53. Affliction

Mardi 3 juin 2070 , 00h58– nœud matriciel principal de Johnz Corporation

Les écrans devant moi s'effacent et je me retourne vivement au son d'un hurlement qui me réjouit.

– NON !

Les traits déformés par la rage, Johnson se tient à quelques mètres, une main tendue vers moi, impuissant. Il est arrivé trop tard pour empêcher l'inévitable. Tout est reprogrammé. Tout ce domaine matriciel m’appartient, à présent.

– C'est fini, Johnson. Tu n'es plus rien !

– Pauvre idiot arrogant ! vocifère-t-il. Ma fille vient de se sacrifier pour tes beaux yeux ! Tu as peut-être gagné, mais tu connaîtras l'affliction de fêter une victoire seul !

Il s'évapore sans demander son reste avant que les protocoles de sécurité que j'ai lancés contre lui ne le réduisent en miettes. Ses paroles me laissent pantois, affolé par leur sens qui atteint difficilement mon esprit en panique. Horrifié, je prends conscience qu'il n'avait pas l'air de bluffer, que son immense colère n'était pas la seule émotion qui transparaissait sur ses traits et dans son timbre. Une angoisse terrible m'étreint alors que je m'empresse de revenir à la réalité.

La main de Dynah est glacée dans la mienne. Fébrile, je me redresse et découvre son visage, pâle comme la mort. Je caresse ses joues, embrasse son front et ses lèvres bien trop froides, appelle son nom. Aucune réaction.

Non…

Je tâte son poignet pour vérifier son pouls que j'ai du mal à percevoir. Son cœur bat faiblement la mesure de son agonie. Le mien est prêt à exploser alors que j'éclate en sanglots en la serrant contre moi.

Le prix de cette victoire qui ne vaut plus rien me paraît écrasant. Je suis désormais actionnaire majoritaire de Johnz Corporation. Ce n'est plus qu'une question de temps avant que j'en devienne le propriétaire légal. J'ai vengé la mort de mes parents en arrachant à leur assassin les deux choses qui lui étaient les plus chères : sa société… et sa fille. Seulement, Dynah comptait bien plus que tout le reste à mes yeux.

Bien plus que ma vengeance…

Je n'imagine pas mon avenir sans elle. Désespéré, je me précipite dans notre refuge. Peut-être que je pourrais l'y trouver ? Que je pourrais la sauver, avant qu'il ne soit trop tard ?

Tout est bien trop calme. J'ai beau crier son nom, scanner les environs, notre nœud reste désert. Je ne sais pas combien de temps je m'égosille, encore et encore. Jusqu'à finir par capituler, épuisé. À genoux au bord de la falaise, tête basse, l'évidence m’afflige d'une souffrance que n'importe quelle torture n'aurait pu égaler.

Adara est partie. Et elle a emporté Revenge avec elle.

Non, je ne peux m'y résoudre…

Je serre les poings, levant les yeux vers l’horizon. J'ai accès à toutes les données de Johnz Corporation. S'il y a ne serait-ce qu'une parcelle d'information qui me permettrait de mettre en œuvre un moyen de la ramener, je la trouverai.

Et vite...