais… Ça t'en bouche un coin, hein ?
– Mais pourquoi m’avoir caché ça !?
– Ton père et moi, nous n’avions rien d’autre en commun que les liens du sang, me répond-il en haussant les épaules. Déjà , on avait plus de dix ans d'écart. Lui, un honnête type, intelligent, ambitieux… Moi, j’ai toujours été dans les embrouilles. À seize ans j’avais déjà pas mal de délits à mon actif, et je me suis enfui ici, avec son aide. J’ai coupé les ponts ensuite, pour tout un tas de raisons. Johnson n’a jamais eu vent de mon existence, alors quand ton père a eu des problèmes avec lui, il s’est dit que ce serait une bonne planque chez le frérot.
Après un énième soupir, il vide son whisky d’un trait et commande un shot de vodka. Je grimace sans faire de commentaire devant ce choix de mélange délétère.
– J’ai merdé, Rev… J’ai au moins pu te sauver, toi… Seulement… Ouais, j’ai bien merdé…
Je reste silencieux, nous laissant à tous les deux le temps de digérer ces confidences. C'est la première fois que je vois Jay aussi bouleversé. Je comprends pourquoi il ne m'en a jamais parlé ; il se sent coupable.
– Ce soir-là , il y a eu du grabuge. Le temps que je réalise que ce n'était qu'une diversion…
Il s'interrompt, renifle.
– Ton père… Mon frère est mort dans mes bras. Lorsque je lui ai assuré que tu étais encore en vie, il m'a fait jurer de prendre soin de toi.
– Je n'ai pourtant aucun souvenir de toi, avant…
– Je me tenais à l'écart. Ton père et moi avions convenu que c'était mieux comme ça. Officiellement, il ne voulait pas t'inquiéter. Officieusement… Je pense qu'il avait peur de l'influence que j'aurais pu avoir sur toi, avance-t-il avec un sourire triste, et il avait pas tort.
– Jay. Le seul responsable de ces assassinats, c'est Johnson. Ok ?
J’ancre mon regard au sien en prononçant ces mots. Je veux qu'il sache que je ne lui en veux pas. Que ce soient lui ou Dynah, personne n'est coupable mis à part Donovan Johnson et les assassins qu'il a envoyés pour ne pas se salir les mains.
– Tu sais, j’suis sûr que Ray serait super fier, malgré ce que j'ai fait de toi… Et Jessy aussi.
Mes mains se crispent sur ma pinte et je murmure un vague :
– Peut-être…
Puis je me reprends :
– Sans toi je ne serais même plus là , alors arrête un peu avec tes scrupules à la noix ! Tu m'as appris à survivre dans la jungle. Tu as respecté ta promesse. À ta manière, certes.
Je lui lance un clin d'œil pour marquer cette petite pique. Un large sourire s'épanouit sur son visage.
– Un peu, mon n’veu !
Nous sommes tous les deux pris d'un fou rire libérateur et trinquons avec entrain.
– Franchement, t’as bien joué ton rôle de Marseillais pur souche… Je n’y ai vu que du feu !
– Jouer la comédie, ça a toujours été mon truc, confirme-t-il. Quelques années à un endroit et hop, j’suis dans mon élément ! Ça fait déjà plus de vingt ans que je crèche ici, mine de rien.
– C’est quoi ton vrai nom, du coup ?
– Devine…
– Je suppose qu’on a le même nom de famille. Pour le prénom, je vois pas comment je pourrais savoir !
– C’est facile, j’en ai gardé le diminutif.
– Jerry ?
– Perdu, pouffe-t-il.
– James ?
– Encore perdu ! On va y passer la nuit, à ce rythme !
– Mmmmh… Laisse-moi quelques minutes et je suis sûr de trouver.
Jay me lance un regard dubitatif. Un petit tour dans la matrice ; il m’a donné assez d’éléments pour remonter jusqu’à son identité. Mes transitions avec la réalité se font de plus en plus fluides, je n’ai même pas l’impression de le quitter des yeux pendant mon petit manège. Il a croisé les bras sur son torse et attend.
– Jason Evans.
Sa bouche et ses yeux s’ouvrent si grand que j’ai l’impression d’avoir en face de moi un pastiche d’art moderne. Je m’esclaffe.
– Fais pas cette tête de gobie !
– Niveau vocabulaire local, t’es pas mal non plus ! objecte-t-il.
– J’ai un bon maître en la matière.
– Et sinon, t’as développé des pouvoirs psychiques ?
– Pas tout à fait. Coup d’bol, voilà tout.
– Moui…
– T’as trop forcé sur l’alcool, Jay !
– Tu parles !
La soirée s’achève ainsi dans une ambiance bon enfant et nous rentrons sur le tard en chantant des chansons paillardes. Jay ne tarde pas à ronfler dès que je l’ai aidé à rejoindre son lit.
Il est temps pour moi de finaliser ma petite surprise pour Johnson et de me préparer aux combats.

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