Lundi 1er juin 2070, 2h00 - Marseille, planque de Rev
Mes oreilles bourdonnent encore un peu et quelques points noirs persistent à danser devant mes yeux lorsque je les garde ouverts. Fanny attend que nous soyons seuls pour finalement m’adresser la parole.
– Bien. Maintenant tu vas me raconter précisément ce qu’il t’est arrivé, sans fioriture, et sans t’inquiéter de l’opinion de qui que ce soit. Je vais t’examiner et prendre tes constantes.
Je reste coi tandis qu’elle sort son matériel, encore perturbé par la tournure des évènements. Puis je finis par demander :
– Comment vous m’avez retrouvé ?
– Taratata ! Tu poseras tes questions plus tard ! Relève ton t-shirt et redresse-toi.
Elle enfile son stéthoscope et je sens le métal froid se poser un peu partout sur mon torse, puis dans mon dos. Je continue de garder le silence tandis qu’elle prend ma tension.
– Un peu bas… marmonne-t-elle. Donne-moi ta main, et accouche.
J’inspire profondément en lui tendant mes doigts. Elle y appose des petits capteurs dont je ne connais pas l’utilité.
– Hum… J’ai subi le souffle d’une explosion qui m’a projeté au sol, d’ailleurs il faudra aussi que tu t’occupes d’examiner Dynah…
– Laisse-les autres en dehors de ça pour l’instant. De face ? De dos ?
Elle scrute ses instruments, prend des notes, effectue des réglages.
– De dos. Puis, en fuyant l’appart, j’ai chuté assez violemment sur mon épaule. Ensuite, on s’est traînés jusqu’ici.
Sa langue claque d’agacement. Elle sort une brique avec une paille, comme celles qui contiennent habituellement des jus de fruits, puis me la tend.
– T'es en hypo, bois-ça. Et sois honnête avec moi. Ta copine t’a déjà balancé, de toute façon. Et tout ce que tu diras là restera entre nous, t’inquiète.
Je grimace au goût de cette horreur autant qu’au souvenir du visage hargneux de celui qui m’a torturé. Je me doute bien que mon état actuel est lié à ce qu’il m’a fait subir. Si Dynah ne m’avait pas permis de me déconnecter, il aurait achevé sa besogne avec délectation.
– Elle t’a parlé de ma connexion en RVI, donc.
– Ouep.
– Et… Tu y connais quelque chose ?
Fanny s'interrompt dans ses mesures et plante son regard acéré dans le mien avant de commencer à palper mon épaule douloureuse. Je serre les dents sans faire de commentaire.
– Ça va aller, je pense qu'il s'agit d'une contusion, déclare-t-elle avant de répondre à ma question. J'ai déjà eu quelques patients victimes de cette aberration. La majorité n’en sont pas revenus.
Elle appuie ses propos en me fixant à nouveau dans les yeux. Je déglutis devant ses reproches abrupts avant de me justifier rapidement :
– Je suis conscient des risques.
– Pas assez, on dirait, me cingle-t-elle. Surtout avec ton passé et les séquelles que tu portes encore. T’as pas l’air d’avoir conscience que le fait que tu aies survécu il y a quelques années relève du miracle. Quand Jay m’a supplié de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour te sauver, tu étais dans un état critique. Tu es resté longtemps dans le coma, malgré l’opération et mes soins constants par la suite. Ton amnésie n’était qu’un faible prix à payer, crois-moi.
Jay n’a jamais évoqué tout ça avec moi. D’ailleurs, j’ai sciemment évité ce sujet tabou de mon côté. Jusqu’à sa récente révélation, nous n’avions jamais parlé de tout ce qui concernait notre rencontre et nos vies d’avant.
– Jay était effondré, poursuit-elle, il m'a tout raconté et j'ai joué à la psy. Quand tu t’es réveillé, tu n’avais que ta vengeance en tête. C’était comme si la seule chose qui t'avait maintenu en vie était cette motivation de revanche. J’ai essayé de prévenir Jay, de le convaincre de te révéler la vérité, de nuancer cette rage qui te consumait, mais il a préféré garder le silence et t’encourager dans cette voie.
– Vous vous êtes brouillés à cause de moi…
– Non, à cause de son égoïsme ! fulmine-t-elle.
La colère vibrant dans ses iris aventurine se mue soudain en tristesse et ses poings se desserrent.
– Après coup, je comprends ses réticences. Dans l'état où tu étais, il n'aurait fait que perdre ta confiance, sans doute… Il préférait rester le sauveur à tes yeux pour ne pas prendre le risque de te perdre. Mais son sentiment de culpabilité était tel qu'il a préféré s'éloigner de moi, la seule qui connaissait la vérité.
– Maintenant, je suis au jus. Il n'y a plus de raison que vous restiez en froid !
– Tssss, si c'était si facile… Bon, j'ai pas tout ce qu'il faut ici. Va falloir que je retourne au labo.
Elle esquive le sujet. Il faudra que j'aie une petite conversation avec mon cher oncle.
– Ce ne serait pas mieux qu'on s'y déplace directement ?
– Hors de questions que tu bouges de ce lit pour l'instant ! Je vais immobiliser ton bras, je dois vérifier qu'il n'y a rien de trop sérieux. Et je suppose que tu as des vertiges, des troubles de la conscience, des migraines, peut-être ?
– Oui, des bourdonnements dans les oreilles et la vision trouble aussi, surtout si je fais des mouvements brusques. Ah, et des nausées…
– Lésions cérébrales évidentes, mais pareil, je dois vérifier l'étendue des dégâts. Ce qui est sûr, c'est que tu dois rester alité si tu ne veux pas aggraver ton cas.
À contrecœur, je ne peux que me soumettre à son diagnostic. De plus, Dynah vient de rentrer dans la pièce et a entendu le verdict.
– Bien reçu. Je bouge pas de là …
– Compte sur moi pour le surveiller ! affirme ma belle avec un sourire complice.
– Moui, on évite aussi les parties de jambes en l'air, les tourtereaux.
Je m'esclaffe devant la moue de Dynah qui balbutie des paroles inaudibles en rougissant ostensiblement.
Elle est si mignonne quand elle rougit !
– Je pense qu'il vaut mieux que Jay reste là , au cas où, reprend Fanny en terminant d’accrocher mon écharpe. Je vais me débrouiller.
L'inquiétude s'insinue en moi. Mon immobilité pose problème. Dynah s'est assise à mes côtés et serre ma main avec tendresse. Je ne veux pas qu'elle soit en danger, surtout pas à cause de moi.
– Fanny, si vous nous avez trouvés aussi facilement, ceux qui nous traquent le peuvent aussi.
– Pas tout à fait… Jay avait installé un traceur dans ton comtech avant de te l'offrir. Il a juste mis dix plombes à se souvenir comment ça fonctionnait.
– Un traceur ?… Sérieusement… Sacré tonton poule, je l'aurais jamais cru capable de manipuler ce genre de truc !
– Il peut être très protecteur et loyal, quand il veut… souffle-t-elle dans une mélancolie perceptible.
– Pour moi, il l'a toujours été.
– Pas faux. Sur ce, je fais au plus vite, conclut-elle avec un salut de la main.
Une fois Fanny partie, Dynah pose sa tête sur mon épaule valide et je m'abreuve de sa présence réconfortante.
– Comment tu te sens, mon amour ?
Je la prends par la taille, enchanté par ce petit sobriquet qu'elle emploie.
– Tu es auprès de moi, donc je vais très bien !
Son rire m'emplit de joie. Comment ai-je pu me passer d'elle, durant toutes ces années ?
– Et sinon, elle t'a dit quoi ?
Elle tente de me cacher son angoisse, sans succès. J'embrasse sa chevelure à l'odeur si douce.
– Ça va aller, elle veut juste me faire passer des examens complémentaires. Elle m'a donné une boisson infecte parce que je manquais de sucre. Au fait, tu as mangé ?
– Maintenant que tu le dis…
Son regard se pose sur les nouilles instantanées restées au sol, puis elle se lève pour remettre l'eau à bouillir.
– Peut-être que je devrais en proposer à Jay ? ose-t-elle du bout des lèvres.
Je ne suis pas convaincu par son idée. Jay est si obtus…
– Je suis sûre qu'il ne mord pas ! ajoute-t-elle devant mon air dubitatif. Puis il faudra bien que je le relève un peu ! Je suis sûre que vous avez des choses à vous dire et je suis capable de monter la garde.
Tout en parlant, elle enfile sa perruque et semble fouiller la pièce du regard.
– Okay, comme tu le sens ma Dana. Si tu cherches de quoi te dissimuler, c'est par là , dans ce sac. Ne remets pas ça, Adara est grillée, je pense…
Elle acquiesce en suivant mon conseil et trifouille dans ma caverne d’Ali Baba. Au bout de quelques secondes, elle interrompt sa recherche et brandit un tube de rouge à lèvres. Je ne parviens pas à décrypter l'expression sur son visage. Surprise ? Sarcasme ?
– Sérieusement ?...
– Il faut ce qu'il faut…
Je me défends sans grande conviction. Parfois, il m'est arrivé de porter de drôles de déguisements avec les plans tordus de Jay, c'est certain… Elle fronce les sourcils mais finit par reprendre sa fouille en silence. Finalement, elle opte pour une chevelure blond platine, des lunettes de soleil et ce rouge à lèvres bien trop vif à mon goût.
– Alors, t'en penses quoi ? me questionne-t-elle avec un clin d'œil en abaissant ses verres teintés.
Je lève un pouce en l'air en guise d’approbation.
– Parfait pour un déguisement. Mais clairement, je te préfère au naturel.
– Flatteur !
Elle me tire la langue, j'éclate de rire et elle me rejoint. J'aime tant la simplicité de notre complicité retrouvée. Après avoir enfilé une robe un peu trop large pour elle, jurant avec ses baskets parme, et déposé un baiser sur mes lèvres, elle sort avec un bol fumant dans chaque main.
– Et n'insiste pas s'il refuse de négocier !
– À tout à l'heure, mon cœur ! élude-t-elle joyeusement.
Je la sens mal, moi, cette tentative d'approche…

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