Comme un mauvais présage, un violent orage a éclaté sur la ville juste au moment où Lily et moi étions sur le point de signer notre acte de mariage devant le Maire. Ce qui a, bien évidemment, engendré une coupure d’électricité dans le bâtiment.
Cela fait dix minutes que le secrétaire de Mairie est parti à la recherche du panneau électrique pour tenter de remettre le courant. Pendant ce temps, les flashs de nos téléphones et le peu de luminosité entrant par les fenêtres nous éclairent faiblement. On se croirait au mois de novembre. Ou au début d’un film d’horreur.
— Je suis vraiment désolé pour ça ! Je suis sûr que Pascal va nous remettre l’électricité bientôt.
— Ne vous inquiétez pas, sourit Lily. Ce n’est pas de votre faute.
Je lève le bras pour passer une main dans mes cheveux mais croise le regard de Kyle, ce qui m’arrête net. Depuis qu’il a débarqué chez moi ce matin, il s’est décrété coiffeur, maquilleur et styliste pour la journée. Ce qui fait que je n’ai pas le droit de toucher à mon visage, ni à mes cheveux ; je suis presque sûr qu’il a un fer à repasser dans sa voiture. Juste au cas où.
Je pense que Lily a eu droit au même traitement de la part de Zoé et Sylvia : elle porte du maquillage – bien que léger – et je sais qu’elle n’en porte que sous la contrainte. Ses cheveux ont été bouclés, mèche par mèche, et malgré le peu de luminosité, de minuscules strass brillent à chaque fois qu’elle bouge la tête. Sa robe patineuse, courte, beige mais complètement recouverte de dentelle blanche s’associe parfaitement au costume que Kyle m’a fait porté : un pantalon en toile et sa veste cintrée beiges ainsi qu’une chemise immaculée. Il a essayé de me fait porter une cravate, mais j’ai réussi à l’en dissuader. Je déteste avoir quoi que ce soit de serré autour de mon cou.
— Je vais voir où est Pascal, dit nerveusement le Maire en se dirigeant vers les escaliers. Je reviens tout de suite. Excusez-moi.
Puisque l’électricité est coupée, le chauffage l’est aussi. Le vent et la pluie claquent contre les fenêtres, apportant d’autant plus l’impression que la température a drastiquement baissé. Lily frotte discrètement ses bras dénudés. J’enlève ma veste et la dépose sur ses épaules.
— Bras.
Elle commence à vouloir refuser, mais elle s’arrête lorsqu’une puissante bourrasque fait claquer les volets hors de leurs positions sécurisée contre les murs. Zoé sursaute et jure. Lily passe ses bras dans les manches de la veste en boudant.
— Trop bien comme journée pour se marier, marmonne Kyle en fixant le ciel noir à peine visible derrière le rideau de pluie.
— Mariage pluvieux, mariage heureux, non ? tente Sylvia.
— J’me demande plutôt si les Dieux sont pas en train de dire que c’est une mauvaise idée.
— Depuis quand tu es croyante, toi ?
— Depuis que la tempête du siècle décide de frapper le jour de ton mariage avec ton meilleur ennemi alors qu’aucune chaîne météo ne l’a annoncé.
— Parce que c’est bien connu que la météo est toujours exacte et précise, dis-je moqueur.
— Gna-gna-gna, rétorque Zoé. J’t’ai rien demandé, toi.
— Ne te formalise pas d’elle, Gray. Ma chère et tendre n’est pas la plus grande fan des orages.
Un coup de tonnerre – étonnamment le premier depuis le début du déluge – fait trembler la pièce. Zoé attrape Sylvia par la taille et cache son visage contre son épaule. Je ne suis pas sûr à cent pour cent, mais je crois l’entendre gémir. J’esquisse un sourire et me tourne vers Lily en ouvrant les bras.
— Si tu as peur, je suis là pour te protéger.
Pour seule réaction, ma future épouse me regarde avec un sourcil relevé et les bras croisés contre sa poitrine. Je sais qu’elle est pas si petite que ça, mais ma veste engloutit sa silhouette et la rend plus mignonne que d’habitude.
— On fait quoi si l’électricité ne revient pas ? demande Kyle en regardant l’heure sur son téléphone.
— Reprogrammer à une autre date ? propose Sylvia.
— Non, si ce n’est pas aujourd’hui, la prochaine date disponible est en octobre. Ça sera trop tard.
— Pourquoi autant de gens se marient en été, j’te jure, grommelle Zoé.
Sur ces paroles, un autre coup de tonnerre retentit, suivi de près par un éclair. Monsieur le Maire remonte bruyamment les escaliers et entre dans la pièce en soufflant autant qu’un marathonien. Il vient se placer devant Lily et moi, et son expression m’apprend avant même qu’il ne dise quoi que ce soit que la situation ne va pas aller en s’arrangeant.
— Toutes mes excuses, il semblerait que tout le quartier soit privé d’électricité, nous ne pouvons rien faire pour le moment. Certains commerces et certaines habitations commencent à être inondées, je vais devoir aller coordonner mes agents. Que–
— Il est possible de terminer la cérémonie avant ? demandé-je sans détour.
— Oh ! Vous ne souhaitez pas reprogrammer ? C’est un peu triste de se marier dans le noir, à la lumière des smartphones…
— Ça fera une histoire originale à raconter, sourit Lily en haussant les épaules. La date d’aujourd’hui nous tenait vraiment à cœur…
Le Maire hésite quelques secondes, mais finit par retourner se poster derrière la table sur laquelle s’étalent les documents officiels. Lily et moi nous retournons face à lui, tandis que Kyle et Zoé reprennent leur place de chaque côté. Sylvia braque son téléphone sur nous, et je suis presque sûr qu’elle prend des photos. Je ne pense pas qu’elles rendront bien vu l’abominable luminosité que les flash diffusent dans la pièce.
Je n’entends qu’à moitié les paroles du Maire, me penche pour signer les documents lorsqu’il me le demande. Je regarde Lily, Zoé et Kyle faire de même. Alors que ce dernier dépose le stylo à côté de la feuille, le Maire pose un regard souriant sur Lily et moi. Il ouvre les mains et dit les quelques mots qui scellent le reste de ma vie. Ou tout du moins les quelques prochains mois.
— Je vous déclare désormais mari et femme. Vous pouvez embrasser la mariée.
Avant que Lily n’ait le temps de dire quoi que ce soit, je glisse ma main contre sa taille et l’attire contre moi. Pour ne pas perdre l’équilibre, ses doigts – qui dépassent à peine des manches de ma veste – s’accrochent au col de ma chemise. Mon prénom se perd sur ses lèvres, nos visages sont si proches que son souffle court caresse mon cou. Mon regard tombe naturellement sur sa bouche entrouverte. J’hésite une seconde, peut-être deux. Attendant qu’elle se recule, qu’elle dépose un baiser rapide sur ma joue et s’écarte. Potentiellement qu’elle me mette une gifle. Mais elle ne fait rien.
J’effleure son menton de mon index, incline son visage vers le mien, et l’embrasse.
Derrière mes paupières fermées, je repense au baiser d’il y a sept ans. Je m’attends à ce que cela se déroule de la même manière, à peine deux secondes, sans grande émotion, une simple transaction, mais… non. Pas tout à fait.
Je presse un peu plus ma main sur le bas de son dos. Ses doigts trouvent ma nuque et la naissance de mes cheveux. Je crois qu’elle est sur la pointe des pieds. Elle sent la vanille, et elle a le goût du sucre…
Un nouveau coup de tonnerre fait trembler la pièce, et nous fait sursauter. Lily s’éloigne d’un pas, ma main qui reposait contre son dos, tombe à mon côté. Derrière elle, je croise le regard de Zoé ; je ne sais pas s’il est surpris ou incendiaire.
Il nous a fallu attendre que l’orage se calme avant de pouvoir quitter la mairie. J’ai stratégiquement évité de m’approcher de Zoé qui n’a pas arrêté de me scruter. Kyle aussi m’a lancé plusieurs coups d’œil remplis de tout un tas de choses qu’il ne va certainement pas manquer de me dire une fois que nous serons tous les deux dans sa voiture. Au contraire, Lily a tout fait pour éviter mon regard, et je n’ai pas non plus cherché à le croiser. Je n’aurais pas sur quoi faire ni quoi dire, ni quoi faire… j’ai eu, peut-être, un peu peur de ce que j’aurais pu lire dans ses yeux.
Une fois dans la voiture de Kyle, je passe une main dans mes cheveux mouillés. Le mariage est fini, il ne devrait plus me soûler avec ma coupe. Et puis, il a autre chose de bien plus intéressant avec laquelle m’interroger de toute façon.
— C’était quoi, ça, Gray ?!
— Un mariage civil, Kyle. Démarre, ça caille.
— Trop drôle, monsieur le professeur. Tu sais très bien de quoi je parle.
Je feins une expression d’incompréhension, sachant très bien que ça ne fonctionnera pas. Il ne va pas lâcher l’affaire comme ça. Il était présent lors de notre fausse relation il y a sept ans. Il nous a vu nous embrasser à l’époque. Il a vu que ce n’était pas la même chose que ce qu’il vient de se passer.
— Sérieusement, Gray…
— Je sais pas, Kyle. Je– j’en ai aucune idée, d’accord ? Je voulais pas… C’était pas…
Je souffle et me laisse aller contre le siège, la pulpe de mes doigts effleure ma lèvre inférieure lentement. Je ne lui mens pas. Je suis incapable d’expliquer ce qu’il s’est passé pendant ces quelques secondes lors desquelles je crois avoir perdu tout raisonnement.
— Mec…
— Je propose qu’on n’en parle pas pendant plusieurs jours, OK ? Le temps que je...
— Sauf que tu as invité Lily à la fête des voisins de ton quartier demain, pour « créer de nouveaux témoins de votre relation » comme dirait Syl. T’as pas oublié, rassure-moi ?
— Merde..., marmonné-je en passant une main sur mon visage.

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