DES TROUBLES DE DÉMENCE
Hocquet se demande si on doit publier les derniers écrits de Jenquet alors que, de toute évidence, la démence faisait partie de sa vie. Il rappelle à Chiquita, Vénus et aux cinq itinérants les histoires abracadabrantes que Jenquet souhaitait publier dans le journal. Chiquita se souvient des longues soirées que Jenquet passait avec son téléphone qu'il appelait SÉSAME en s'imaginant que ce dernier pouvait le faire voyager à travers le monde et se déplacer dans le temps. Il croyait avoir vécu avec Platon et Aristote. Vénus se souvient des folles histoires où Jenquet côtoyaient Blanche-Neige et les personnages de conte de son enfance. Il voulait même prouver l'inexistence de Pinocchio quelques jours avant de disparaître lui-même. Le journal a toujours refusé de les publier.
C'est donc un grand conseil de famille où le maire et le chef de police vont décider du sort des derniers témoignages de Jenquet consignés dans son cahier Canada. Il reste de nombreuses pages écrites de façon presqu'illisible.
Après une longue discussion qui dura toute la soirée, il est décidé que l'on ne doit pas en dévoiler tout le contenu. La Dépêche annonce à ses lecteurs que la prochaine édition contiendra les deux derniers textes de Jenquet. Bien entendu, les documents contenus dans la mallette brune resteront lettres mortes.
Nous y voilà ! Le journal La Dépêche entreprend la publication des derniers écrits de Jenquet alors que son esprit avait perdu contact avec la réalité. Une mise en garde est faite aux lecteurs de ne pas prendre ces écrits au pied de la lettre. Il s'agit des pensées d'un homme très malade qui s'imagine tout faire sans tenir compte de la réalité un peu comme Donald Trump aux USA.
Le don
J'ai un don. Est-ce un adon, mais mes deux dernières massothérapeutes et maintenant ma coiffeuse m'ont annoncé qu'elles étaient enceintes. Je pense que j'ai un don. Celui de donner la vie par transmission de pensée. Ce n'est pas une pratique à laquelle je m'adonne particulièrement et je devrai faire attention pour ne pas l'utiliser quand je suis avec mes amies. Je n'ose pas faire de recherches exhaustives auprès de toutes les professionnelles que j'ai côtoyées afin de connaître le nombre de ma progéniture ésotérique. Ma coiffeuse aurait dû se méfier : c'est la deuxième fois qu'elle est enceinte depuis que je fréquente son salon. Même pas besoin d'aller dans sa chambre ni dans son lit. Une chaise suffit. Elle collabore inconsciemment. Au fur et à mesure qu'elle enlève des cheveux de ma toison chevelue, mon don s'agite et agit. Je ne sais pas comment cela se passe. Je n'ai pas besoin d'y penser. De toute façon on ne pense pas au sexe assis chez une coiffeuse. Quoique couché chez une masseuse, il y a des idées qui se promènent sous ses mains. Mais je pense que je rêve quand je pense posséder un tel don. Il n'est pas donné de procréer seulement par la pensée. Je pense plutôt que je suis une pauvre victime de certaines femmes qui désirent tellement avoir un enfant, qu'elles profitent de mon don pour se donner, sans que je le sache. Je me suis laissé dire qu'il existait même un mantra pour avoir un enfant. Il s'agit de la Déesse Mantra pour tomber enceinte et concevoir un bébé. Lectrice, ici une mise en garde, ne lis pas le mantra suivant à haute voix, sinon tu risques l'enfantement. Garbarakshambikai est un sloka (un chant) puissant à réciter tous les jours pour celles qui ont des problèmes d'infertilité et d'autres qui essaient de concevoir. Je soupçonne mes masseuses et coiffeuses de l'avoir récité régulièrement et en ma présence, l'opération du Saint-Esprit s'est opérée. Un tel don n'est pas unique à ma personne. L'Histoire démontre qu'un certain Joseph avait fait le même coup à une fille nommée Marie.
Chiquita rassure ses amis que ce don n'a pas fonctionné sur elle. Je ne pouvais enfanter même quand il couchait avec moi, dit-elle. Il est vrai que le port du condom m'aidait !
***
(NDLR) Voici le dernier texte que le journal publie en hommage à Jean Jenquet. Dans celui-ci, notre héros avoue que sa mémoire commence à défaillir. Un témoignage touchant touchant à sa vie privée.
En mémoire de ma mémoire. Ce n'est pas parce que j'écris ce qui peut ressembler à des mémoires, que j'ai de la mémoire. Au contraire, j'ai l'amnésie facile. Je me souviens peu de mon enfance parce que j'ai voulu l'oublier. Un court séjour dans l'au-delà m'a permis de tirer un trait sur cette période sans attrait et ce n'était pas un trait d'humour. Mais je m'en suis soustrait. Puis la divine bouteille (parfois aidée par un verre) m'a permis de vivre un tas d'aventures qui ne m'ont laissé aucun souvenir de leur passage. Elles devaient être passagères. Je ne saurai jamais le nombre de beaux souvenirs qui me sont arrivés. Je sais seulement que les femmes me sont apparues comme des branches d'arbres. Quand je m'accrochais trop, ça lâchait. Combien de fois leur ai-je menti ? Je ne le sais pas, je suis amnésique sur ce passé. Je leur aurais sûrement moins menti si elles n'avaient pas posé autant de questions. Et puis, à cette époque, tout comme de nos jours je présume, les femmes ont besoin d'une raison pour faire l'amour, les hommes ont juste besoin d'un endroit. J'admets que les faiblesses des hommes font la force des femmes. J'ai dû avoir beaucoup de faiblesses parce que j'ai toujours eu des femmes fortes. Ou tout simplement que ce sont elles qui m'attirent. Je suis un vieux romantique. On dit que si un homme ouvre la portière de sa voiture à sa femme, c'est que l'une des deux est neuve ou que c'est un vieux pour qui la galanterie existe encore. Je l'ai dit, je suis vieux jeu. Mais cela ne m'empêche pas de dormir. Je ne suis même pas obligé de compter les moutons pour sombrer dans les bras de Morphée, alors que pour s'endormir, le mouton ne peut compter que sur lui-même. J'aime me souvenir de souvenirs perdus. Les coucher par écrit m'aide à les ressusciter. Et les mots me viennent plus facilement que lorsque je dois converser. De nos jours, on a toujours peur du silence quand on chemine avec une autre personne, comme si le silence était un crime social. Pourtant quel privilège de partager ces souvenirs de silence. Parler de mes souvenirs a surgi dans ma tête en regardant sur les murs de ma chambre toutes les peintures que j'ai faites grâce à des numéros. Je n'oublie pas que c'est à chaque jour que se construisent nos souvenirs pour le futur. Obligation donc de me créer les plus beaux souvenirs.
Arthur et René n'en reviennent pas. Même dans leurs pires bad trip, ils n'ont jamais été aussi drogués que Jenquet a pu l'être pour écrire de telles histoires. Les lecteurs du journal sont estomaqués. Jamais ils n'ont pensé que leur héros était si mal en point et si perdu. Mais la découverte de sa vraie personnalité le rend encore plus sympathique aux yeux de tous.
Le maire décrète que tous ses écrits publiables seront encadrés et orneront les lieux publics du village et il propose que le Jenquetois soit considéré comme un bar-musée en l'honneur de Jenquet.

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