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Jenquet: l'Antihéros

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tome 2, Chapitre 7 « RAPPORTS PSYCHOLOGIQUES » tome 2, Chapitre 7

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RAPPORTS PSYCHOLOGIQUES

(NDLR) La Dépêche a réussi à rejoindre Marilou, ex-amie de Jenquet. Ce dernier utilisait les pouvoirs de psychologue de son amie pour tenter de rééquilibrer sa vie qui voyageait entre la réalité du quotidien à St-Jean-D'Épîles et ses enquêtes imaginaires qu'il a longtemps crues réelles. Régulièrement, la psychologue lui demandait d'écrire ce qu'il ressentait à propos de plusieurs aspects de sa vie. Impossible de prendre connaissance des écrits reçus par Marilou. Par contre, Jenquet en avait conservé des copies qui furent retrouvées dans la mallette brune. Hocquet demande alors à Marilou s'il peut les publier dans son journal. Marilou n'y voit pas d'inconvénients car elle ne croit pas que Jenquet puisse souffrir de ces divulgations. Du moins pas dans l'état où il se trouve parmi les racines d'un érable argenté. On peut donc remonter à ses racines.

***

C'est avec la reproduction de La naissance de Vénus de Botticelli que Hocquet illustre son article consacré à Jenquet. C'est donc l'âme sereine et l'espoir de voir son journal augmenter son nombre de pages, de lecteurs et d'annonceurs que Hocquet dévoile de nouveaux traits de caractère méconnus de Jenquet dont ses principales influences.

Ce matin, les rayons du soleil, qui pénètrent dans ma chambre sans même avoir été invités, m'ont surpris, me forçant à ouvrir les yeux et à démontrer que la mort ne m'a pas visité pendant mon sommeil. Je répète cet exploit depuis plus de trois quarts de siècle, ce que le soleil fait depuis des millénaires. Si je vous décrivais les traits physiques de mes parents, vous auriez un aperçu des miens. Une simple question d'ADN et cela ne me gêne pas d'avoir leurs gênes. Ai-je le choix ? Je possède sûrement aussi les tares qu'ils m'ont léguées malgré eux ainsi que certaines prédispositions morales. Mais comme on l'a souvent entendu, parce que plusieurs le disent à répétition, cela prend un village pour élever un enfant. Pour bien voir ceux du village qui m'ont élevé, j'ai fermé les yeux. Il me semble évident qu'après tant d'années à vivre en société, je suis un homme sous influence. De multiples rencontres ont fait de moi ce que je suis, malgré moi et grâce à eux. Je vous ferai grâce des théories freudiennes en laissant mes parents hors du regard interne que je vais poser sur moi-même.

Une autopsychanalyse fait ressortir plusieurs caractéristiques de ma personnalité. Bien étendu sur mon divan, je réfléchis sur moi-même. Une personne alitée voit mieux sa personnalité. Je confirme que je suis un homme aux femmes, tout en admettant volontiers que je n'ai rien contre tous les LGBT+. Je constate aussi que je n'accepte aucune forme de racisme basée sur le genre d'une personne, la couleur de sa peau ou son orientation religieuse. Il est vrai que je n'ai jamais été victime d'une forme de racisme, étant blanc et sans orientation concernant la religion. Cela ne vient sûrement pas de mes géniteurs. Aucun rejet non plus des personnes malades, handicapées physiquement ou intellectuellement. De toute façon, plus je prends de l'âge, plus mes chances d'en faire partie augmentent. Depuis que je suis à l'aise financièrement, la richesse des uns et des autres me laisse froid, ce qui n'est pas le cas des gens dans le besoin. Pourtant, je suis un homme colérique qui s'emporte parfois, particulièrement quand je suis témoin d'injustices. Il ne faut pas croire que je sois un homme d'agréable compagnie de l'aurore à la brunante. Je possède trop de qualités pour m'empêcher d'avoir autant de défauts. Je souhaite cependant partager les premières avec mes amies et garder les secondes pour mes périodes d'intimité. Je parviens à bien vivre avec mes défauts. Du moins, la majeure partie du temps. Mais comme je ne peux pas me quitter, je dois m'accepter.

L'accueil est immédiat. Les lecteurs désirent en savoir davantage et les abonnements au journal gratuit viennent de doubler. Les visites au bar augmentent ainsi que la consommation de boissons sans alcool. Le Jenquetois ressemble de plus en plus à un musée pour amuser ses clients. Les toiles de Jenquet prennent de la valeur.

Les villageois ont toujours cru que Jenquet venait d'une famille richissime. Ils vont découvrir qu'il en fut tout autre. Pour preuve, ce texte que Jenquet a confié à Marilou tout en lui présentant sa toile illustrant Les glaneuses de Millet.

Quand on naît au moment où la Seconde Guerre Mondiale prend fin, la pauvreté fait partie de la normalité dans les familles ouvrières. Cela est encore plus vrai dans la société canadienne-française du Québec. Afin de permettre à ma mère de récupérer de ma naissance et de se préparer à sa future fausse-couche, j'ai hébergé très régulièrement chez mes grands-parents paternels. Je me vois dans les bras de grand-papa. Cela devait être un dimanche, si je me fie à leur habillement. Ma grand-mère, institutrice jusqu'à son mariage réussissait à amener quelques argents en faisant des travaux de couture à la maison. Elle y consacrait une dizaine d'heures par jour tout en me servant de gardienne. Assis à ses pieds, jouxtant le pédalier de sa machine à coudre, j'y demeurais très sage, tel un chien MIRA accompagnant sa maîtresse d'accueil au travail. Mon grand-père, chômeur professionnel, se rendait quotidiennement au marché à denrées de la ville, proposant son aide en retour de nourriture. Mes grands-parents étaient très pauvres au point de confier leurs 13 enfants aux soins de communautés religieuses pour s'assurer de leur éducation et de leur sécurité alimentaire. Pensionnaires, ils étaient nourris et logés. Le prix à payer était simple : offrir des vocations au Seigneur. Trois filles devinrent religieuses et deux garçons se destinèrent à la prêtrise. La plus jeune se voua aux soins hospitaliers en pleine période de tuberculose. Elle en décèdera après avoir infecté deux enfants de la famille dont mon père. Une de mes tantes devint aussi enseignante en allant vivre son lesbianisme à Montréal, loin des regards ruraux. Deux autres filles se consacrèrent aux services de prêtres comme épouse non officielle dans une paroisse mauricienne. Quatre garçons s'attelèrent à la tâche de peupler le Québec via leur mariage. Malgré leur pauvreté, je n'ai jamais connu de gens plus généreux de leur temps et de leurs partages de dons.

Une autre fois, je devais avoir six ou sept ans, j'hébergeais chez mes grands-parents maternels vu que ma mère préparait un autre enfant qui ne vit jamais le jour, ni la nuit. Je parlais avec la petite voisine d'une dizaine d'années et qui me servait parfois de gardienne. Celle-ci m'a alors raconté qu'elle couchait dans la même chambre que ses sept frères et sœurs et qu'ils s'amusaient à jouer au docteur. J'étais bien content de pouvoir dormir dans ma chambre avec un seul frère qui dormait à côté de moi. Je ne pouvais jouer au docteur même si on venait d'apprendre que mon frérot était épileptique. Chez nous, on aurait pu ne pas être pauvre si ma mère ne s'était pas entêtée à faire un bébé à chaque fois que mon père la baisait. Sur huit grossesses, nous ne sommes que trois à avoir survécu. Les revenus de mon père partaient en soins de santé et en aide-ménagères. Pas moyen de ménager. Mais on se consolait quand on voyait la situation de M. Bordeleau, le locataire de mon père. Chômeur, il ne voulait l'avouer. Le matin, il partait tôt, faisant semblant d'aller travailler. Je voyais alors ma mère aller porter de la nourriture à sa voisine pour que les enfants puissent manger. J'ai compris que cela prenait des pauvres pour aider des démunis. À cette époque, quand nous allions jouer dans le parc, on se moquait d'un vieux couple habitant dans un petit chalet qui, de nos jours serait trop petit pour servir de remise. À tous les jours, ils partaient en charrette tirée par un cheval, afin d'aller fouiller dans les dépotoirs. On les appelait les guenilloux. Pourtant, ils n'étaient que pauvres. J'ai eu la chance que mon oncle curé puisse me prêter des sous pour que je puisse payer mes inscriptions universitaires. Quelques prêts d'honneur et une bourse gouvernementale m'ont aussi permis de me loger et de me nourrir. Les pâtes et le baloney ont souvent été à l'honneur. Très tôt, j'ai appris à compter sur mes propres revenus qui, au début furent d'une modestie à faire rougir les plus humbles. Mes études terminées, il a fallu étudier la manière de rembourser toutes mes dettes, tout en comblant une première femme qui demandait, à juste titre à être logée, habillée et nourrie convenablement. Je me suis fait de nouvelles dettes pour payer mes dettes d'études. Cartes de crédit au maximum et revenus insuffisants se sont côtoyés jusqu'à ma trentaine. J'ai presque fini de tout payer quand un premier divorce et un nouveau mariage m'a remis en zone rouge. J'ai fini par retrouver une situation plus confortable grâce à la juxtaposition de trois emplois. Les revenus ont finalement eu gain de cause en échange d'une troisième séparation. L'expérience et les héritages aidant, je suis parvenu à mettre de l'argent de côté pour mieux voir en avant de moi. Je vous épargne le montant de mes épargnes, cela n'a aucune importance. L'argent ne veut rien dire pour moi, en autant que mes réserves se maintiennent. La situation financière peut évoluer rapidement et je vois à tous les jours qu'il faut profiter du moment où je peux me le permettre pour aider ceux qui ont des besoins essentiels. Ma vision de la richesse est certes sous l'influence de la pauvreté qui a accompagné mon enfance et une grande partie de ma vie. Je suis fier aussi, en ce temps où le fisc nous rappelle au partage, de vivre dans un pays qui cherche à amoindrir les disparités sociales. On l'a vu particulièrement au moment où le Covid-19 a sévi.

Quand je lèguerai mes biens, ils devront aussi servir à la société et aux démunis.

Après avoir lu ce texte, René s'est agenouillé devant l'érable argenté pour remercier Jenquet d'avoir permis l'établissement de cet établissement qui accueille les plus pauvres de la société. Le maire, au nom de son village, envoie à son député une demande de subvention pour aider le refuge dans sa mission en joignant quelques exemplaires de La Dépêche afin d'appuyer sa démarche.

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Hocquet et Chiquita avait déjà discuté de l'orientation sexuelle de Jenquet qui se disait résolument féminiphile tout en partageant ses loisirs avec de nombreux amis homosexuels. Chiquita est bien placée pour savoir que Jenquet adorait les femmes et les plaisirs charnels qu'il échangeait volontiers avec elles. Vénus confirme également que jamais, au grand jamais, Jenquet n'avait manifesté de l'attirance pour les hommes qui viennent à son salon d'esthétique. Par contre, il partageait de nombreux moments avec ses clients Drag Queen sans manifester aucune gêne. Hocquet décide d'accompagner son article d'une reproduction faite par Jenquet d'une œuvre de Delacroix : La Liberté.

Si ma mère, en cette époque lointaine, avait pu avoir recours à une échographie, elle aurait su avant ma naissance, que je serais de sexe masculin. Elle l'a appris en même temps que le médecin qui l'a accouchée. Dès ce moment là, je savais que j'aurais l'apparence d'un homme et, il y a 75 ans, je pensais bien qu'il en serait ainsi pour toute ma vie. Je fus élevé en garçon, habillé en bleu en jouant avec des camions. Mes amis étaient aussi masculins puisqu'on n'avait pas le droit de jouer avec les filles. On avait des écoles distinctes et même à l'église, les gars priaient dans les bancs de gauche et les filles à droite. Cela m'a influencé. Je suis un homme de gauche mais peu adroit. Plus tard, je persévérerai dans mon hétérosexualité. En ce temps-là, on jouait dehors et les portes de nos voisins étaient grandes ouvertes à nos visites. C'est ainsi que j'ai connu Roger, un garçon de mon âge. À six ans, on s'en souvient. Le hasard a voulu qu'il se retrouve dans la même classe que moi, en première année. Je fus estomaqué quand j'ai constaté qu'on se moquait de lui parce qu'il était mal habillé, que parfois il dégageait une odeur de bière et de cigarettes, qui camouflait le fait que ses parents n'avaient pas d'eau chaude à mettre dans un bain inexistant : pourquoi lui reprocher d'être pauvre ? Souvent, il venait jouer chez moi. Je me souviens d'un samedi après-midi ou un dimanche, qu'importe, où j'avais étalé dans la chambre de ma mère un beau jeu de mécano. Pendant que je m'amusais à insérer les écrous dans les bons trous, mon ami Roger jouait avec les robes de maman et avec ses souliers à talons hauts. Il aurait pu faire une belle femme s'il avait été joli. À l'école, on a commencé à le traiter de fifi et on me demandait pourquoi je jouais avec lui. On ne comprenait pas que c'était mon ami. Quand il est sorti du placard à l'âge de 16 ans, moi je le savais depuis que je l'avais vu sortir de la garde-robe de ma mère. Cela ne me dérangeait pas. J'avais un compétiteur de moins dans ma chasse aux filles. Mon départ au même âge pour l'université d'Ottawa a signifié la coupure de nos fréquentations. Je savais depuis plusieurs années que les filles pouvaient s'aimer entre elles. Elles dansaient toujours ensemble en disant que les gars ne savaient pas danser. J'ai eu aussi des tantes religieuses dont les tendances sexuelles m'intriguaient. Leurs décès m'empêchent de confirmer mes soupçons. Lors des dernières années, le fils d'une de mes conjointes s'est rendu compte qu'il était une fille. Cette transformation l'ayant rendue heureuse, je ne peux que m'en réjouir. Pour ma part, j'ai persévéré dans mon hétérosexualité même s'il m'arrive souvent de faire l'amour à un homme en me masturbant, ce qui démontre très bien que je ne suis pas homophobe.

Un témoignage qui touche particulièrement Bastien qui a connu un ami qui s'est enlevé la vie ne se sentant pas à sa place dans un corps de garçon. Pour lui, Jenquet est un exemple à suivre et il aurait aimé le côtoyer vivant au lieu d'être limité à honorer ses cendres.

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C'est Arthur qui vient consoler Bastien lui disant que lui aussi avait un ami comme lui qui avait tenté de s'enlever la vie, sans y parvenir. Son homosexualité lui pesait. Il vivait dans la communauté autochtone de Wemotaci isolée géographiquement et dont les Atikamekws sont victimes de racisme systémique. Hocquet leur dit que le racisme et Jenquet étaient incompatibles. Fouillant dans les documents de Jenquet, il trouve quelques réflexions sur sa vision des différences sociales. Il en fera un résumé pour son journal, l'illustrant de la toile Le Radeau de La Méduse de Théodore Géricault imitée par Jenquet.

Debout devant mon miroir qui réfléchit mon image, je me lave le visage (ici on a un verbe réfléchi) en réfléchissant aux événements qui se sont passés aux États-Unis. Un policier blanc qui n'avait pas réfléchi, avait fléchi son genou sur le cou d'un homme noir empêchant l'air de pénétrer dans ses poumons, ce qui a entraîné sa mort. Ici même, au Québec, on crie au racisme, systémique ou non. Je ne suis pas de la race des racistes. Mon enfance et mon adolescence ne m'ont pas permis d'être raciste vu que dans mon patelin, il n'y avait que des blancs catholiques. Puis, vers mes 16 ans, un intrus arriva dans ma rue. Un Témoin de Jéhovah et sa famille. Mais comme il ressemblait en tous points à un homme ordinaire et que sa religion ne heurtait pas le mienne puisque je n'en avais plus, je n'ai pas fait de cas de son cas. L'année suivante m'a amené à l'université d'Ottawa. Tout un choc. J'y ai rencontré des extra-terrestres. Des gens qui ne parlaient qu'anglais. Je les ai trouvés malheureux de ne pouvoir apprendre le français. Puis, j'avais des confrères de classe qui avaient de la classe et avec qui j'avais plaisir à discuter politique. Ils m'apprirent autant sur le monde international que mes professeurs l'ont fait. Comme je les connaissais bien et qu'on prenait des bières ensemble, je n'ai remarqué que plusieurs semaines plus tard que je côtoyais des africains, un juif et même des musulmans. Mais quand tu es ami avec des minorités culturelles, tu ne vois aucune différence, ce qui ne cause aucun différent. C'est ainsi que j'ai appris à voir la personnalité des gens avant de considérer l'apparence qui est souvent trompeuse. Comme je me spécialisais dans l'étude de la Chine et des pays communistes, j'ai eu une attirance particulière pour les Asiatiques. Leur histoire m'a conduit à devenir un vrai socialiste dans l'âme. Cela explique sûrement que lorsque je pense voyages, Cuba a la préférence sur le pays de l'Oncle Sam. Comme enseignant, j'ai eu aussi le privilège d'enseigner pendant deux ans à une classe exclusivement composée d'Atikamekws. Ils m'ont plus appris que je leur ai enseigné. Évidemment, cela me choque quand ils bloquent les routes pour obtenir justice, mais c'est juste un juste retour des choses. On les a brimés, il nous faut donc réparer. Je n'ai rien contre les juifs, même si les hassidiques m'horripilent quand ils défient les lois québécoises surtout en période de pandémie. Je n'ai rien contre les musulmans, surtout quand ils laissent leur femme libre de porter le voile. Ce qui m'amène à affirmer haut et fort que je suis pour l'égalité femme-homme. Je suis assez âgé pour avoir vécu à une époque où les femmes n'avaient aucun droit. L'Église disant même qu'elles n'avaient pas d'âme. Cela explique en partie pourquoi je n'ai pas l'âme à me dire catholique. Quoiqu'on en dise, la situation des femmes au Québec a évolué à la vitesse d'un TGV. Il y a un demi-siècle, une femme ne pouvait pas signer un bail, ouvrir un compte bancaire ou signer un acte juridique. En se mariant, elle faisait vœu d'obéissance à son mari, portant même le nom de ce dernier. Elle faisait des enfants au rythme de la volonté des prêtres et du désir sexuel de leur mari. J'ai connu des familles de 21 et de 24 enfants où les mères n'étaient que des usines à production. En réaction, j'ai pris la teinte rosée du nouvel homme. Mes épouses ont gardé leur nom et on a assumé les dépenses familiales au prorata des revenus gagnés. Les tâches domestiques se faisaient à part égale. Évidemment, quand je vois que la femme n'est pas considérée à l'égale des hommes dans certaines cultures, cela m'est insupportable. Je me dis cependant, que si les Québécois ont été capables d'évoluer avec une telle rapidité, les gens de d'autres cultures en sont sûrement capables. Il suffit de leur donner le temps et l'exemple.

***

Victime de violence dans son enfance, Nathalie demande à Hocquet si Jenquet était un homme violent. Jamais de répondre ce dernier. Après une fouille dans les rapports psychologiques de Jenquet, il publie un court texte le démontrant accompagné d'une peinture à numéros de Jenquet : Guernica de Pablo Picasso.

J'ai beaucoup de problèmes à conjuguer le verbe violenter. Je me fais violence (encore un verbe réfléchi) en y réfléchissant. Je ne suis pas un homme violent et je n'ai jamais levé la main sur quiconque, homme ou femme. Je ne comprends pas qu'on puisse résoudre un conflit par la violence. Mon enfance fut pourtant témoin d'une vraie violence conjugale amenant ma mère à porter des manches longues pour camoufler ses bleus. Je me suis juré de ne pas être ce type d'homme. Malheureusement, et j'en fais un mea culpa, je sais maintenant que la violence arrive aussi par les éclats de voix et par des comportements inappropriés comme faire preuve d'indifférence suite à des querelles. Menacer d'un divorce et le faire sont aussi une forme de violence dans un couple, que cela vienne de l'homme ou de la femme. Mais à cette époque, on ne le voyait pas ainsi. Cela n'est pas une excuse mais ça mériterait des excuses. Évidemment, je suis maintenant à l'abri de la violence conjugale depuis que je vis seul. Mais toute cette violence gratuite que les actualités nous montrent quotidiennement m'attriste. Moi qui pensais qu'on vivait dans un monde évolué, je constate qu'on est loin de la coupe aux lèvres. Je vis dans une époque où il y a le plus de conflits armés dans le monde et le plus de divisions entre les peuples. Même le Covid-19 n'a pu réunir les terriens. Les changements climatiques y parviendront-ils ? On devrait arrêter de prier Dieu, même s'il n'existe pas, pour que le monde aille mieux et agir.

Mais je me trompe sûrement.

La publication de ce texte suscite de nombreuses querelles dans les couples du village. Les femmes dénoncent le comportement de leurs maris et ces deniers cherchent des excuses pour expliquer leurs éclats de voix. Chiquita, mise au courant de cette situation, avoue que cela provient probablement de la fermeture de son bordel qui permettait à plusieurs hommes un défoulement émotionnel. Aline affirme alors que la violence a toujours fait partie de sa vie familiale et est la cause principale de sa déchéance jusqu'à la rue. Elle voit en Jenquet un homme idéal mais Hocquet s'empresse de lui dire que son héros avait aussi des faiblesses. Il prend à témoin sa relation face aux déficients.

***

Vous savez tous, de dire Chiquita à ses amis, que Jenquet était d'une timidité maladive et que souvent les huitres l'imitaient quand elles voulaient se fermer pour se protéger. Elle sortit alors un court texte où Jenquet dévoilait son malaise devant les malaises d'autrui. La Dépêche s'empresse de le publier accompagné d'un autoportrait de Frida Kahlo, peintre célèbre atteinte de polio.

Voici un aveu qu'un homme ne veut pas faire. Je suis toujours pris au dépourvu devant une personne handicapée. Ni mal à l'aise, ni épris de pitié, seulement sans outil pour manifester de l'empathie. Est-ce vraiment nécessaire ? En réalité, je me sens exactement pareil face à une personne sans handicap visible. Je pense qu'on a tous un handicap. Pour certains, l'analphabétisme invisible, freine leur progression sociale. Pour d'autres ce sera un manque d'éducation ou de savoir-vivre. Plusieurs souffrent de phobies ou de blessures émotionnelles. Je me dis donc que nous sommes tous déficients d'une manière ou l'autre. La vie m'a mis en contact régulièrement avec des personnes qu'un handicap n'a jamais empêché d'être des êtres extraordinaires. Tout petit, quand j'allais chez ma grand-mère, mon oncle Faïda me prenait sur ses genoux pour me lire les comics du journal ou pour me raconter ses voyages imaginaires à travers les images d'une encyclopédie. Il souffrait d'un eczéma généralisé qui le clouait à la maison, enveloppé de crème apaisante. Sa présence m'apaisait à elle seule. Puis, la naissance de mon frère m'a mis en contact avec l'épilepsie et le retard mental. Ce qui ne l'a pas empêché d'être autonome une fois que ma mère, en décédant, lui en a laissé l'opportunité. L'année 1950 a vu l'arrivée dans notre immeuble d'une famille dont la plus jeune souffrait de trisomie 21. On parlait alors de la mongole en se moquant d'elle. Pourtant, ses yeux étaient toujours plein de vie et de bonheur. J'aurai aimé jouer avec elle, mais les gars devaient jouer avec des gars. Puis, dans ma classe, il y avait Jean-Claude qui ne voyait que d'un œil puisque l'autre était de vitre. Quelques fois, j'ai joué au golf avec lui et il trouvait les balles que je perdais de vue malgré mes deux yeux. Je jouais aussi avec Claude, un gars tellement sympathique qui nous faisait rire avec sa chorée . Évidemment, à cette époque on ne connaissait pas sa maladie. On disait qu'il avait la danse de Saint-Guy. Cela ne l'a pas empêché de réussir dans la vie comme comptable. Un autre compagnon de jeu avait un oncle plus petit que nous. On parlait du petit nain, ce qui est un pléonasme vraiment vicieux envers les gens de petite taille. Mais c'était le meilleur conteur d'histoires que je connaissais. Il me plaisait bien car, en sa présence, je n'étais plus le plus petit de la gang. Professeur, j'ai eu à enseigner à des étudiants aveugles et même à un gars merveilleux, aujourd'hui décédé, qui a réussi des études universitaires en dépit qu'il souffrait de paralysie cérébrale. Je dois les remercier tous de leur influence sur ma perception de la vie. Ils ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui.

Le journal vient de se trouver une toute nouvelle clientèle auprès des handicapés de la Mauricie. Ces derniers le lisent tous, sauf les aveugles qui doivent compter sur une aide externe. On se demande pourquoi ce grand homme n'était pas plus connu de son vivant. Jenquet rejoint ainsi les Van Gogh, Paul Gauguin, Camille Claudel, Modigliani et Bruce Lee parmi les grands qui ne furent reconnus qu'à titre posthume.

***

Marilou a souvent fait référence à un certain Freud, certain que les maladies psychologiques de ses patients avaient été engendrées par leur mère. Mais pour Jenquet, ses plus grandes influences viennent de ses professeurs. Il a laissé plusieurs écrits sur ses maîtres à penser dont celui qui fait la UNE du journal ce matin. Curieusement, la toile qui accompagne cet article est un autoportrait de Jenquet par lui-même.

Impossible pour moi de ne pas souligner l'apport des professeurs qui ont orienté le cours de ma courte vie. Tout a débuté avec la belle Claire Gagné qui a eu l'honneur de m'avoir dans sa classe de première année A. Ma mère avait vraiment confiance en elle puisqu'elle m'a abandonné entre ses mains et ses enseignements. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle m'a appris. Mais en la quittant, je pouvais lire et écrire tout en comptant jusqu'à 100. Elle devait être extraordinaire puisque j'ai décidé de poursuivre mes études après son départ. Je passe sous silence Mme Pontiac qui aurait gagné à suivre les traces de Mlle Gagné. J'ai alors changé d'école en passant de l'école de bois à l'école Chapais. Il faut dire qu'on ne m'avait pas laissé le choix. C'est là que j'ai rencontré le Frère Germain, directeur de l'école qui fut subjugué par ma voix et m'a amené à chanter dans la chorale de la paroisse. Des dimanches heureux puisque la messe passait plus rapidement. Ma sixième année de l'élémentaire fut pour moi une révélation. Un homme marié pouvait aussi enseigner. Roland Ducharme m'a charmé par sa présence. Je regrette de ne pas me souvenir de ce qu'il enseignait. Par contre, il a ouvert la porte à une vocation possible. Mais j'étais tellement gêné, surtout de parler en public. C'est en terminant mon primaire que M. Bornais m'a fait sortir de ma coquille comme il a dû le faire avec Calimero. Il enseignait le français et je pense avoir retenu la majorité de ses règles de grammaire. Cependant, il devait avoir des faiblesses avec les virgules, faiblesses qu'il m'a léguées. Il consacrait ses loisirs à monter des pièces de théâtre en parascolaire. Il m'a permis de mieux gérer cette timidité. Aucun doute que ce fut un tournant dans ma vie. Je remercie aussi les prêtres qui m'ont enseigné au séminaire. Grâce à eux, j'ai rejeté la religion et l'existence de Dieu. L'Université d'Ottawa m'a mis en contact avec un professeur d'histoire extraordinaire. M. Ladouceur m'a ouvert les yeux sur l'histoire du monde européen. Il enseignait en ayant constamment une anecdote ou une drôlerie à nous narrer. J'allais à son cours parce qu'il était vivant. Un exemple à suivre. Puis, William Badour m'a mis en contact avec la Chine et le communisme. Lors de son premier cours, en anglais, il comprit que ses étudiants auraient mieux aimé un cours en français. Il a pris l'automne pour apprendre cette langue. Un exemple qu'une certaine gouverneur-générale et un PDG d'Air-Canada auraient pu suivre. En janvier, j'ai eu la surprise de suivre ses cours en français. Quand il a été question de me trouver un directeur de thèse, il fut mon choix. Puis, à la maîtrise, c'est André Vachet qui m'a montré la rigueur qu'un chercheur devait avoir. J'ai compris qu'un bon enseignant devait être très exigeant tout en demeurant juste envers tous ses étudiants. Ce sera mon modèle quand viendra mon tour à embrasser la profession d'enseignant. J'ai toujours pris garde de l'influence que je pouvais avoir sur mes étudiants. J'espère y avoir réussi.


Texte publié par Jenquet, 25 mai 2025
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