Lundi 1er juin 2070, 2h15 - Marseille, devant la planque de Rev
Assis sur le muret juste devant l'entrée qu'il a remise sommairement en place, Jay me repère tout de suite. On peut dire qu'il est alerte et opérationnel dans son rôle de vigile. Je me fige un instant lorsque son regard s'arrête sur moi, mais il ne tarde pas à balayer le reste des environs comme si je n'existais pas.
– Hum… J'ai apporté de quoi manger, je peux ?
Je désigne la place vide à côté de lui. Il m'ignore royalement. Je m'assois quand même. Jay continue de scruter les alentours sans faire cas de ma présence. Alors, je tends le bol de nouilles devant lui.
– Ça pourrait être empoisonné, grogne-t-il.
Je ne peux retenir un pouffement puis me mords la lèvre. Ce n'est pas en me moquant de lui que je vais arranger la situation.
– Et le déguisement, c'est superflu. T'as pas besoin de ça pour ressembler à une…
Il s’interrompt avec une grimace de dégoût. Son attitude me coupe l'appétit et je serre les dents pour ne rien répliquer. Cependant, je ne peux garder le silence après cet affront. Je m'efforce de maîtriser mon intonation en rétorquant :
– On ne choisit pas sa famille. Mon père est une personne abjecte, je le sais. Il a tenté d'assassiner l'homme que j'aime. Par sa faute, nous avons été séparés. Et ses parents… étaient comme ma véritable famille. Je le soupçonne même d'y être pour quelque chose dans la mort de maman…
Ma voix se brise dans un chuchotement presque inaudible sur cette dernière supposition. Je n'ai jamais énoncé ces propos jusqu'à présent. Je n'ai jamais fait part à personne de cet ignoble doute qui me hante.
Qu'est-ce qu'il me prend de sortir ça à un inconnu ?
Au bord des larmes, mes ongles mordant la chair de ma paume, je le laisse en plan avec ses deux bols de nouilles. Alors que je m'éloigne sur le trottoir, il m’apostrophe :
– Attends ! Où tu vas comme ça ?
Même si j’entends le remords dans son ton, je reste muette, poursuivant ma route. Peu importe où je vais, je m'en contrefiche. Il arrive à ma hauteur.
– Arrête toi, boudiou ! J'suis désolé, ok ? On est tous à cran, j'avais pas à dire un truc pareil…
– Tu abandonnes ton poste ! Damian a besoin de toi.
Ma remarque froide le stoppe net. Malgré moi, je m’arrête aussi. Ses iris anthracite me supplient et j'y lis sa culpabilité.
– S'il t'arrive un truc, il me tuera, bougonne-t-il. Allez viens, on recommence du début, s’teuplait !
Je réprime un gloussement devant son air de chien battu. Heureusement, la porte est toujours visible de là où nous nous trouvons et je m’empresse de faire le chemin en sens inverse. Il ne masque pas son soupir de soulagement en m’emboîtant le pas. Nous reprenons nos places et c’est lui qui me tend mon bol, cette fois. En commençant ce repas frugal, je me rends compte à quel point je suis affamée.
– Si tu veux, je peux prendre mon tour de garde, juste après. Je suppose que tu serais content de passer du temps avec Dam, et il serait content de papoter un peu avec toi, lui aussi.
– C’est gentil de proposer… J'crois pas qu'il sera d’accord, par contre.
– Il est déjà au courant, je lui ai fait part de mes intentions.
– Et il t’a pas dissuadée ? s’étonne-t-il.
– Je suis plutôt persistante.
Je lui fais face avec un sourire en coin. Il s’esclaffe.
– Ouais, tête de mule tu veux dire, quoi. Faut croire que vous êtes plutôt bien assortis, alors !
– Il faut croire, mais si on n’est pas d’accord… Je te laisse imaginer l’étendue des dégâts !
Son rire tonitruant résonne à nouveau. Peu à peu, nous nous sentons plus à l’aise et la conversation vient naturellement. Nous avons terminé nos repas depuis un moment lorsqu’il décide de rendre une petite visite à son neveu. Je ne peux m’empêcher de l’avertir :
– S’il dort, ne le réveille pas, d’accord ?
Jay acquiesce, se lève puis s’étire dans un bâillement bruyant.
– Tu sais, commence-t-il avant de se diriger vers le local, je suis désolé de t’avoir jugée aussi vite. Je sais ce que c’est, les problèmes de famille, tout ça… Mais ce qui est arrivé… Bref…
Il pose une main sur mon épaule. Son ton est sincère.
– Rev a l’air vraiment dingue de toi, même avant qu’il se souvienne de qui t’étais il en pinçait déjà pour ton avatar dans la matrice ! Ça, j’avoue que j’ai pas tout suivi à votre histoire, hein… En tout cas, pendant tout ce temps, j’ai jamais réussi à le caser avec une nana, alors… Bienvenue dans la famille !
Il place son pouce en l’air juste sous mon nez. Émue, je lui rends son sourire et son geste avec joie. Je finis par murmurer alors qu’il s’avance déjà vers le bâtiment :
– Merci…

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