LA ROUTINE S'INSTALLE

Ne pouvant être accueillis qu'une fois, Arthur et Aline apprennent au petit-déjeuner que leur pension est gratuite en échange de quelques travaux journaliers. C'est ainsi qu'Arthur se voit confier une tâche ne devant pas dépasser trois heures par jour. Chaque matin, il doit se rendre au journal où on lui remet les 227 exemplaires de La Dépêche qu'il doit distribuer aux habitants du village. Une petite routine routinière pour lui, habitué à marcher. Au fur et à mesure que son sac s'allège, il doit recueillir les contributions volontaires que le maire exige de ses citoyens pour le bon fonctionnement du refuge. C'est ainsi qu'une douzaine d'œufs est fournie par un poulailler, 3 pintes de lait issues de la vache de M. Vacher, 6 kilos de bœuf de M. Leboeuf et autant venant du porc de M. Cauchon. Un dernier arrêt chez un fermier pour remplir son sac de légumes et de fruits saisonniers complète la tournée. Il faut bien nourrir les résidents de l'hôtel.

Quant à Aline, son rôle est assez simple. On lui confie les tâches ménagères habituelles : récurer les planchers, laver la vaisselle et s'assurer que tout le monde a des vêtements propres. C'est lors de sa première opération de nettoyage qu'Aline, faisant preuve d'une curiosité toute féminine, vérifie si la porte de la chambre numéro 6 est bien inaccessible. L'alarme installée par Hocquet se déclenche immédiatement ce qui éloigne du même coup Aline et la main qui tentait d'ouvrir la dite porte. Rappelée à l'ordre, celle-ci prétexte qu'elle ne cherchait qu'à nettoyer la poignée. Une fois son travail terminé, elle se rend à la cuisine et s'offre pour aider Chiquita à la préparation des repas. Celle-ci accepte, surtout qu'elle doit se rendre au Raseur Rasé pour terminer une coupe calvitie entreprise la veille.

Le souper regroupe tout le groupe. Chiquita mentionne que le repas a été entièrement préparé par Aline qui reçoit des félicitations de tous les convives. Hocquet propose que ce soit maintenant elle qui ait la responsabilité des repas, ce qui fut accepté à l'unanimité. Le soir venu, ils se rendent tous au Jenquetois pour prendre un digestif sans alcool au grand déplaisir d'Arthur.

Une Saint-Valentin en juillet

Alors que les terrains de camping célèbrent le Noël des campeurs, Vénus décide de célébrer la Saint-Valentin aussi en juillet. Les murs du Jenquetois sont ornés de peintures à numéros, œuvres de Jenquet de son vivant et illustrant ses quatre anciennes femmes. Les 11 jeunes villageois venus fêter au bar ne connaissant pas le vrai sens de cette fête, Vénus s'empresse d'en faire un historique personnel et imagé. Même Wikipedia ne s'y retrouverait pas.

Selon elle, la Saint-Valentin tirerait ses origines d'une fête païenne célébrée par les Romains. Semble-t-il que le 15 février, les prêtres de Lupercus sacrifiaient des chèvres et s'enivraient. Une fois le rituel terminé, ils parcouraient les rues, à peine vêtus, pour toucher les passantes prétextant que ce geste augmenterait leur fertilité et faciliterait l'accouchement. De nos jours, plusieurs prêtres répètent ce rituel, mais sur des enfants. Un changement de rite survient en l'an 496 alors que l'Église catholique veut civiliser la tradition. Le 14 février, les femmes célibataires se cachaient aux alentours de leur village et les jeunes hommes partaient à leur recherche. Lorsqu'un homme en découvrait une, il devait la marier dans l'année. Mais on a constaté que plusieurs filles disaient où elles se cacheraient pour être certaines de ne pas rester vierges. Ce qui fait aussi que plusieurs hommes ne cherchaient pas à cet endroit de peur de devoir marier une vierge ne correspondant pas à leur idéal de femme. Même les hommes mariés participaient à cette course pour tenter de retrouver « la plus belle fille du village » et trouver leur plaisir la nuit de la St-Valentin. Malheureusement, plusieurs tombèrent sur leur propre épouse qui cherchait un mâle mieux baraqué. On a donc modifié la tradition en inventant un juge externe : Cupidon.

Célèbre personnage relié à la Saint-Valentin et personnifié par un jeune enfant muni d'un arc et d'une flèche, Cupidon représente le dieu de l'amour. Son nom vient du latin cupido, qui veut dire désir. Il serait le fils de Mars et de Vénus. Tout le monde sait que la femme vient de Vénus et l'homme trop vite. Si sa flèche vous touche, vous tomberez amoureux de la première personne que vous rencontrerez. Cette légende a encore ses fidèles plus de 2000 ans plus tard, mais les flèches ont été remplacées par l'application Tinder pour des rencontres d'une nuit.

La Saint-Valentin est attendue par de très nombreuses personnes comme les chocolatiers, les restaurateurs, les fleuristes et les bijoutiers. Ils aiment ceux qui s'aiment et sèment le bonheur de leurs comptables.

Aline n'en peut plus. Des larmes jaillissent de ses yeux, cette provenance n'étant que normale. Elle raconte à l'assistance sa vie malheureuse et son échec amoureux. Pour elle, l'amour c'est fini. En racontant sa vie, elle fait part de toutes les confidences qu'elle entendait dans son salon de coiffure de la part d'épouses malheureuses.

Des propos qui tombent dans l'oreille de la femme du maire qui rameute les femmes du village. Elles ont trouvé une coiffeuse et exigent que Chiquita ouvre son salon aux femmes et non seulement aux hommes. C'est ainsi qu'Aline verra sa liste de tâches s'allonger.

Un chapelet de mariages

Plusieurs interrogations émergent de cette soirée. Aline se demande pourquoi on ne parle pas de la femme de Jenquet. C'est Hocquet qui lui fournit la réponse. La vie amoureuse de Jenquet n'est un secret pour personne même s'il n'aimait pas l'étaler publiquement. Après quatre tentatives infructueuses, il a compris qu'il était destiné au célibat. Il s'en ait confié à répétition.

Avec chaque nouvelle flamme, j'ai tenté l'apprentissage d'une vie de couple, j'ai recommencé la période d'amener de jeunes enfants vers l'adolescence, j'ai refait les mêmes devoirs, conjugaux et scolaires. Mais à chaque fois, je m'y suis pris de façon différente. Mon premier mariage fut marqué par l'éveil de la sexualité. En ce temps, on baisait dans le mariage et on se mariait pour baiser. Je ne suis pas fier de toutes mes infidélités à une épouse qui en faisait autant de son côté. Ce fut aussi le temps où nous avions beaucoup d'avance sur la loi de Trudeau concernant le cannabis, les cigarettes sans filtre et la boisson forte. Je me souviens aussi de toutes les contorsions budgétaires que nous avons dû faire pour assurer notre subsistante et permettre à notre unique fille de faire des études au privé. Oui, nous nous sommes privés en famille. Douze années de bonheur, une année moins heureuse et une semaine d'agonie. Et puis ce fut le décès de notre couple. Pas de récriminations entre EX, on se souhaite une nouvelle vie plus conforme à nos désirs respectifs. Une séparation facilitée du fait que nous avions tous les deux un partenaire de rechange en attente.

De retour à la case départ, même lieu, même maison et on recommence. Un peu plus fortuné avec une nouvelle flamme allumée par un coup de foudre. Deux rejetons à apprivoiser et une épouse à épauler dans une carrière commencée au bas de l'échelle. Finie la marijuana, je veux être un bon mari. Je ne suis plus volage. Je reste même fidèle à des amis qui me visitent quotidiennement : le vin et le scotch. Je cherche vraiment à devenir l'homme idéal mais j'idéalise cette recherche. Je ne serai jamais cet homme. Un mariage qui a duré 10 ans avant que je trouve une troisième complice qui m'a enduré 10 ans également. Persévérant, je me suis engagé pour une autre décennie avec une quatrième compagne qui, telles les précédentes, a attendu 10 ans avant de me dire que mon terme était échu. C'est à cet instant que j'ai mis ma profession à la retraite, changé mon nom et que je me suis installé à St-Jean-D'Épîles.