1er juin 2070, 1h55 - Marseille, planque de Rev

J'ai attrapé nerveusement le comtech de Dam. Une centaine de notifications s'affiche, messages et appels confondus, toujours du même numéro enregistré sous le nom de Jay. Au moins je n'aurai pas à fouiller dans ses contacts…

Je me fige lorsque des coups violents sont frappés à la porte. Ma respiration se bloque. Damian n'est pas en état de fuir… Paniquée, je balaie la pièce exiguë du regard. Je me saisis de ce qui ressemble à un pistolet, brillant dans le fouillis non loin, et me place face à la porte que les intrus commencent à enfoncer, un genou calé sur le lit. Mon cœur tambourine à m'en faire mal. La barricade de fortune érigée par Dam ne tarde pas à céder et un homme à la carrure imposante entre comme une furie.

– Bouge pas !

La fermeté de ma voix m'étonne moi-même. Mon arme braquée sur lui ne tremble pas. Du coin de l'œil, j'avise une seconde personne qui apparaît derrière lui. Une femme à la chevelure de feu.

– Toi ! vocifère l'homme avec rage.

Je le reconnais. C'est le grand blond que j'ai bousculé devant l'immeuble de Dam. Les poings serrés, les muscles tendus, il me toise de ses iris d'acier qui lancent des éclairs. Il ne se contrôle plus lorsqu'il aperçoit Dam derrière mon épaule. Dans un geste vif, il bondit vers moi. Je tire devant ses pieds pour prouver que je ne bluffe pas. Un trou fumant se forme à l'impact.

Un pistolet laser…

– Je ne vous laisserai pas passer…

Malgré mon accent, je sais que mon français est plutôt correct. L'homme s'est interrompu dans son élan, à quelques centimètres de moi. Mon canon touche presque son torse. Cette fois, je ne suis pas parvenue à garder ma voix inflexible. Mes mains tressaillent autour de mon arme.

– Qu'est-ce que tu lui as fait, espèce de…

– Jay, arrête de terroriser cette pauvre fille, tu veux ?

Jay ?...

La rouquine s'est approchée et m'offre un sourire avenant.

– Nous sommes des amis de Revenge, on ne lui veut aucun mal, affirme-t-elle.

– C'est la fille de Johnson !

Le fameux Jay a craché ces paroles avec hargne. Je l'ignore, mue par l’espoir que cette rencontre m'apporte.

– Vous êtes Fanny ?

Le vert de ses yeux s'illumine d'un éclat malicieux et elle hoche la tête. Jay n'a pas bougé d'un pouce. Toujours tendu à l'extrême, il semble pourtant indécis. Je baisse mon arme, convaincue qu'il ne s'agit pas d'ennemis et me lève pour laisser le passage à Fanny, soulagée. Je remarque qu'elle porte un sac en bandoulière.

– Il s'est senti mal… Il m'a demandé de vous appeler ! S'il vous plaît, il a insinué que vous pourriez peut-être…

– Pourquoi faut-il que tout le monde me vouvoie ? geint-elle en s'installant au chevet de Dam. J'ai l'air si vieille que ça ?

Troublée par sa remarque triviale, je balbutie quelques excuses.

– Je… Non pas du tout ! On m'a appris que c'est une marque de respect chez vous.

– J'ai besoin de savoir ce qui lui est arrivé, élude-t-elle sur un ton plus sérieux.

– Elle débarque, c'est l'apocalypse, Rev est hors-jeu, mais elle est blanche comme neige ? raille Jay en exhibant ma perruque.

Fanny soupire bruyamment en se tournant vers lui.

– Et alors quoi ? Elle s'est mise en petite tenue pour lui provoquer une crise cardiaque ? Elle ne s'est pas enfuie juste pour le plaisir de faire semblant de le défendre ? Tssss, ces hommes… Aucun sens de l'observation et aucune logique ! Tu veux bien me laisser bosser, maintenant ?

Le teint de Jay devient aussi livide que le mien doit être écarlate. Machinalement, j'ai croisé les bras sur ma brassière en prenant conscience que je n'avais pas eu le temps de me rhabiller entièrement. J'enfile mon t-shirt en grande hâte tout en répondant à Fanny. Je ne perds pas de vue ma priorité.

– Je n'en suis pas certaine… Il m'a parlé d'une chute sur son épaule droite. Je ne sais pas s'il a pris un coup sur la tête. Je crois… Je crois qu'il s'agit plutôt d'un contrecoup matriciel…

– En RVI ?

Je frémis devant son ton neutre, comme s'il s'agissait d'une activité aussi anodine qu’aller faire ses courses au supermarché du coin.

– Oui…

– Pardi, Jay, dans quoi t'as fourré ton neveu ?

– Quoi !? s'indigne-t-il. Je lui ai demandé d'arrêter, mais il est majeur j’te rappelle ! Rien à voir avec moi, cette histoire, demande plutôt à la demoiselle, là !

Je baisse les yeux et triture mes doigts. En un sens, je suis plutôt coupable de la situation, en effet.

– J'ai voulu l'arrêter, mais je suis arrivée trop tard…

– Elle est bonne celle-là ! En tout cas, t'as pas intérêt à faire un faux mouvement, ma jolie, parce que c'est à moi que t'auras affaire !

– Calme ta joie, tonton Jay, tu me fais mal au crâne ! Et laisse ma nana tranquille !

J'ai l'impression d'avoir cessé de respirer jusqu'ici lorsque son timbre éraillé retentit, libérant ma poitrine de cet étau qui l'enserrait.

– Dam ! Comment tu te sens ? Ça va mieux ?

– Un peu… grimace-t-il.

Je lui tends le verre d'eau qu'il parvient à boire cette fois et caresse tendrement sa joue.

– Tu m'as fait peur…

– Vous êtes choux, s'attendrit Fanny.

Je capture une lueur de nostalgie dans son regard qu'elle dirige en biais vers Jay. Ce dernier boude dans son coin et ne le remarque même pas.

– Bon, se reprend-elle soudain en claquant ses cuisses. Il faut que je parle en tête à tête à notre grand blessé. Jay, occupe-toi de cette porte que tu as défoncée et va prendre un peu l'air. Ça te fera le plus grand bien.

Jay s'exécute en grommelant comme quoi il allait monter la garde. Je reste interdite. Pourquoi en tête à tête ? Pense-t-elle qu'il ne se confiera pas si je reste là ? J'imagine que je n'ai pas forcément envie d'entendre tout ce qu'il va raconter. Je culpabilise déjà bien assez comme ça…

– Ok, je vais en profiter pour prendre une douche. Je reviens vite…

Dam me sourit. Il a repris un peu des couleurs. Je lui embrasse le dos de la main avant de m'éloigner vers la salle de bain. Je comprends, à présent, qu'avoir des gens sur qui compter peut peser dans la balance. Jay ne m’accordera peut-être jamais sa confiance, mais au moins je peux être sûre qu'il restera loyal envers Dam. Quant à Fanny, il me tarde de mieux la connaître.