*TW : violence, torture, meurtre (comme indiqué sur sa fiche de présentation, cette histoire est déconseillée aux moins de 18 ans)*

Dimanche 31 mai 2070, 6h30 - Marseille

J’émerge suite à l’opération délicate que je viens d’effectuer. Satisfait, je constate qu’il me reste un peu de temps avant de plonger dans l’arène. Je n’ai laissé aucune trace, j’ai minuté mon intervention et programmé le compte à rebours. Si tout fonctionne comme prévu, mon cas n’est pas si désespéré. Je pourrai peut-être enfin savoir ce qui est arrivé à Dynah et me mettre en position de négocier pour la sauver.

S’il reste encore quelque chose à sauver…

Alors que je m’étire en essayant d’éloigner cette idée noire, je perçois des coups hésitants frappés à ma porte. Je me lève pour aller ouvrir, surpris que Jay soit aussi matinal après sa cuite.

– Hey Rev, je savais que tu serais déjà debout.

S’il savait que je n’ai même pas fermé l'œil… Les siens sont rouges bien que pétillants.

– Viens, on va prendre un café, tonton.

Il grogne devant mon air narquois. Néanmoins, je suis sûr qu’il est content, au fond.

– Je vais partir tôt, ce matin, m’annonce-t-il en s’asseyant sur le sofa.

– Ah oui ? C'est pas dans tes habitudes…

– Ouais.

Il laisse planer un silence que je ne brise pas tout de suite au prix d’un effort surhumain. Je bouillonne dans mon coin en préparant notre breuvage. Finalement, je lui tends sa tasse et m’assois à ses côtés en vidant mon sac :

– Bon, tu vas faire quoi, exactement ? C’est pas que je m’inquiète depuis que t’es rentré en te vidant de ton sang, mais presque.

– T’en fais pas, rien à voir. Fanny m’a demandé un petit service, et tu vois, j’peux pas vraiment refuser là.

– C’est pas faux… Elle t’a demandé quoi, alors ?

– J’crois pas qu’elle voudrait que je l’ébruite.

Je ne renchéris pas, résigné à m’en tenir là. Cependant, je ne vais pas le laisser s’en tirer à si bon compte.

– Y a quoi, exactement, entre vous ?

Il s’étouffe presque avec sa boisson puis me dévisage, les sourcils froncés. Je lui offre mon air le plus innocent. Il y a anguille sous roche et je compte bien jouer les entremetteurs s’il le faut.

– Tu vas t’imaginer quoi, là ? Rien du tout, on s’était pas revu depuis un bail…

– …et elle n’en avait pas l’air très satisfaite.

Jay grimace devant l’évidence. Je crois même percevoir qu’il est agité d’un frisson. Peut-être se remémore-t-il la brutalité avec laquelle elle l’a soigné.

– Cette femme peut être effrayante quand elle est en colère, ronchonne-t-il.

J’éclate de rire. Il se renfrogne encore plus.

– Tu sais quoi ? J’ai rendez-vous à sept heures donc j’ai encore un peu de temps. Je vais aller me reposer. Tout seul.

– C’est ça, te rendors pas, tonton, ou crains le courroux de Fanny ! Qui sait, elle demandera peut-être assistance à son amoureux Marius…

– T’es con ! Marius et César sont ses frères. D’ailleurs c’est pour l’un d’eux qu’elle m’a demandé d’intervenir.

Je m’esclaffe. Les parents devaient vraiment être fan de Pagnol pour avoir ce genre de lubie. Au moins, j’en sais un peu plus sur les projets de mon cher oncle.

– Ok ok, j’ai des trucs à faire de toute façon. À plus tard, tonton !

– Et arrête de m’appeler comme ça à tout va ! Jay, c’était très bien, grommelle-t-il en regagnant ses pénates.

– D’accord, tonton Jay !

Je l’entends quand même pouffer de rire en refermant sa chambre et me dirige vers la mienne, électrisé par la pression qui monte. Ma seule piste réside dans cette hypothétique rencontre avec l’homme que j’ai juré d’abattre. Je sais à quel point c’est maigre et désespéré. Seulement, c’est mon unique chance.

6h40

Plus que cinq minutes. Je m’installe sur mon matelas, inspire et expire profondément, puis je me lance.

La foule en liesse. Les autres candidats qui saluent à tour de bras. Tout me paraît si lointain. Je me concentre sur ce qui m’attend, sur mon objectif premier.

Retrouver Dynah.

Sans même que j’en aie conscience, je suis déjà appelé pour mon premier combat. J’ouvre le bal et découvre que je devrai affronter Drak. Quand j'entends mon pseudo, je me rends compte que j'en ai presque oublié ma vengeance.

L’adrénaline aiguise mes sens lorsque je me retrouve face à lui. Si je me souviens bien, il est le détenteur incontesté du record pour le nombre de victoires. La légende raconte qu’il n’aurait jamais été vaincu, qu’il n’a aucune pitié et n’hésite pas à porter des coups fatals. Ce choix me laisse perplexe. Pourquoi démarrer les hostilités avec un tel affrontement ?

Les spectateurs s’égosillent et ne semblent pas du même avis que moi. Nous nous jaugeons en attendant le signal. Mon adversaire, fièrement dressé dans son armure ostentatoire, paraît convaincu de sa victoire imminente. Je crois même apercevoir de la malice dans son regard sous son casque doré. J'esquisse un sourire. S'il croit m'impressionner avec son accoutrement qui arrache les yeux…

Le signal est donné et ne me laisse pas l’occasion de tergiverser plus longtemps. Je suis pris de court par sa célérité. Il est bien trop rapide pour que ce soit naturel. J'imagine que je vais devoir trouver une parade au plus vite si je veux pouvoir l'emporter.

Malgré mes esquives et mes tentatives d’attaque, je finis désarmé en même temps que lui. Il a le dessus. J’en ai conscience tandis que mon heaume disparaît. Pourtant, je ne vais pas me résigner aussi facilement.

Lorsque je suis projeté au sol dans une vaine tentative de récupérer mon arme, tout tourne autour de moi. Son uppercut m'a étourdi. Je me répète mon but comme une litanie. Je compte bien m’y tenir.

Je n’ai pas le droit d’échouer.

Je me redresse laborieusement et entreprends de feinter en fonçant sans détour sur Drak qui a déjà récupéré sa lame. Au dernier moment, je roule sur le côté.

Cette fois, je parviens à récupérer mon épée, sans pouvoir éviter un autre méchant heurt. Il a envoyé son pommeau dans ma tempe. Je vois flou un instant. J’ai soudain l’impression désagréable d’être un noob lancé directement sur le boss final.

Brusquement, je réalise que la foule autour de nous a disparu. L’arène est à présent vide et silencieuse. Je n’ai plus la sensation de mon corps.

Il m’a coupé toute retraite !

– Je n’aurais jamais cru que tu serais assez stupide pour tomber dans mon piège… Ou assez désespéré ?

Cette voix me glace. Il dévoile son visage devant mon regard horrifié.

– Donovan Johnson…

J’ai laissé échapper ce murmure malgré moi et il me nargue avec un rictus satisfait. Je resserre ma poigne sur la garde de mon épée.

– Je suis flatté que tu me reconnaisses.

– Qu’as-tu fait d’elle ?

– Qui donc ? Tu cherches quelqu’un ? se gausse-t-il.

Je m’élance, laissant libre cours à la rage qui m’inonde. Plus rien d’autre n’importe que cette colère froide qui a pris possession de mon être. Nos lames se heurtent sans répit, projetant des étincelles.

– Je suis sûr que c’est toi qui l’as fait disparaître !

– Peut-être… Peut-être pas. Tu as toujours eu une mauvaise influence sur elle. Toi, et tes traîtres de parents… J’espérais que votre disparition la remettrait dans le droit chemin. Force est de constater que je m’étais fourvoyé.

Il me provoque… Il faut que je garde mon calme ou je n’obtiendrai rien.

J’avise le temps qu’il me reste. Quelques minutes avant l’effet de ma petite surprise. Je n’avais pas prévu que tout serait si rapide. Je dois gagner du temps. L’inciter à parler.

– Qu’est-ce que tu veux, Johnson ?

– Juste terminer ce qui a été commencé, répond-il froidement avant d’enchaîner les coups.

– Que lui as-tu fait ?

– Je pense que tu préfères ne pas le savoir. Et qu’est-ce que ça changerait si je te disais que je lui ai fait subir le même sort qu’à tes parents ?

J’enrage devant son air condescendant et le repousse. Je sais qu’il est capable d’avoir commis le pire, comme de mentir éhontément. Toutefois, ses insinuations me déstabilisent assez pour qu’il perce mes défenses. Mon armure se désagrège et il me plaque contre le mur avec violence.

– Tu vois, Damian, on est jamais mieux servi que par soi-même… C’est ma devise, et je vais enfin achever ce travail mal fait. Mais avant, je vais te faire payer tous tes affronts…

Je ne parviens toujours pas à me déconnecter. Sans cesser de maintenir la pression pour m'immobiliser, il enfonce lentement sa lame dans mon ventre et la douleur explose. Il prend son temps, se plaisant à me torturer. J’égrène le décompte dans ma tête.

4… 3… 2… 1…

Une alerte retentit. Je souris malgré ma souffrance et parviens à répliquer :

– Tu aurais mieux fait de t’en occuper plus tôt.

– Elle finira par t’oublier, cette fois, me susurre-t-il à l’oreille avec hargne.

Elle est vivante !

Je me raccroche à cet espoir afin de ne pas sombrer alors qu’il accentue son geste pour en finir plus vite que ce qu’il avait prévu. Un râle s'échappe de ma gorge quand il retire sa lame d'un coup sec. Tandis que je comprends qu'il s'apprête à m'achever, je crois entendre une voix qui m’appelle. Son prochain coup vise clairement à transpercer mon cœur que je sens soudain battre à tout rompre.

J'ai repris contact avec la réalité !

Dans l’obscurité qui m'enveloppe, je me focalise sur ce timbre si familier pour me guider. La lame s'abat sur moi.

Dynah…