Je vois un peu trop Gray ces derniers temps. Enfin, je le vois d’habitude presque tous les jours à la boutique, mais on n’interagit pas forcément à chaque fois. Là , les lignes sont de plus en plus floues et je ne sais pas comment je me sens à ce propos. Je ne crois pas détester… mais j’ai passé tellement d’années à considérer Gray comme un rival et surtout un enquiquineur, que le voir aussi prévenant… Non, ce n’est même pas ça. Il a toujours comme ça.
— Boss ? Allô, boss ?
La voix de Simon me sort de ma réflexion – la même que je traîne depuis hier soir après que Zoé et Sylvia soient parties de chez moi.
— Simon ! Oui, désolée. Qu’est-ce qu’il y a ?
— Tu ne devais pas quitter plus tôt aujourd’hui ? À cause d’un repas ou je sais pas quoi ?
Je tourne la tête vers l’horloge qui orne le mur. Onze heures trente. Merde ! Je vais être en retard. Je me lève à la va-vite de mon bureau sur lequel je traitais la paperasse.
— Il y a assez de cookies pour aujourd’hui ? Je dois refaire des fournées ? J’ai pas du tout vu le temps passé…
— On est bon pour aujourd’hui, me répond Simon. On est dimanche, c’est plutôt calme. Patty vient me reprendre dans une heure.
— OK, super. S’il y a quoi que ce soit, je suis joignable sur mon portable. Je te dis à … mardi ? T’as des examens demain, c’est ça ?
Simon hoche la tête pour toute réponse. Je le remercie et le regarde retourner derrière le comptoir pendant que je termine de mettre ma veste. Il ne me faut pas longtemps pour rentrer à l’appartement ; j’ai exceptionnellement pris un taxi et il n’y a personne sur la route le dimanche. Évidemment, dès que je me retrouve devant mon immeuble, Gray est adossé au mur à la gauche de la porte d’entrée. Il porte un jean ajusté, une chemise blanche et un gilet fin rouge. Il a le visage baissé sur son téléphone et ne me voit pas tout de suite. Il porte ses lunettes. C’est rare.
— Je suis en retard, désolée.
Il relève son attention sur moi et sourit en coin, comme à son habitude. Il y a quelques temps, lorsqu’il a été évident que nous devions créer le plus de témoins possibles à notre relation, Gray a proposé que je l’accompagne à sa fête des voisins. Qui a donc lieu aujourd’hui. Et pour laquelle je suis en retard. Heureusement qu’il est venu me chercher, sinon j’aurais encore eu plus d’une heure de trajet en taxi – deux heures en bus – pour rejoindre son quartier. Il habite de l’autre côté du campus universitaire.
— Je n’attends pas depuis longtemps, dit-il en s’approchant de moi.
Il se penche et dépose un léger baiser sur ma joue à à peine un centimètre de mes lèvres.
— Bonjour, qīn'Ă i de.
Il me faut quinze bonnes secondes pour me reprendre, surtout sous le regard amusé de Gray. S’il commence déjà à être agaçant, ça va être une longue journée. Je me décale de la chaleur qu’il émane – et de son entêtant parfum au pamplemousse – et déverrouille la porte de l’immeuble. Il me suit jusqu’à l’ascenseur puis jusqu’à ma porte d’entrée.
— Je vais juste prendre une douche rapide et me changer, j’arrive. Sers-toi à boire dans le frigo, si tu veux.
Je me dépêche et saute sous la douche. Une dizaine de minutes plus tard, j’en sors et me sèche les cheveux. Heureusement que, la veille, Sylvia et Zoé m’ont obligée à faire une « everything shower », ça me fait gagner un temps fou de ne pas avoir à sortir le matériel d’épilation. Aussi, je ne m’embête ni avec du maquillage ni à styliser mes cheveux. Une queue de cheval fera amplement l’affaire ! Ce n’est qu’un repas de fête des voisins, de toute façon… Et merde. Je n’ai pas pris mes vêtements avec moi dans la salle de bain. Deux options s’offrent à moi. Soit je vais en catimini jusqu’à ma chambre au bout du couloir – avec la possibilité que Gray me voit dans cette tenue –, soit… soit je demande de l’aide à Gray. Bordel.
J’entrouvre la porte de la salle de bain passe la tête pour regarder en direction de la pièce principale de l’appartement. J’entrevois Gray assis sur le canapé.
— Rominet ?
— Oui ? demande-t-il en se levant immédiatement et s’approchant.
— Non. Ne bouge pas.
— OK… Tout va bien ?
— Sur la commode dans ma chambre, il y a une pile de vêtements. Est-ce que tu peux me l’apporter s’il te plaît ? Interdiction de regarder dans ma direction et interdiction de fouiller dans mes tiroirs, c’est clair ?
J’entends à sa réponse qu’il s’empêche de rire. Je vais le frapper. Je m’éloigne de la porte que je laisse entrouverte et l’entends passer dans le couloir jusqu’à ma chambre. Une minute plus tard, trois coups sont portés sur la porte de la salle de bain et le bras de Gray passe à travers l’embrasure, une pile de tissus vert foncé. Après l’avoir récupérer et remercier Gray, je referme la porte et m’habille. La robe est à bretelle fine et la jupe patineuse recouvre tout juste mes cuisses et mon cycliste noir.
— Cette robe te va très bien, qīn'Ă i de, dit Gray alors que j’ouvre la porte.
Il est adossé sur le mur juste en face de moi. Il se redresse et fait les deux pas qui nous séparent, se penchent vers moi, et me fixe du regard. Ses iris dansent de mes yeux à mes lèvres pendant ce qui me semble être une éternité.
— Mais t’es trop bien coiffée…
— Touche à mes cheveux et t’en prends une.
Je le pousse, pas assez fort pour le faire bouger sans qu’il le veuille, et j’entre dans ma chambre. J’attrape un large gilet de grosse laine blanche dans mon armoire et la revêt. Je choisis ensuite quelques bijoux à porter – dont la bague de fiançailles. Gray m’a de nouveau suivi et m’observe depuis la porte. Il ne le fait pas de manière malaisante, en tout cas je ne le ressens pas comme ça. J’ai l’impression que son silence – qui est assez rare lorsqu’on est que tous les deux – cache une réflexion interne qui lui pose problème. Au bout de quinze ans, je le connais assez bien pour savoir que lorsqu’il travaille sur un questionnement personnel, il devient anormalement silencieux.
— À quoi tu penses ? demandé-je en accrochant mes boucles d’oreilles, de petites étoiles filantes dorées.
— Je me demandais pourquoi tu étais célibataire.
— Je suis pas célibataire. Tu te souviens qu’on s’est marié hier ? C’était pas un cauchemar, tu sais.
— D’abord, tu vois ce que je veux dire. Et puis, je n’appellerais pas ça un cauchemar d’être marié avec toi, Titi…
Sur ces derniers mots, il s’est rapproché, et se trouve maintenant juste derrière moi. Son torse ne touche pas mon dos, mais sa chaleur m’enveloppe complètement. Il passe ses bras de chaque côté de mon corps, je dois l’avouer un peu tendu, et il me prend des mains le collier que je veux mettre. Ses doigts caressent ma nuque, puis je sens ses lèvres se poser juste derrière mon oreille. Surprise, je me retourne vivement mais manque de tomber vers l’arrière, trébuchant sur mes propres pieds. Gray me rattrape par la taille, et je me retrouve pressée contre lui. Mon souffle se coince dans ma gorge en même temps que la poigne de Gray se ressert sur ma hanche, tandis que son regard erre sur mon visage. Une minute passe pendant laquelle aucun de nous ne parle, puis j’appuie légèrement sur son torse, ce qui le fait me relâcher immédiatement.
— Hum. Désolé.
— On va vraiment être très en retard… dis-je dans un souffle.
— Je t’attends en bas, dit-il avant de disparaître dans le couloir.
J’entends la porte de l’appartement se refermer, et je reprends enfin une respiration normale. Il va falloir qu’il arrête de faire ça. Encore une fois, je ne déteste pas… Je ne crois pas. Arg ! Toute cette histoire me retourne la tête. Sylvia n’a pas totalement tort lorsqu’elle dit que Gray agit de manière étrange. Il est anormalement tactile. J’entends qu’il faut qu’on passe pour un vrai couple, des gestes intimes sont inévitables. Mais lorsqu’on est face à une audience, pas lorsqu’il n’y a que nous deux dans mon appartement. Ni lorsqu’il n’y a que Zoé, Syl ou Kyle comme témoins. Bon… Le maire, aussi… Non. Non, je ne vais pas me replonger dans le souvenir du baiser d’hier. Et je ne vais pas me lancer non plus dans l’analyse de ce qu’il vient de se passer. C’est pas le moment. Et puis ce n’est pas grave, ce n’est pas comme si cela voulait dire quelque chose.
Je me recompose, mets mes baskets montantes crème et vais récupérer le plat de cookies sur le plan de travail de la cuisine. Je les ai fait ce matin avant de partir pour le travail. J’ai fait une sélection de tout ceux que je propose à la boutique, comme ça, il y en a pour tous les goûts.
Une fois sortie de mon immeuble, Gray, qui est en train de faire les cent pas les mains dans les poches sur le trottoir, vient me libérer de mon plateau de gourmandises. Il relève des yeux surpris vers moi.
— Quoi ?
— Tu sais qu’on n’est qu’une vingtaine, hein ?
— Oui, bah comme je connaissais pas les goûts ou les restrictions alimentaires, j’ai fait comme j’ai pu, hein. T’es garé où ?
Gray me guide jusqu’à sa voiture, dépose le plateau de cookies sur la banquette arrière, puis nous démarrons en direction de son quartier. Au fond de mon estomac, une boule d’appréhension commence doucement à se former.

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