Scène 1 - Chez moi
— Aïe !
Je me réveillai soudainement, comme si j'avais fait un cauchemar, ma tête heurtant la vitre du couvercle au-dessus de moi.
Il faisait encore nuit noire, mais je me sentais étonnamment calme. Je me recouchai dans ma capsule pour essayer de retrouver le sommeil. Cependant, quelque chose me perturbait. Plongé dans mes pensées, je tentai de me rappeler mon rêve, en vain. Les fragments qui m'apparaissaient brièvement s'estompaient presque immédiatement.
La capsule avait remplacé nos anciens lits : elle surveillait nos signes vitaux et, surtout, transmettait des connaissances grâce aux leçons glissées dans nos rêves. En quelques nuits, on apprenait lire, compter, écrire ; plus tard, la science ou la musique. Peu importe l'âge, la capacité d'apprentissage ne diminuait pas. Rien d’idéal pourtant : sans pratique, ces connaissances s’effaçaient vite.
Par ailleurs, avec l'utilisation, la machine avait également tendance à nuire à la socialisation, diminuant la fréquence et les temps de rencontre si elle était plus souvent utilisée. Elle n’aidait pas non plus à trouver le sommeil et ne permettait aucune amélioration physique.
Grâce à cette technologie, le processus d’apprentissage humain était accéléré en douceur, laissant un peu plus de temps libre aux enfants et permettant aux adultes de continuer à progresser malgré leur manque de temps.Â
Je tentai de me rendormir puis je perdis patience. Autant me lever, mais avant cela, je devais satisfaire ma curiosité quant à ce rêve flou. Une fenêtre flottante s'ouvrit lorsque, par réflexe, je tapotai sur la vitre. Quel fut mon étonnement lorsque je constatai que celle-ci n'indiquait aucun enregistrement par la machine ! Je touchai l'icône relative et le couvercle de la capsule s’ouvrit comme tous les matins. Je sentis le froid de la pièce prendre le dessus et me hâtai à la douche pour y échapper. Les limitations imposées sur l’utilisation des ressources m’empêchaient de profiter longtemps de cette chaleur réconfortante qui ne suffisait pas à dissiper mon anxiété et ma curiosité.Â
J'en sortis aussi tard que les restrictions me le permettaient et le sifflement familier du recyclage de l'eau s'estompa derrière moi. Son faible ronronnement se fondait dans le silence ambiant. Même la salle de bain était optimisée : pas de chaleur perdue, pas d’espace gaspillé. Désormais, tout était mesuré à outrance. Je passai ma main sur le miroir qui en dissipa la buée. Un visage jeune d'à peu près dix ans, comme hier, me fixait, les cheveux mouillés collant au front. J'avais le sentiment que cet air d'enfant ne me correspondait pas. Cette réaction, ici-bas, était la même pour tous.Â
Je pris la serviette, fine, faite de fibres synthétiques, qui absorbait l’humidité de ma peau presque instantanément. Je n'en appréciais pas la rugosité mais le confort n’était pas le but, juste l'efficacité.Â
Je la raccrochai et me tournai vers le placard mural, où mes vêtements m’attendaient. Le tiroir s'ouvrit, avec un léger bruit mécanique, à l'appui sur le panneau où était écrit mon nom. Mes vêtements pour la journée reposaient à l’intérieur, pliés et prêts.Â
Je glissai dans ma combinaison BioTex gris-vert : deux pièces de tissu synthétique rugueux qui respiraient et tenaient des années. Mise au point il y a quelques décennies, elle ne gaspillait presque pas d’eau ; ses fibres modifiées s’adaptaient à toutes les situations. Sans ceinture ni fermeture éclair, deux poches à peine, son style futuriste me seyait bien. Ici, la mode importait peu ; ces vêtements étaient conçus pour survivre, pas pour plaire et nous n’avions pas le luxe d’autre chose.Â
Je me dirigeai vers la porte, entendant le petit clic alors que le tiroir se refermait derrière moi. En avançant dans le couloir, les lumières s’allumaient une à une, réagissant à ma présence. Ce genre de petite chose rendait le déplacement facile, par contre, il me paraissait accentuer la monotonie de la routine.Â
La porte devant moi donnait sur la pièce qui faisait à la fois office de salon, de cuisine et d’entrée. De l'autre côté, j'entendis un léger froissement : maman, vêtue de la même combinaison déclinée en violet, s’affairait aux fourneaux.
— Bonjour, mon chéri ! As-tu bien dormi ? demanda-t-elle doucement.
Elle manipulait un mixeur pour préparer ce qui ressemblait à une boisson. Â
— Bonjour, maman !
Elle me prit un moment dans une étreinte chaleureuse.
— Je me suis réveillé au milieu de la nuit, mais ça va. Papa est-il déjà parti ?
— Oui, il a reçu un appel d'urgence cette nuit. Ne t’en fais pas. Tu voulais lui demander quelque chose ?
Elle jeta un coup d’œil à l’horloge, puis me lança un air curieux avant d'attirer mon regard sur la table.
— Prends le temps de manger, ton petit-déjeuner est sur la table. Aujourd'hui est un jour spécial pour mon petit Yuki ! Je te prépare ta boisson comme tu l'aimes !
Je me rapprochai de la table. Maman sortit quelques verres et remarquant que, voulant en porter trop, elle manqua d'en renverser un ou deux, j'accourus.
— Laisse-moi t'aider !
— Merci, mon grand. Tu m’as évité une belle catastrophe !
— C’est mon job : super-héros anti-verres cassés !
— Mon héros du quotidien, surtout, rétorqua-t-elle en riant.
Je ne savais pas de quoi elle parlait, plus tôt. Je me rappelai l’étrangeté de ma matinée. Je me retournai vers elle, levant un sourcil pour lui répondre :
— Je n'ai pas eu de leçon cette nuit. Maman, que vais-je faire pour mon entraînement ?
Elle resta calme et prit le temps d’enchaîner calmement.
— Ne t’inquiète pas, ce n'est pas grave. Tu n'en avais pas cette nuit !
Elle marqua une pause puis vit le questionnement sur mon visage avant de reprendre :
— Aujourd'hui tu as ta première orientation, pas d'entraînement, pas de leçon. Tu as dû être surpris au réveil. J'aurais aimé te prévenir hier, néanmoins tu dormais déjà lorsque l'information m'est parvenue. C'est étonnamment soudain mais qu'est-ce que tu grandis vite !
Aucune préparation. Pas le moindre avertissement ! Même elle était surprise. Ce fut un tel choc de recevoir cette information si soudainement que je restais dans un silence brisé par maman :
— Je t'accompagnerai jusqu’à la grande porte, je dois rejoindre ton père après. Cela nous donne le temps d'en parler un peu.
Le nom de maman était Hannah Delmar, ce qui faisait de moi Yuki Delmar. Je n’avais pas une goutte de sang asiatique. Ma mère aimait ce nom, car il signifiait neige et bonheur, néanmoins il portait une notion de courage s’il était écrit différemment. On m’avait dit un jour que son nom avait été choisi de manière similaire en s'appuyant sur des images. Je me demandais à quoi elle avait pensé quand elle m’avait donné ce nom, mais c’était probablement juste une habitude de famille. Était-ce lié à une sorte de souhait ?
La nourriture ici n’était ni exquise ni raffinée en raison de la préservation des ressources. Nous produisions encore beaucoup de choses sous terre cependant peu d'entre elles valaient la peine d’être travaillées. Par conséquent, nous n’avions pas besoin d'une grande quantité d’ustensiles à titre privatif, donc la cuisine était plutôt réduite. Mon rendez-vous d'orientation n'étant pas pour tout de suite, je pris mon temps pour manger un fruit, une barre de chocolat et boire le smoothie d’algues que maman avait rendu plus alléchant.Â
— Comment se passe l'orientation ?
— Tu vas d'abord rejoindre l'école. Lorsque tu arriveras, le chemin vers ton point de rendez-vous te sera indiqué. Un conseiller t'accueillera et tu iras aux archives. Tu pourras faire des recherches pour orienter ton avenir. Tu auras aussi un entretien pour t'aider. Comme pour toutes les orientations, tu iras aussi en observation.
— Qu'est-ce que je devrais observer ?
— Tu vas devoir suivre quelqu'un à son travail. Ou même peut-être un groupe de personnes. Rien de tel que l'apprentissage par l'expérience ! Le poste ne te plaira peut-être pas mais au moins tu te feras une première idée de ce qu'est la vie professionnelle.
— Je serai seul ?
— Non, ne t'inquiètes pas, tu seras avec les mêmes camarades pendant toute la semaine, mon chéri ! Il y en aura sûrement de ton âge. Profite-en pour te faire des amis. Les contacts sont aussi importants.
— Ce ne sera donc pas ma seule orientation, alors ?
— Effectivement. Tu auras des orientations régulièrement à partir de maintenant cependant rien ne garantit que tu seras avec les mêmes camarades à chaque fois. Chacun fait ses choix et suit son chemin. Les prochaines orientations dépendront de ce que tu souhaites lors de tes entretiens et des besoins du moment. Allez, finis de te préparer. Il faut qu'on y aille.
Je vérifiai mes chaussures, rangées près de la porte d’entrée. Elles étaient légères, faites d’un composite flexible comme mes vêtements. Rien de spécial ; juste de quoi faire l’affaire sous terre. Les semelles en synthétique durable adhéraient bien aux sols en métal et en béton. Je les mis et elles s’ajustèrent comme toujours : assez serrées pour rester en place sans faire mal aux pieds.Â
À côté de la porte, un panneau horizontal mettait à disposition huit emplacements destinés à charger et configurer des appareils identiques ressemblant à des montres. Il ne restait que deux appareils : ma boucle d'aurore et celle de ma mère. Je pris la mienne et l'attachai à mon poignet. Maman fit de même. Cet appareil servait aussi de clé d’accès et ce nom lui était donné en raison de son changement de couleur selon les situations. À cet instant, il était d’un vert vif autour parce que j’étais près de la porte d’entrée et autorisé à sortir. Cependant, il prenait généralement une teinte argentée foncée. Nous étions tenus de le porter bien visible chaque fois que nous quittions la maison.Â
J’ouvris la porte et fis un pas dehors. En marchant, je sentis le t-shirt s’ajuster à ma chaleur corporelle, un petit rappel que même si la technologie que nous utilisions n’était pas tape-à -l’œil, elle nous maintenait en vie. Maman m'emboîta le pas.Â
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Scène 2 - Zone résidentielle
Ce labyrinthe métallique compact, où vivaient d'une à trois cents personnes, était composé de monolithes allant jusqu'à trois étages. Ils étaient constitués de blocs d'appartements empilés, desservis par un seul escalier métallique. Bien qu'identiques à l'extérieur, les intérieurs étaient modulables, laissant le loisir d'organiser la distribution des pièces selon le souhait des familles qui l'habitaient.
L'ensemble relié par de larges couloirs formait ce paysage en métal bleu-gris qui définissait les frontières de ma réalité monotone. La vie florale ne manquait pourtant pas. Le besoin de nature était tel qu'en la matière, l'imagination humaine n'avait aucune limite. À certains endroits fleurissaient sur les murs des bunkers des représentations graphiques figurant des environnements naturels presque réels.
Notre abri, petit et sécurisé, était une construction rigide en acier froid, où des systèmes de surveillance assuraient la sécurité des habitants. Ainsi, chaque pas, chaque regard, chaque mouvement, étaient contrôlés, ne laissant aucune place aux secrets. Tant que j'avais ma boucle d'aurore, je pouvais me déplacer librement et en toute sécurité sans la présence d'un parent, si je voulais.
Ayant fait quelques pas, je remarquai déjà que le lieu était animé, les gens allaient et venaient. Bien que les uns se rendaient probablement d'un hub à un autre pour atteindre leur abri de destination, les autres avaient des activités diverses. Â
L'homme que nous venions de croiser poussait un chariot rempli de boîtes. Je crus voir un badge apposé sur sa tenue avec le nom de Ming. L'idée que ce travailleur effectuait probablement la livraison des différents blocs résidentiels me traversa l'esprit.
— Maman, ce ne sont pas les mêmes boîtes que d'habitude. Ils font des livraisons ?
— Je pense que tu as raison, sinon il se dirigerait vers un conteneur attenant aux appartements et les boîtes seraient adaptées à ceux-ci.
Un autre homme musclé, souriant avec un air confiant, le rejoignit un peu plus loin. Celui-ci venait probablement de l'ouest et portait un brassard servant d'ordinateur muni d'un écran tactile à sa surface. C'était le genre de gadget attirant l'attention des enfants, toutefois ils étaient destinés à des fins professionnelles vu leur faible nombre.
— Regarde ! Ils se sont arrêtés à côté d'un local technique. Ils effectuent sûrement le contrôle des dispositifs de survie. Cela t'intéresse ?
— Ces gens font tout le temps la même chose, non ? Ils ne s'ennuient pas ?
— Peut-être mais ces mécanismes sont nécessaires sous terre. Certains nous fournissent l'eau, l'air pur et l'énergie électrique. Afin de maintenir en fonctionnement notre abri résidentiel, il faut bien que quelqu'un s'assure qu'ils fonctionnent bien.
Après une pause, maman reprit :
— Si la routine est un problème, il te faudra alors trouver quelque chose de plutôt créatif. Tu ne crois pas ?
Au loin, je commençai justement à entendre une mélodie. Au fur et à mesure que j'approchais, le volume de la musique et le nombre d'instruments audibles augmentaient. Au-delà des blocs d'appartements, la grande porte était entièrement visible, ses murs étaient indistincts du plafond.
Plus loin, l'endroit était animé, comme d'habitude. Nous nous rapprochions du lieu de séparation, nous n'avions pas eu le temps de beaucoup discuter et le bruit nous empêchait déjà de nous entendre correctement.
Une fois devant la grande porte ouverte, ma boucle d'aurore vira à nouveau au vert, m'accordant l'accès.
Ces portes, si épaisses et si lourdes qu’on ne pouvait les manœuvrer à la main, devenaient terriblement bruyantes lorsqu’elles se mettaient en mouvement ; elles restaient donc hermétiquement closes chaque fois que la sécurité de l’abri était directement menacée. Il en existait plusieurs par abri, généralement disposées aux quatre côtés de celui-ci. Deux gardes, postés de part et d’autre de chaque porte, surveillaient sans relâche les allées et venues.
— Bon courage, Yuki !
Scène 3 - Les transports
Derrière la porte se trouvait le sas de confinement : une grande pièce bien plus petite que l'abri mais assez spacieuse pour des déplacements importants. Aussi appelé hub, ce lieu était utilisé comme point de rencontre, et ce n'était pas le seul. Les caractères numériques peints, en gros, de façon à ce qu'ils soient immanquables, sur le mur d'en face indiquaient le numéro 27 : celui de l'abri duquel j'étais sorti.
Trois musiciens se tenaient près des lourdes portes renforcées de l'abri résidentiel, leurs instruments résonnant doucement contre les murs froids. Le premier, un homme maigre avec une longue barbe, grattait les cordes d'une guitare usée, des accords profonds et résonnants remplissaient l'air. À ses côtés, une femme aux cheveux rouges l'accompagnait avec une paire de cymbales, leurs vibrations rythmiques ajoutant une couche percussive subtile à la chanson. Le troisième, un jeune homme muni d'un harmonica, soufflait dans l'instrument. Les notes empreintes de soulèvement se mêlaient au bourdonnement tranquille des machines de l'abri. Leur musique, brute mais travaillée, semblait porter un message de défi et de désir, offrant un rare aperçu de la vie au-delà des limites stériles et réglementées de l'abri. Au fur et à mesure que leurs mélodies s'entrelaçaient, elles emplissaient l'espace d'un sentiment de liberté et d'humanité, attirant une petite foule de résidents qui se rassemblaient en silence, comme si le son lui-même pouvait, l'espace d'un instant, briser les barrières d'acier qui les séparaient du monde extérieur.
Plusieurs accès de tailles variées cachaient divers moyens de déplacement réservés. Toutefois, les deux longs et larges couloirs — l’un sur la droite, l’autre sur la gauche — constituaient la prochaine étape de mon voyage. Les tunnels de la Cheniligne, reliés en chaîne à d'autres abris, offraient un déplacement rapide. Ce réseau tirait son nom ainsi grâce aux Orbus : des wagons sphériques et transparents, interconnectés comme les anneaux d'une chenille.
Suspendus à un circuit de rails complexe, ces Orbus se détachaient à une bifurcation prévue à cet effet pour desservir leur station de départ ou d'arrivée — à la manière d’ascenseurs — sans ralentir la circulation générale. Le trafic restait ainsi aussi fluide qu’un transport personnel.
— Je me rends à l'abri 47.
Ma boucle d'aurore vira du jaune au vert pour indiquer l'acceptation de ma requête vocale. La porte de l'Orbus se ferma et prit de l'altitude avant de s'engouffrer dans un tunnel peu lumineux sans toutefois le rendre nébuleux.
— Nous sommes désolés pour ce contretemps : un incident à l’abri 36 provoque momentanément une saturation du réseau. Pas d’inquiétude ! Votre Orbus ralentit brièvement pour laisser la voie se dégager. Un grand merci pour votre patience.
À l'approche de celui-ci, je remarquai une foule sur les quais de cet abri. Une personne mise à l'écart avait attiré mon attention. Elle avait l'air plutôt mince, apparemment couverte de vêtements la dissimulant aux regards. Je devinai, à sa silhouette élancée, qu'il s'agissait d'une femme. Bien que cela semblât suspect à première vue, c'était en fait inquiétant, car ses deux interlocuteurs portaient des badges signalant le caractère médical de leur fonction. J’eus un pincement au cœur : et si cette femme était victime d'une fuite radioactive ? C'était encore notre peur la plus banale, un risque tristement courant. Après tout, les abris n'étaient que de fragiles remparts nous protégeant avant tout de ce fléau venu de l'extérieur. Je détournai vite les yeux. Par chance, les portes du refuge restaient ouvertes, signe que l’incident n’avait rien de grave.
— Attention : restez confortablement assis, nous repassons à vitesse de croisière. Merci pour votre vigilance !
Cette vue pour le moins inquiétante me rappelait que papa était parti en urgence pendant la nuit. Cela avait-il un rapport ? Maman a bien pu passer par un accès réservé.

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