Lundi 1er juin 2070, 3h15- Marseille, devant la planque de Rev

La lassitude me gagne, mais j’essaie de ne pas baisser ma garde. Pas un chat dans cette ruelle. Juste quelques rats et le trafic qui résonne au loin. Après ce qui me paraît une éternité, même si je suppose qu’il s’est peut-être écoulé un quart d’heure, je perçois un mouvement au bout de la venelle. Aux aguets, les muscles tendus, je me tiens prête à prévenir les autres quand je reconnais la chevelure flamboyante de Fanny. Je tente de calmer les soubresauts désordonnés de mon cœur tandis qu’elle s’approche.

– Alors, c'est toi qui montes la garde, maintenant ? Tu les as laissés entre mecs ? me lance-t-elle avec un clin d'œil.

– Eh bien, j'ai réussi à faire la paix avec Jay, je les laisse fêter ça !

– Oh, bien joué ! Je m’attendais pas à ce que ce soit aussi rapide mais ça facilitera les choses, pardi !

Je me mords la lèvre, hésitant à lui poser la question qui me taraude. Nous sommes seules, c’est l’occasion. Elle n’a rapporté que son sac en bandoulière, pourrait-elle résoudre mon problème ? Fanny s’assoit près de moi et prend un air compatissant.

– Qu’est-ce qui se passe, ma petite chérie ? Tu t'inquiètes pour ton homme ? Il s’en sortira tu sais, il a connu pire !

Je souris à sa sollicitude, même si je ne suis pas sûre d'avoir envie de savoir à quoi elle fait allusion. Par certains côtés, elle me rappelle ma Nina.

– Non, enfin si, mais ce n’est pas ça. J’aurais… J’aurais un service à te demander, en fait. Mais ça me concerne moi.

Fanny fronce les sourcils, intriguée. Son regard bienveillant m’incite à poursuivre sur ma lancée. J’inspire profondément. Après tout, j’ai décidé de faire confiance à l’entourage de Damian. À voix basse, je finis par poursuivre :

– Voilà… J'ai été victime d’une agression, on m’a injecté quelque chose, et depuis je ne parviens plus à accéder à la matrice. C’est à cause de ça que je n’ai pas pu contacter Dam à temps…

– Tu es sûre qu'on ne t'a pas tout simplement implanté un brouilleur ? Tu as eu des symptômes, suite à cette injection ?

– Je… Oui, je suis restée inconsciente durant plus de quarante-huit heures. J'ai eu du mal à m'en remettre par la suite, à retrouver l'appétit. Encore maintenant, je ressens les effets de cette fatigue.

Je n'avais pas envisagé la possibilité d'un brouilleur de signal, mais si c'est le cas, Nicholas ne serait donc pas si innocent que ce qu'il a bien voulu me faire croire.

– C'était il y a combien de temps, cette agression ? m'interroge Fanny.

– Il y a environ dix jours.

Je ne parviens pas à déchiffrer son expression, à la luminosité des lampadaires. Elle semble en pleine réflexion.

– Ça doit être quelque chose de bien costaud… Il va falloir qu'on procède à des examens si tu veux en savoir plus. De toute façon, j'ai apporté ça…

Elle fouille un instant dans son sac et en sort un minuscule drone qui ressemble à une mouche.

– Un drone d'espionnage.

– Tu connais, j'aurais pu m'y attendre, constate-t-elle en riant. Je m'en sers pour la surveillance de mon labo. Ceux-ci sont un peu obsolètes, mais pour nous alerter ça devrait suffire ! Revenge devrait pouvoir bidouiller ça sans problème pour qu'on ait plus besoin de monter la garde. En attendant…

Elle se lève sans ramasser son sac sur le muret.

– J'ai des trucs à récupérer dans mon van, mais j'ai préféré rester discrète et je l'ai garé plus loin. Je vais demander de l'aide à Jay pour le transport !

Je hoche la tête en silence, à la fois soulagée et angoissée par cette possibilité de savoir ce qu'on m'a fait subir. Je hausse un sourcil quand j'entends Fanny demander à Jay s'il a bu. Il ne tarde pas à sortir en la suivant dans la ruelle et me lance un clin d'œil au passage. Malgré cette attitude désinvolte, je le sens tendu lorsqu'il trottine vers elle. Je perçois qu'ils entament une conversation mais n'en saisis pas le sens.

Pour tromper mon attente, je me penche sur le petit drone. Son système me paraît assez simple. À première vue, il dispose de capteurs thermiques et d'infrarouge. Connecté à un comtech, il pourra sans problème nous alerter en cas d'approche d'un ou plusieurs individus. Ce qui me rappelle que j'ai égaré le mien dans notre fuite épique. Je repense à Nicholas. Aurait-il profité de mon inconscience pour m’implanter un brouilleur ? Voire autre chose ? Je regrette de ne pas avoir insisté pour connaître ses motivations, obnubilée par ma quête désespérée.

J'ai sauvé Dam, c'est tout ce qui importe.

Fanny m’apportera les réponses à toutes ces interrogations d'ici peu.

Lorsqu'ils réapparaissent enfin, l'air penaud de Jay et la mine triste de Fanny ne me disent rien qui vaille. Ma gorge se noue. Me cachent-ils quelque chose concernant la santé de Dam ? Fanny m'aurait-elle menti ?

Ils transportent une housse dont la silhouette évoque une harpe. Le camouflage est plutôt réussi. Je saisis le sac de Fanny et leur emboîte le pas.

– Attends encore un peu, Dynah ! Tant que le drone de surveillance n'est pas activé, nous ne devons pas relâcher notre attention !

Je me mords la lèvre, dépose le sac et ressors, les poings serrés. Je n'ai même pas eu l'occasion de lancer une œillade à mon amoureux. Je m’assoie rageusement sur le muret, maudissant l'attente forcée qu'on m’inflige à nouveau. Cependant, Jay me rejoint quelques secondes plus tard.

– Vas-y, Fanny m'a dit que tu t'inquiétais, elle va faire ses vérifications, là.

– Je… D'accord, merci Jay !

À son air renfrogné, je comprends qu'il souhaite rester seul. Je m'empresse de rejoindre le local.

Pourvu qu'elle m'annonce que tout ira bien…