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Plus douce que le miel.

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Plus douce que le miel.

Le jour ensoleillĂ© donne au parc une dimension onirique. C’est l’une de ces journĂ©es oĂą la nature irradie sa beautĂ© au monde. Dans ce cadre merveilleux deux enfants courent au milieu d’une pelouse Ă©clatante, accompagnĂ©s de chants d’oiseaux. Ils rient Ă  se passer un ballon. L’un d’eux roule au sol, rejoint par le second, les rires toujours prĂ©sents. AllongĂ©s cĂ´te Ă  cĂ´te, leur main s’unissent, ils se regardent « Tu es mon meilleur ami ! ».

« EKO l’ami dont tous les enfants rĂŞvent ».

Le visuel publicitaire disparut pour rĂ©apparaitre sur la prĂ©sentation technique du jouet : visage, taille, poids, tout Ă©tait personnalisable. A cĂ´tĂ© de ça, l’ours en peluche qu’il tenait en main faisait pâle figure. Soupirant, il quitta la devanture couverte du magasin et reprit sa marche.

C’était une journĂ©e pluvieuse, l’une de celle oĂą la nature gardait sa beautĂ© pour elle. Ses pas prĂ©cipitĂ©s le menaient Ă  travers une ville grise que seuls les hologrammes publicitaires Ă©gayaient. VoilĂ  bien longtemps que son manteau Ă©tait trempĂ©, il sentait la morsure froide de l’eau s’attaquer Ă  lui. Il accĂ©lĂ©ra le pas, espĂ©rant se rĂ©chauffer un peu. A un croisement, il tourna sur la droite pĂ©nĂ©trant alors dans l’un des quartiers rĂ©sidentiels de la ville. Combien de temps depuis sa dernière visite ? Des annĂ©es. Pourtant rien n’avait changĂ©. Toujours ces larges rues bordĂ©es de maisons uniformes dont la seule diffĂ©rence rĂ©sidait dans des jardins rivalisant d’originalitĂ©. Il passa devant un abribus sous lequel s’agglutinaient un groupe de gens hĂ©tĂ©roclites puis continua quelques centaines de mètres encore pour s’engager sur une allĂ©e pavĂ©e. Il termina sa course sous un porche charmant que la grisaille ne mettait pas en valeur. Notre homme se retourna vers le monde humide qu’il avait quittĂ©. La zone pavillonnaire n’avait rien d’accueillant dans l’immĂ©diat. Ici, pas de pubs flottantes, seulement les couleurs apportĂ©es par ce temps maussade. La pluie, particulièrement dense, repliait la vĂ©gĂ©tation sur elle-mĂŞme, des torrents d’eau longeaient les trottoirs, les gouttières dĂ©bordaient. Le ciel se dĂ©chainait. Un temps parfait pour la situation.

Il ôta son chapeau, le secouant pour le débarrasser du surplus d’eau. Son long manteau n’y échappa pas non plus. L’ours en peluche était imbibé de pluie. Son poil, épais à l’origine, collait contre son corps maintenant, le faisant paraitre rachitique. Trent pesta contre lui-même devant l’état lamentable de la peluche. Il pressa l’animal, celui-ci se vida. Un grognement plus tard, il sonna. La porte s’ouvrit sur une femme d’âge mûr les yeux larmoyants. Un sourire contraint s’afficha lorsqu’elle découvrit son visiteur.

- Trent, tu es venu, dit-elle la voix basse.

- Marie. Son regard se baissa. Je reviens de la paroisse. Il n’y avait plus personne.

- C’était ce matin. Nous avons préféré avancer l’heure. Avec ce temps. Elle s’écarta de l’entrée. Viens, le froid entre.

Trent s’avança dans le vestibule. Un porte manteau surchargé semblait craquer à tout moment. A ses pieds, quantité de parapluies étaient enfoncés dans un seau de fortune. Il se débarrassa de ses affaires qu’il plaça tant bien que mal sous le regard patient de son hôte. Ayant terminé, elle l’enjoignit de le suivre jusqu’à un séjour spacieux aux meubles chaleureux. Quelques personnes discutaient à voix basses. Trent n’en connaissait aucune.

- Tu as de quoi manger et boire au fond, indiqua Marie en désignant l’endroit.

- Merci.

Ces yeux fatigués croisèrent ceux de Trent. Elle s’apprêtait à dire quelque chose lorsqu’elle fut appelée depuis l’autre bout de la pièce.

- J’arrive, rĂ©pondit-elle. Puis s’adressant Ă  Trent. J’aimerai te parler tout Ă  l’heure, tu veux bien ?

Trent répondit à contre cœur.

- Oui bien sûr. Je resterai jusque-là.

Elle sourit sincèrement cette fois-ci, lui prenant la main pour la serrer tendrement puis s’en fut rejoindre le groupe qui l’avait sollicitée.

Trent se retrouva seul. Ils devaient ĂŞtre une petite dizaine au milieu de ce mobilier ancien. Il se dirigea plus rapidement qu’il n’aurait voulu vers le buffet, seule chose intĂ©ressante du moment. Son ventre frĂ©mit Ă  la vue de la nourriture. Il n’avait rien mangĂ© depuis quand ? La veille au matin lui cria son estomac. Son frigo Ă©tait vide depuis quelques temps et le peu d’argent possĂ©dĂ©, destinĂ© pour le cadeau de son fils.

La plupart des plats ne contenaient plus que des miettes. Frustré il se rabattit sur la ribambelle de bouteilles qui agrémentait le tout. Il se laissa tenter par un whisky de trente ans d’âge.

- Très bon choix !

La remarque provenait d’un homme portant l’uniforme de police. Il leva un verre en direction de Trent et le porta à ses lèvres. Son visage juvénile lui donnait entre 20 et 25 ans pas plus.

- Le whisky, précisa-t-il. Très bon. C’était son préféré, continua le jeune homme en se servant. Il ne le partageait que rarement.

- Et quelle meilleure occasion que celle de son départ, constata Trent sans joie.

- Celui-là est pour toi Erikson. Le policier leva de nouveau son verre. Puisses-tu trouver la paix que tu n’as pas trouvée ici. Puis il avala d’un trait le contenu.

Trent rendit hommage lui aussi, ne buvant qu’une seule gorgée seulement.

- Moi c’est Jay, Jay Stevenson, se présenta le policier en tendant la main.

Trent tiqua, ce nom lui était familier.

- Trent, répondit-il ignorant la main tendue.

- Vous vous connaissiez ? demanda alors le policier, gĂŞnĂ©, ramenant le bras Ă  lui.

- Oui.

- Je n’ai jamais entendu parler de vous.

- C’est bien dommage.

Trent prit une assiette et commença à manger coupant court à l’interrogatoire. Les questions de ce gars l’irritaient. Voyant que l’autre restait toujours là, il prit sur lui.

- Vous travailliez ensemble ?

- Depuis presque trois ans. L’homme partit quelques instants dans ces pensées. Déjà, conclu-t-il avant de se resservir un verre. C’était mon premier coéquipier. Il m’a appris beaucoup. C’était quand même un sacré râleur. Il rit. Mais je suis content d’être tombé sur quelqu’un comme lui. C’était un bon gars. Il huma son verre puis en but une gorgée. Je pouvais compter sur lui.

Au loin Marie raccompagnait un groupe de personne vers la sortie.

- Je n’aurais jamais imaginé ça.

- Quoi donc ? interrogea Trent.

- Se suicider.

Trent observa son interlocuteur. Il avait l’air troublé.

- Ce sont des choses courantes dans le métier.

- Oui, oui, je sais, s’irrita Jay en balayant l’air de la main. Mais je n’aurais jamais imaginé ça d’Erikson. Il but une nouvelle gorgée. Lorsqu’on est sur le terrain, l’ennemi est en face. Il y a une personne physique. On sait où il est. On peut se protéger. Alors qu’avec le suicide. Merde. C’est une affaire entre nous et nous. De l’extérieur, l’ennemi est invisible. On ne se rend même pas compte de sa présence. Je ne comprends pas ce qui a poussé Erikson à faire ça.

- C’est la raison pour laquelle je voulais te voir Trent.

Marie venait de les rejoindre. Ses yeux étaient secs à présent, son visage toujours aussi fatigué.

- Je ne crois pas que Robert se soit suicidé. Pas lui. Il aimait trop la vie. Il m’aimait trop, termina-t-elle en sanglotant.

Le policer la prit par les épaules, bredouillant quelques mots pour la réconforter. Ne sachant que faire, Trent regarda ailleurs, il aperçut une serviette sur le buffet qu’il tendit à Marie.

- Merci, répondit-elle.

Se tamponnant les yeux, elle reprit contenance.

- Je ne crois pas un mot aux conclusions de l’enquête, dit-elle en regardant Jay.

- Je suis désolé, s’excusa ce dernier marquant son impuissance d’un geste.

Ce que voyait Trent avant tout, c’était une veuve dĂ©sespĂ©rĂ©e fuyant la vĂ©ritĂ© face Ă  elle : son mari l’avait abandonnĂ©, et de la pire des façons. Il demanda :

- Qu’est ce qui te fait dire ça ?

- Tout Trent. TOUT ! Ses larmes coulèrent. On se disait tout. S’il allait mal il me l’aurait dit. Hoquetant, elle continua quand mĂŞme. Trent s’il te plait, promet moi de trouver qui a fait ça Ă  mon mari !

Les pleurs reprirent le dessus. Jay l’entraina s’asseoir sur le canapé.

Trent resta immobile à les regarder. Ses pensées l’amenèrent à Erikson. Au souvenir d’un type plein d’entrain. Il ne savait pas dire si la nouvelle de sa mort l’affectait et il n’avait pas envie d’y réfléchir. Il aurait lui non plus pas pensé qu’Erikson terminerait comme ça. Mais bon, qui sait ce qui peut se passer dans la tête des gens.

Les deux autres personnes encore présentes firent leurs adieux à Marie puis s’éloignèrent vers la sortie. Trent sauta sur l’occasion pour faire de même. Il s’approcha de Marie.

Ses pleurs avaient cessé. Le voyant approcher, Jay se leva. Il adressa à Trent un sourire plein de tristesse.

- J’ai du mal à le croire aussi, fut la seule chose qu’il dit avant de quitter la pièce, titubant.

Trent le regarda partir. Il se tourna vers Marie qui triturait sa serviette.

- Promet moi Trent. Sa voix vibrait la colère. Promets-moi de retrouver qui a fait ça.

Trent soupira, gardant ses distances.

- Ecoute Marie, les conclusions de la police…

- Je me fou des conclusions, cria-t-elle. Mon mari ne s’est pas suicidé. Elle se leva et tapa des poings sur le torse de Trent. Il n’avait pas le droit. Il n’avait pas le droit, répéta-t-elle tout en se mettant à pleurer

Trent la prit dans ses bras, plus pour l’empêcher de taper que de la réconforter.

- Ça ira Marie. Je te le promets, dit-il démuni. Demain, j’irai parler à Patterson. Voir s’ils n’ont pas loupé un détail.

La tête toujours contre son épaule, Marie acquiesça. Ils restèrent ainsi un moment puis quand Trent en eu marre, ce qui arriva vite, il se dégagea lentement.

- Je vais y aller maintenant, j’ai à faire.

Marie le fixa dans les yeux.

- Tu me l’as promis Trent !

Il sourit, agacé.

- Oui Marie.

Elle se rassit puis tourna le regard vers la fenêtre. Trent quitta la pièce, la laissant seule avec son chagrin.

***

Le fait d’être bousculé n’arrangeait rien à son humeur. Trent se retourna pour fixer la personne derrière lui. Ses yeux durent se baisser pour découvrir une dame âgée, son sac de course en main.

- Vous allez avancer oui ! houspilla-t-elle.

Trent se retint de toute rĂ©action. Il respira profondĂ©ment, attendant que l’aĂ©robus se pose devant eux. L’arrimage effectuĂ©, les portes s’ouvrirent dans un chuintement d’air et il fut emportĂ© par la marĂ©e humaine, la vieille dame en tĂŞte. Il parvint Ă  se placer debout près de l’entrĂ©e. Les portes se refermèrent bientĂ´t et l’engin s’éloigna des marches d’embarquement pour flotter paresseusement Ă  travers les rues de la ville. Les immeubles dĂ©filaient sans qu’il ne les voie. Il avait peu dormi, très peu, ses pensĂ©es tournĂ©es vers la journĂ©e passĂ©e. La mort d’Erikson le touchait plus qu’il ne l’aurait cru. Et puis le dĂ©sespoir de sa femme, un comportement qu’il a dĂ©jĂ  connu. Le suicide est difficile Ă  admettre. Cela remet en question l’image que l’on avait de la personne et surtout celle que l’on a de nous-mĂŞme. Nous qui l’aimions, nous n’avons pas Ă©tĂ© attentif Ă  elle. Nous l’avons nĂ©gligĂ© Ă  tel point qu’elle a dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă  ses jours. Quel genre de personne somme nous alors ?

Quelqu’un toussa grassement Ă  ses cĂ´tĂ©s. Trent grogna, lui prĂ©sentant son dos. Il dĂ©testait les transports en commun. Mais qu’est-ce qu’il faisait ici ? Pour tenir une promesse ? Une promesse faite Ă  une veuve Ă©plorĂ©e ? Il ne savait pas si c’était ce qui le liait Ă  Erikson ou son cĂ´tĂ© chevaleresque devant les pleurs d’une dame qui l’avaient poussĂ© Ă  accepter mais il Ă©tait en colère contre lui de ne pas avoir eu la force de tout envoyer balader.

La voix particulièrement douce de la chauffeuse annonça son arrêt. L’aérobus s’arrima lentement, les portes s’ouvrirent enfin. Il sauta à l’extérieur, devançant la poignée pressée de retourner dans le torrent de leur vie. Il se retourna et patienta. L’engin s’éloigna tranquillement dévoilant ainsi le commissariat principal. Ici aussi, cela faisait de nombreuses années qu’il n’y était pas venu et, ici aussi, rien n’avait changé, mis à part les marques du temps qui passe. Trent contourna une fontaine à la sculpture imposante pour se diriger d’un pas rapide vers l’entrée. Le monde affluait de toute part. Il serpenta à travers le hall et fonça droit vers l’escalier central. Le bureau du commissaire se trouvait plus haut dans ses souvenirs. Plus vite il en aurait terminé, plus vite il pourrait passer à autre chose.

- Eh, Trent ! La voix familière venait de derrière lui. Trent !

Pestant intérieurement, il chercha dans la foule le propriétaire de l’appel. Jay s’avançait vers lui, faisant signe de la main.

- Vous ĂŞtes venu pour Erikson ? demanda-t-il arrivĂ© Ă  son niveau.

Trent grimaça.

- J’ai promis à Marie. Autant que ça soit fait rapidement.

Jay lui lança un regard compatissant.

- J’ai les affaires personnelles d’Erikson avec moi. Je dois aller les rapporter. Si vous voulez on peut y aller ensemble une fois que vous aurez fini.

Trent réfléchit un instant. La perspective de se retrouver seul avec Marie ne l’enchantait pas.

- Bonne idée oui. Ça m’évitera de prendre le bus.

- Génial, s’extasia Jay. Mon bureau est dans cette direction, indiqua-t-il. Je vous attends.

Trent acquiesça et quitta le jeune policier. Il trouva rapidement le bureau du commissaire. Les stores Ă©taient levĂ©s et on distinguait un homme bedonnant assis derrière une table, un tĂ©lĂ©phone en main. Trent entra sans frapper et referma la porte derrière lui. Patterson le regarda d’un Ĺ“il mauvais tout en continuant sa conversation. Lorsqu’il eut raccrochĂ©, il s’adressa Ă  lui :

- La politesse n’a jamais été ton fort.

Trent sourit.

- Salut Mike. Je vois que tu te portes bien.

Le commissaire grogna tout en se levant.

- Ecoute-moi bien. Si tu crois pouvoir venir ici et m’insulter, tu te fourres le doigt dans l’œil.

- HolĂ  ! Calme-toi. Je veux juste voir le dossier concernant Erikson.

- Et pourquoi donc ? Il s’est suicidĂ©, point barre. Il n’y a rien d’autre Ă  dire. Et crois-moi, je suis tout autant peinĂ© que toi.

- Tu te trompes à ce sujet. C’est pour Marie que je fais ça.

Patterson resta coi, avant de partir d’un rire sonore.

- Toi ! Altruiste !

- Donne-moi ce foutu dossier qu’on n’en parle plus.

Patterson rit de nouveau.

- Je te reconnais bien lĂ .

Il ouvrit l’un des tiroirs, en sortit quelques feuilles et les jeta sur le bureau.

- Tiens. Comme tu peux le voir, il est léger. Il n’y a rien à dire. On l’a retrouvé mort, chez lui, dans son bureau. Aucune trace ou emprunte suspecte. Rien à par le flacon de poison.

Trent prit le dossier. Effectivement, le rapport tenait en très peu de pages.

- Rien expliquant son acte ?

Patterson le regarda dans les yeux.

- Je sais à quoi tu penses Trent. Non. Rien. On n'a rien trouvé.

Trent reposa le dossier.

- Affaire classée.

- Affaire classĂ©e, rĂ©pĂ©ta Patterson. Il dĂ©crocha son tĂ©lĂ©phone et composa un numĂ©ro. Figgs, j’ai besoin de vous voir tout de suite. Il raccrocha aussitĂ´t et fixa Trent. Tu as quelque chose Ă  dire de plus ?

Trent secoua la tête et sortit. L’agitation était toujours importante, tous occupés à leurs affaires. C’est dans cette effervescence qu’il se dirigea vers le bureau de Jay. Ce dernier l’accueilli d’un signe de la main, puis désigna une chaise devant son bureau.

- C’est bon ? Vous avez pu voir ce que vous vouliez ?

Trent acquiesça.

- Rien Ă  dire.

- C’est Marie qui va être déçu.

- Mouais, maugréa Trent. Allons-y, qu’on en termine.

- VoilĂ  ce qu’il reste de ses affaires, dit-il en prenant un carton. Il n’y a plus qu’à !

Le trajet se fit presque dans le silence. La radio diffusait une musique douce, un vieux rock d’antan.

- Erikson aimait ces vieilles chansons, remarqua Jay en montant légèrement le son.

***

Marie les accueillit chaleureusement. Elle les fit s’asseoir sur le canapé puis disparut dans la cuisine. Le séjour avait repris sa disposition habituelle. Quelque chose siffla accompagné d’une odeur de café. Jay posa le carton sur la table basse en veillant de ne pas renverser les nombreux objets kitsch la décorant. Ils attendirent le retour de Marie en silence. Elle revint avec gâteau et boisson chaude, le tout servis dans une vaisselle ancienne aux motifs floraux.

- Voilà pour vous messieurs. Elle s’assit à son tour, souriante.

Trent se jeta sur les gâteaux tandis que Jay expliquait ce que contenait le carton.

- Merci. Et pour les conclusions de l’enquĂŞte ? questionna-t-elle aussitĂ´t, pleine d’espoir.

Trent avala une gorgée de café pour faire descendre le gâteau.

- Il est bon, remarqua-t-il.

Merci. C’était le prĂ©fĂ©rĂ© de Robert. Elle se stoppa un instant, les yeux vagues. Il aimait le prĂ©parer de cette façon. C’est avec une cafetière italienne vous savez. Ça n’existe plus maintenant. Il l’avait trouvĂ© dans une brocante. Mais bon passons. Vous avez pu en apprendre davantage sur sa mort ?

- Non. Désolé. J’ai lu le dossier et je n’ai rien vu d’inhabituel.

Marie resta silencieuse. Elle avait pris le carton sur ses genoux et farfouillait à l’intérieur. Les larmes lui vinrent.

- Je suis persuadé qu’il n’a pas fait ça. Pas lui.

Elle sortit quelque chose du carton et le tendit Ă  Trent.

- Tiens, je ne veux pas de ça. Ce n’est pas à lui.

Trent prit l’objet. Il s’agissait d’un diffuseur holographique sans grande particularité.

- Il l’avait sur lui lorsqu’on l’a retrouvé, s’étonna Jay.

- Peut-être bien. Je n’en veux pas. C’est après avoir reçu ça qu’il est devenu distant. Son ton calme cachait une colère manifeste. Il n’a pas voulu me dire ce que c’était. On s’est disputé à ce sujet d’ailleurs.

Trent regarda l’holotech un instant. Il le montra à Jay.

- Il y a quoi Ă  l’intĂ©rieur ?

- Je ne sais pas.

- On peut regarder ? demanda-t-il Ă  Marie.

- Non pas ici. Je n’ai pas envie de savoir. Plus maintenant.

- Il l’a reçu tu dis ? demanda Trent intriguĂ©.

- Oui. Peu avant sa mort, un colis a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© devant la porte Ă  l’attention de Robert. Il y avait ça Ă  l’intĂ©rieur. Lorsqu’il est rentrĂ© du travail, je lui ai donnĂ©. Il est montĂ© Ă  son bureau puis il est ressorti livide. J’ai voulu en savoir plus. On s’est disputĂ©. En y rĂ©flĂ©chissant, je crois que c’est ce jour-lĂ  que je l’ai perdu, il n’était plus le mĂŞme après.

Trent regarda Jay, haussant un sourcil.

- Je peux voir son bureau ?

Marie fut surprise de ce changement d’intérêt.

- Oui bien sûr. Il est à l’étage. En haut de l’escalier à droite, la deuxième porte.

Trent hocha de la tête puis se leva pour quitter le séjour. Il trouva facilement ladite porte. Elle s’ouvrit sur une petite pièce sobrement aménagée. Bureau, fauteuil, table basse et bibliothèque composaient le mobilier des lieux. Aéré et fonctionnel, rien de superficiel. Il fit quelques pas à l’intérieur suivit bientôt par Jay.

Sur l’une des étagères, un cadre attira l’attention de Trent. Il renfermait la photo de quatre hommes souriants, posant devant la fontaine du commissariat. Tous portaient l’uniforme, une médaille d’honneur épinglé sur le torse. A leur côté, un grand panneau où était affiché le portrait d’un cinquième homme, la décoration accrochée dans l’un des coins.

- Je connais cette photo ! s’exclama Jay dans son dos. Ma mère avait la mĂŞme. Vous Ă©tiez jeune Ă  cette Ă©poque.

Trent acquiesça.

- Ta mère avait la mĂŞme ?

- Oui, mon père était Roy Stevenson. Il montra du doigt le portrait sur le panneau.

Trent fit alors le rapprochement. Stevenson. Voilà pourquoi ce nom lui disait quelque chose. Il avait en face de lui le fils d’un de ses ancien coéquipier, mort en service.

- Vous avez fait une belle prise ! Cette affaire de stupĂ©fiant que vous avez dĂ©mantelĂ©. Je suis fier que mon père ait participĂ© Ă  ça. Vous l’avez mĂ©ritĂ© cette mĂ©daille. Vous ĂŞtes des hĂ©ros !

Trent ne répondit rien à ça. Il laissa Jay admirant la photo et s’approcha du bureau. La vieille chaise sur laquelle il s’assit grinça sous son poids. Quelques papiers jonchaient la table qu’il consulta rapidement, ne trouvant rien d’intéressant. Il les poussa sur un côté et déposa l’holotech devant lui.

- Bon, cherchons à voir ce qui a troublé Erikson à ce point.

Activé, l’objet se mit à luire en de longues et lentes pulsations. Un laser bleu scanna la pièce puis un hologramme apparut en son centre. Il représentait un homme au visage masqué, debout, une guitare en main. La personne se mit à jouer une mélodie qui se transforma rapidement en un air entrainant. Puis elle commença à chanter.

"Oh mes amis, mes chers amis !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez y passer !

Le temps passe et comme dans tout’ eau stagnante,

La vase est dans l’ fond !

C’est le berceau d’la haine,

Alors trouble pas cet’ eau limpide ! Ah non !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez y passer !

Mais qu’est ce qui s’extrait de c’te boue !

L’engeance d’actes restĂ©s impunis !

L’eau mes amis se troublera,

Et ce trouble, mes amis, a le teint rougeâtre !

Baisse la tĂŞte Mister Past,

Incline la tĂŞte et pleure,

Baisse la tĂŞte Mister Past,

Pauvre garçon c’est ton tour !

PrĂ©pare-toi Mister Past, le temps est venu !

Ce passĂ©, toi qui l’aimes tant !

Vois-tu, n’a pas disparu !

Et tout comme un poison, la vase se rĂ©pand !

Baisse la tĂŞte Mister Past,

Incline la tĂŞte et pleure,

Baisse la tĂŞte Mister Past,

Pauvre garçon, tu vas mourir !

Au revoir Mister Past, Bon voyage !

Toi et ta vie pĂ©père !

Toi qui es parti en premier,

PrĂ©pare-toi Ă  accueillir tes amis !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez mourir !"

L’image sauta puis le dernier refrain reprit en boucle.

- Merde, râla Trent.

Il éteignit et ralluma le diffuseur, relança l’hologramme. Il bogua au même moment.

- L’holotech doit avoir un problème, conclu Jay.

- Hum.

- Peut-ĂŞtre qu’un des gars de la brigade informatique pourra nous aider ?

- A voir.

- En tout cas, cette chanson fait froid dans le dos. Ces paroles ! C’est clairement une menace de mort.

- Et elle était destinée à Erikson.

Trent retourna le diffuseur dans tous les sens.

- Voilà qui pourrait nous aider. Il jeta l’objet à Jay. Regarde, il y a un numéro de série. Tu crois que tu pourrais entrer ça dans le fichier central ?

- Oui bien sûr. Ça sera facile.

- Ok. Trent se leva et reprit l’holotech des mains de Jay. On va garder ça pour nous le temps qu’on en sache plus. D’accord ?

- Oui. D’accord.

Trent hocha la tête et s’approcha du bureau. Il trouva post-it et stylo et y nota le numéro de série. Il le tendit à Jay.

- Tiens, trouve-moi qui a vendu ça.

- D’accord, je fais ça. Je peux te joindre oĂą ?

Trent sorti une carte de visite de sa poche qu’il donna Ă  Jay. Ce dernier la regarda et sourit. « Une question ? Je trouverai la rĂ©ponse. Faite confiance Ă  M. DĂ©tective. Appelez-moi au 7759787965 ».

- Vous vous appelez vraiment DĂ©tective ? Trent DĂ©tective ?

Trent le lorgna un instant.

Je te laisse deviner, se contenta-t-il de dire avant de quitter la pièce.

***

L’après-midi touchait à sa fin et Trent rentra chez lui pour se reposer un peu. Assis sur son canapé, un verre de whisky en main, il alluma une cigarette, l’holotech posé devant lui. Ce n’est qu’une fois avoir terminé de fumer qu’il l’activa. Le diffuseur scanna la pièce puis lança le clip. L’homme fit son apparition au milieu du séjour. Le chanteur débuta sa prestation. Il observa cette fois-ci les images. Seule la guitare était en couleur. Le chanteur, habillé en noir, portait un masque blanc sans visage. Aucun indice visible. Le clip se termina. Il relança la vidéo et nota les paroles cette fois-ci.

"Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez y passer !"

La chanson s’adressait à plusieurs personnes et annonçait clairement le sort funeste qui les attendait.

Le couplet suivant dĂ©crivait une eau stagnante et sa vase dans le fond. Quelque chose qui en sort et « trouble de sang » l’eau limpide. S’agit-il du tueur ? Et qui pourrait en vouloir Ă  Erikson ? Les possibilitĂ©s Ă©taient vastes. Cela faisait des annĂ©es qu’Erikson exerçait son mĂ©tier et l’occasion de se mettre quelqu’un Ă  dos au cours d’une carrière Ă©taient nombreuses. D’autres paroles l’interpelèrent : « L’engeance d’actes impunis ». Le tueur se vengeait donc pour quelque chose qu’on lui avait fait. Quand, qui et quoi ? Trent nota tout cela dans son carnet, chaque idĂ©e suivie par un point d’interrogation.

Le refrain s’adresse ensuite Ă  un certain Mister Past. SĂ»rement Erikson vu qu’il Ă©voque son amour pour le passĂ©. Erikson Ă©tait passionnĂ© par tout ce qui venait du temps oĂą rien n’était informatisĂ©. Et puis la fin du passage parle d’un poison qui se rĂ©pand. CoĂŻncidence ? Trent ne pensait pas. Ce couplet s’adressait Ă  Erikson. Elle annonçait sa mort et la façon dont elle allait arriver.

Trent se frotta les yeux. L’horloge indiquait 23h passé. La journée avait été longue. Il s’appuya contre le dossier du canapé et observa le plafond, la tête pleine de questions. C’est ainsi qu’il s’endormi.

***

Trent se réveilla en sursaut. Il mit un instant à retrouver ses esprits. Le lieu lui semblait familier. Ce séjour, ce mobilier, cette table basse, ce cendrier et son odeur de cigarette froide. Il était chez lui.

Au dehors la journée paraissait avancée. Son téléphone vibrait.

- Oui, maugréa-t-il la bouche pâteuse.

Le whisky de la veille lui tapait sur les tempes.

- Trent, c’est Jay.

- Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il, bourru

- J’ai du nouveau sur le numéro de série que vous m’avez demandé. Il correspond à une petite boutique dans le quartier sud de la ville. Proche des docks. Je n’ai pas pu les contacter encore, elle n’ouvre qu’à 10h.

- D’accord. Il réfléchit un instant. N’en fait rien, je vais y aller directement.

Un silence s’installa entre les deux.

- Tu as quelque chose d’autre Ă  dire ? questionna Trent fatiguĂ©.

- Non, j’ai terminé, répondit un Jay embarrassé.

- Ok.

Trent raccrocha aussitĂ´t. Il se leva et pĂ©nĂ©tra dans la cuisine. « CafĂ© » commanda-t-il. La boisson chaude se prĂ©para dans un recoin de la pièce. « CafĂ© » indiqua la machine une fois la prĂ©paration terminĂ©e. Il prit la tasse et retourna s’installer sur le canapĂ©. Le tĂ©lĂ©phone sonna Ă  nouveau. Le nom affichĂ© sur l’écran le fit hĂ©siter. Il dĂ©cida de dĂ©crocher.

- Oui.

- Trent ! Je ne te rĂ©veille pas j’espère. Le ton employĂ© exprimait tout sauf de la compassion.

- Non, non c’est bon, qu’est-ce qu’il y a ?

- C’est pour te rappeler la fête d’anniversaire de mon fils après-demain.

- Notre fils, corrigea Trent, irrité.

- Je me le demande parfois. Sois présent cette fois-ci. Si tu dois encore une fois le décevoir, je t’interdis de le revoir.

- Tu ne peux pas faire ça !

- Ce n’est pas ce que dit le jugement du divorce. C’est à 14h.

- J’y serai, répondit Trent retenant sa colère.

L’ours en peluche acheté la veille était face à lui. Ce dernier avait séché et retrouvé une apparence acceptable. C’était tout ce qu’il avait pu lui acheter. Il aurait aimé lui offrir plus. Un de ces androïde de type EKO par exemple. Une grande tristesse l’envahit. A y réfléchir, il aurait aimé être un père exemplaire pour son fils mais il en était incapable.

- J’ai une surprise pour lui, ajouta-t-il la voix brisée.

- Il sera content. Au revoir Trent.

La communication se termina. Trent resta un moment à fixer l’ours en peluche. Il grogna et attrapa la bouteille de whisky, jaugea le peu qu’il restait au fond et le versa dans son café.

***

L’adresse donnĂ©e par Jay le conduisit devant une boutique occupant tout le bas d’un immeuble. Sa façade mĂ©ritait d’être refaite et le vitrage, noirci par le temps, ne permettait que de deviner l’intĂ©rieur. Un nĂ©on bleu clignotait devant la porte d’entrĂ©e : Au Bric-Ă -brac de Freddy.

Trent jeta son mégot et marcha vers la boutique. Il évita un mendiant trop sollicitant assis devant la porte et pénétra à l’intérieur. La lumière du dehors transperçait difficilement les fenêtres sales de la devanture. Malgré tout le magasin était bien éclairé, une multitude de globes luminescents flottaient ici et là au milieu des rayons. Et des rayons, il y en avait. Tous rempli d’objet divers et variés, la majorité d’occasion. Trent s’enfonça vers le cœur du magasin. Après quelques minutes à déambuler il trouva enfin la caisse. Derrière le comptoir était assis un homme gras au visage rougeau qui riait devant un petit écran posé devant lui. Trent s’approcha sans que celui-ci ne le regarde. Il s’apprêtait à parler quand le bonhomme leva un bras dans sa direction.

- Un instant, j’adore cette scène.

Trent se retint de râler. Il s’appuya contre le comptoir et, après un moment, entreprit de fumer. Le commerçant lui tapota l’épaule.

- C’est interdit, l’averti-t-il avant qu’il ne porte la flamme sur la cigarette.

Trent se retourna pour lui jeter un regard exaspéré. Ce dernier pointait du doigt un panneau d’interdiction tout en néon.

- C’est la règle ici. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

Trent grogna tout en mettant la clope derrière son oreille.

- Je viens pour ça, enchaina-t-il en posant l’holotech devant le caissier.

- Désolé, je ne reprends pas ça.

- Ce n’est pas pour vous le vendre que je viens.

- Je ne rĂ©pare pas non plus. De toute façon au prix ou ça coute, il vaut mieux en acheter un neuf. J’en ai plein Ă  vous vendre si vous voulez ?

- Ce n’est pas pour ça non plus.

Le gros homme soupira lourdement.

- Bon alors, s’impatienta-t-il, monsieur va peut-ĂŞtre me dire ce qu’il veut ?

- Je viens ici car le fichier central indique que c’est votre boutique qui a vendu cet objet.

Freddy siffla.

- Et bien ! Monsieur a accès au fichier central.

Trent se pencha vers l’avant.

- Je travaille en collaboration avec la police.

Freddy se passa la main sur la tĂŞte.

- Et en quoi Freddy peut aider ?

- J’aimerai savoir Ă  qui vous avez vendu ça ?

- Avec le numéro de série on devrait retrouver ça.

Freddy prit le diffuseur en main puis se tourna vers un clavier pour y pianoter.

- Je peux vous donner la liste de tous les clients à qui je les ai vendus. Ça risque de faire beaucoup. Ce genre d’objet, ça part tous les jours. Les gosses, ils aiment bien ça.

- Sors-moi tout ça.

- Alors, voyons voir ça. Ça y est. Je vous transfère ça.

Le cellulaire de Trent vibra presque aussitôt. Il le sortit et consulta rapidement le fichier. Effectivement, la liste était longue.

- Pas moyen de rĂ©duire leur nombre ?

- Non. Votre gars, c’est un malin. Il a gratté les derniers numéros.

- Et ? demanda Trent incrĂ©dule.

- Et donc, continua Freddy comme s’il s’adressait à un enfant, les premiers chiffres du numéro de série correspondent au revendeur, c’est-à-dire moi. C’est comme ça que vous m’avez trouvé, en consultant le fichier central. Maintenant moi ici, lorsque je vends quelque chose, les derniers chiffres sont associés à l’acheteur. Votre gars, il les a grattés. Je peux pas faire mieux.

Trent hocha la tête. Il devait bien y avoir une centaine de noms rien que pour le dernier mois. Cette piste allait prendre du temps à suivre. Il verrait ça à un autre moment.

- La vidĂ©o Ă  l’intĂ©rieur bogue Ă  la fin. Vous ne pouvez rien y faire ?

- Non. Pour ça, il faut voir avec le service après-vente de l’entreprise qui les fabrique. Et puis à mon avis, ça ne vient pas de l’holotech. Ça doit venir du fichier qu’ils ont foutu dedans.

Trent reprit le diffuseur et le fourra dans la poche intérieure de sa veste.

- Ok. Merci pour les infos.

Il quitta la boutique, prit la cigarette à son oreille et l’alluma. Respirant une grande bouffée, il profita quelques instants du paysage. Il n’avait pas remarqué mais il se trouvait à une rue du hangar dans lequel ils avaient mis fin au trafic de drogue 20 ans auparavant, celui qui leur avait valu la médaille d’honneur. Il pensait encore à ce jour lorsque son téléphone vibra.

- Patterson, salua-t-il.

- Trent. J’ai à te parler.

- Je t’écoute.

- Non. Pas maintenant. Je n’ai pas le temps. Rejoins-moi dans deux heures chez moi.

- Je rapporte quelque chose ?

- Très drôle. Tu viens, c’est tout.

Patterson raccrocha. L’air caressait le visage Trent, le rafraichissant quelque peu. Il grilla une nouvelle cigarette, emplissant ses poumons de cette fumée revigorante. La journée s’annonçait être longue.

***

Les coups portés sur le métal de la porte la firent vibrer longuement. Trent insista plusieurs fois encore. Après quelques instants un panneau s’ouvrit dévoilant la tête translucide d’un androïde. Ses yeux, représentés par deux simples ronds noirs, se plissèrent à la vue de Trent.

- Quelle est la raison de votre visite ?

- C’est moi Ginger, répondit Trent en soupirant. Ouvre-moi, j’ai du travail pour toi.

Les deux yeux de l’androïde disparurent pour laisser apparaître le visage d’une adolescente. Elle enleva les lunettes qu’elle avait sur le nez et se mit à mâchouiller l’une des branches.

- Mouais. J’attends toujours que tu me payes pour le dernier tu sais ?

- Je n’ai pas oublié Ginger. Je t’ai expliqué pourquoi.

- Tu croyais vraiment que j’allais gober ça ? L’argent tu l’avais, tu l’as perdu au casino.

Trent grimaça. Elle avait raison.

- Je sais, abdiqua-t-il. Laisse-moi entrer. Je t’explique pourquoi je suis ici. Si ça ne t’intéresse pas, tu me dégages.

Le visage de Ginger disparu laissant place aux deux cercles de l’androïde. Ces derniers clignèrent un instant avant de se fixer sur Trent.

- Vous êtes autorisé à entrer, fit-il de sa voix métallique.

La trappe se referma puis le bruit de plusieurs verrous devança l’ouverture de la porte.

- Si Monsieur veux bien se permettre, l’incita l’androïde tout en lui indiquant la direction à suivre.

Trent entra dans un hangar pour partie vide. Il suivit le serviteur de Ginger jusqu’à atteindre un dédale d’étagère encombré de pièce électronique en tout genre. Le labyrinthe les mena au bas d’un escalier en métal. L’androïde s’arrêta là.

- Miss Ginger vous attend.

- Je sais, grommela Trent.

Il se retrouva vite en haut des marches. La mezzanine était spacieuse. Un fauteuil tourné vers les nombreux écrans recouvrant le mur pivota lentement. Ginger, assise en tailleur, le regarda s’approcher.

- Salut Mister DĂ©tective !

- Arrête avec ça tu veux. Tu sais que je n’aime pas que tu m’appelles comme ça.

- Pourtant c’est bien le nom de ton agence non ? dit-elle en riant.

Trent grogna en lui jetant l’holotech qu’elle rattrapa habilement.

- Je suis venu pour ça.

Ginger Ă©tudia l’objet rapidement. Elle hocha la tĂŞte puis demanda :

- Je peux ?

Trent acquiesça. L’hologramme se lança puis bogua au même moment que les dernières fois.

- D’accord ! se contenta-t-elle de dire. Et Mister DĂ©tective veut connaĂ®tre la suite ?

- C’est un peu l’idée.

Ginger se gratta la joue.

- Dis-m'en plus.

- Il n’y a rien à dire. J’ai trouvé ça chez un suicidé et je me pose des questions. C’est tout.

- Mouais, je vois. En tout cas, c’est glauque ton truc. Laisse-moi deviner, ton suicidĂ© a bu du poison ?

- Oui.

Ginger jaugea Trent un moment.

- D’accord Mister D. Je vais voir ce que je peux faire.

Elle tira un câble d’une partie de son fauteuil et le connecta à l’holotech puis elle rabattit les lunettes sur son nez. Ses doigts tapotèrent le vide devant elle. Trent pouvait voir ses yeux papilloter devant la quantité de données défilant sur les verres. Il ne lui fallut que quelques instants pour donner ses premières conclusions.

- Bon dĂ©jĂ , le fichier n’est pas corrompu. Il y a bien quelque chose de plus. Hum. D’accord. Ah oui. Non. Pas ça. Ses doigts pianotaient Ă  une vitesse impressionnante. Peut-ĂŞtre que ? ça y est, j’ai trouvĂ© !

Elle repoussa les claviers et releva ses lunettes.

- Et bien, le type qui a fait ça il est balèze.

- C’est-Ă -dire ?

- Ce n’est pas un bogue. La vidéo est stoppée volontairement. Il l’a encodé pour qu’elle revienne sur le refrain indéfiniment.

- Et tu ne peux pas la dĂ©bloquer ?

- Non. Il a bien verrouillé le truc. Si je tente quoique ce soit, elle sera effacée.

Trent pesta.

- Tu ne m’aide pas là !

- Ce gars s’y connait bien en programmation. Il a bien pensé son truc.

Elle débrancha l’holotech et le tendit à Trent.

- Je te revaudrai ça.

- Commence déjà par me payer pour mon dernier travail, se contenta-t-elle de dire avant de rabattre ses lunettes à nouveau et se retourner vers les écrans.

Trent la quitta là. L’androïde l’attendait au bas de l’escalier. Lorsqu’il arriva, ses yeux apparurent.

- Monsieur doit-il quitter les lieux ?

- Oui.

- Alors si monsieur veut bien me suivre.

L’androïde le raccompagna vers l’extérieur. Au dehors le soleil entamait sa descente au-delà de l’horizon. Trent consulta sa montre. Il était temps d’aller rendre visite à Patterson.

***

Cela lui prit une bonne heure pour rejoindre la rĂ©sidence du commissaire. Son appartement se trouvait en dehors du centre-ville, dans l’une de ces banlieues huppĂ©es construites au milieu de parcs boisĂ©s. La nuit Ă©tait tombĂ©e depuis bien longtemps lorsque Trent posa le pied sur le ponton d’amarrage de l’aĂ©robus. Plusieurs immeubles lui faisaient face, reliĂ©s entre eux par des passerelles couvertes. Il suivit une allĂ©e sinueuse vers le bâtiment qui l’intĂ©ressait. « Appel : Patterson » commanda-t-il au visiophone. L’écran afficha un « Appel en cours ». La phrase clignota un long moment avant de disparaĂ®tre complètement. Trent recommença. Toujours rien. Il essaya le tĂ©lĂ©phone mais tomba sur le rĂ©pondeur. Merde, qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ? La lumière dans le hall s’alluma bientĂ´t devant l’arrivĂ©e d’une dame âgĂ©e tenant en laisse un chien couvert de bigoudi. Lorsqu’elle sortit de l’immeuble Trent lui tint la porte dans la fausse intention de l’aider. Le petit chien aboya dans sa direction tandis que la dame lui jetait un regard inquisiteur. Trent entra pour prendre l’ascenseur. Quelques Ă©tages plus hauts, il trouva l’appartement de Patterson. S’apprĂŞtant Ă  frapper, il stoppa son geste. La porte Ă©tait entrouverte. Il hĂ©sita. Ce n’était pas normal. Le commissaire n’était pas homme Ă  oublier de fermer. D’une impulsion de la main il poussa le panneau qui s’ouvrit lentement. La lumière du couloir Ă©clairait faiblement un vestibule spacieux. Un banc Ă©tait disposĂ© sur la droite, Ă  cĂ´tĂ© d’un porte manteau. Deux portes complĂ©taient le tableau. Trent regretta son temps dans la police, il aurait eu une arme Ă  sortir. Guettant le moindre bruit, il attendit. Rien ne lui parvenait de l’intĂ©rieur. « Patterson ! ». L’appel resta sans rĂ©ponse. Il sortit son tĂ©lĂ©phone et composa le numĂ©ro du commissaire. Une sonnerie lui parvint de la porte devant lui. Le couloir qu’il suivit le mena dans le sĂ©jour. Les rideaux flottaient au vent devant une baie vitrĂ©e ouverte en grand. Du coin de l’œil, une ombre le surprit. Le coup qu’il reçut l’étala au sol totalement sonnĂ©. Reprenant ses esprits, il roula sur le dos Ă  temps pour apercevoir une silhouette s’enfuir. Trent se relava difficilement, sa tĂŞte sur le point d’exploser. Il passa une main sur l’arrière de son crâne, elle en ressortit poisseuse. « Putain ça fait mal ». Il tituba jusqu’à l’entrĂ©e y parvenant lorsque la porte de l’ascenseur se refermait. Trop tard. Trent s’appuya dos contre le mur et se laissa glisser au sol. Sa vue tanguait, le sang coulait sur sa nuque. Il respira lentement, reprenant ses esprits. Puis quand le monde cessa de tourner, il partit Ă  la recherche de Patterson. L’appartement Ă©tait vide. Dans le sĂ©jour, une cigarette s’étant consumĂ©e seule reposait sur un cendrier en aluminium, un verre Ă  demi-plein leur tenait compagnie. Le commissaire Ă©tait ici il y a peu. Un cri Ă  l’extĂ©rieur se fit entendre suivit d’aboiements. Trent sortit sur la terrasse. Le froid le revigora lĂ©gèrement. Le mobilier Ă©tait renversĂ©. Le cri retenti encore au bas de l’immeuble. Se prĂ©cipitant vers le rebord, il dĂ©couvrit la dame âgĂ©e, et son chien, horrifiĂ©e Ă  la vue du corps sans vie de ce qui paraissait ĂŞtre Patterson.

***

La police mit peu de temps à arriver. Elle trouva Trent assis sur le canapé un tissu compressant la plaie sur l’arrière de son crâne. L’infirmier du groupe vérifiait ses constantes lorsque Jay entra dans la pièce.

- Rude journée, constata-t-il en voyant Trent se faire manipuler.

- Ne m’en parle pas. L’infirmier lui passait une lumière devant les yeux. C’est bon je vais bien. Lâche-moi.

- Ça m’a l’air d’aller, capitula l’homme, il n’y a pas de commotion. Si la douleur persiste dans les prochains jours, ou si vous avez des troubles de la vue qui apparaissent, rendez-vous tout de suite aux urgences.

- Compte sur moi, grogna Trent.

Jay sourit.

- Ça aurait pu être pire.

- Tu parles. Quand je suis arrivé Patterson avait déjà été balancé. L’autre m’a pris par derrière. Je n’ai rien vu. Je n’ai rien pu faire. Il s’est échappé.

- Oui, mais tu es encore en vie.

- Je me demande bien pourquoi, se questionna Trent en se massant la nuque. Tiens regarde ça.

Un holotech du même type que celui d’Erikson était posé sur la table basse à côté d’un tas de paperasse et d’un cadre photo. Jay s’approcha et ramassa l’objet.

- Il s’agit du mĂŞme modèle que l’autre. Son regard fut attirĂ© par la photo. Ce n’est pas la mĂŞme que dans le bureau d’Erikson ?

- Exact.

- Tu crois que tout ça a un lien avec vous quatre ?

Trent haussa les épaules pour toute réponse.

- J’aimerai voir ce qu’il y a sur l’holotech, reprit Trent après un court silence. Mais pas ici.

- Au commissariat. On ne peut pas faire autrement de toute façon. C’est une pièce à conviction, je dois suivre la procédure.

Trent ne trouva rien Ă  dire sachant qu’il n’avait pas le choix. Ils quittèrent les lieux peu de temps après, Jay prĂ©textant devoir remplir la dĂ©position du dĂ©tective. Au commissariat, ils s’installèrent dans la première salle de rĂ©union qu’ils trouvèrent. Jay posa l’holotech au centre de la table et l’activa. Le laser bleu scanna le lieu, puis l’hologramme apparu. La vidĂ©o commença de la mĂŞme façon que la première. Le chanteur apparut. MĂŞme homme, mĂŞme masque blanc, Ă  la diffĂ©rence près que celui-ci n’avait pas de guitare. Soudain, derrière lui, apparut une autre personne, tenant l’instrument Ă  corde en main. Il maintenait sa tĂŞte baissĂ©e si bien que l’on ne pouvait pas voir son visage. Le groupe se trouvait sur une scène Ă  prĂ©sent. Le guitariste commença Ă  jouer, relevant la tĂŞte Ă  ce moment-lĂ . « Merde, c’est Erikson » s’exclama Jay. Trent frissonna lorsqu’il dĂ©couvrit son ancien ami dans le clip. La voix stridente du chanteur dĂ©buta la chanson en tout point identique Ă  la première version, complĂ©tĂ©e par quelques couplets :

"Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez mourir !

Pourquoi a-t-il fallu que l’un paye ?

Pour que les quatre autres s’élèvent !

J’espère que vous en avez bien profitĂ© !

Vous aussi vous allez payer !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez mourir !

Fais attention Mister Chief, les projecteurs sont sur toi !

Prends garde Mister Chief, avec tant de lumière, tu vas trĂ©bucher !

Toi qui es si haut, tes pouvoirs n’y feront rien !

MĂ©fis-toi Mister Chief, la chute te sera fatale !

Baisse la tĂŞte Mister Chief,

Incline la tĂŞte et pleure,

Baisse la tĂŞte Mister Chief,

Pauvre garçon, tu vas mourir !

Au revoir Mister Chief, Bon voyage !

Toi et ta vie pleine d’autoritĂ© !

Toi qui nous as rejoint,

PrĂ©pare-toi Ă  accueillir tes amis !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez mourir !

Question de gloire ? Question d’argent ?

Rien ne justifie ce qui a Ă©tĂ© commis !

La roue tourne messieurs !

La vĂ©ritĂ© va Ă©clater !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez mourir !"

Le dernier refrain tourna en boucle par la suite. Trent éteignit l’holotech.

- Merde alors, s’exclama Jay.

- C’était peut-être de ça qu’il voulait me parler.

- C’est-Ă -dire ?

- Patterson m’a appelé en fin d’après-midi. Il m’a dit qu’il voulait me voir. Je devais aller le retrouver chez lui plus tard. Il a dû recevoir ça, dit-il en désignant l’holotech.

- Et tu es arrivé au mauvais moment.

Trent grimaça se passant la main sur la nuque.

- Il fait rĂ©fĂ©rence Ă  quatre personnes. Les quatre de la photo. Toi, Erikson, Patterson et le maire Bill Torn ?

- C’est ce que pensait peut-être Patterson, répondit Trent fatigué.

- Ça aurait un lien avec votre mĂ©daille d’honneur, continua Jay. Il parle d’élĂ©vation. Le tueur vous en veut pour avoir gagnĂ© une mĂ©daille d’honneur ? Ce serait assez lĂ©ger comme motif.

- Je ne pense pas qu’il n’y ait que ça. Nous avons eu cette distinction après avoir mis fin à ce trafic de stupéfiant. Après ça, beaucoup d’opportunités se sont présentées. Bill Torn n’était que préfet de police à l’époque. Il se présentait aux élections municipales. La renommée de cette arrestation lui a fait gagner le cœur de la ville. Il a été élu grâce à ça. Peu après Patterson est devenu Commissaire.

- La situation d’Erikson n’a pas beaucoup changé en revanche.

- Il n’a jamais eu beaucoup d’ambition.

- Et toi ? Pourquoi as-tu quittĂ© la police ?

- Pour des raisons personnelles.

Voyant qu’il ne dirait rien de plus sur le sujet Jay revint sur un morceau du texte qui avait retenu son attention.

- Il parle d’une vĂ©ritĂ© qui va Ă©clater. Et d’une personne qui paye pour que les quatre autres s’élèvent. Si les quatre sont vous autres, la cinquième, ça serait qui ?

- Je dois avertir Bill, annonça Trent brusquement. L’un de nous deux sera le prochain.

- Vu l’heure tardive, il vaut mieux attendre demain. Je viendrai avec toi. Je ferai jouer mon insigne pour le voir rapidement.

- Ok.

- On devrait rechercher ce que sont devenus les personnes arrêtées ce jour-là. Il s’agit peut-être de l’une d’elles ?

Trent acquiesça. Son visage exprimait une grande fatigue. Sa tête le lancinait lourdement. Il n’arrivait plus à rien.

- Tu fais ce que tu veux ! Je rentre chez moi.

- D’accord. Je passe te prendre dans la matinée.

Validant d’un signe de main Trent quitta la salle de réunion sans un mot.

***

Le bureau de Bill Torn se situait au dernier étage de la mairie. Lorsque Trent y entra, la vue du paysage l’impressionna. Devant lui s’étendait toute une partie de la ville nichée au cœur de la vallée boisée de ces hauts de montagne. Bill, des lunettes sur le nez, étudiait un document qui semblait lui causer du souci à voir la façon dont ses sourcils fronçaient. Il continua sa lecture encore quelques instants avant de poser le papier et de s’intéresser aux deux arrivants.

- Messieurs, bonjour, se contenta-t-il de dire.

- Monsieur Le Maire, commença Jay. Merci de nous recevoir aussi rapidement.

Bill Torn balaya l’air de la main.

- Rien de plus normal vu les circonstances. Il les fixa un moment avant de continuer. Je suppose que votre venue est en rapport avec la mort du commissaire.

- Nous avons des raisons de penser que votre vie est en danger. Vous devez ĂŞtre mis sous protection de la police.

Le Maire haussa un sourcil. Il sortit une cigarette d’une belle boîte sertie d’or et l’alluma.

- Lorsque ma secrétaire a dit que tu accompagnais la police ça m’a intrigué. Il fixait Trent dans les yeux. Patterson et toi n’étiez pas, comment dire, les meilleurs amis.

- Cette affaire va au-delà de tout ça Bill. Erikson et Patterson ne sont que les premiers.

Bill tira sur sa cigarette puis recracha lentement la fumée sur le côté.

- Quel est votre nom Officier ?

- Jay Stevenson Monsieur Le Maire.

- Bien M. Stevenson, merci infiniment pour votre travail. Vous vous imaginez bien que je possède déjà un service de protection privé. Vous travaillerez de concert.

Il prit le téléphone posé sur son bureau et composa un numéro.

- M. Ferguson, je vous envoie l’officier Stevenson. Il veut me mettre sous protection policière. Je vous laisse voir avec lui les détails. Merci beaucoup.

Il raccrocha le combiné puis s’adressa à Jay.

- Allez patienter dehors s’il vous plait, il arrive.

Jay lança un regard à Trent, surpris. Ce dernier lui fit un signe d’assentiment. Bill attendit qu’ils soient seuls avant de reprendre.

- Patterson m’a contacté hier. Il m’a parlé d’un message qu’il avait reçu. Il n’était pas clair. Je n’ai pas très bien compris les détails. Il craignait qu’un certain dossier ne ressorte. Il craignait que nous perdions tout.

Trent sourit. Il regarda l’opulence autour de lui. Ça lui donnait presque la nausée.

- Ça serait gĂŞnant n’est-ce pas ?

- Oui, cria Bill en frappant du point sur son bureau. Oui, ça serait gĂŞnant. On est tous dans le mĂŞme panier. Toi et moi ! Il s’était levĂ© et pointait Trent du doigt. Si tu as gâchĂ© ta vie, ça ne regarde que toi !

Bill grogna une dernière fois avant de s’assoir. Il sortit une nouvelle cigarette qu’il alluma, tremblant.

Trent garda le silence. Bill n’avait pas tout à fait tort mais il se trompait sur une chose.

- J’ai beaucoup à perdre aussi Bill, plus que tu ne le crois.

- Ah bon ? Tes dettes ? Ton mariage ? qu’as-tu Ă  perdre, dis-moi ? Regarde-toi, tu ressembles Ă  un clochard.

- Mon fils, assena Trent. Alors j’ai autant intérêt que toi à ce que cette affaire reste sous silence.

Bill fixa Trent du regard. Il tira une longue bouffée.

- Je n’ai pas reçu de menace, reprit alors Bill. Il n’y a peut-être aucun rapport avec nous.

Trent aimerait qu’il ait raison mais trop d’éléments ramenaient à ce jour de gloire passée. Les paroles de la chanson ne pouvaient pas être interprétées autrement. Elles étaient assez claires les concernant. Et beaucoup plus après la mort de Patterson.

- Erikson avait reçu un holotech lui aussi. C’est après l’avoir dĂ©couvert que j’ai commencĂ© Ă  farfouiller. Les paroles Ă©taient assez explicites mais je ne voulais pas y croire, jusqu’à la mort de Patterson, et ce nouvel hologramme. Les paroles sont plus prĂ©cises. Tu ne l’as pas vu ?

- Non. Patterson m’en a parlé brièvement. J’étais occupé, il était nerveux. Ça m’a irrité. La conversation a été plutôt courte.

Connaissant le caractère des deux, Trent n’eut pas du mal à imaginer la scène. Il sortit l’holotech de Patterson et le posa sur le bureau. Il l’actionna. Les deux regardèrent en silence.

- Et tu crois que ça Ă  un rapport avec nous ?

- Comment ça ! s’énerva Trent. Il te faut quoi de plus que ça et la mort des deux autres pour que tu prennes la chose au sĂ©rieux ?

- C’est bon Trent, garde ton sang-froid !

- Garder mon sang froid ! explosa-t-il en marchant de long en large. Garder mon sang froid ! Putain Bill, j’étais lĂ  quand Patterson s’est fait balancer de sa terrasse. Mon crâne s’est fait fracasser. J’aurais pu y passer Ă  ce moment-lĂ  ! Et tu me demandes de garder mon sang froid ! Il s’assit sur une chaise et prit sa tĂŞte entre les mains. Tu sais très bien que tu dois ta place Ă  ce qui s’est passĂ© il y a 20 ans ! Si la vĂ©ritĂ© Ă©clate, et vu comme c’est parti elle Ă©clatera, on va tous se retrouver Ă  terre. Si ce tarĂ© ne nous crève pas avant !

- Qu’est ce tu proposes alors ? Tu as quelque chose sur lui ?

- Non rien, que dalle. Le seul moyen que je vois c’est d’attendre qu’il tente quelque-chose contre nous.

Bill soupira et se leva pour se diriger vers le bar situé dans un coin de la pièce.

- Tendue comme situation.

Il servit deux verres d’une bouteille choisit avec soin. Il en porta un à Trent.

- Je vais te mettre sous protection policière également.

Trent haussa les épaules.

- On sait très bien que ça ne servira à rien.

- Peut-être mais j’aime autant ne pas lui laisser la porte ouverte. Continue à farfouiller pendant ce temps.

- Je vais faire au mieux.

- J’espère bien. Je vais mettre toutes les forces de la police sur cette affaire.

Trent leva son verre, portant un toast connu de lui seul.

- Bon dégage maintenant, j’ai des coups de fil à passer. Rentre chez toi et ne ressort pas avant qu’une patrouille ne te soit envoyé.

Trent se leva et se dirigea vers la sortie. Avant de franchir la porte Bill lui adressa une dernière fois la parole :

- Et tâche de rester en vie.

***

Jay Ă©tait restĂ© Ă  la Mairie pour assurer la protection de Bill Torn le temps qu’une Ă©quipe spĂ©cialisĂ©e se mette en place. Trent fila droit chez lui. Il marchait d’un pas rapide Ă  travers les rues de la ville. Le soleil rĂ©chauffait le sol humide d’une pluie passĂ©e. Sa caresse rĂ©confortait Trent plus qu’il ne voulait l’admettre. Il s’arrĂŞta proche d’un abribus. L’affluence de ce milieu de matinĂ©e le rassurait, il n’était, en quelque sorte, pas seul. Un frisson le parcouru lorsque l’image de Patterson Ă©tendu au sol lui revint. Qu’est-ce que ce tarĂ© avait en tĂŞte ? L’aĂ©robus arriva. Il monta Ă  l’intĂ©rieur et se plaça, debout, proche de la sortie. La fatigue le submergeait. Il n’avait pas rĂ©ussi Ă  dormir la nuit passĂ©e. Ses pensĂ©es revenant sur toute cette affaire. Merde ! Comment c’était possible ? Qui d’autre Ă©tait au courant ? Par dĂ©pit, il s’était concentrĂ© sur la liste du vendeur de Bric-Ă -brac. Ça n’avait rien donnĂ©e. Trop de nom, des quantitĂ©s d’achats disparates, il avait vite abandonnĂ©, plus Ă©nervĂ© de surcroĂ®t.

Ce matin, Jay lui avait confié les résultats de ses recherches. De tous ceux mis en détention ce jour-là, la plupart étaient morts ou encore derrière les barreaux. Le seul en liberté tenait un bar du côté des docks. Jay voulait aller le questionner, ça valait peut-être le coup disait-il, mais Trent n’y croyait pas trop. Le type qui était derrière tout cela était bien plus futé. Cependant, aucune piste ne devait être négligée.

Et il y en avait une que Trent aurait voulu ne pas suivre. La piste de Stevenson. Stevenson mort en « hĂ©ro ». Mais qui du cĂ´tĂ© de Stevenson voulait se dĂ©barrasser d’eux ? Et quelle vĂ©ritĂ© voulait-il faire Ă©clater ? C’était surtout ça qui effrayait Trent.

L’aérobus atteignit sa destination. Trent descendit et marcha droit vers l’entrée de son immeuble. La reconnaissance faciale lui ouvrit la porte et l’ascenseur l’amena directement à son étage. La porte s’ouvrit sur un couloir marqué par les incivilités. Au loin, un couple s’engueulait. L’une des ampoules clignotait. Devant sa porte Trent trouva un colis qu’il ramassa avant de s’enfermer dans son appartement. Dos contre la porte, il attendit quelques instants dans le silence avant de faire le tour des trois pièces composant son petit logement. C’est lorsqu’il regarda sous son lit qu’il ressenti une pointe de ridicule. Il décida de se servir un verre et s’installa dans son fauteuil, considérant le colis posé face à lui, sur la table basse.

Le paquet Ă©tait emballĂ© proprement dans un papier marron Ă©pais. Un cordage fin au nĹ“ud travaillĂ© refermait le tout. « A l’attention de Mister DĂ©tective » indiquait qu’il en Ă©tait le destinataire. L’écriture, arrondie, lĂ©gèrement penchĂ© vers la droite, se lisait agrĂ©ablement. Trent dĂ©tacha le nĹ“ud et retira la corde. Il arracha le papier sans soin et ouvrit les pans du carton qu’il renfermait. Un froid s’immisça en lui. Un holotech reposait au fond. Il resta figĂ© ainsi, sur le canapĂ©, le regard sur l’objet. Il n’osait pas aller plus loin, il ne voulait pas aller plus loin, comme si le fait de ne pas y toucher, de ne pas regarder l’hologramme, arrĂŞterait ce petit jeu macabre. Puis après avoir bu d’un seul trait le contenu de son verre, il prit le diffuseur et l’activa.

L’objet scanna la pièce, ajusta l’hologramme et le clip se lança. Patterson rejoignit le groupe et s’assit face Ă  une batterie. Trent rongea son frein tout le dĂ©but de la chanson, une pression au niveau du cĹ“ur. Puis un nouveau couplet arriva :

"Deux m’ont rejoint à présent

Qui d’autre complètera le groupe ?

20 ans sont passés maintenant,

Il est temps que cette mascarade se rĂ©vèle !

Baissez la tĂŞte,

Inclinez la tĂŞte et pleurez,

Baissez la tĂŞte,

Vous allez mourir !

Mister Détective ne pourra pas fêter l’anniversaire,

Il regrette vraiment, lui qui n’a rien demandé.

Si jeune, si chanceux d’avoir connu son père,

Ne le verra pas cette année pour son grand jour.

Baisse la tête Mister Détective,

Incline la tĂŞte et pleure,

Baisse la tête Mister Détective,

Pauvre garçon, tu vas payer !"

La chanson se termina. Erikson et Patterson se levèrent et saluèrent un public invisible avant de quitter la scène. Le chanteur resta sur place, l’hologramme grossit, ne laissant de visible que la partie haute de son corps. Il pointa un doigt en avant.

- Toi !

Trent sursauta, la main géante devant son visage.

- Nous allons jouer maintenant.

Une image apparut, celle d’un enfant cagoulé attaché à une chaise. Trent reconnu les vêtements qu’il portait, il s’agissait de l’uniforme d’école de son fils. Bien avant que le chanteur n’enlève le tissu lui recouvrant le visage, il sut. Il sut que cet enfant était le sien. Son trésor. Ce salaud détenait son fils. Une fureur s’empara de lui. Il ne put s’empêcher de crier son nom.

L’hologramme se concentra de nouveau sur le chanteur.

- Tu l’as reconnu Trent ? Tu connais les enjeux maintenant.

Il marqua un silence, mettant son index sur la bouche.

- Chuuuuttt, pas un mot Ă  quiconque. Sinon ton petit bout de choux viendra complĂ©ter notre groupe ! Hi hihi, ria-t-il. Rejoins-nous Trent ! Oh oui ! Rejoins-nous lĂ  oĂą tu as gagnĂ© les honneurs, lĂ  oĂą tout a commencĂ©.

L’hologramme disparut.

La peur de perdre son fils mit Trent dans une fureur immense. Il respira profondément, essayant de se calmer, réfléchissant à la situation. Ce salaud détenait son garçon. Il ne pouvait prendre aucun risque. Ne pas avertir la police. Laisser Jay en dehors de ça. Il ne restait plus qu’à jouer selon les règles. Il ne voyait pas d’autres alternatives. Et pour cela, il allait retourner là où tout a commencé. Trent se leva et partit dans sa chambre. Au fond de la penderie, il sortit une boîte à chaussure contenant une arme. Un vieux pistolet à barillet acheté au marché noir. Il le fourra à la ceinture dans son dos, remplit ses poches de cartouches, et quitta l’appartement résolu à sauver son fils.

***

Trent se retrouva face au hangar. Arpenter à nouveau ces lieux fit remonter en lui des souvenirs oubliés depuis de trop nombreuses années. Une pluie fine tombait depuis le matin. L’endroit était désaffecté.

Se sachant attendu Trent ne réfléchit pas à un quelconque plan. Il se contenta de chercher l’entrée la plus facile. La grande porte à section étant impossible à ouvrir de l’extérieur, il longea le bâtiment par la droite. Il progressait entre de nombreux containers essayant d’atteindre un escalier qu’il avait repéré. La porte à son sommet s’ouvrit légèrement lorsqu’il la poussa. Quelque chose semblait bloquer de l’intérieur. Il aperçut une chaine au niveau de la poignée. Un coup de revolver plus tard celle-ci céda laissant à la porte la possibilité de s’ouvrir en grand. La lumière du jour, peu importante sous le couvert nuageux, peinait à éclairer l’intérieur malgré les nombreuses ouvertures parsemant la toiture. Trent entra, l’arme pointée vers l’avant. Il se trouvait sur une passerelle longeant le bâtiment. A gauche, elle se perdait dans la pénombre. A droite, elle menait vers un bloc de bureaux. Trent suivit cette direction. Il progressait lentement accompagné par les bruits lointains du port. Il arriva vers l’ensemble des locaux. La porte, défoncée, reposait au sol. Elle donnait sur un long couloir desservant l’entrée de plusieurs pièces. Il ne s’attarda pas sur chacune d’elles, se contentant de jeter un coup d’œil à l’intérieur. La plupart étaient vides, d’autres clairement un lieu de squat.

Le couloir menait à un embranchement. L’un, sans issu, permettaient de rejoindre d’autres bureaux dans le même état que les premiers. Aucune trace de son fils. La dernière voie filait droit dans le noir. La plupart des portes étant fermées, seuls quelques traits de lumière dessinaient le cadre de celles dont les fenêtres donnaient vers l’extérieur.

Trent s’engagea dans cette direction. Un escalier l’attendait tout au fond, le menant au rez-de-chaussĂ©e, dans un grand local dĂ©saffectĂ©. La faible lumière dĂ©voilait d’autres bureaux au loin, derrière des cloisons aux vitrages brisĂ©s. Face Ă  lui, les ouvertures donnaient sur le hangar. Pas âme qui vive, et un silence qui commençait Ă  peser sur Trent. Trent vĂ©rifia son arme. Il voulait en finir avec tout cela au plus vite. Il se posta Ă  la sortie du bloc, face au hangar. L’espace se perdait dans la pĂ©nombre. Au loin, la masse sombre de quelques containers se devinait. Perdant patience, il s’avança de quelques pas et cria :

- Eh oh ! Je suis lĂ  conard !

Sa voix résonna un long moment avant de retourner dans le silence. Une mouette ricana au loin.

- Ou es-tu ? Montre-toi !

Crier lui faisait du bien. Cela n’avait aucune utilité en soi, Trent le savait très bien. Il était conscient aussi qu’il n’avait aucun contrôle sur la situation, mais entendre une voix, même si c’était la sienne, le rassurait. Et puis ça lui permettait de relâcher cette foutu tension.

- Mais putain, tu vas te montrer ! Je suis lĂ  maintenant !

Ce dernier mot résonna longuement. Lorsqu’il mourut, un halo de lumière apparut dans le fond. Quatre projecteurs éclairaient une silhouette assise. Trent courut vers elle, dans l’espoir qu’il s’agisse de son fils mais déchanta vite. La personne était beaucoup trop corpulente pour être un enfant. Il s’agissait d’un adulte, attaché les mains dans le dos, la tête encagoulée reposant sur le torse. Trent s’arrêta derrière l’un des projecteurs hésitant à entrer dans la lumière.

- Hey ! tenta-t-il, d’une voix forte.

La personne bougea légèrement. Trent regarda autour de lui mais ne vit signe d’aucune autre présence. Il s’avança légèrement dans la lumière appelant un ton plus bas cette fois. La cagoule se releva dans sa direction. Une voix étouffée en sortie. Trent s’approcha de l’homme et la lui retira.

Bill Torn cligna des yeux le temps de s’habituer à cet excès de lumière.

- Trent, souffla-t-il.

- Bill, merde, ça va bien ? demanda-t-il, en cherchant les liens qui maintenaient Bill. Il pesta quand il trouva des menottes Ă©lectroniques.

- Trent, continua Bill dont la voix retrouvait peu Ă  peu de vigueur. Qu’est-ce que je fais lĂ  ?

- Il a mon fils. Je suis ici pour le récupérer. Là où tout a commencé.

- Mais merde Trent, je n’y étais même pas ce jour-là.

- Peut-être, mais tu as en a profité aussi.

Un rire explosa de partout à la fois. Trent sortit son arme, cherchant tout autour de lui son origine. Devant eux, à quelques mètres, une silhouette s’avança hors de l’obscurité. L’homme en question était le chanteur, son visage toujours caché sous un masque blanc.

Trent leva son arme dans sa direction.

- Bouge pas ! cria-t-il.

L’homme rit de nouveau, et le rire venait de toute part encore.

- C’est quoi cette merde, s’énerva Bill. Descends-le !

Trent hésita puis tira dans une jambe. L’homme resta debout. Il tira à nouveau plusieurs fois, les balles traversaient le corps sans laisser de trace.

- Tu croyais que j’allais me prĂ©senter comme ça ? Il rit encore. J’ai vraiment affaire Ă  la crème de nos institutions.

L’homme face à eux clignota brièvement. Trent cracha au sol. Il avait face à lui un hologramme.

- Sors de ta cachette que je te montre !

- Et provoquant en plus de ça, soupira l’homme. Dois-je te rappeler Mister DĂ©tective l’enjeu du moment ?

Un visage apparut au-dessus de l’homme, celui du fils de Trent.

- Si tu le touches, je te retrouverai qui que tu sois.

- Tiens, tiens, tiens. Tu abordes un sujet des plus intĂ©ressant ! Qui suis-je ?

L’homme s’approcha de plusieurs pas puis retira son masque.

- Jay !

- Surpris messieurs ? OĂą peut ĂŞtre que vous vous en doutiez, sachant ce que vous avez fait Ă  mon père.

- Ton père est mort en héros, affirma Bill.

- Non, non, non Monsieur Le Maire. Mon père a été lâchement assassiné.

- Tu fabules mon garçon. Ça ne s’est pas passé comme ça. Avec l’aide de ton père, nous avons fait tomber tout un réseau de trafiquant.

- NON ! cria Jay. Il s’est retrouvĂ© au milieu de vos magouilles et vous vous en ĂŞtes dĂ©barrassĂ©, continua-t-il en les pointant du doigt.

Bill allait protester mais fut coupé par Trent.

- Et qu’est ce qui te fait dire ça ?

La question resta en suspens de longues secondes.

- Une lettre, une longue lettre dans laquelle il explique tout. Comment vous comptiez récupérer beaucoup d’argent. Argent que vous vous partageriez. Argent qui a profité à chacun de vous. Argent salement gagné, termina-t-il avec mépris.

Trent et Bill se regardèrent. Bill se tortillait sur sa chaise.

- Tu n’as rien qui nous relie à ça, lança Trent. Et quand bien même, personne ne te croirait. Il pourrait s’agir de ta mère qui s’est inventé n’importe quoi.

- Comment oses-tu parler de ma mère comme ça ! Je vais vous faire payer d’avoir dĂ©truit ma famille. Je vais vous faire payer de nous avoir fait vivre cet enfer !

- Qu’est-ce que tu veux ? nĂ©gocia Bill. De l’argent ? J’ai de l’argent. Un poste plus important ? Je peux te nommer Commissaire si tu veux. On oubliera tout le reste, tout.

Jay rit.

- Alléchant ta proposition. Mais je vais devoir refuser. Vous m’en trouvez navré.

Il pointa un doigt ganté vers Trent.

- J’ai une question pour toi Mister DĂ©tective. Qu’est-ce que ça fait de se dĂ©barrasser d’un homme qui te faisait confiance ?

Trent ne répondit rien fixant Jay les yeux pleins de colère.

- Allez Mister Détective, dis-moi.

- Qu’est-ce qu’il veut dire par lĂ  ? demanda Bill dans l’incomprĂ©hension.

- Ce que je veux dire M. le Maire, c’est que votre cher ami ici présent à tout simplement éliminé Roy Stevenson.

- Il dit la vĂ©ritĂ© Trent ?

Bill s’agitait sur sa chaise.

- Trent, cria-t-il. Qu’est-ce c’est que cette merde ? Il dit la vĂ©ritĂ© ?

Trent se retourna lentement.

- Je ne pouvais pas faire autrement.

- Autrement que quoi ?

- Il allait tout balancer. Il allait tous nous balancer. J’avais besoin de cet argent. Nous tous, nous en avions besoin.

Jay applaudit derrière eux.

- Hum, se dĂ©lecta-t-il, plus douce que le miel est la vengeance. Quel spectacle, j’adore. C’est plus que ce que j’en attendais. Passons maintenant Ă  l’acte final : The Choice !

- Papa !

Devant Jay, l’enfant était apparu, assis sur une chaise, attaché par une corde épaisse.

- Papa, viens me chercher, pleura-t-il.

Trent se précipita à son encontre mais ses mains ne rencontrèrent que le vide.

- Comme tu peux le voir Mister Détective. Ton fils est en vie. Il sortit un sac de sa poche et l’enfila sur la tête du petit. Peut-être pour plus longtemps cela dit. Tout dépendra de toi.

Jay marqua une pause, savourant l’instant.

- Je te laisse le choix. Tue Bill Torn et ton fils vivra. Laisse Bill Torn en vie et tu devras expliquer à sa mère comment est mort son enfant.

Trent regarda longuement ce qu’il lui était arrivé de mieux dans la vie, puis se retourna lentement vers Bill. Ce dernier lut dans le regard de Trent qu’il avait fait son choix. Une panique l’envahit. Il se débattit avec tellement de fureur qu’il tomba à la renverse. Trent se rapprocha et le fit rouler sur le dos d’un coup de pied.

- Ecoute Trent, tenta désespérément Bill. Ne fais pas ça. Il bluffe. Il ne touchera pas à ton fils.

- Tu sais très bien que non, dit-il en pointant l’arme sur lui.

- Tu ne peux pas faire ça !

- C’est déjà fait.

La détonation se répercuta dans tout le hangar. Une gerbe de sang s’étala tout autour de la tête de Bill. Quelques gouttes éclaboussèrent Trent au visage qui s’essuya du revers de la main.

Jay applaudit fortement.

Magnifique ! Tu es tout simplement magnifique Trent ! Aucune hĂ©sitation. Je comprends que mon père n’ait eu aucune chance.

Trent se retourna vers l’hologramme. Son visage n’exprimait rien d’autre que de la haine.

- Mon fils maintenant.

- Ton fils, oui. Exact. Je n’ai qu’une parole. Tu n’as qu’à suivre la piste.

Une série de lumière s’alluma au sol marquant une ligne jusqu’à des locaux situés plus loin. Ces derniers, jusqu’alors dans le noir s’éclairèrent à leur tour.

- Et c’est tout ? ça va se finir comme ça ?

- Baisse la tĂŞte Mister DĂ©tective, chanta Jay. Incline la tĂŞte et pleure, Baisse la tĂŞte, Pauvre garçon ton tour arrive !

Sur un dernier rire, l’hologramme disparut.

Trent se retrouva seul avec ses dĂ©mons. Au sol gisait Bill dont le sang continuait Ă  se rĂ©pandre. Sans un regard pour lui, il suivit la piste tracĂ©e au sol Les lumières disparaissaient Ă  l’entrĂ©e d’un long couloir sombre. Son fils se trouvait ici quelque part. « Shaun » appela-t-il. « Shaun ». Se faisant, il passait en revue toutes les pièces qu’il avait sur son passage. Les premières donnaient sur des bureaux vides. Il commençait Ă  s’impatienter, la colère montant Ă  nouveau devant ce petit jeu. Il avançait sans aucune prudence. Une seule chose importait maintenant, retrouver son fils. La dernière porte le dĂ©livra. Elle s’ouvrait sur un local plus grand que les autres dont le fond Ă©tait constituĂ© d’un espace sĂ©parĂ© par une paroi vitrĂ©e. A l’intĂ©rieur, son fils, la tĂŞte penchĂ©e vers l’avant. MalgrĂ© l’élan qui le traversa, Trent ne se prĂ©cipita pas. Il entra prudemment l’arme au point. « Shaun, c’est moi, Papa ».

Il rechercha le moindre danger. Il n’y avait personne, mis à part son fils et lui-même. S’attendant au pire, il le rejoignit.

- Je suis là, tout va bien maintenant, le rassure-t-il en s’agenouillant face à lui.

Ses mains tremblaient lorsqu’il retira la cagoule de la tĂŞte de Shaun. Il dĂ©couvrit son visage rondouillard exprimant une paix propre au sommeil. « Shaun ? » l’appela-t-il prenant la tĂŞte de son enfant entre ses mains.

Mais au contact de sa peau, il comprit.

- Merde ! grogna-t-il en se reculant.

Face à lui, ce qui devait être son fils ouvrit les yeux et le fixa. Trent frissonna devant ce regard sans âme.

- Bonjour Papa, dit l’androĂŻde. Comment vas-tu ? Maman va bientĂ´t arriver. J’ai une surprise !

La chose ria, d’un rire qui n’avait rien d’innocent. Il se mit alors à chanter les couplets concernant Trent. Ce dernier reculait, horrifié par ce qu’il avait devant lui.

"Baisse la tête Mister Détective,

Incline la tĂŞte et pleure,

Baisse la tête Mister Détective,

Pauvre garçon, ton tour arrive !"

La chanson se stoppa. Les yeux de l’androïde se révulsèrent, sa tête se renversa vers l’arrière. Une tonalité aigue emplit la pièce et un chaos enflammé emporta Trent.

***

« Il y a quelqu’un ici ! » ; « Oh mon dieu ! » ; « De l’aide ! » ; « Vite on va le perdre ».

Des voix inconnues. On le soulevait, le posait. La douleur. Présente. Insupportable. Ce sifflement dans les oreilles.

« Shaun », appela-t-il. « Calmez-vous », lui dit-on avec douceur, « Vous n’êtes plus seul maintenant ». « Endormez-le sinon on va le perdre ! vite ! ».

Trent tenta de protester. La force lui manquait. « Shaun » murmura-t-il une dernière fois avant de sombrer Ă  nouveau.

***

Trent mit un certain temps avant de revenir à la réalité, alternant phase de sommeil profond et délire semi-conscient. Puis un jour, ces idées redevinrent claires. Il comprit alors qu’il était aveugle. Il comprit aussi que son corps avait été brulé en grande parti. Il comprit qu’il avait perdu un bras et une jambe. L’infirmière lui confirma tout cela peu de temps après. Il comprit encore qu’il n’était pas libre. L’accès à sa chambre était réglementé. Pour sa protection lui a-t-on dit.

Ce n’est qu’au bout d’un temps indéterminé qu’il eut la visite d’une personne qui sortait du cadre médical.

L’homme se présenta sous le nom de Robert Dawney, des affaires internes.

Après les présentations, l’officier s’assit à côté du lit.

- Vous allez l’air de vous porter beaucoup mieux, commenta Robert une légère compassion dans la voix.

- Je pète la forme. Merci.

L’enquêteur des affaires internes passa sur le ton ironique de Trent.

- Votre caractère, en tous cas, a retrouvé la forme. Vous en aurez besoin.

- Besoin pourquoi ?

- La suite vous concernant.

- C’est-à-dire, s’énerva Trent.

- Le meurtre de Bill Torn, entre autres.

Trent ne répondit rien à ça.

- Vous n’avez rien Ă  dire pour votre dĂ©fense ?

- J’ai été manipulé.

- Ah oui ? Continuez, je vous prie, que je comprenne.

- Jay Stevenson. Il a tout orchestrĂ©. La mort d’Erikson, de Patterson, Torn, tout. Il dĂ©tenait mon fils. Shaun, comment va mon fils ?

- Votre fils va bien. Mais revenons Ă  nos affaires. Jay Stevenson vous dĂ®tes ?

- Oui, c’était le coéquipier d’Erikson.

Un silence s’ensuivit.

- L’officier Stevenson est mort dans l’explosion qui vous a mis dans cet état. Ses restes ont été retrouvés dans la même pièce.

- Ce n’est pas possible, lâcha Trent.

- Pourtant c’est bien le cas. Il y avait bien deux corps. Le sien et le vôtre. Vous avez eu beaucoup, beaucoup de chance de vous en sortir. Enormément même. Mais le résultat reste le même.

- Ce n’est pas possible, maintint Trent. Ce ne peut pas être lui.

- Pourtant c’est le cas. Les analyses ADN l’ont certifié. Il n’y a pas de doute sur le sujet. Nous avons également trouvé un enregistrement vous montrant en train de tuer Bill Torn. Je dois dire que c’est assez parlant. Voilà donc la version de l’histoire : pour des raisons qui vous sont propres, vous tuez le Maire et le Commissaire, et vous voulez placer une bombe dans un androïde de type EKO. L’officier Stevenson veut vous en empêcher. Les choses tournent mal, ça explose. Les bombes artisanales c’est assez instable, je dois dire.

Des bouffées de chaleur envahirent Trent. Il se sentait piégé, impuissant à prouver son innocence.

- Personne ne croira Ă  ça ! lança-t-il d’une voix tremblante.

- J’ai le plaisir de vous dire qu’ils le croient déjà.

Trent entendit l’homme se lever et le sentit se pencher sur lui. Son souffle lui caressa l’oreille lorsqu’il se mit Ă  chanter paisiblement :

"Baisse la tête Mister Détective,

Incline la tĂŞte et pleure,

Baisse la tête Mister Détective,

Pauvre garçon, tu payes enfin !"

Fin.


Texte publié par EJjay, 29 avril 2025
© tous droits réservés.
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