Lorsque Minerva McGonagall entra de son allure féline et droite dans la Grande Salle, son chapeau de sorcière noir élégant trônant sur ses cheveux gris rassemblés en chignon à l’arrière de sa nuque, les bruissements de pages du Daily Prophet et du Chicaneur, la presse alternative pour les élèves les plus dissidents, emplissaient la pièce. Plusieurs elfes de maison, s’affairant de partout pour assurer le service du petit déjeuner, s’écartèrent à son passage alors qu’elle longeait les rangées d’élèves jusqu’à la table des professeurs.
Malgré une année scolaire presque complète, un constat était fulgurant : les élèves des différentes écoles peinaient à se mélanger. Ce n’était pas juste la barrière de la langue, mais aussi les coutumes et les mœurs. Dans la rangée des Serdaigles, les jeunes demoiselles de Beauxbâtons avaient formé une enclave de grâce aristocratique, vêtues de leurs éternels uniformes bleus de haute couture, au point d’en faire pâlir de jalousie ou de complexe d’infériorité les élèves de la maison céruléenne de Poudlard. Les deux bleus ne parvenaient guère à se fondre.
Et plus loin dans le coin gauche, les gaillards enhardis de Durmstrang buvaient dès le matin des coupes qui contenaient probablement autre chose que du simple lait ou jus de citrouille, échangeant des regards froids et patibulaires, emplis de fierté dans leurs uniformes chauds rembourrés avec une doublure en laine lourde. Viktor Krum, mâchoire carrée et regard vitreux, fixait son bol inlassablement sans penser à rien. Voilà plusieurs semaines qu’il ne fréquentait plus beaucoup Hermione Granger. Le cerveau de la jeune femme tournait trop vite à son goût et l’épuisait. Le bulgare était un homme d’action.
La Directrice de Gryffondor prit place à la droite d’Albus Dumbledore qui était en train de siroter un thé très fleuri, exhalant un mélange de lavande, de citron et de bergamote. Sa main ridée, entourée d’une manche pourpre richement brodée, étalait une confiture artisanale unique à base de prunes, d’épices, de figues et de miel sur une tartine beurrée.
McGonagall hocha sèchement la tête avec grâce.
« - Albus. »
Le directeur de Poudlard lui présenta un sourire poli, ses petits yeux bleus pétillant derrière ses lunettes en demi-lune.
« - Ah, Minerva. Je vous en prie, accordez donc une chance à ce porridge à votre droite. Je le suspecte de receler une surprise culinaire bien gardée. »
La professeur écossaise pinça les lèvres, accoutumée aux excentricités du vieux sorcier, mais rapprocha le bol de son assiette avec un sort informulé. Ses yeux perçants balayèrent machinalement la pièce jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent au niveau de l’extrémité de la table des professeurs où était assis Severus Rogue, à l’écart, glacial et raide comme une pierre tombale. Le Maître des Potions n’avait pris qu’un thé noir, corsé, en train de refroidir lentement dans sa tasse, et avait les yeux rivés sur un grimoire. Tout paraissait absolument normal d’extérieur, mais Minerva McGonagall connaissait trop bien son collègue pour ne pas remarquer son index et son majeur qui pianotaient lentement sur l’anse de sa tasse, ou bien encore le fait qu’il n’avait pas tourné sa page depuis dix bonnes minutes.
Une intuition la saisit immédiatement et elle releva les yeux vers la table des Serpentards. Drago Malefoy était en train de se pavaner devant Pansy Parkinson et Daphné Greengrass, moquant Harry Potter, souhaitant son échec à la dernière épreuve du Tournoi des Trois Sorciers programmée le 24 juin et se rapprochant chaque jour à grands pas. Blaise Zabini, un jeune homme calme et intelligent au teint sombre, observait la scène avec un petit sourire sarcastique. Et un peu plus loin, Oscar Mills mangeait tout seul, ostracisé comme toujours par ses camarades de maison. Mais une présence charismatique, impossible à oublier, manquait à l’appel. Winter Grail.
McGonagall grimaça de manière imperceptible. Elle n’avait jamais réussi à se sortir de la tête ce qu’elle avait vu dans la Réserve plusieurs mois auparavant. Elle n’avait jamais vu Rogue perdre son légendaire contrôle ainsi de toute sa carrière. Et même si depuis, l’incident semblait clôt, maîtrisé, effacé comme une erreur, comme un scandale étouffé, elle n’avait jamais cessé d’avoir des doutes.
Son regard se reporta vers le professeur des potions. L’absence de Winter, inhabituelle au petit déjeuner, ne pouvait pas être une coïncidence. Elle se leva, prétextant aller se resservir en boisson, pour lui toucher deux mots. Mais au même moment, Argus Rusard, tenant Miss Teigne dans ses mains, apparut à côté d’elle en claudiquant rapidement de sa démarche effrayante et vint glisser un mot dans l’oreille de Dumbledore. Ce dernier perdit son air léger et malicieux et adopta une attitude plus grave.
« - Minerva. Avez-vous vu Bartemius Croupton ce matin ? »
La vieille sorcière se figea et fronça les sourcils.
« - Barty Croupton Senior ? Non, je ne l’ai pas aperçu. Qu’est-ce que cela signifie, au juste ? »
Albus Dumbledore se lissa la barbe, soucieux. Il ne répondit rien pendant plusieurs secondes. Rusard resta planté à côté de sa chaise, caressant d’une manière un peu tordue le poil de sa chatte, attendant des ordres qui ne venaient pas.
Puis, le directeur se leva. Il glissa Ă sa directrice adjointe :
« - Suivez-moi je vous en prie...il serait préférable que nous parlions ailleurs. »
En bout de table, Olympe Maxime et Igor Karkaroff les regardèrent partir, suspicieux et n’appréciant guère de ne pas être conviés.
Ces déplacements n’échappèrent point à l’œil de Severus Rogue mais il ne réagit pas. Plus les secondes passaient, plus sa mâchoire était crispée. …Jusqu’au moment où les portes de la Grande Salle s’ouvrirent. Plus d’une centaine de paires de yeux se relevèrent d’un coup sans se concerter, tous attirés malgré eux. Winter Grail venait de faire son apparition. Toujours élégante, toujours ce côté arty, décalé, insaisissable, androgyne dans son look vestimentaire où elle ne portait l’uniforme qu’à moitié, surtout en ce samedi matin. Et toujours ces yeux azurés magnifiques et cristallins comme ses mélodies.
Severus Rogue l’avait aperçue avant tout le monde. Suspendu à l’instant, de son regard insondable mais intense, son grimoire et ses collègues autour de lui avaient cessé d’exister.
La jeune rockstar se dirigea lentement vers la tablée de Serpentard. Malgré son apparence toujours désirable, ses cheveux étaient plus décoiffés que d’ordinaire et elle avait des cernes sous les yeux. Oscar releva la tête en dernier et arbora le regard d’un enfant devant ses cadeaux de Noël.
« - Winter…tu es…incroyablement classe…euh je veux dire…Merlin, tu étais où ?! »
Winter étouffa un bâillement et s’assit à la table en face de son ami.
« - Moi ? Je dormais. Je t’avais dit que je n’étais pas du matin non ? Surtout un samedi. »
Oscar laissa échapper un petit soupir amusé.
« - Bien sûr mais…le service se termine dans cinq minutes tu sais ? »
Il poussa doucement sur la table une assiette de toasts qu’il avait préparés lui-même et lui chuchota avec une timidité mêlée à une petite fierté.
« - Je te les ai gardés. Au cas où. »
Winter inclina légèrement la tête, touchée par l’attention.
« - Merci Oscar, c’est adorable. Que me vaut cet honneur ? »
Le jeune homme balaya l’air d’un geste de la main.
« - Oh…rien, je veux dire, tu as juste à être toi-même, c’est tout. »
Il rougit légèrement et sourit à pleine dents, ses cheveux marrons bouclant légèrement en épis comme il ne les avait pas encore coiffés.
Winter se mordit la lèvre discrètement derrière un sourire doux mais un peu gêné. La jeune femme savait depuis l’épisode des dragons qu’Oscar ne ressentait pas que de l’amitié pour elle. Elle avait secrètement espéré que cela se tasse, fait l’autruche, mais rien ne semblait avoir changé. Mais elle comptait jusqu’alors sur le fait que son ami, timide comme il est avec les filles, ne tenterait rien.
Erreur.
Alors qu’elle acceptait l’assiette de tartines, Oscar, les yeux noisette un peu troubles et la dévisageant un peu trop intensément sans qu’il s’en rende compte, effleura les doigts fins de la pianiste, presque de manière anodine, ambiguë.
Il déglutit, comme s’il avait soudainement du mal à réguler ses émotions pour paraître normal, et il murmura d’un souffle :
« - Winter, tu sais… »
Il chercha ses mots et son pouce, sans s’en rendre compte, se déposa sur l’ongle court et sans vernis et sans artifice de celui de Winter. Cette dernière se tendit légèrement, complètement prise par surprise. Oscar bégaya avec un petit sourire nerveux :
« - Je voulais te dire, en fait… »
CLAC.
Le grimoire de Rogue se referma brusquement avec une telle force qu’il dégagea un petit nuage de poussières autour de lui. Le Maître des Potions s’était levé de son siège, surprenant au passage ses collègues. Flitwick, perché sur son coussin réhausseur et en pleine conversation avec Aurora Sinistra, la professeur d’astronomie, avait sursauté.
Rogue descendit vers la table des Serpentards, sa longue robe sombre et austère volant dangereusement dans son sillage. Il était inexpressif en apparence, comme toujours, mais tendu. Ses talons claquèrent alors qu’il s’arrêta, mains jointes dans le dos, à côté de Winter, face à Oscar.
Il ne le regarda même pas et ordonna d’une voix froide, presque beaucoup trop calme :
« - Miss Grail. Dans mon bureau. Maintenant. »
Winter releva la tête, perdue. Un éclat de douleur zébra son regard. Elle ne comprenait pas pourquoi il n’était pas resté cette nuit. Elle s’était forcée en arrivant à ne pas le chercher du regard. Elle songea à répliquer mais rien ne lui vint tellement elle ne savait plus quoi penser. Cela devenait une habitude avec lui.
L’artiste se leva lentement, s’extrayant avec élégance du banc en bois. Oscar avait retiré sa main mais il la fixait avec plus que de l’inquiétude : une contrariété mal dissimulé. Et pour la première fois, il osa parler devant Rogue :
« - Monsieur, elle…elle n’a pas encore pris son petit-déjeuner, ça ne peut pas attendre ? »
Rogue posa aussitôt les mains à plat sur la table à l’emplacement où Winter se trouvait, rapide et glissant comme un serpent, faisant reculer instinctivement le jeune homme sur son assise. Il murmura de sa voix grave, rauque et menaçante :
« - Ce qui ne peut pas attendre, Monsieur Mills, c’est ce devoir en retard que vous me devez et que vous feignez d’ignorer. Je le veux ce soir. Dans ma salle de classe. Ou vous n’y remettrez jamais les pieds. »
Sans ajouter un mot de plus, Severus Rogue fendit l’air en direction de la sortie, ses chaussures sombres martelant les dalles de pierre. Des élèves effrayés s’écartèrent sur son passage. Mais il jeta malgré son allure effrénée un regard derrière lui pour vérifier que la musicienne le suivait.
Winter haussa les épaules, navrée devant Oscar en apparence, masquant en réalité le sentiment de soulagement qu’elle éprouvait. Elle lui emboîta le pas, ressentant une vibration furieuse dans la cage thoracique.
Bientôt, la porte du bureau de Rogue se referma derrière elle. Rien n’avait changé depuis ses dernières venues. Tout était à sa place, figé, rangé, annoté, à l’image de l’homme qui l’habitait.
Ce dernier fit volte-face au milieu de la pièce. Ses prunelles obscures avaient le reflet d’une tempête nocturne en haute mer. Un silence lourd en tension s’installa. Et soudain, sa voix grave, voilée, murmura, chargée en émotions :
« - Vous êtes revenue. »
Winter sentit son expiration s’alourdir. Elle avait envie de lui poser mille questions. De crier. De lui dire à quel point son absence à la sortie de la Chambre des Secrets l’avait déchirée. Mais son corps s’exprima en premier à sa place. Dans un élan ardent, elle rompit la distance et frôla sa bouche de la sienne, brûlante de tout ce qu’elle n’avait pas pu dire.
Severus Rogue laissa échapper un souffle troublé, presque un doux mugissement qu’elle n’avait jamais encore entendu et ferma les yeux. Il effleura la taille fine de la jeune femme de ses doigts osseux, son toucher hésitant et presque tremblant. Ses lèvres s’imprégnèrent de son goût sucré avec une forme d’intensité frôlant le désespoir.
Il y avait toujours cette retenue en lui, cette incandescence tenue en cage, comme à chaque fois qu’ils avaient cédé à l’irraisonnable.
Au bout d’un moment, il s’écarta légèrement, le front collé contre le sien, la respiration hachée.
« - J’ai cru que je vous avais perdue », murmura-t-il, « que cela allait me hanter toute ma vie avec…le reste. »
Winter releva la tête doucement, son souffle entremêlé au sien.
« - …Et moi j’ai cru que vous étiez parti. »
Le regard du professeur des potions, toujours austère mais avec son masque d’inexpressivité craquelé de toutes parts, brilla de culpabilité. Devant elle, il baissa les yeux.
« - Je n’ai jamais voulu partir, Winter. »
Il marqua un silence avant de déposer lentement l’explication, comme un aveu mêlé à un agacement.
« - Karkaroff. Je devais l’éloigner. Il se serait douté de quelque chose. »
Severus Rogue sembla retenir l’espace d’un instant des mots et des pensées qu’il avait envie d’exprimer mais qu’il retint captives en lui, peut-être de peur de se briser s’il venait à en dire trop. Mais l’air entre eux, les respirations lourdes en furent malgré tout porteuses.
Et soudain, pris de vertige, comme s’il venait de faire un pas de trop au bord du précipice, il s’agrippa à la première chose rationnelle qu’il trouva. Une question simple, presque banale, lancée comme une bouée pour ne pas se noyer dans ce qu’il venait de ressentir.
« - Qu’avez-vous vu…sous terre ? »
Winter répondit doucement, sa main venant se déposer inconsciemment et presque timidement sur la manche au tissu lourd et sombre de Severus, comme si elle craignait qu’il ne lui échappe à nouveau. Cela lui arracha un tressaillement presque imperceptible.
« - Il n’y avait pas qu’un seul basilic. Il y en a deux. L’ancien a bien été vaincu mais…Entre temps, un autre est né. La Chambre des Secrets est en fait un laboratoire d’élevage ayant appartenu à Salazar Serpentard. Il a tenté de créer une lignée. »
Les iris de Rogue brûlèrent soudainement d’une fascination sombre se mêlant avec l’émotion et le soulagement qu’il avait ressentis en revoyant la belle compositrice. Il fut traversé d’un frisson mental comme s’il venait de découvrir un exemplaire ancien et rarissime d’un tome d’alchimie prohibé.
« - Vous réalisez ce que vous venez d’admettre ? Mais comment… ? »
Elle hocha la tĂŞte et rebondit aussitĂ´t :
« - Voldemort avait fait féconder l’œuf quand il était élève à Poudlard mais il n’avait pas réussi à le faire éclore. C’est un crapaud de l’école qui est venu le couver régulièrement très récemment. »
Le professeur des potions la dévisagea comme s’il venait d’apprendre que Dumbledore avait demandé McGonagall en mariage.
« - Insensé. Un…crapaud vous dites ? »
Il leva un sourcil, arborant sa moue sévère et intimidante habituelle quand il était plongé en pleine réflexion ou bien qu’il débattait intérieurement sur le nombre de points à retirer à Gryffondor. Il lâcha avec une pointe d’ironie :
« - Ah. La bestiole de Londubat. Évidemment »
Une moue presque amusée se dessina sur ses lèvres alors qu’il se rappelait avoir, l’année passée, ordonné à Neville Londubat dans un élan sadique de tester une potion réalisée approximativement sur son batracien de compagnie, Trevor. L’animal avait souvent la fâcheuse tendance de fausser régulièrement compagnie à son jeune maître et était souvent retrouvé des jours ou des heures plus tard dans des endroits improbables du château.
Severus Rogue esquissa quelque pas soucieux dans la pièce, s’éloignant de Winter, au grand dam de cette dernière. Malgré son regard toujours brûlant, il était désormais profondément préoccupé.
« - Un basilic ne relâche jamais une proie par…indulgence. Pas sans motif ou calcul. Que vous a-t-il ordonné de faire ? »
Elle soupira, un peu nerveuse, traversée par l’ironie de la requête.
« - C’est là que ça devient absurde. Il veut que je l’aide à sortir du château. »
Severus s’arrêta, sourcils froncés, son teint pâle ressortant encore plus à la faible lueur des éclairages de la pièce.
« - Et vous l’avez cru ? Cela semble presque trop simple.
- Vraiment ? », lâcha Winter, la déception glissant dans sa voix, contrariée que l’élan passionnel entre eux soit en train de redescendre net, « Et comment je suis censée composer avec un château plein à craquer d’élèves, de professeurs et de…tableaux enchantés ? »
Rogue, revenu dans son rôle de professeur, effleura de ses phalanges l’exemplaire de L’Étreinte du Regard Mortel qui trônait encore sur un coin de son bureau.
« - Les cas recensés de relations entre humains et basilics sont…rarissimes. », murmura-t-il, son timbre tinté d’une ombre de mise en garde, « Et lorsqu’ils surviennent, les serpents ne formulent pas de simples demandes. Ils établissent un pacte. Un engagement absolu. Inviolable. Et qui ne connaît aucune échéance. »
Il rajouta avec un air désapprobateur.
« - En outre, relâcher une telle créature en pleine nature autour du château serait un pur désastre. »
Winter avait désormais les lèvres serrées car elle n’avait pas envie de parler de ça maintenant.
Les moments avec lui étaient tellement sporadiques et précieux qu’elle ne voulait pas gâcher celui-ci. La seule urgence qui la rongeait, ce n’était pas la demande du basilic mais celle qui émergeait de sa poitrine et de son bas ventre.
Elle répondit d’un ton confiant et expéditif :
« - Oh, ça ? J’ai déjà prévu le coup. J’ai acheté six cents hectares de terre dans les montagnes de Toscane à Antonio, mon batteur. Ce boulet, il avait acheté un terrain beaucoup trop grand et il ne savait pas quoi en faire ! C’est une zone naturelle protégée et privatisée. Personne n’y mettra les pieds. J’avais prévu d’offrir un havre de paix aux dragons de la première épreuve du tournoi qui sont actuellement cachés dans un coin de la Forêt Interdite. Je ferai d’une pierre deux coups. »
Le silence qui s’installa n’était pas de ceux, habituels, où Severus savourait sa supériorité ou préparait une pique glaciale. Non. Celui-là sonnait différemment. Plus lourd, presque bancal. Il la fixait, immobile, comme si les mots qu’elle venait de prononcer ne parvenaient pas à s’emboîter correctement dans son esprit.
Ses paupières se plissèrent d’une manière infime mais chez lui, c’était un séisme. Il avait beau savoir ce qu’elle était, ce qu’elle représentait hors de ces murs, il n’avait jamais mesuré l’étendue concrète de son monde. De ses moyens. De sa liberté.
Cette fameuse célébrité dont il s’était d’abord méfié, qu’il avait méprisée, prise pour arrogance, devenait subitement concrète et…presque dissonante par rapport à ce qu’il était.
Elle n’était pas seulement inaccessible par sa beauté. C’était son mode de vie entier qui la plongeait dans une autre dimension et l’environnement Poudlard avait été diablement efficace dans la manière dont il avait jusqu’à présent lissé cette inégalité. Cela était d’autant plus saisissant que contrairement à un héritier de Serpentard comme Marcus Crux ou Drago Malefoy, Winter ne se vantait jamais. Il était donc impossible de savoir à quel point elle se situait à des années lumières des autres.
Lorsqu’il reprit la parole, Severus avait la voix plus basse encore que d’habitude :
« - Six cents hectares… »
Il marqua une pause, son expression redevenue impassible mais subtilement tendue.
« - J’ignorais que vous aviez… les moyens de posséder ce genre de ressources. »
Une constatation neutre en surface. Mais le sous-texte vibrait comme une corde trop tendue dans l’air : « Je n’en savais rien. Je ne sais rien de toi. Et tu ne sais rien de moi ».
Il se râcla la gorge légèrement et reprit un ton plus ferme.
« - Et je suppose que vous avez aussi trouvé un moyen de garder l’équilibre de la faune locale italienne sur place en introduisant plusieurs prédateurs apex au pouvoir de destruction massif ? »
Winter resta bouche bée. L’écosystème, elle n’y avait même pas pensé. Severus Rogue leva un sourcil, arborant sa fameuse moue professorale qu’il affichait face à une potion à peine commencée dont il devinait déjà l’issue déplorable. Il répondit à sa propre question à la place de la sorcière.
« - Non, vous n’y avez pas songé. »
Il s’approcha d’elle, les bras le long du corps dissimulés dans sa cape noire.
« - L’introduction de créatures magiques ne peut se faire sur un caprice. Surtout dans une zone déjà habitée, protégée par des réglementations moldues, et dont vous ne maîtrisez visiblement pas les subtilités. L’arrivée de dragons et a fortiori d’un basilic bouleverserait la chaîne écologique locale. On ne joue pas avec les équilibres, Winter. Pas même lorsque l’on s’imagine pouvoir tout régler à coups de titres de propriété sur des hectares de terre. »
Winter se mura un instant dans le silence, pas par rébellion mais parce qu’elle savait qu’il avait raison. Et qu’elle s’apprêtait à commettre une erreur précipitée avec les meilleures intentions du monde.
« - Je…oui. Vous avez raison. Et si je demande aux dragons et au basilic de ne se nourrir que de créatures magiques et non d’animaux ? »
Le Maître des Potions réfléchit un instant, son regard se posant sur les fioles poussiéreuses et minutieusement étiquetées de sa main sur ses étagères.
« - Il doit effectivement exister, dans ces montagnes, quelques enclaves magiques. » concéda-t-il, chaque mot pesé comme s’il redoutait de trop s’avancer, « Quelques colonies de Veaudelunes…peut-être même un yéti ou deux qui daignent sortir de leurs cavernes en hiver. »
Il fit un léger mouvement de menton, ce qui chez lui équivalait presque à un soupir.
« - Dans une certaine mesure, si vos…amis couverts d’écailles acceptaient de ne se repaître que de cela, l’idée pourrait alors être…tolérable. »
La musicienne inclina la tĂŞte lentement.
« - Je peux écrire à Antonio pour qu’il se renseigne pour moi à propos des grottes. C’est un moldu mais il pourrait au moins me faciliter le repérage de certains endroits potentiellement magiques. Je vais lui faire croire que j’ai une nouvelle passion pour la spéléologie. »
Elle le regarda, la bouche entrouverte d’hésitation avant de demander :
« - Et…admettons que j’arrive à convaincre les dragons et le basilic d’adopter une diète…purement magique, et qu’il y a ce qu’il faut dans les montagnes pour qu’ils puissent se nourrir, comment pourrai-je les envoyer là -bas ?
- Par Portoloin. »
Le mot lâché arracha un regard d’incompréhension à Winter. Elle n’en avait jamais encore entendu parler depuis son arrivée à l’école de sorcellerie. Severus Rogue expliqua d’un ton neutre :
« - Un objet magique pour les voyages à longue distance. Très règlementé. Je pourrai cela dit m’en procurer un sans éveiller trop de soupçons. Un des rares avantages de ma fonction, je suppose. »
Rogue marqua un temps, les iris absorbant plus encore que d’ordinaire comme s’il observait un échiquier mental où les pièces se mettaient lentement en place. Quand il reprit la parole, son timbre avait cette gravité posée qui précédait toujours ses décisions les plus froidement logiques :
« Le véritable obstacle n’est pas le déplacement en lui-même. C’est le moment où il pourrait avoir lieu. Il n’existera d’ici la fin de l’année qu’une seule occasion où l’école sera vide. Une seule. »
Il laissa le silence emplir la pièce solennellement.
« - La dernière épreuve du Tournoi des Trois Sorciers. Les élèves seront dehors. Le personnel également. Quant aux quelques Aurors qui resteront pour surveiller le château, ils ne poseront aucun problème. Une dose de Potion de Sommeil administrée discrètement le matin même, et ils seront aussi vigilants que des Fléreurs sous sédatif. »
Il esquissa quelques pas pour se retrouver face à elle au milieu de la pièce, la dévisageant avec sérieux.
« - Ce sera l’unique fenêtre de tir, Winter. »
La jeune femme respira lentement, sentant le poids de l’opération sur ses épaules. Elle plongea ses yeux bleus dans les siens. Elle lâcha un petit sourire doux, le genre de sourire nerveux, tellement humain, mais qui pouvait faire tomber toute une foule entière à ses pieds sans même qu’elle ne le conscientise.
« - Je vois. Je n’ai pas du tout la pression, n’est-ce pas ? »
Elle lâcha un petit souffle ironique mais ses traits harmonieux se relâchèrent.
« -…Merci en tout cas de m’aider. Je m’en veux de vous faire porter aussi ce qui me tombe dessus. »
Pour la première fois depuis leur arrivée dans le bureau, Severus répondit avec un semblant de rictus discret presque doux, aussitôt réprimé. Sa voix se fit plus feutrée, perdant de sa sécheresse.
« - Ne vous en excusez pas. »
Il se rapprocha d’elle lentement. Le cœur de Winter, qui ne s’était jamais vraiment assoupi, s’affola à nouveau.
« - Vous ne me faites rien porter que je n’ai pas choisi. »
Il hésita un moment avant d’avouer, comme s’il regrettait déjà ce qu’il allait dire :
« - Vous n’êtes pas la seule à porter des fardeaux, Winter. »
Ses yeux sombres, moins tranchants qu’à l’accoutumée parcoururent un moment la magnifique créature qu’il avait en face de lui. Et le pouvoir qu’elle exerçait, aucun dragon ni basilic ne pouvait l’égaler.
Il laissa échapper un petit souffle contenu. Un rien pour les autres, un monde pour lui. Il leva sa main pâle, calleuse, mais tendre dans son geste et vint effleurer le menton de la jeune artiste. Enfin, il murmura d’une voix à peine plus élevée :
« - Quand tout cela sera terminé…il y a quelque chose que je devrai vous dire. »
Winter eut un minuscule sursaut dans sa respiration. Tout autour d’elle se rétrécit autour d’un seul point de contact : ses doigts sur son visage. Elle ne bougea plus, de peur de briser l’intensité de l’instant.
Il cligna des yeux lentement.
« - Mais d’ici là , je vous prie d’attendre. Nous ne pouvons prendre le moindre risque. Pour les dragons et le basilic. Pour moi. »
Son regard se fit plus dense alors qu’il caressait sa peau lentement du bout des doigts.
« - Et surtout…pour vous. »
Puis lentement, il se retira.

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