Dimanche 31 mai 2070, 6h55 - Marseille, QG de Rev et Jay

Je suis éjecté de mon lit et percute le sol avec violence. Je ne suis plus que souffrance. J’ai l’impression que ma tête va exploser, mais l'adrénaline me permet de me relever, non sans difficulté. Mon rythme cardiaque s’affole alors que je tente d’analyser la situation. La cloison ne se résume plus qu’à un tas de gravats et un nuage de poussière m’irrite les poumons. Vu la déflagration, j'imagine qu'ils ont voulu défoncer la porte. Un peu violent pour ça… Sauf si leur but est de nous blesser, ou pire. J'analyse rapidement nos chances de fuite.

Quelques minutes, tout au plus…

Adara… Dynah gît contre le mur, inconsciente. Sa tête a heurté la paroi derrière elle. Elle a pris le souffle de l’explosion en pleine face. Quant à moi, je suis dans un sale état, tout se met à tourner autour de moi. Enfin, la crise passe et je me précipite tant bien que mal vers elle pour la prendre dans mes bras, essayant de rester délicat malgré l’urgence exigée par la situation et mes gestes imprécis. Ni une, ni deux, je me saisis du grappin connecté que j’ai toujours gardé planqué sous mon armoire, au cas où. Jay s’était fichu de moi en me traitant de parano lorsque je m’étais procuré ce bijou de technologie. J’aurais préféré lui donner raison.

Jay… Je dois le prévenir.

Heureusement qu'il est parti tôt, ce matin. Est-ce lui, la cible ? Dynah ? Moi ? J’avise mon comtech échoué au sol, dois m'y reprendre à deux fois pour m’en saisir et le fourrer dans ma poche. J’ouvre la fenêtre, lance mon filin que je programme pour qu’il se fiche dans le mur à une trentaine de mètre en contrebas. Heureusement, le local technique du toit d’en face m’offre une bonne prise. J’arrime l’autre bout, attrape mon drap et bondit dans le vide façon tyrolienne, agrippant Dynah contre moi. Pris de vertiges encore une fois, j’atterris dans le chaos le plus total. Faisant fi de la douleur intense qui irradie mon épaule, je m’inquiète immédiatement de l’état de ma passagère. Par chance, je suis parvenu à la préserver du choc de cet atterrissage raté. Je m’empresse d’avancer, à moitié à genoux, à moitié debout, récupère l’outil qui nous trahirait et nous traîne à couvert.

Je m’affale enfin contre le mur, à bout de souffle. Pour m’enquérir de son état, je cale la tête de Dynah sur mes jambes avec toute la douceur que me permet l’ensemble de mes muscles endoloris. Un hoquet d’horreur m’échappe lorsque je soulève les mèches qui cachaient son visage. Sa peau semble partir en lambeaux à plusieurs endroits, laissant apparaître des zones plus sombres. Ma respiration se débloque quand je percute qu’il ne s'agit que d’un nanomasque. Un gémissement provenant de ses lèvres m’assure qu’elle est bien en vie.

Soulagé, je sors mon comtech pour envoyer un message à Jay, mais je suis pris de court par la notification affichée. Un simple mot.

« FUIS »

Il m'a devancé. Le message a été envoyé à 6h57. Comment a-t-il su ? Sa directive est on ne peut plus claire. Se déplacer me semble compliqué pour l’instant, même si nous n’avons pas le choix. Aussi, malgré tout mon corps qui hurle, je la soulève.

– Allez, Ada, il faut qu’on bouge !

Pourquoi est-ce que je m’obstine à utiliser son pseudo ?

Pour seule réponse, elle laisse échapper une autre plainte. Je ne sais même plus si c’est moi qui la soutiens ou l’inverse tandis qu’on avance pour descendre les escaliers. Tout ce que j’espère, c’est qu’ils ne nous ont pas repérés, qui qu’ils soient…

Lorsque nous parvenons péniblement au pied de l’immeuble, je vérifie d’un coup d'œil que tout est désert. D’instinct, je me dirige dans les plus petites ruelles afin de semer d’éventuels poursuivants. Dynah peine à avancer et je sens son poids peser de plus en plus sur moi. À moins que ce ne soient mes forces qui me quittent…

Je dois tenir jusqu’à ce qu’on soit en sécurité !

Ma planque secondaire d’urgence n’est plus très loin. Après ce qui me paraît une éternité, je finis par apercevoir l’impasse abritant mon local abandonné. Je m’assure une dernière fois que personne ne nous ait suivi. Enfin, je pousse la porte qui peine à s’ouvrir dans un grincement titanesque. Je grimace à ce son qui m'était sorti de l'esprit. Moi qui voulais rester discret…

Je dépose doucement Dynah sur le canapé-lit trônant au beau milieu de l’unique pièce. Un bric-à-brac phénoménal nous entoure. Ici, c’est mon atelier secret. Même Jay ignore son emplacement. Je barricade la porte comme je peux. J’ai une issue de secours, au cas où. La pièce tangue et je m’écroule presque sur le matelas. Je me traîne jusqu’à la hauteur de Dynah que j'ai placée vaguement en position latérale de sécurité. J’aurais voulu faire plus pour elle mais je ne suis même plus en état de bouger, échoué sur le dos tel un cachalot blessé sur une plage.

Je tourne mon visage vers elle. Avec mille précautions, je tente de retirer un bout de son masque.

Ce teint satiné…

Ses lèvres frémissent et je me fige.

Ces lèvres rosées…

Elle entrouvre les paupières avant de les refermer immédiatement en souriant.

Ces yeux de biche…

Je ne crois pas qu'elle soit tout à fait consciente, mais elle se rapproche.

Ce joli nez retroussé…

Elle baragouine vaguement quelque chose qui comprend le surnom qu'elle se plaît à me donner et se love contre moi.

Son parfum sucré n’a pas changé…

Mon cœur se lance dans une drôle de symphonie 2.0 et j’ai bien l’impression qu’il pourrait s’arrêter à tout moment.

Oh, ma Dana… Comment ai-je pu oublier à quel point je t’aimais ?