Glossaire disponible dans le prologue

Cycle des Sphères

Sima 4 - Évanée

Suri était allongée sur son canapé, un bras posé sur son front, les yeux ouverts, contemplant le plafond blanc de son appartement. À côté d’elle, Lior était agenouillé sur le tapis, entouré d’innombrables documents. Depuis plusieurs jours, il élaborait le plan d’action qui permettrait de libérer ses frères de l’abbaye. Suri avait voulu l’aider à maintes reprises, mais il lui avait toujours répondu qu’il serait plus efficace seul et qu’il préférait qu’elle se concentre sur une solution pour les enfants.

Elle y avait longuement réfléchi et avait contacté des familles d’accueil qu’elle côtoyait dans le cadre de son travail. Certaines étaient prêtes à recevoir un ou deux enfants, mais ils étaient bien trop nombreux. Depuis, Suri cherchait une solution convenable et durable. Elle avait déjà eu plusieurs rendez-vous pour concrétiser son idée, mais tant qu’elle n’avait aucune certitude, elle préférait la garder pour elle, afin de ne pas donner de faux espoirs à Lior.

Il lui avait justement demandé, quelques minutes plus tôt, si elle avait trouvé un moyen d’aider ses frères après leur libération. Elle lui avait répondu qu’elle y réfléchissait encore. En réalité, ce n’était pas cela qui occupait son esprit. Elle ressassait sa conversation avec Kaye, ou plutôt les aveux qu’il lui avait faits.

— Je connaissais l’existence de l’abbaye avant que tu m’en parles.

Il lui avait avoué cela alors qu’elle s’apprêtait à rentrer chez elle. Elle avait fait demi-tour et l’avait accompagné jusqu’à un banc, où ils s’étaient assis. Elle avait attendu qu’il parle.

— Mon petit frère vouait un culte aux morts, et il avait entendu parler d’un groupe de nécromanciens installé à Duléro. Il y a six ans, il les a rejoints, me laissant sans nouvelles.

Sa voix était étrangement calme, dénuée de toute émotion, alors qu’il évoquait son frère disparu. Suri avait supposé qu’il cherchait à se détacher de la situation pour mieux la supporter. C’était fréquent : un moyen de protection pour l’esprit.

— En menant des recherches, j’ai appris qu’une abbaye se cachait dans la forêt de Duléro. Mais, protégée par un puissant sortilège, je n’ai jamais pu y entrer.

Suri s’était demandé comment il avait pu entendre parler de cette bâtisse, alors que même les archives de la ville n’en faisaient pas mention. Mais elle n’avait rien dit. L’important était qu’en sauvant les enfants retenus prisonniers, ils pourraient peut-être retrouver le frère de Kaye.

— Nous ferons tout pour le retrouver, lui avait-elle assuré.

Il l’avait remerciée dans un murmure empreint de sincérité, bien que son regard n’en portât aucun signe.

En y repensant, Suri se demandait s’il lui disait la vérité. Depuis des Années, elle côtoyait des enfants qui, pour se protéger, mentaient. Elle les voyait tenter de dissimuler leurs expressions sous un masque impassible, cherchant à contrôler leurs émotions et leurs sentiments. C’était une mécanique de défense vouée à l’échec, car leur regard trahissait toujours leurs ressentis. Elle savait reconnaître quand les mots et les émotions étaient en contradiction. Kaye avait adopté un ton et une expression marqués d’un chagrin sincère, évoquant la perte de son petit frère. Pourtant, ses yeux rouge sang avaient laissé entrevoir une froideur glaciale et la promesse d’une vengeance.

En contemplant le plafond de son appartement, Suri cherchait à en comprendre l’origine. Était-ce une colère dirigée contre les nécromanciens qui avaient enrôlé son frère, ou bien une haine tournée contre lui ? Elle soupira d’exaspération face à l’énigme que représentait Kaye. Elle avait l’impression de le connaître, mais parfois, une distance inquiétante s’installait entre eux et une aura menaçante semblait émaner de lui.

Elle se leva du canapé, rejoignit la cuisine et but un verre d’eau. Puis elle haussa les épaules, comme pour se rassurer elle-même. Kaye était quelqu’un de bien, simplement inquiet pour son petit frère, et il avait du mal à contrôler ses émotions, voilà tout. Bientôt, tout rentrerait dans l’ordre. Kaye retrouverait son frère et les enfants seraient sauvés. Ce n’était plus qu’une question de temps. Elle en était certaine. Tout se passerait bien.