RÉVÉLATIONS
Tak Tik lève le voile
Hocquet n'en revient pas. Le chef de police, M. Lapolice vient de lui faire part d'une découverte surprenante. Alors qu'il furetait sur son ordinateur à la recherche de sites pornographiques mettant en vedette des adolescents, il tombe sur un blogue sur le site Tak Tik. Animé par deux hurluberlus anonymes qui disent détenir des documents classés secrets, le site dévoile des informations intimes à propos du célèbre Jenquet. Hocquet confirme à Lapolice qu'il s'agit bien d'un des documents qui gisaient dans la mallette sous le lit dans la chambre no 6. Qui sont ces malfrats ? Le premier document révèle la relation intime entre Jenquet et Mozart, son chat. Y montre-t-on un cas de zoophilie ?
Vénus se hâte d'équiper le Jenquetois d'un ordinateur afin de projeter sur écran géant le contenu de ce blogue afin d'en faire profiter les villageois ignares en informatique. Un moyen de faire mousser la vente des bières sans alcool qui ne moussent pas. C'est ainsi qu'on prend connaissance d'un premier blogue qui veut discréditer Jenquet en publiant un de ses écrits inédits. Sans la permission de Tak Tik, je me permets de le reproduire ci-dessous.
Mozart, le musicien, a influencé le choix du nom de mon chat. Un chat siamois qui devait demeurer de petite taille mais dont je me suis efforcé de faire engraisser via la nourriture et surtout en le faisant dégriffer (ce que je regrette ; ce fut cruel pour lui mais bénéfique pour mes meubles. Il aurait dû passer en premier). Je l'ai aussi fait castrer. Pas de sexe pour moi… donc pas pour lui non plus. Il a maintenant 15 ans, couche sur moi toutes les nuits et sur mes cuisses toutes les fois que je regarde la télévision. Je lui parle souvent et il me répond toujours en utilisant un langage félin que je ne maîtrise pas encore. Bien triste que l'on ne se comprenne pas. Mais cela n'arrive pas uniquement avec les relations animales.
Il en a vu et entendu des compliments de tous les gens qui venaient et viennent à la maison. Évidemment tous ces compliments lui sont particulièrement adressés et moi, son « maître obéissant » je n'en suis que le témoin jaloux.
Pendant 5 ans, il a joué le rôle de préservatif lors des séjours nocturnes d'une conjointe à temps partiel en venant se lover entre nous deux dans SON lit. Et je ne parle pas de toutes les infidélités dont je fus témoin. Infidélités de sa part bien sûr puisque dès qu'une étrangère venait à la maison, c'est dans ses bras à elle qu'il allait faire ses câlins.
Après 6 ans sans visite féminine, il s'est précipité vers un nouveau visage féminin qui l'assomma de compliments, le soulevant de terre et lui chatouillant le menton. Marilou entrait dans la vie de son maître. Mais dès le départ, une mise en garde : « Pas de sexe et pas de vision à long terme ». J'ai eu beau expliquer à mon chat que la mise en garde venait de la dame et que cette relation ne serait qu'amicale, il a toujours eu espérance qu'enfin une femme le prenne quotidiennement dans ses bras. Et moi, je partageais le même désir.
Le blogue se termine par une mise engarde : Vous venez de prendre connaissance, à notre connaissance, d'un premier écrit de Jenquet qui montre son côté obscur de la force qu'il a tenté de démontrer dans sa vie de retraité. Pour bien le cerner vous auriez dû l'interroger sur sa vie avant la mort de sa vie active. Nous publierons une tranche de sa vie sur ce blogue à tous les lundis soirs à 20 h.
Hocquet se porte à la défense de son ami Jenquet dont les cendres reposent toujours sous l'érable argenté qui jouxte l'hôtel. Il utilise les colonnes du journal La Dépêche qui lui appartient pour tenter de rétablir les faits. La UNE est consacrée à son ami. On y lit que les humains adorent les chats parce qu'ils sont des compagnons idéaux car ils font rire et sourire en plus de diminuer le niveau de stress. Ils aiment sans compter et ils sont toujours heureux tant qu'ils sont avec leur maître. Normal que Jenquet, un homme si humain, porte une attention particulière à son chat. L'article met aussi en garde les blogueurs qu'ils risquent de se mettre à dos les millions d'internautes qui adorent y voir évoluer ces gentils félins et pour qui Internet représente un « parc virtuel » pour les admirateurs des chats. Les propriétaires de chats sont tentés de partager les exploits de leur animal préféré tout en récoltant, par ricochet, des J’aime et des commentaires d’appréciation de ces internautes. Elon Musk serait-il derrière ce complot afin d'augmenter ses revenus ?
Hocquet s'interroge et se répond. Se peut-il que M. Trompe ait mandaté sa CIA pour dérober les secrets de Jenquet ? Il en serait bien capable. Pas de chance à prendre. Pour contrer une telle attaque, il faut absolument publier les enquêtes inédites de Jenquet quitte à y apporter des modifications pour satisfaire le grand orange. Il prend les premiers rapports d'enquête au dessus de la pile et tombe pile sur une enquête concernant des prostituées et une autre sur une descente policière.
Mon client et un de ses amis recherchaient une première expérience sexuelle. Mais tout ne se passa pas comme prévu. Je prends en note les faits tels que décrits par mon client.
--- En quête d'une initiation sexuelle par des expertes, mon ami et moi nous sommes préparés physiquement par une douche chaude et mentalement par un joint de marijuana. On a obtenu adroitement un rendez-vous via un chauffeur de taxi qui nous a conduit lui-même avec adresse à l'adresse de deux damoiselles aux mœurs légères. Arrivés aux pieds d'un escalier, on a monté gauchement les marches pour être accueillis par deux jeunes professionnelles du sexe. Le prix du service étant fixé à 225 $ par personne, aucune négociation ne fut possible. Personne n'a rechigné à payer à l'avance. Aucune présentation officielle n'étant requise on revêt les mêmes vêtements que les filles : rien. On a appris rapidement qu'une relation sexuelle est de courte durée. On s'est rhabillés, un taxi nous attendait pour nous ramener à notre logement.
Mon client désire que je retrouve ces deux prostituées après avoir constaté qu'en partant, il avait oublié de leur laisser un pourboire. J'ai refusé cette enquête puisque je devais me rendre sur le théâtre d'une bagarre au Jenquetois.
***
La Ligue des Droits de l'Homme (incluant ceux des Femmes) a lancé un cri d'alarme pour protester contre un fait criant : il y a eu du racisme sur la scène du Jenquetois. Un policier, blanc comme neige, appelait à l'aide à l'aide de son cellulaire. L'agent a demandé des renforts puisque dans la salle, on ne respectait pas les consignes contre la pandémie. C'était noir de monde a-t-il dit en demandant du support.
La source du grabuge : le producteur du spectacle, un mouton noir faisant fi des consignes de la santé publique ayant permis deux fois plus de clients que ce que la loi lui permettait.
Une recherche approfondie m'a permis d'apprendre qu'un spectacle d'humour noir était au programme. En interrogeant les témoins qui n'avaient rien vu, j'ai appris que le policier était arrivé juste après l'entracte dans le but évident de ne pas payer son billet d'entrée. Mon premier réflexe a été de me demander pourquoi on avait besoin d'un entracte pour un spectacle d'une heure.
J'ai présenté mon rapport d'enquête au gouvernement en lui précisant que le racisme systémique existait dans l'esprit de ceux qui y croyait mais que la Ligue des Droits de l'Homme ne devait pas payer ses membres pour aller voir des spectacles d'humour noir. On a donc blanchi le producteur pour son choix de spectacles mais il fut condamné pour son trop grand nombre de spectateurs.
Le policier m'a donné une contravention puisque j'avais oublié de porter mon masque anti-virus, une autre pour ne pas avoir respecté la distanciation sociale et une troisième pour avoir omis le lavage des mains. Curieusement, le total des amendes correspond exactement au montant de mes honoraires.
Vénus et Chiquita se regardent en constatant que les honoraires qu'elles demandaient pour leurs services au bordel étaient beaucouip trop bas. Mais il est trop tard pour exiger la différence.
Le lundi suivant, on fait la file devant le Jenquetois pour obtenir une place de choix dans l'attente d'une nouvelle révélation de Tak Tik. Elle ne tarde pas. Les blogueurs y dévoilent une relation secrète de Jenquet avec une psychologue de 20 ans sa cadette : Marilou. Jenquet aurait écrit dans son cahier intime des propos très intimiste concernant cet amour à sens unique.
Le 17 septembre fut une date mémorable. Que ce soit pour mon premier jour sans boisson ou par mon premier souper au resto avec ma conjointe numéro 4 ou le soir où à l'OSTR je prends une photo d'une nouvelle choriste (je suis responsable des communications). Celle-ci se prénomme Marie-Louise et elle permet à ses amis de l'appeler Marilou. Alors Marilou me tombe dans l'œil sans me blesser. Ma timidité m'empêche quelque démarche que ce soit envers elle. Il a fallu attendre quelques semaines pour que je me décide à lui demander, via un courriel, si elle avait quelqu'un dans sa vie. Suite à une réponse négative, j'entre dans la sienne.
Première conférence téléphonique où elle me dit son âge, que je tais, et sa profession : une psychologue privée. Je lui dis mon âge et mon manque de profession due à la retraite. Elle me dit que la différence d'âge est trop grande pour une relation quelconque et qu'en plus, sa ménopause rend sa libido à zéro. La mienne retombe à son plus bas. Ce sera donc une relation amicale dite platonique (on y voit bien le mot plate) constituée d'échanges épistolaires quotidiens et de quelques soupers. Une relation qui fut courte, trop courte.
Difficile à expliquer pourquoi Marilou fut la première femme depuis des lustres que j'aurais aimé aimer. Son sourire perpétuel, encadré de magnifiques cheveux roux et la chaleur de ses câlins en sont-ils la cause ? Sûrement tout cela. Grâce à elle, je me suis senti attirant pour une rare fois dans cette décennie. Elle aimait nos échanges par messagerie et par Bell. On partageait aussi la même passion pour le chant. C'est elle qui a élargi mon horizon littéraire. Alors que je me concentrais sur les romans policiers, elle me fit connaitre les Pancol et les E.-Emmanuel Schmith. Auteurs dont j'ai lu tous les livres pendant cette période et dont les écrits ont fait l'objet de nombreux échanges avec elle. Je lui ai fait profiter de mes 20 ans de sagesse que j'avais de plus qu'elle, tandis qu'elle puisait dans ses ressources de psychologue pour compenser son vécu. Alors que nous célébrions son anniversaire, elle s'est fait comme cadeau de prendre ses distances avec moi. Pourquoi ? Pas d'explication. C'est comme ça. Elle ne m'appartenait pas. L’immense privilège de l’amitié est de ne rien avoir à expliquer.
Tak Tik passe à un autre sujet. Pas de demande de rançon de la part des blogueurs. Aucun indice sur leur identité. Une certitude, ce n'est pas fini. Que nous réserve la prochaine édition ?
Un chapelet de lundis soirs qui deviennent une tradition au Jenquetois. Tous les yeux sont rivés sur l'écran géant en attente d'un nouveau message sur Tak Tik. Tous les yeux ou presque puisque René pointe les siens sur les seins de Vénus qui pointent sous un tricot tricoté serré. L'heure fatidique arrive à l'instant pile du message des deux blogueurs nous annonçant qu'ils vont dévoiler la vraie nature de Jenquet. Nature qu'il a héritée de ses parents biologiques : Alexandra et Antoine. Jenquet, dans un moment de pure nostalgie, avait tenté d'en retracer leur histoire, histoire de se faire expliquer par Marilou, psychologue de métier et amie, pourquoi il avait autant de difficulté à satisfaire une femme qui pourrait le satisfaire lui-même. Ce long texte démontre la profonde réflexion qu'il a dû faire, inutilement. Celles-ci sont arrivées à terme une semaine après que le terme de la relation avec Marilou fut échu.
Tristan et Iseult, Antoine et Cléopâtre, Roméo et Juliette, voire même Adam et Ève ont tous vu leur relation amoureuse partagée par des millions de gens grâce à un écrivain qui a mis leurs amours en lumière. Aujourd'hui, je prends la plume (en réalité mon clavier d'ordinateur) pour qu’Alexandra et Antoine ne tombent pas dans l'oubli. Ainsi, on comprendra rapidement pourquoi j'ai toujours souhaité les oublier. Si j'avais été de ce monde en ce 10 juin 1944 dans la ville de Trois-Rivières au Québec, j'aurais assisté à leur union sacrée qui consistait en leur mariage. Et j'aurais levé la main pour m'y objecter quitte à empêcher ma naissance. Mais je leur laisse le soin de vous raconter leur histoire qui deviendra celle de ma famille.
--- Prenez-vous ci-présent M. Antoine Morin comme époux ? --- Oui. --- Prenez-vous ci-présente Mlle. Alexandra Martin comme épouse ? --- Oui.
--- C'est ainsi que je devins Mme Morin, Alex pour les intimes. Cette union me permettait de quitter mon nom de naissance et une vie de misère, du moins c'est ce que j'espérais. J'avais déjà 22 ans. Issue d'une famille ouvrière, seule fille au service de mes trois frères, j'aurais pu inspirer l'histoire de Cendrillon. Ma mère, prétextant des crises d'eczéma, m'avait confié, dès mon jeune âge, toutes les tâches ménagères : de la vaisselle à la lessive. Pourtant, j'étais celle qui avait le plus soif d'études et avec une facilité d'apprentissage appréhendée. Mon parcours scolaire s'arrêta en même temps que la fin de l'école élémentaire. Je fus élevée dans la crainte de Dieu et celle de mes parents particulièrement face aux dangers de la sexualité. Le OUI que je viens de prononcer me libère de toutes ces servitudes mais je n'ai aucune idée de mon avenir. L'homme que je viens d'épouser pour la vie, pour le meilleur et pour le pire, et à qui j'ai promis obéissance , constitue ma porte de sortie et non mon prince charmant. Je ne le connais que depuis un an. Je sais peu de choses de lui puisque, comme tout homme, il est assez réservé sur la communication. Relativement bel homme et propre de sa personne, il a cinq ans de plus que moi. La vie l'a marqué. Dixième enfant d'une famille très catholique, comprenant plusieurs religieux et religieuses parmi les 13 enfants issus de sa mère, il a vécu pauvrement dans un quartier populaire. Afin d'aider ses parents, il a quitté l'école après avoir réussi sa cinquième année élémentaire. Pas besoin d'instruction pour travailler sur la construction. Malheureusement, lors de ses 18 ans, il contracta la tuberculose, cadeau de sa sœur infirmière qui avait importé la maladie à la maison. Il dut alors passer huit ans dans divers sanatoriums après avoir subi une opération qui l'amputa d'un poumon. Il venait à peine d'émerger de cette période de réclusion quand il m'a rencontrée.
--- Il était temps que je quitte la maison paternelle où je n'avais plus ma place depuis ma sortie d'hôpital. Le mariage devenait la seule solution. J'ai rencontré une fille, Alexandra, sur le parvis de l'église. De courtes fréquentations sous les yeux constants de ses parents nous ont conduits à cet autel. Je viens à peine de me trouver un emploi qui devrait nous permettre de payer un loyer décent et de nous nourrir correctement. Ce soir, ce sera notre nuit de noces. J'espère qu'Alex (je l'appellerai toujours par ce diminutif) soit vierge. Le contraire me surprendrait puisque même les baisers se sont faits rarissimes pendant nos fréquentations. Pour ma part, j'ai déjà connu quelques échanges sexuels pendant mon séjour au sanatorium. C'est un secret que je ne partage qu'avec moi, ma conscience et mon confesseur. Hier soir, ce fut une première avec ma femme. Notre voyage de noces s'est résumé à une nuit dans un hôtel de la ville. La nuit de noces que j'espérais n'a pas eu lieu. Alex n'avait aucune idée des relations sexuelles et a refusé de se déshabiller pour partager notre lit.
--- Je découvre dès le soir de mes noces que mon époux est un maniaque sexuel. Il veut que je me déshabille et ne cherche qu'à me prendre les seins et veut avoir une relation sexuelle. Je n'ai aucune idée de ce dont il parle. Une nuit à entendre Tony (un diminutif qui prendra la place d'Antoine) chialer après moi qui lui réponds par mes pleurs. Le lendemain, je dois me rendre chez ma mère et je l'implore de m'expliquer les rudiments du sexe. J'apprends alors que je dois me soumettre à mon mari mais seulement dans le but de faire des enfants. Je déteste le sexe. Après un mois d'hésitation, j'accède aux insistances de Tony, tout en gardant ma jaquette par pudeur. Je prie Dieu que Tony n'y prenne pas goût. Quelques semaines plus tard, en me levant le matin, j'ai des nausées. Vivement, j'appelle ma mère qui me répond que je devrais consulter un médecin. Le frère de Tony, qui est curé, connaît un médecin qui accepte de venir chez moi. Il m'annonce que je suis enceinte. Ma mère est heureuse et me met en garde. Pendant la grossesse, je ne dois avoir aucune relation sexuelle puisque le sexe a pour unique but d'enfanter.
--- En partant au travail, ce matin, j'ai remarqué qu'Alex semblait nerveuse. Pourtant on n'a pas eu de disputes depuis plusieurs jours. De retour d'une épuisante journée, je constate qu'elle s'est habillée en dimanche et a mis quelques fleurs des champs sur la table. Elle m'annonce alors que je vais être père. Cela me laisse froid. N'est-ce pas le but du mariage d'avoir des enfants ? Selon elle, les relations sexuelles deviennent interdites. J'en parle à ma mère qui me confirme que l'Église prône l'abstinence pendant la grossesse.
--- J'en suis à mon troisième mois et mon médecin trouve que je fais une grossesse difficile. Il me conseille de garder le lit. Six mois à me reposer. Quelle chance !
--- Je viens d'apprendre une mauvaise nouvelle, Alex doit prendre du repos et ne faire aucune tâche ménagère jusqu'à son accouchement. On a trouvé une aide-ménagère qui va venir entretenir la maison et préparer les repas mais cela va amputer mon budget. De plus, je dois mettre de l'argent de côté pour payer le médecin et l'hôpital. Je n'ai pas le choix, je dois faire du temps supplémentaire. Alex prend du poids, moi de la bière : ma seule consolation.
--- Je trouve que Tony travaille trop. Il arrive tard et je sais qu'il s'arrête à la taverne du coin. Parfois, il revient ivre et à ce moment sa patience a une courte limite. Si je peux finir par accoucher. La date est prévue pour le 24 juin mais j'ai du retard. Finalement, le bébé fait son entrée en sortant le 1er juillet. Un garçon tellement petit que l'aumônier de l'hôpital demande de le baptiser sur le champ. Il prend le nom de Joseph-Arthur Jean-Yves Morin. J'ai encore besoin d'une aide-ménagère pour les deux mois à venir ce qui ne fait pas le bonheur de Tony. Sa mère accepte de garder mon bébé de temps à autre afin que je puisse m'occuper de la maison. Rapidement, Tony insiste pour qu'on reprenne nos relations sexuelles. Ce que je fais à contrecœur et sous les reflets de la noirceur. Évidemment, je tombe de nouveau enceinte avec les mêmes recommandations du médecin. L'été est particulièrement chaud et comme nous habitons un logement au deuxième étage, la chaleur est insupportable. On laisse grandes ouvertes toutes les fenêtres de la maison. Jean-Yves en profite pour pousser la moustiquaire qui est à sa portée depuis sa bassinette. La moustiquaire cède et mon bébé tombe par la fenêtre. Une chute de deux étages. Une voisine voit la scène. L'ambulance est appelée et on lui diagnostique une double fracture du crâne. L'émotion m'amène à faire une fausse couche. Mon enfant demeure deux mois à l'hôpital. Tony me reproche mon manque de surveillance.
--- Mon contremaître vient me chercher en me disant de me rendre à l'hôpital. Je pense à Alex mais celle-ci m'y attend en pleurs en me disant que mon gars a chuté et que sa vie est en danger. La semaine suivante, Alex fait une fausse couche alors qu'on apprend que Jean-Yves s'en sortira. Le médecin me conseille de quitter la pollution de mon quartier pour l'air de la campagne, ce qui serait souhaitable pour toute la famille. Il s'inquiète de la santé fragile de mon fils qui s'y remettrait plus rapidement et cela ferait également du bien à mon poumon solitaire. Je décide alors d'emprunter de l'argent à mon frère curé, j'achète un petit chalet en périphérie de la ville et j'y fais des rénovations pour le transformer en une petite maison agréable.
--- Tony a décidé que nous partions pour la campagne sans m'en parler. Je sais bien que ce sera meilleur pour sa santé mais je viens de perdre la proximité avec ma mère et ma belle-mère. Je perds mes gardiennes. Vivre au loin, sans auto, ne sera pas facile. Mon mari doit rembourser ses dettes. Il décide alors d'acheter le terrain sur lequel il érige une maison qu'il vendra à profit. Trois ans plus tard, notre situation financière est relativement stable, hôpitaux et médecins payés. Je repars pour la famille nécessitant toujours une aide pendant toute ma grossesse.
--- On va avoir, si Dieu le veut, un autre enfant. Je suis bien conscient que notre petite maison ne suffira pas pour élever deux enfants. Je décide de me procurer un terrain adjacent à notre maison. Je vais y construire un duplex. Je pourrai alors compter sur un revenu de location et j'espère faire un profit sur la vente de ma maison actuelle. Mais c'est exigeant parce que je dois faire cette construction pendant mes temps libres. Comme je travaille 54 heures par semaine à l'usine, il m'en reste peu pour la construction. J'y travaillerai pendant un an. Celle-ci s'achève quelques semaines avant que mon deuxième enfant voit le jour.
--- Un accouchement difficile et le médecin s'inquiète au sujet de la santé de mon bébé. Il devra passer quelques semaines dans un incubateur. Finalement, je peux le ramener à la maison. Au moins, cette période de temps m'a permis de récupérer de l'accouchement. On l'a appelé Denis. Lors de son premier anniversaire, on organise une grande fête de famille à laquelle personne n'assiste. Le pont Duplessis qui relie Trois-Rivières au Cap-de-la-Madeleine s'est écroulé pendant la nuit. Un mauvais présage. Un mois plus tard, Denis fait sa première crise d'épilepsie. Le médecin m'apprend que lors de sa période d'incubation, il y a des cellules cérébrales qui furent altérées. Mon fils sera retardé mentalement. Punition de Dieu ? Je vais lui consacrer ma vie.
--- Je ne sais pas ce que j'ai fait au bon Dieu mais mon deuxième fils n'est pas normal. Selon le médecin, il exige des soins particuliers. Encore des frais médicaux à prévoir. Jean-Yves fait son entrée à l'école. Le temps passe tellement rapidement que je n'ai pas eu le temps de le serrer dans mes bras. Le travail et la construction de maisons ont occupé tous mes instants. J'espère qu'il pourra faire des études lui évitant ainsi de travailler au pic puis à pelle.
--- Mon grand est parti pour l'école ce matin. Mais à peine 30 minutes après son départ, il est revenu en pleurs. Il dit qu'il fait rire de lui parce qu'il est mal habillé. Je dois retourner à l'école avec lui. Je passerai le reste de l'avant-midi assise en arrière de la classe. J'en parle à Tony en soirée et il accepte qu'on lui achète du linge neuf et un vrai sac d'école. Je vais tout faire pour qu'il fasse de longues études et, si Dieu le veut, il pourrait devenir prêtre. Alors, à chaque jour, je vais m'assurer qu'il fasse ses devoirs et apprennent ses leçons. Il faut qu'il soit le meilleur de sa classe. J'y veillerai.
--- Alex me dit que mon gars fait de grands progrès à l'école. Il est toujours le premier de sa classe. Ma femme en profite pour se remémorer ce qu'elle avait appris à l'école. Mais je vois à peine mes enfants. Je pars au travail avant qu'ils ne se réveillent et quand je reviens vers 17 h, c'est le repas familial pendant lequel le silence est de mise. Puis dès 19 h15, après le chapelet à la radio, Jean-Yves va se coucher. Moi, je construis une autre maison afin de payer l'hôpital pour Denis qui doit aller à Ste-Justine (Hôpital pour enfants à Montréal) trois fois par année. De plus, Alex fera deux autres fausses couches. Cela diminue notre niveau de vie et augmente les tensions dans le couple. Elle me dit souvent que je bois trop et qu'à ce moment-là , je la bardasse un peu. Elle se plaint d'avoir des bleus sur les bras si je la serre trop fort. Elle refuse maintenant de visiter ses frères pour qu'ils ne se rendent pas compte que je la maltraite. Cela fait mon affaire. Les policiers sont venus à deux reprises dernièrement pour calmer mes humeurs. J'espère que les enfants dormaient profondément pendant leurs visites.
--- Mon mari s'occupe maintenant de politique comme organisateur. Il a souvent des rencontres avec d'autres hommes. Ensemble, ils boivent beaucoup et ont commencé à jouer aux cartes à l'argent. Depuis peu, on a un téléviseur dans le salon et les voisins viennent voir cette nouveauté. Je suis leur servante. Je sers la bière, le pop-corn et je dois faire leur vaisselle. Ma vie sociale se résume à un appel téléphonique avec ma mère à tous les jours et à discuter avec les voisines. Je m'étais pourtant mariée pour échapper à cet esclavagisme. Jean-Yves vient de revenir de l'école en pleurs. Il a l'œil gauche fermé et enflé. J'apprends qu'un de ses amis, pour jouer, lui a lancé du sable sans savoir qu'il y avait de la chaux mêlée au sable. On doit faire venir le médecin qui recommande quelques jours dans une chambre ombragée et des compresses froides. Il manque trois semaines d'école. Heureusement, il a pu assister aux examens de fin du mois. Quelle déception ! Un mauvais classement. Il a manqué quelques questions et se retrouve au cinquième rang. Pourtant, je lui ai montré ce qu'il devait apprendre. Je ne laisserai pas passer une telle paresse. Je lui défends d'aller jouer avec ses amis pour tout le prochain mois.
--- Une autre dépense vient s'ajouter. Denis doit fréquenter une école spécialisée privée. Je travaille comme un fou et toute ma paie va pour les autres. En arrivant à la maison ce soir, j'apprends que Jean-Yves a encore chuté du deuxième étage. Les escaliers étaient glacés. En tombant, il a heureusement touché à la corde à linge de la voisine du premier étage. Celle-ci l'a enguirlandé. Je ne le prends pas. Je vais les expulser et nous allons déménager au premier étage.
--- Depuis sept ans je n'ai jamais manqué à la supervision des devoirs et leçons de mon plus vieux. Je ne lui ai pas dit que j'étais fière de lui parce que je sais qu'il doit toujours en faire plus pour se maintenir parmi les meilleurs. Maintenant que son élémentaire se termine, je veux qu'il aille au séminaire. C'est une école privée pour l'élite et il pourrait y trouver une vocation sacerdotale.
--- Je viens de parler avec mon frère le curé pour savoir s'il peut m'aider à payer l'inscription de Jean-Yves au séminaire. Alex veut absolument qu'il fasse des études classiques. Mon frère accepte et grâce à ses contacts au séminaire, l'inscription est possible mais l'institution exige un test d'aptitudes. Un rendez-vous est pris chez un psychologue qui fait passer un test de QI. On ne sait pas ce que 152 signifie, mais cela sera suffisant pour que Jean-Yves soit accepté. Quand il l'apprend, il n'est pas très heureux parce qu'il va perdre tous ses amis. Alex me raconte qu'il a fait une crise quand il a su qu'il voyagerait en taxi avec quatre travailleurs de notre quartier. En arrivant au séminaire, il fut la risée générale. Un fils d'ouvrier parmi les enfants de l'élite de la ville. Il faut lui acheter le costume de l'école et défrayer son transport. Je lui trouve un emploi d'été au club de tennis près de la maison. Il s'occupe de l'entretien du terrain et doit payer pension à la maison. On lui laisse généreusement le quart de sa paie pour l'encourager.
--- Je ne comprends pas que mon gars ait autant de difficulté au séminaire. Pourtant, je viens d'apprendre toute la matière qu'il doit étudier, je la lui montre et il ne retient rien. Quand je lui demande de me parler de ses amis à l'école, il me dit qu'il n'en a aucun. Il réussit de peine et de misère sa première année alors qu'on a eu besoin de l'aide du frère de Tony pour qu'on ajuste sa note à 60. Et puis, c'est la catastrophe. En Méthode (troisième année au séminaire), Jean-Yves décroche. Il ne termine pas son année pour cause de révolte religieuse. Le Mercredi Saint de 1961 marque son départ de l'école. Mon rêve de le voir prêtre vient de s'évanouir.
--- En arrivant à la maison, Alex m'annonce que Jean-Yves a abandonné l'école. Je vais le voir dans sa chambre. Je ne veux pas savoir pourquoi. Mais maintenant, il devra m'aider à rapporter de l'argent au foyer. Il faut qu'il se trouve un emploi. Après une semaine à ne rien faire, je lui annonce qu'un magasin de peinture va l'engager pour faire la livraison. Les tensions sont vives dans notre foyer. Puis le drame arrive. Vers 19 h, Jean-Yves vient se coucher dans le salon et s'endort. Je trouve cela curieux. Alex tente de le réveiller. Impossible. On appelle l'ambulance. À l'hôpital, le médecin parle d'un empoisonnement volontaire. Une tentative de suicide. De retour à la maison, c'est la panique. Alex trouve sur sa commode une lettre explicative. Notre fils remet en cause notre façon de l'élever et pointe particulièrement nos disputes et mon alcoolisme. Je prends la décision d'arrêter de boire. Une rencontre avec une aide sociale nous fait prendre conscience qu'on a voulu réaliser nos propres rêves au lieu des siens. À son retour, une semaine plus tard, on accepte qu'il reprenne ses classes en septembre mais à l'école publique où il retrouvera ses amis du quartier.
--- Pourquoi ces nausées ce matin ? Dites-moi pas que je suis encore enceinte. Pas à mon âge. Trente-huit ans c'est trop vieux. Que va dire Tony ? Effectivement, une huitième grossesse. Je garde encore le lit et Denis, puisque ce dernier ne va plus à son école pour déficients. Il a à peine 10 ans. Que va-t-il devenir ?
--- Pas de chance ! On ne baise presque jamais et voilà qu'Alex est encore enceinte. On ne s'en sortira jamais. Cette fois-ci, pas question de payer une aide-ménagère. Jean-Yves aidera sa mère. Il a le temps. Au moins, il semble aimer son école. Il a retrouvé le premier rang de sa classe dès le mois de septembre. Une chance parce qu'il a été accepté conditionnellement en douzième année vu qu'il n'avait pas terminé sa onzième année au séminaire.
--- Je fais attention à moi cette fois-ci. Je me repose et je souhaite vraiment accoucher de cet enfant. Jean-Yves m'aide comme il peut. Une chance que pendant ses années au séminaire, j'ai pu lui montrer à cuisiner et à entretenir une maison. Il sait même faire de la couture. Si au moins je pouvais avoir une fille.
--- Le médecin vient de m'annoncer que l'accouchement s'est bien déroulé. On va l'appeler Sylvie. Elle est de santé fragile mais elle va survivre. Pour l'instant, elle couche dans la même chambre que ses frères mais c'est temporaire puisqu'en septembre Jean-Yves part pour étudier à l'université d'Ottawa. J'espère qu'il aura des bourses d'études parce que moi je n'ai pas les moyens de lui payer l'université.
--- Enfin une fille ! J'ai installé sa bassinette dans la chambre des enfants pour qu'elle ne réveille pas Tony. Elle braille toutes les nuits et Tony devient enragé quand il se fait réveiller ; surtout quand il est ivre. Bien oui, il a recommencé à boire et à être violent. Vingt mois d'abstinence seulement.
--- C'est le grand jour. Jean-Yves quitte enfin le domicile familial pour étudier à Ottawa. Sa sœur a un peu plus de place en partageant la chambre de Denis. Je vais au garage pour m'assurer que l'auto est en ordre et toute la famille va reconduire notre plus vieux à la gare du train à Montréal. Un voyage de plus de 140 km. Cela me fait une bouche de moins à nourrir.
--- Mon gars est parti. Je ne sais pas comment il va se débrouiller ; il vient à peine d'avoir ses 18 ans. Je ne l'ai pas dit à Tony mais je lui ai donné 50 $ pour l'aider à se nourrir. Je sais qu'il n'a eu qu'une petite bourse d'études. Il m'a dit qu'il reviendrait nous voir souvent mais sa chambre est maintenant réservée à sa sœur et son frère. On va lui faire une petite chambre dans la cave (sous-sol avec une seule entrée extérieure et souvent inhabitable). Je suis de plus en plus isolée. Deux de mes voisines avec qui je partageais mes problèmes ont quitté le quartier et Tony passe beaucoup de temps avec ses amis qui s'occupent de politique. Il vient de se trouver un autre hobby de fins de semaine. Il construit, avec son frère curé, des chalets au lac du Jésuite. Ils veulent en faire un domaine familial. Pas question que j'y aille. Je déteste le bois.
--- Les ans passent rapidement. Mon aîné va obtenir son diplôme universitaire dans quelques mois au moment où ma fille débute son élémentaire. Ils ne se sont jamais côtoyés ces deux-là . Il faut que j'annonce la mauvaise nouvelle à Alex. Le médecin vient de m'annoncer que mon unique poumon suffit à peine à la tâche. Il me reproche d'avoir fumé toute ma vie et m'oblige à un nouveau séjour à l'hôpital Cooke (Hôpital pour les soins de longue durée). Grâce à mon syndicat, je réussis à avoir un congé de mon employeur qui n'a pas apprécié que je lui aie caché mon état de santé lors de mon embauche il y a 23 ans. Les revenus de la famille vont en souffrir vu que les assurances ne couvrent pas mon salaire entièrement.
--- Une chance que Jean-Yves termine ses études parce qu'on n'aurait pas pu l'aider à les défrayer. Il est vrai qu'il ne nous a pas coûté cher, s'étant débrouillé pour les financer lui-même. Ma vie d'épouse vient de changer. Tony est maintenant hospitalisé et je dois m'occuper de tout. Je vais le visiter à chaque semaine mais surtout pour qu'il puisse voir sa fille. Son séjour à l'hôpital va durer 13 mois. Il en sortira en 1968 quelques semaines avant le mariage de Jean-Yves. La relation entre les deux est très froide. Ils ne se parlent presque pas.
--- Je suis de retour au travail avec des tâches allégées. Pas facile d'être tuyauteur dans une usine de pâtes et papier. Je profite de mes fins de semaine pour rendre visite à mes frères qui résident au presbytère de Ste-Thècle où mon frère assume la cure. Il héberge deux de mes frérots aux prises avec des problèmes d'alcool. On en profite pour parler de nos souvenirs tout en jouant aux cartes.
--- Encore une visite au presbytère non planifiée. Tony vient de décider qu'on va voir ses frères. Je dois suivre. Au moins cela me fait sortir de la maison. Je regrette tellement de ne pas avoir appris à conduire. Si j'avais mon auto, je serais plus libre. Jean-Yves travaille maintenant comme professeur au CÉGEP. Quelle déception ! Faire de si longues études pour devenir simple enseignant. J'aurais aimé qu'il devienne ambassadeur vu qu'il a étudié en sciences politiques. Depuis qu'il est marié, on ne le voit plus à la maison. Sa femme vient d'accoucher et c'est à peine si j'ai vu ma petite-fille cinq fois. Il prétexte que lorsqu'il vient à la maison, il doit jouer à l'arbitre lors de mes disputes avec Tony. Ma fille Sylvie vient d'avoir 13 ans et elle vit sa crise d'adolescence. Pour nous punir quand on se chicane, elle cesse de s'alimenter. Le médecin parle d'anorexie.
--- Je viens de rencontrer mon employeur qui exige que je passe un examen médical. Je sais bien que ma santé se détériore. On me met au repos. Je passerai trois autres mois à l'hôpital Cooke. À ma sortie, on me déclare invalide. Le lendemain, on vient me livrer mon coffre à outils. Je pense que c'est la seule fois que j'ai eu les larmes aux yeux.
--- Je viens de passer cinq ans avec Tony à la maison. Un vrai chien en cage. Il passe ses journées à la taverne en jouant aux dominos ou à la maison en sculptant des souches d'arbres ou travaillant le cuir pour faire des portefeuilles. Vendredi dernier, il est parti en colère pour son chalet. Il voulait que je l'accompagne. Pas question.
--- Déjà l'automne à nos portes. J'ai l'impression que je ne passerai pas l'hiver. Je viens de vivre deux jours au chalet et je retourne à la maison sans joie. Quelques bières pour me donner du courage et je prends la route. Oups ! La route me quitte. Qu'est-ce que je fais dans le fossé ? Ma tête me fait mal. Je me réveille à l'hôpital.
--- Deux policiers sonnent à ma porte pour m'annoncer que mon mari vient de faire une embardée et qu'il se trouve aux soins intensifs. Je prends un taxi pour m'y rendre. Il me reconnaît à peine. Le médecin me rassure en me disant qu'il devrait sortir dans un jour ou deux. Je téléphone à Jean-Yves pour lui annoncer la nouvelle.
--- On m'encourage à lutter, que ma blessure à la tête n'est pas si grave. Je ne veux plus lutter. Que Dieu vienne me chercher.
--- Deux jours plus tard, Tony sort de l'hôpital dans un corbillard. Il y a eu des complications. Ses fils ne sont pas venus le voir à l'hôpital. Trente ans de vie commune s'éteignent (Tony est décédé le 13 septembre 1979). Enfin libre ! Ma fille pourra vivre une adolescence moins stressante et moi je vais m'occuper de Denis pour qu'il ne manque de rien. Surtout, pas question de me remarier. J'ai une bonne amie sur qui je peux compter et je suis heureuse en restant à la maison. La télévision, la lecture, les casse-tête et les mots croisés vont occuper mes journées devenues paisibles.
Sept ans plus tard, ma fille Sylvie, mariée, accouche d'une fille ce qui me permet de jouer à la perfection mon rôle de grand-mère. On me reproche de surprotéger Denis ce qui empêche son développement. À la fin du mois de mars 2006, Sylvie vient m'annoncer qu'elle se sépare de son mari. Cela me met en colère. Le hasard veut que le même soir Jean-Yves me rend visite. Je ne sais pas ce qui se passe, mais j'ai l'impression d'avoir de la difficulté à parler. Ce doit être la fatigue. Ça ira mieux demain.
Le lendemain matin, Denis trouve sa mère gisant par terre dans sa chambre, victime d'un ACV. Amenée d'urgence à l'hôpital, elle décède le 9 avril 2006.
Cette histoire de mes parents ne se classera jamais parmi les grandes histoires d'amour mais c'est leur histoire qu'ils partagent avec tellement d'autres couples de cette période d'après-guerre. Elle mérite d'être connue. Denis vit maintenant de façon autonome dans une résidence pour personnes âgées. Sylvie est veuve depuis un an. Moi, je vis seul depuis 22 ans, suite à 2 divorces et 2 séparations. J'ai retrouvé le bonheur. Mais cela est une autre histoire. Je me prénommais Jean-Yves. Maintenant, je prends le prénom de Jean et le nom de Jenquet. Ma façon de tuer le passé.
Inutile de mentionner que le Jenquetois a fermé après minuit suite à ce roman-fleuve qui jette une lumière crue sur Jenquet. Une vie de famille incroyable sauf pour Bastien, Aline et Arthur dont les géniteurs vécurent une histoire aussi irréelle.
***
Une autre soirée au Jenquetois le lundi suivant. On entendrait une mouche voler s'il y en avait dans le bar. Les bières sans alcool remplissent les quatre tables gorgées de buveurs toujours à jeun. Tous ont les yeux rivés sur l'écran géant où Tak Tik, tel que promis, dévoile un autre pan de la vie mystérieuse de Jenquet. Cette fois-ci, on s'attaque à sa relation particulière avec sa génitrice en publiant une lettre qu'il aurait pu lui envoyer. Mais il ne l'a pas fait puisqu'elle se trouvait encore dans sa mallette brune.
Chère maman,
Il y a plusieurs années, tu donnais naissance à ton premier enfant : moi. Je n'ai aucun souvenir du moment précis où papa a permis à une ovule d'ovuler et moi d'évoluer. Tu as toujours gardé ta vie sexuelle secrète. Tu ne m'as jamais donné le sein. Je le sais vu que la nature t'avait bien avantagée côté mamelles et que moi j'ai toujours eu une petite bouche. Encore aujourd'hui, je préfère les petits seins. Tu m'as probablement chanté des comptines puisque tu avais une belle voix dont j'ai héritée. Tu étais à ce moment-là très jolie. Malheureusement, tu n'aimais pas le sexe et tu étais mariée à un gars qui aimait cela. Lui, il prenait du plaisir et toi, tu tombais enceinte facilement. J'ai donc passé les premières années de ma vie avec toi enceinte, alitée et le plus souvent dans les bras de mes grands-mères qui ont joué le rôle des CPE de l'époque. Ma grand-mère paternelle travaillait chez elle en faisant de la couture pour ses 13 enfants et je m'assoyais près de sa machine à coudre Singer. Elle me mettait des retailles de couture dans les cheveux et faisait semblant de chercher des poux, comme si j'étais son fils. À ma grandeur, on voyait bien que je n'étais que son petit-fils. Et j'alternais avec ta mère qui, face aux enfants, avait inventé l'indifférence. Maintenant, je suis pour que les femmes aient le choix concernant l'avortement mais crois-moi, je suis heureux qu'à ton époque tu ne l'aies pas eu.
Ton fils
Hocquet met toute l'équipe du journal, donc lui seul, à la recherche de cette mère afin de faire confirmer la véracité de cette lettre. Après trois jours d'appels à ses confrères et à diverses sources anonymes, il la retrouve finalement habitant le cimetière Ste-Madeleine où elle y réside depuis 18 ans. Elle se trouve dans l'impossibilité d'en confirmer la véracité.
Évidemment, Tak Tik ne s'arrête pas en si bon chemin. Semble-t-il que le nombre de followers de leur site atteint les 100 000 qui se partagent presqu'à part égale les likes et les unlikes. Cette semaine, les blogueurs veulent enfoncer le clou de girofle paternel en dévoilant une lettre que Jenquet n'a pas envoyée à son père, en dépit de l'avoir rédigée. En voici le contenu.
Papa, tu n'as jamais eu ta place dans mes beaux souvenirs, ce qui correspond à la place que tu as occupée dans ma vie. Tu m'as toujours servi de modèle à ne pas suivre. Je vais te raconter l'histoire d'un p'tit gars de 14 ans qui n'était pas bien dans sa peau. Malgré des succès scolaires mirobolants, ce n'était jamais assez pour toi. Ce garçon avait aussi un gros problème : son père buvait. Cet enfant ne jouait jamais à la balle avec son père, même si ce dernier excellait au bâton. Il s'exerçait à battre sa femme. Et les deux se renvoyaient la balle dans des discussions orageuses. Un jour, cet enfant a emprunté à son frère des médicaments pour combattre l'épilepsie et les a tous ingérés. Ce qui évidemment a causé des problèmes au frérot puisqu'il n'avait plus sa drogue et au pharmacien qui se demandait s'il devait lui renouveler sa prescription. Son père, toi, a connu les raisons de ce geste, puisque le petit garçon qui savait écrire, a laissé une note manuscrite expliquant son appétit pour les pilules. Ce père, papa, n'a jamais su, et ne saura jamais, vu son décès, que le petit garçon sur le lit d'hôpital, a vécu une expérience extraordinaire. Pendant trois jours, il a dormi profondément, sans se réveiller. Mais à chaque jour, il y avait des infirmières qui venaient le voir et un médecin qui venait soigner sa réputation en ne restant que 30 secondes dans la chambre. Puis après ses heures de travail, une jeune infirmière revenait et restait plusieurs heures avec l'enfant en lui prenant la main. Elle y a même passé une journée complète alors qu'elle aurait dû être en congé. Endormi par les somnifères, l'enfant a peu vu ses parents, qui eux, rencontraient une travailleuse sociale pour discuter des problèmes familiaux. Le père a arrêté de boire, sauf des litres de Coke. Puis, au quatrième jour, les yeux de l'enfant descendirent du plafond d'où il avait tout supervisé pendant son sommeil profond et, de retour dans son visage, s'ouvrirent à la vie. La semaine suivante, le jeune garçon est allé voir la jeune infirmière chez elle pour la remercier de sa présence à ses côtés. Elle fut toute surprise, ne l'ayant jamais vu réveillé. Moi p'tit gars, je crois au phénomène de la mort imminente : je le sais, j'y étais. Il y a eu mes 14 ans avant ma mort et les 60 depuis mon retour à la vie. Voilà pourquoi je ne me sens pas si vieux.
Ton fils
Inutile d'ajouter qu'aucune recherche ne fut entreprise pour retrouver ce père manquant. Alors, on ne l'ajoutera pas. Mais les villageois sortent du Jenquetois les yeux rouges et ce n'est pas à cause de la boisson sans alcool. Si Françoise Sagan avait été dans le bar elle aurait écrit Bonjour Tristesse.
Nathalie et René partagent leurs souvenirs familiaux. Ils reconnaissent, en le portrait que Jenquet a peint de son père, les mêmes comportements qu'ils ont vécus dans leur famille. Ils sont loin de condamner Jenquet d'avoir écrit de tels propos. Au contraire.
Hocquet s'empresse de couper l'herbe sous le pied droit des blogueurs en reprenant ce magnifique texte pour le publier dans La Dépêche. Il sait bien que tout récit de la vie après la mort fait vendre des copies et son journal a grandement besoin d'augmenter ses ventes.
***
Le lundi soir suivant, c'est la stupeur. Tak Tik ne répond plus. Est-ce une tactique des blogueurs ? Nul ne le sait. Hocquet avance l'hypothèse que ceux-ci n'ont pas réussi à ternir l'image de Jenquet vu que les commentaires sur leur site dénoncent leur action et soulignent la grandeur d'âme de Jean Jenquet. La renommée de ce dernier prend même une ampleur nationale. Le Jenquetois en est réduit à réduire ses ventes de boissons sans alcool et de devancer l'heure de fermeture vu la baisse de sa clientèle suite au désistement de Tak Tik.
Le lendemain soir, après un festin préparé par Nathalie et Aline, tout le groupe se retrouve au bistrot À La Pointe du Couteau. Hocquet dévoile alors le secret de la chambre no 6. C'est là que Jenquet habitait et après sa mort, on n'avait touché à aucun de ses biens. En faisant le ménage pour s'assurer qu'aucun aliment n'y prenait mauvais goût et mauvaise odeur, il avait extirpé du dessous du lit plusieurs moutons de mousse et une mallette brune. C'est en ouvrant celle-ci qu'il avait constaté la présence de documents secrets qui n'ont plus beaucoup de secrets vu qu'ils se retrouvent sur le Net.
Il rassure ses amis en affirmant qu'aucun autre document ne sera dévoilé sur Tak Tik puisqu'il a offert secrètement une rançon en bitcoins aux blogueurs impliqués mais toujours anonymes en échange de la mallette et ses documents. Si tout se déroule comme prévu, Purolator devrait livrer celle-ci demain dans la matinée.
Devant l'intérêt suscité par le dévoilement de la vie de Jenquet, Hocquet prend la décision de publier tous les documents publiables qui se trouvaient dans les tiroirs de la commode de Jenquet en attendant ceux contenus dans la mallette brune. Les citoyens de St-Jean-D'Épîles sauront à quel point ils ont côtoyé un grand homme. Un premier texte souligne une enquête inédite de Jenquet.
Empoisonnée à mort ou presque
Un crime vient d'être commis et la victime m'attend à son domicile. Je dois faire rapidement parce que, selon elle, ses heures sont comptées. (Elle n'a pas eu le temps de spécifier par qui). J'envoie mon équipe spécialisée dans les homicides à son domicile sans perdre une seconde. Le crime s'est déroulé dans une maison cossue de la Mauricie (on ne précisera pas l'endroit exact pour éviter que la fauve journalistique vienne prendre des photos en sachant que je tiens mordicus à demeurer incognito). Devant parcourir 30 km pour récupérer ma partenaire Vénus, je lave rapidement mon auto (pas question de se rendre sur une scène de crime avec un véhicule plein de poussière, ce qui pourrait contaminer la scène). Moins d'une heure plus tard, j'arrive chez elle. Vénus tient en laisse Drakkar gracieusement prêtée par MIRA. Ce petit chiot nous aidera dans notre enquête ou calmera notre stress. Puis, on profite des 20 minutes qui suivent pour nous rendre sur les lieux du crime appréhendé. Montant des marches déneigées, on constate l'absence de pas dans la neige. La non-présence d'empreintes ne signifie pas que le tueur soit toujours dans la demeure. Cela demeure à vérifier. Drakkar, grâce à son flair, nous signale la non-existence d'odeur de chien sauf de la sienne. Donc aucune crainte de se faire accueillir par des canines d'un canin. Le pouce sur la sonnette nous confirme que celle-ci ne fonctionne pas. (Incompréhensible qu'une propriétaire pleine aux as néglige sa sonnette d'alarme). On utilise alors notre imagination et avec la deuxième phalange de mon majeur droit, je frappe à la porte. On vient nous ouvrir. On constate qu'effectivement Drakkar avait raison, pas de chien dans la maison. Trois personnes s'impatientent dans un vaste salon alors que la victime se trouve dans la chambre à coucher. Nous savons déjà que celle-ci est une octogénaire richissime dont le testament précise qu'elle n'a aucun héritier. Craignant de mourir de la Covid-19, elle s'était entourée de trois médecins qui la surveillaient jour et nuit depuis plusieurs mois. Nous avons la certitude que ces trois personnes sont médecins puisqu'au lieu de nous demander notre carte de détective, ils ont voulu voir notre carte d'assurance-maladie. Pour s'assurer de leurs services, la victime avait promis que s'ils la maintenaient en vie, sa fortune leur reviendrait. Lundi dernier, elle s'est sentie malade. Un premier médecin qui, après l'avoir examinée, lui avoue qu'il ne peut rien pour elle. Un deuxième médecin arrive à son chevet avec le même constat. Finalement, le troisième toubib la regarde, sort une seringue et un flacon de son sarrau et lui injecte un vaccin approuvé par Donald Trompe. La victime, après quelques longues heures d'agonie, croit qu'elle vient d'être empoisonnée, d'où son appel à nos services. (Note au rapport : on constate ici qu'elle ne fait plus confiance à la médecine et qu'il est difficile de se débarrasser d'un empoisonneur. Les Américains peinent d'ailleurs à éliminer Donald). Il nous faut découvrir l'empoisonneur. Aucun indice apparent. Heureusement, la victime est un témoin visuel qui, malgré ses cataractes a vu le médecin qui lui a injecté le vaccin mortel. Elle nous le désigne elle-même en nous murmurant son prénom : Pierre. Grâce à ma perspicacité et au fait que les deux autres médecins sont des femmes, je me suis tourné vers le coupable et lui ai passé les menottes. Cela demande beaucoup d'expérience pour découvrir un coupable uniquement par le prénom « Pierre » alors que nous n'avions pas vérifié l'identité des médecins. Un crime rapidement résolu. Le coupable a beau faire l'innocent, il sera accusé de tentative ratée de meurtre non accompli. Vénus, toujours prête à sauver le monde, a rapidement trouvé sur place une médecin pour soigner la victime encore en vie. Cette dernière espère devenir centenaire et jure de s'éloigner des médecins. Pendant ce temps, je cherchais un notaire afin de faire modifier le testament de la dame afin que sa fortune aille à mon agence. Une autre enquête résolument résolue. Nous devons maintenant revenir au bureau pour écrire notre rapport. Drakkar, fatigué de sa première enquête à vie, a exigé d'être transporté dans un sac à dos. Une bonne raison pour ne pas lui faire signer un contrat avec l'agence.

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