Une fois arrivée au château, Minerva McGonagall coordonna la dispersion des étudiants sans attendre. Elle confia les élèves de Beauxbâtons et de Durmstrang aux soins d’Igor Karkaroff et de Madame Maxime, puis ordonna immédiatement le retour des élèves de Poudlard au dortoir :
« - Gryffondors, Serdaigles, suivez-moi ! Les Poufsouffles, restez ici. Votre Directrice de Maison va venir vous chercher dans un instant. »
Elle se tourna vers le préfet de Serpentard, un septième année froid et studieux qui appréciait bien plus le prestige lié à son titre de préfet que les responsabilités qu’il lui incombait.
« - Monsieur Cresswell, veuillez raccompagner tous les Serpentards dans les cachots. », demanda-t-elle en indiquant la direction d’un geste clair de sa main, faisant danser sa robe verte ornée de fines arabesques sur les bords.
Winter et Oscar suivirent le préfet à contrecœur. Le château était désormais en alerte maximale. Dumbledore avait fait renforcer la surveillance au cas où des Mangemorts tenteraient de s’y infiltrer.
« - Comment veulent-ils qu’on ferme l’œil après ça ? », chuchota Oscar à voix basse, le visage tendu par l’atmosphère sans précédent.
« - Je ne sais pas… », répondit Winter à demi-mots, dans le même état.
« - Même l’année dernière, quand il y avait eu l’évasion de Sirius Black d’Azkaban, la sécurité n’était pas accrue à ce point. »
La jeune femme ne répondit pas. Une question la tourmentait profondément depuis un moment. Mais où était Severus Rogue dans tout ce vacarme ? Alors que Flitwick s’était battu en première ligne, que McGonagall avait orchestré le retour des élèves à l’école et que Chourave avait participé à sa manière à la protection du château et de sa faction, les Serpentards, eux, étaient jusqu’à présent orphelins de leur Directeur de Maison.
La réponse ne tarda point à se faire attendre. Au détour d’un couloir à quelques mètres de la salle commune de la maison ophidienne, le professeur des potions surgit, comme une apparition dans l’ombre, enveloppé de sa cape le recouvrant entièrement comme des ailes de chauve-souris repliées sur son corps.
Ses yeux perçants, pourtant inexpressifs en apparence, portaient malgré tout une tension que Winter parvint à déceler.
D’une voix grave et sèche, il commanda :
« - Miss Grail. Vous venez avec moi. »
La jeune femme sentit son cœur trembler…ou revivre. Alex Cresswell objecta sans assurance, le visage craintif :
« - Sauf votre respect, Professeur Rogue…la professeur McGonagall a dit que tous les élèves devaient regagner leurs dortoirs et… »
Rogue le fusilla du regard.
« - Vous osez contester un ordre dans MA maison en invoquant une autre autorité, imbécile ? Je vous conseille vivement de réfléchir avant d’ouvrir à nouveau la bouche, à moins que vous ne préfériez me remettre sur-le-champ votre insigne de préfet et passer vos soirées à récurer les cachots en retenue jusqu’à la fin de l’année. »
Cresswell baissa aussitôt la tête, et s’effaça, complètement soumis. La plupart des élèves tremblèrent. L’homme semblait encore plus irritable que d’habitude, comme un volcan explosif sur le point d’entrer en éruption. Voyant que les Serpentards restaient complètement inertes dans le couloir, il claqua avec un mépris glacé :
« - Eh bien ? Qu’est-ce que vous attendez ? Une invitation ? Déguerpissez. »
Les jeunes sorciers et sorcières, penauds et effrayés, ne rechignèrent pas davantage. Oscar adressa à Winter un regard empli de soutien silencieux et de compassion.
La compositrice se retrouva seule face à Rogue, tentant de masquer sa nervosité dans ses expirations. Ses yeux vinrent malgré elle se poser sur cette silhouette rigide et pleine de prestance, peinant à dissimuler une douleur bien présente. Cela n’échappa pas au sens aigu de l’observation de l’intéressé. Mais il ne réagit absolument pas dans le sens qu’elle aurait voulu. Au contraire, il brisa intentionnellement cette tension en se mettant à marcher d’un pas rapide dans le couloir, attendant de Winter qu’elle le suive sans discuter.
La musicienne fronça les sourcils, détestant la situation. La manière qu’il avait de l’ignorer copieusement la rongeait de l’intérieur, mais elle remarqua en même temps dans l’allure de Rogue une solennité extrême qui la dissuada de jouer les contestataires.
Le Maître des Potions la mena jusqu’à une pièce de taille moyenne, non loin de son bureau, dont il était le garant des clés : la salle du Club de Duel. Winter le regarda, incrédule.
« - Vous ne voulez tout de même pas que je me batte contre vous ? », souffla-t-elle.
Sans lui répondre, il déverrouilla la porte et la fit entrer sans attendre avant de refermer à double tour derrière lui.
« - Collaporta. Assurdiato. », murmura le sorcier, sa baguette sombre orientée vers l’entrée.
L’endroit fut immédiatement empli de puissants enchantements de renforcement de la serrure ainsi que d’isolement sonore. Rogue ne voulait ni être vu, ni perçu, ni entendu.
La rockstar, toujours confuse, observa les tracés magiques au sol délimitant le terrain d’entraînement de combat en pavés sombres. Sur le côté se trouvait quelques bancs en bois ainsi qu’un panneau à palettes mécaniques permettant d’afficher des scores et des indications en cas de duel supervisé. Mais Winter sentit instinctivement que la salle n’allait pas accueillir une activité conventionnelle aujourd’hui.
Severus Rogue ôta sa cape qu’il plia et déposa avec soin sur le banc puis il la rejoignit au milieu de l’aire de combat, son long manteau noir suivant fluidement chaque ligne de son corps.
« - Je n’arrive pas à croire que ces incompétents du Ministère aient autorisé la tenue de ce…carnaval bruyant de mauvais goût en ces temps qui courent. », articula-t-il avec dédain.
Winter fronça les sourcils :
« - Ils ne pouvaient pas anticiper…et finalement, est-ce que céder à la peur, ce n’est pas quelque part leur donner exactement ce qu’ils veulent ? »
Rogue laissa éclater un semblant de rire sarcastique sans joie.
« - Je croirais entendre les mots de Barty Croupton et de Cornelius Fudge qui étaient à l’instant réunis d’urgence dans le bureau de Dumbledore. Le Ministère a estimé qu’il s’agissait d’un acte grave mais isolé et qu’il fallait maintenir la dernière épreuve du Tournoi des Trois Sorciers en juin malgré tout. Rien de surprenant de leur part, je suppose. Panem et circenses. Tant que l’illusion de normalité est maintenue, le peuple dormira. »
La jeune femme ouvrit la bouche, surprise.
« - Le Ministre est à Poudlard ? »
Le Maître des Potions souffla par les narines avec une tension contenue, faisant voler ses cheveux raides qui étaient plaqués sur son visage comme des traînées d’encre. Il répondit avec cynisme :
« - Fudge s’est empressé d’arriver en grande pompe par le réseau de poudre de cheminette, affirmant que la situation était sous contrôle. Naturellement. »
La pianiste fixa distraitement les cloisons infiltrées d’humidité de la pièce, perturbée. Elle sentait bien que quelque chose de politique et de profondément dérangeant était en train de se jouer autour de cet événement où elle n’avait souhaité qu’apporter des émotions et une richesse artistique au public sorcier. Mais cela lui permettait aussi d’éviter de trop regarder à sa droite son ténébreux professeur qui était littéralement pour elle un supplice de Tantale vivant. Elle laissa échapper sa réflexion à voix haute :
« - Pourtant, je crois qu’il a raison sur un point. Je pense que c’est dans ces instants-là …que le monde a le plus besoin de culture. Pour ne pas sombrer dans l’obscurantisme justement. Pour rester un phare, une lumière et un contrepouvoir auquel se raccrocher. »
Severus Rogue resta silencieux un moment à détailler le visage de Winter Grail, élégant, androgyne et en même temps curieusement ancré à cet instant dans sa féminité. Il ne vit pas seulement l’élève au physique désirable, mais aussi la virtuose du piano, la chanteuse envoûtante et surtout l’âme inspirée et créative qui pensait chacun de ses textes.
D’une voix plus basse et sans mordant, il murmura lentement, comme si cela lui coûtait de l’admettre :
« - Je n’ai rien à redire sur le fond de vos propos, Miss Grail. Je comprends ce que vous cherchiez à faire. Mais vous étiez exposée en première ligne sur cette scène et vous auriez pu y rester. Et…je n’aurais rien pu faire pour l’empêcher. »
Il resserra lentement son poing gauche, ses jointures déjà pâles virant au blanc éclatant tandis qu’il crispait sa main droite autour de sa baguette noire. Pour la première fois depuis des jours, Winter décela un soupçon de conflit et d’émotion muselée en lui. Il se reprit immédiatement et asséna avec une voix sèche et corsetée à l’excès :
« - Sortez votre baguette. »
La sorcière lui jeta un regard perplexe. Elle s’exécuta lentement. Rogue se mit à tourner autour d’elle, mains jointes dans le dos, dressé comme un officier militaire. Il déclara d’une voix professorale :
« - Le sort que je m’apprête à vous enseigner, Miss Grail, est un prototype. Je ne l’ai testé que sur des dispositifs expérimentaux dans mon bureau tard le soir aux cachots. Il est entièrement basé sur les découvertes biologiques de Phineas Drelmort. Autrement dit…si ses travaux sur le basilic sont erronés, alors ce sortilège ne servira à rien. »
Winter ouvrit les yeux avec surprise et une pointe d’admiration malgré elle.
« - Vous avez réussi à …créer un sort ? En si peu de temps ? »
Rogue s’arrêta un instant de marcher. Il sembla étonné de sentir de la reconnaissance chez elle. Il avait été habitué pendant toute sa vie à être rejeté et bridé sur son exploration vers des domaines magiques inconnus. Il feignit la neutralité pour tenter de cacher l’effet que cela lui faisait au fond de lui, surtout venant d’elle.
« - Il ne faut pas crier victoire trop tôt. Comme je viens de le dire, je n’ai aucun recul sur les limites de cette invention. Cette incantation vise à vous protéger des rayons violets et ultraviolets du basilic en créant un filtre optique magique autour de vos yeux. »
D’un coup de baguette, il alluma un faisceau lumineux puissant au fond de la pièce et fit apparaître un prisme à quelques mètres devant la jeune femme afin de décomposer la lumière blanche issue du projecteur. Un ruban irisé déroulant une succession de couleurs du rouge au violet s’en échappa. Winter ne put s’empêcher de remarquer, amusée en pensant au logo des Pink Floyd :
« - Roger Waters et David Gilmour approuveraient cette mise en scène. »
Rogue ferma les yeux un moment avec un petit rictus sarcastique étouffé qui s’échappa de ses lèvres.
« - L’heure n’est pas aux références de rock progressif moldu, Miss Grail. Concentrez-vous et répétez après moi bien distinctement : Oculumbra. »
La musicienne prononça le mot phonétiquement en articulant. Rogue fit un petit signe de tête réticent comme s’il retenait une parole trop agréable.
« - Bien. Je suppose que votre expérience de scène vous confère une aisance naturelle pour énoncer dès la première fois les formules sans trembler ou sans écorcher de syllabe. »
Winter ne put s’empêcher de sourire légèrement. Elle savait pertinemment que la raison pour laquelle les autres élèves devenaient subitement bègues devant le Maître des Potions n’était pas un problème d’élocution mais plutôt la peur qu’il leur inspirait.
Il se posta à côté d’elle et lui présenta le geste de baguette à effectuer pour lancer le sort. Son bras tournoya puis s’abaissa vers ses yeux sombres d’un mouvement gracieux et sec à la fois, si propre à lui-même.
« - Essayez. »
Winter entreprit de reproduire le tracé. Rogue secoua la tête et rajouta des instructions laconiques :
« - Moins saccadé. Plus large. La trajectoire vers le bas doit être plus droite. »
Elle recommença encore et encore, au point qu’une douleur finit par la lancer dans son poignet. Elle se propagea dans tout son avant-bras. Rogue commençait à perdre patience. Il la coupa alors qu’elle allait amorcer une nouvelle tentative.
« - …Vous êtes crispée. Qui vous a appris à tenir votre baguette comme ça ? Laissez-moi deviner. Lupin, l’été dernier, entre deux soirs de pleine lune ? »
Winter soupira, abaissant son bras pour le reposer pendant quelques secondes.
« - Personne. C’est juste que… »
Elle se tut volontairement. La proximité physique combinée à la distance mentale lui était insupportable. Rogue appuya de sa voix grave :
« - Restez focalisée. Encore. Avec l’incantation cette fois. »
Mais ce qu’elle ignorait, c’était que l’ordre était un mantra qu’il s’adressait en réalité aussi bien à lui-même qu’à elle. Winter s’essaya une première fois au sortilège.
« - Oculumbra. »
Une faible membrane fine translucide ressemblant à la surface d’une goutte d’eau s’échappa du bout de sa baguette et commença à se former autour de ses paupières, mais elle lui éclata au visage. Winter eut une sensation de brûlure semblable aux fois où elle s’était renversée du shampoing dans les yeux en rinçant ses cheveux dans la douche par mégarde. Elle poussa un spasme vocal étranglé, lâcha sa baguette par réflexe et porta sa main à ses yeux pour les frotter.
Severus Rogue réagit aussitôt :
« - Ne faites pas ça, inconsciente ! »
Il lui attrapa le poignet à la vitesse d’un éclair et lança un sortilège d’eau atténué pour éliminer le film magique coincé dans la cornée de ses yeux bleus.
La pianiste ressentit l’effet d’une décharge électrique au contact de ses doigts fins. Elle réalisa malgré le picotement oculaire à quel point cela l’avait hantée. Rogue l’examina consciencieusement, tentant de masquer une inquiétude réelle.
« - Le filtre optique devrait normalement entourer vos yeux sous forme de cloche sans jamais en toucher l’intérieur. La magie instable du sort non maîtrisé pourrait provoquer des dégâts plus ou moins réversibles sur votre vision. Il faut impérativement rincer et non étaler si le sortilège échoue. »
Winter, le blanc des yeux un peu rougis par l’irritation, se baissa pour ramasser sa baguette. Mais cette fois, elle souffla, un peu agacée.
« - Et bien sûr, vous ne pouviez pas me le dire plus tôt. »
Rogue durcit le ton d’emblée.
« - Je vous prierai de me parler autrement, Grail. »
Winter sentit son sang bouillonner. Elle ne supportait pas d’être traitée comme une élève de première année. Son orgueil féminin ne le tolérait plus. Surtout avec ce fameux « éléphant dans la pièce » que ni elle, ni lui n’avaient encore réévoqué. Et pour la compositrice, rien n’était enterré, bien au contraire.
La rockstar releva sa chevelure soyeuse d’un geste élégant et fier de la tête. Elle se redressa légèrement, plus ancrée dans le sol alors que sa vision revenait à la normale. Puis, par pure défiance, sans même attendre de consigne, elle pointa sa baguette vers les rayons monochromatiques s’échappant en ruban du prisme. Elle effectua le geste en ramenant l’extrémité vers ses yeux, cette fois avec beaucoup plus d’assurance et une pointe d’orgueil.
« - Oculumbra ! »
Un nouveau film translucide sortit du bout de sa baguette en érable mais il enveloppa cette fois ses yeux de deux demi-globes transparents ayant la texture apparente de bulles de savon sur laquelle les éclats de lumières dessinèrent des reflets changeants. L’apparence du sort restait discret mais donnait l’impression d’extérieur que Winter avait des yeux de caméléon.
Severus Rogue afficha une réelle expression de surprise. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle parvienne à former des filtres complets aussi vite, surtout étant donné qu’il n’avait testé le sort que sur lui et qu’il n’était pas certain qu’il soit facilement reproductible. D’une voix prudente et chargée de tension sous-jacente, il demanda :
« - Dites-moi…percevez-vous les rayons violets ? »
Winter, qui était concentrée sur cette impression étrange et inédite de voir le monde à travers un bocal, n’avait pas encore remarqué que sa vision des couleurs était restée intacte à l’exception du violet. Le ruban arc-en-ciel qu’elle voyait s’échapper du prisme s’arrêtait désormais au bleu.
« - …Non, je ne le vois pas. Je crois qu’ils sont déviés… », murmura-t-elle avec étonnement.
Le professeur des potions inclina la tête lentement, affichant une mince satisfaction. D’un sort non verbal, il mit fin à l’incantation et Winter retrouva sa perception optique habituelle. Le violet réapparut. Rogue éteignit le projecteur et le prisme redevint terne. Il souffla à contrecœur :
« - Il semblerait que le sortilège fonctionne. Vous êtes plus rapide que je ne l’avais anticipé, je vous l’accorde. Mais ne laissez pas votre réussite vous monter à la tête. Vous vous entraînerez jusqu’à ce que ce sort devienne une extension de vous-même. Vous devrez vous exercer encore et encore. Et tant que je jugerai votre maîtrise imparfaite, il est hors de question que vous mettiez un pied dans la Chambre des Secrets. Est-ce clair ? »
La musicienne, qui avait l’espace d’un instant vu sa colère retomber en découvrant l’effet du sortilège, sentit l’irritation resurgir en elle. Elle répondit d’un ton sarcastique et tranchant en miroir :
« - Oui, Professeur Rogue. Très clair, Professeur Rogue. »
Et avant qu’il n’ait le temps de la recadrer, elle enchaîna :
« - Maintenant, si vous avez fini votre sermon, je peux disposer ? J’aimerais bien savoir ce que sont devenus mes claviers qui sont restés à Pré-au-Lard. Et si Rémus, Magorian et le professeur Flitwick sont encore en vie, accessoirement. »
Winter, se dirigea vers l’unique sortie de la pièce, digne et excédée, et ajouta froidement de sa voix dénuée de son timbre doux et chantant habituel :
« - Merci quand même pour le sort. »
Sa gorge était serrée. Elle se détestait d’être comme ça, ou plutôt qu’il la rende ainsi.
Elle posa la main sur la poignée et alors qu’elle s’apprêtait à tenter de rompre les sorts de protection autour de la porte, le ton grave et soudainement presque peiné de Severus Rogue la retint.
Il lui tournait à moitié le dos et s’était écarté vers le fond de la salle, sa main libre crispée sur la manche de son bras qui tenait sa baguette dirigée vers le sol. Ses yeux étaient clos et ses arcades sourcilières froncées et tourmentés.
« - Le professeur Flitwick et Lupin s’en sont sortis indemnes. J’en ai eu la confirmation brièvement par Dumbledore juste avant sa réunion avec Cornelius Fudge. Les informations circulent vite. »
Winter se redressa un instant et le dévisagea, dubitative. Elle ne répondit pas et un silence s’instaura. Sa main, toujours suspendue dans son geste, s’était figée. Était-ce une tentative maladroite d’excuse ? Devait-elle partir ou rester ?
Severus Rogue fixa le mur devant lui plusieurs secondes, la ride verticale marquée entre ses sourcils se creusant davantage. Sa silhouette grande et mince était à présent une boule de nerfs prêts à rompre. Il tourna la tête lentement vers son élève et il regretta immédiatement son geste mais ne parvint à détourner les yeux. Ce qu’il vit le secoua profondément à l’intérieur. Elle se tenait droite, élégante comme sur scène, mais avec ce regard azur triste et presque éteint. Sa beauté en était même cruellement renforcée, ainsi teintée de mélancolie et de l’ombre d’un feu immédiatement étouffé. Elle n’avait rien d’une jeune fille en ce moment précis. C’était une femme qu’il avait heurté.
Sa voix, un peu plus douce et rauque, finit par briser le silence dans un murmure :
« - Quand je vous vois… ainsi, dans tout votre éclat indécent, je me demande ce que vous pouvez bien percevoir en moi. Par nature, une femme comme vous ne devrait pas même s’attarder sur ce que je suis. Si tant est que je sois encore… un homme. J’ai peur de vous détruire, Winter. C’est ce que je crains plus que tout. Si je m’approche, je risque de vous entraîner dans quelque chose que vous ne comprenez pas. »
Malgré tout, il fit un pas en avant vers elle, hésitant et empli de doutes. Il ajouta d’une voix plus sombre et gutturale :
« - Il y a des vérités que je ne peux vous confier. Pas seulement pour vous protéger, mais aussi pour m’épargner de voir votre regard changer. Et parce que, au fond, ce choix ne m’appartient pas. Il ne m’a jamais appartenu. »
Winter inspira intensément avec fébrilité. Elle n’osait même plus espérer le voir s’ouvrir encore. Dans sa tête s’imposa immédiatement cette fameuse question qui l’obsédait depuis des semaines. Elle redouta de refermer la brève fissure dans l’armure de l’homme en la posant mais son besoin de savoir l’emporta sur le reste :
« - Vous dites ça pour m’épargner parce que vous n’êtes pas libre, n’est-ce pas ? C’est ce que vous aviez laissé échapper. »
Elle rajouta, plus timidement et avec une tristesse d’acceptation :
« - J’espère sincèrement qu’elle saura vous rendre heureux… »
Severus écarquilla les yeux en grand, inhabituellement expressif et profondément sous le choc. Un bref tressaillement parcourut son regard obsidien. Il contracta sa mâchoire, tic habituel de nervosité mais qui ici exprimait aussi une douleur, celle d’apprendre qu’elle ait pu tirer de telles conclusions. Les cicatrices de son passé se réveillèrent également en lui.
« - Non, Winter. Il n’y a personne. Pas comme vous l’imaginez du moins. Celle que j’ai aimée ne pouvait pas me rendre heureux. Et elle ne le pourrait toujours pas. Parce qu’elle n’est plus. »
La jeune femme resta muette, comme assommée par le poids de cette révélation. Winter fixa ses chaussures noires un moment à la recherche d’un appui visuel stable pour ne pas s’effondrer. Elle murmura avec une voix affligée mais aussi empreinte de maturité et de compréhension :
« - Et…vous l’aimez encore ? »
Le corps de Severus Rogue resta cloué sur place, mais son visage afficha un chagrin ancien et indélébile. Sa respiration était calme, trop calme pour être naturelle, comme s’il jugulait un trop plein émotionnel.
« - Oui. Toujours. Mais…depuis que vous êtes arrivée dans ce maudit château, j’ai peur car je me surprends à ne plus l’aimer de la même manière. Votre voix entêtante et vos mélodies ont le don ou la malédiction de me détourner de son souvenir par instants. Vous m’avez récemment fait vivre et ressentir des choses que je n’avais jamais ressenties, pas même avec elle. Et…actuellement, ce que je redoute plus que tout, c’est de vous perdre comme je l’ai perdue. »
Severus baissa la tête légèrement, les bras alignés le long de son corps, le profil assombri comme un spectre sans figure. Ses cheveux lisses masquaient à présent partiellement ses yeux. Les lanternes, positionnées de manière régulière dans la pièce chargée d’une moiteur stagnante, faiblissaient de plus en plus comme si elles s’adaptaient à l’aura magique et émotionnel du maître des cachots. Il lâcha avec une voix presque imperceptible :
« - Je n’aurais jamais dû vous dire tout cela. J’ai failli à mon devoir une fois de plus. Je me hais pour cela bien plus que vous ne puissiez l’imaginer. Maintenant…sortez. Je vous en conjure. »
Winter releva lentement la tête. Mais alors que l’atmosphère ambiante s’assombrissait, elle sentit son sang réchauffer lentement sa poitrine, avec la douceur d’un soleil éblouissant des terres gelées après de longs mois de glaciation.
Lentement, elle lâcha la poignée de la porte et ses jambes la portèrent sans effort vers lui, comme mues par leur propre volonté. Elle s’arrêta devant lui et il ne bougea pas. Elle vit sa respiration devenir plus saccadée, son torse se soulevant sous son long manteau noir victorien de manière plus vigoureuse. Ses yeux noirs intelligents dévorèrent silencieusement les contours de son visage aux traits fins et ambigus, s’attardant sur la forme de sa bouche ainsi que sur ses cheveux bruns qu’il avait déjà caressés lors de leur premier baiser. La tension était toujours aussi présente, inaltérable. Le désir également.
La belle artiste ressentit en lui une peur immense, encore accrue depuis les événements dans la bibliothèque, mais il ne fuit pas. Quelques flambeaux s’éteignirent, plongeant la pièce plus encore dans l’obscurité. Winter franchit les derniers centimètres, presque incertaine, bien loin de son personnage étincelant de scène. Ses doigts fins et raffinés se déposèrent sur le tissu lourd recouvrant l’une des épaules de son professeur. Severus frémit fugacement puis pencha la tête, enivré par l’odeur de la jeune femme qui lui était désormais familière. Son regard était désormais presque animal.
Incapable de se retenir davantage, Winter se redressa et vint sceller leurs lèvres dans un souffle. Severus ferma les yeux, rigide et presque tremblant au début. Mais la sensualité vibrante de la jeune femme déclencha en lui une sorte de choc libérateur et il répondit avec une fièvre et une entièreté qu’il s’était interdites lors de la première fois.
Bientôt, il enveloppa Winter de son corps étonnamment chaud et ses mains longues, fermes et tendues par une retenue au bord de la rupture descendirent lentement jusqu’à encercler ses hanches.
Ce soir, la salle du Club de Duel n’accueillit pas un combat, mais le prélude à un chaos bien plus tempêtueux et intime, déjà dévastateur dans son éclosion.

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