Cela va bientôt faire une semaine depuis le mariage à la mairie. La vie a, plus ou moins, repris un cours normal. Je me suis habituée à avoir les affaires de Gray chez moi, ça n’a pas vraiment révolutionné mes habitudes. J’ai juste un peu plus de vêtements dans mon armoire et une deuxième brosse à dents sur le lavabo de la salle de bain. À la boutique, rien à signaler. J’ai mis Patty et Simon dans la confidence du mariage blanc – je me suis dit que c’était la moindre des choses, ils font partie des murs après tout. Je m’attendais à ce que Patty en fasse tout un plat, mais elle a été étonnamment… calme et ne m’a gratifiée que d’un sourire en coin et d’un « Mariage blanc, bien sûr, Lily, bien sûr ». Simon a été aussi indifférent qu’à son habitude et n’a réagi que d’un haussement d’épaules. Je pense qu’il avait déjà entendu la rumeur à l’université.
Presque tous les jours, Gray débarque dans le milieu de l’après-midi et se pose avec son café et son cookie à sa table habituelle. Je n’y ai fait attention que cette semaine, mais c’est la seule place à avoir une vue directe sur la cuisine par la verrière. De temps en temps, je relève la tête et Gray a les yeux fixés sur moi. Parfois il continue de me regarder, d’autres fois il dévie son attention sur son livre dès que je le remarque, mais la plupart du temps il m’offre un sourire que je ne suis pas sûre de savoir déchiffrer.
Les seules choses qui ont troublé ponctuellement cette semaine ont été les appels et textos d’Ally, m’insurgeant de choisir une date pour la cérémonie du mariage. Elle insiste pour qu’on se décide vite, sinon, on va perdre « notre espace de réception rêvé », qui serait, semble-t-il, une grange réaménagée. D’après les photos qu’Ally m’a montré, la façade est complètement vitrée et est ouverte, de l’autre côté, sur un étang arboré. C’est magnifique, je ne dis pas le contraire. Mais si on fait la réception dans une salle des fêtes en préfabriqué, ça me va très bien aussi. Je ne peux pas vraiment dire ça à Ally, par contre.
— Euh… boss ?
Je délaisse la mixture de farine et de sucre devant moi pour me tourner vers Simon qui se tient dans l’embrasure de la porte entre le comptoir et la cuisine. Il ne me regarde pas, trop occupé à fixer quelque chose avec suspicion.
— Simon ? Qu’est-ce qu’il y… a…
Mon regard suit le sien et je vois à travers la verrière Pierre armé d’un stick à selfie, son téléphone probablement en train de filmer la boutique. Je sors de la cuisine pour me poster devant lui.
— Pierre ? Qu’est-ce que tu fais là  ? On avait rendez-vous avec Ally ?
— Oh, Lily ! Tout le monde, dîtes bonjour à la propriétaire des lieux et la vedette de ma nouvelle série sur la préparation d’un mariage.
Pierre tourne la caméra vers moi, et je me vois dans l’écran : mon tablier est recouvert de farine, j’en ai également sur le nez et mes cheveux normalement soigneusement attachés se sont enfuis de leur chignon et rebiquent dans tous les sens. Merveilleux.
— Hey, dis-je nerveusement en faisant un geste vers la caméra. Pourquoi… pourquoi tu es venu aujourd’hui ?
— Oh, beaucoup de mes followers voulaient voir ta petite boutique. Comme j’en ai parlé dans les vidéos du mariage. Du coup, je me suis dit qu’un live pourrait être sympa ! Il n’y a pas grand monde, non ?
Évidemment qu’il n’y a pas grand monde. On est vendredi, il est quatorze heures. Les étudiants sont en cours pour ceux qui en ont, les autres sont rentrés chez leurs parents pour le week-end, ou profitent du soleil. On est au début du printemps, les clients sont plus rares en milieu d’après-midi depuis que la chaleur et le soleil reviennent. Les seuls moments où Cookie Dough est plus attractif que le parc les jours de beau temps, c’est quand le professeur Sylvester nous bénit de sa présence.
— Gray n’est pas là  ? Je pensais qu’il passait tous ses après-midi ici, c’est ce qu’il laissait entendre la dernière fois qu’on en a parlé…
Je doute grandement que Gray ait parlé avec Pierre de ce qu’il fait ou non de ses journées. À mon avis, se sont plutôt les commentaires sous ses vidéos qui lui ont donné cette idée là .
— Il a quand même des cours à honorer, il ne peut pas tout le temps travailler à la boutique.
— Bien sûr, bien sûr. Tu sais s’il viendra aujourd’hui ?
— Non, il a des réunions jusque tard.
Avant, je ne connaissais pas l’emploi du temps de Gray, mais il a pris l’habitude de me ramener chez moi après certaines de mes journées, alors il me prévient quand il ne peut pas s’aligner sur mes heures. Comme aujourd’hui.
— Dommage, vraiment dommage. Est-ce que je peux filmer la cuisine ?
— Je–
Je suis interrompue pas le tintement de la clochette derrière Pierre. Ma mère et Naomi Sylvester font irruption, bras dessus bras dessous et tout sourire, dans la boutique.
— Maman ? Madame Sylvester ? Qu’est-ce que–
— Lily ! Tu ne pensais quand même pas que j’allais attendre dans mon coin pour la préparation du mariage, quand même ? Et puis comme vous ne nous rendez jamais visite, c’est l’occasion de passer un peu de temps avec mon fils et ma belle-fille !
Naomi, la mère de Gray donc, se plante entre Pierre et moi et m’enlace malgré mon tablier sale. Elle me fait un clin d’œil complice tandis que ma mère réprime un rire en pinçant les lèvres.
— Madame Sylvester, je ne savais pas que vous étiez arrivée…
— Je t’ai déjà dit plusieurs fois, appelle-moi Naomi ! Alors, c’est ça ta boutique ? Je ne l’avais vu qu’en photos, c’est vraiment magnifique ! Tu as fait un très bon travail à retaper l’endroit.
Je suis convaincue que Naomi ignore volontairement Pierre. Il continue de filmer la rencontre, mais fait très attention de ne pas pointer la caméra sur les visage de ma mère et de Naomi. Il connaît les lois sur le droit à l’image, au moins.
— Excusez-moi, bonjour ! Vous êtes ?
— Hum ? Dit Naomi en se tournant vers Pierre, l’obligeant à baisser rapidement la caméra de son téléphone pour qu’elle n’apparaisse pas à l’écran.
— Naomi, je te présente un cousin de la famille, déclare ma mère, Pierre. Il est influenceur, spécialisé dans l’architecture, c’est ça ? Il aide Ally à organiser le mariage.
— Oh, bonjour ! Pardonnez-moi, je ne vois que si rarement ma belle-fille. Je suis Naomi Sylvester, la mère de Gray.
Naomi offre sa main à Pierre qui la serre avec un sourire crispé.
— La mère du marié. Enchanté, madame. Si je peux me permettre, je fais une série de vidéos sur l’organisation du mariage de Gray et Lily. Avec leur autorisation, bien évidemment. Êtes-vous d’accord pour y apparaître ? Je suis en direct actuellement sur TikTok…
— Oh ! Oh, je ne savais pas que votre mariage faisait l’objet d’un documentaire ! Comme c’est excitant ! Vous pouvez me filmer, ça ne me dérange pas du tout, jeune homme. Mon mari ne sera pas emballé par l’idée, par contre.
— Aucun problème, merci, dit Pierre et redressant immédiatement son téléphone pour le pointer sur Naomi et moi – il semble avoir déjà demandé à ma mère ultérieurement puisqu’il fait attention à ne pas l’avoir dans le champ.
Dans la poche de mon tablier, mon téléphone se met à vibrer. Rominet. J’ai envie de me décaler de Pierre pour répondre, mais je sens qu’il ne va pas me laisser le choix. Je décroche et porte le téléphone à mon oreille.
— Rominet ?
— Titi, je t’appelle entre deux réunions, mes parents–
— Sont arrivés. Je sais.
— Bonjour mon chéri ! dit Naomi assez fort pour que Gray l’entende de l’autre côté de la ligne.
— Je vois qu’elle n’a pas mis longtemps à te trouver… Ça va ?
— Hm-hm. Elle est avec ma mère, elle a pu rencontrer Pierre, aussi. Il fait un live pour présenter la boutique à ses followers.
— Oh… Tu as besoin d’aide ? Tu veux que j’envoie un message à Kyle ?
— Non, t’inquiètes.
— Comme tu le sens, Titi. Faut que je laisse, désolé. Appelle-moi si tu as besoin, OK ?
— Oui. Bon courage pour ta réunion, commencé-je en sentant le regard de Pierre sur moi. À ce soir.
Je raccroche sans laisser le temps à Gray de répondre. J’aurais peut-être dû ajouter un « je t’aime » ou un « bisous » mais c’est au dessus de mes forces.
— Mon fils travaille, c’est ça ? J’espère qui a quand même pu croiser son père, il est allé voir de vieilles connaissances à l’université. Alors, ma chère Lily. Quel cookie me conseilles-tu de goûter ? On va s’installer dans un coin avec ta mère, on ne va pas te déranger plus longtemps, tu dois avoir fort à faire.
— Bien sûr, Naomi. Euh… Les préférés de Gray sont les myrtille-chocolat noir. Vous voulez essayer ?
— Allons-y pour ça ! Avec un café allongé, s’il vous plaît… Simon ?
Simon hoche la tête avec un sourire poli et tape la commande de Naomi sur la tablette. Ma mère commande ensuite un cookie aux noix de pécan et un latte caramel. Bien évidemment, je fais signe à Simon de ne pas leur faire payer leur commande. Naomi essaie de protester, mais ma mère lui assure que c’est peine perdue.
— Gray a aussi le droit à ses consommations gratuites ? demande Pierre, la caméra complètement braquée sur moi.
— J’espère pas ! s’exclame Naomi. Il passe son temps ici, il a intérêt à payer !
— Il a une ristourne, mais effectivement, il ferait un trop gros trou dans mes ventes. Et puis, s’il veut manger des cookies gratuitement, il n’a qu’à prendre ceux qui sont à la maison.
— C’est bien, c’est bien. Tu es bien la seule à ne pas te faire avoir par son charme, c’est pour ça que vous allez si bien ensemble ! Ah, merci Simon. Nadia, et si on allait se mettre là -bas ? Laisser Lily à son travail ?
Naomi prend le plateau sur lequel se trouvent leurs cafés et cookies et se dirige vers le fond de la salle, là où se trouve le canapé. Avant de s’éloigner, ma mère m’embrasse sur la tempe et me glisse quelques mots à l’oreille. Il semblerait que Naomi et elles aient décidé de s’investir dans la préparation du mariage. Ou plutôt dans sa « dé-préparation ». C’est le terme qu’elle a utilisé. Je ne sais pas ce qu’elle entend exactement par là .
Je les regarde s’installer avant d’être rappelée à l’existence de Pierre, toujours en live sur TikTok. J’aimerais qu’il parte. Je n’ai pas envie de le laisser seul dans la boutique, mais j’ai encore deux fournées de cookies à faire avant de pouvoir rentrer.
— Je peux vous présenter les différents cookies qu’on propose, si vous voulez ? propose Simon en s’adressant à Pierre. Si ça te dérange pas, boss ?
J’adore ce gamin. Il me sauve. Il ne parle pas beaucoup et ne s’investit jamais personnellement, il est très réservé mais il lit les émotions des gens comme si c’était un superpouvoir.
— Pas du tout ! Je suis désolée, Pierre. J’ai encore beaucoup de travail derrière. Je te laisse entre les mains expertes de Simon. Il connaît tout sur le bout des doigts.
Je me tourne vers mon employé et le remercie en silence. Il hoche simplement la tête avant de s’adresser à Pierre et à sa caméra. Il commence par préciser qu’il peut le filmer, puis se lance dans des explications très complètes de ce qu’on propose à Cookie Dough.
Pour ma part, je me dépêche de retourner dans la cuisine pour reprendre la préparation de mes dernières fournées de cookies. J’essaie le moins possible de regarder vers la salle. Je ne voudrais pas croiser le regard – la caméra – de Pierre. Une fois la première plaque de cookies au four, alors que je m’attaque à la deuxième, mon téléphone vibre : un message de Sylvia.
Sylvia : Ma chérie, Cookie Dough est dans les tendance sur TikTok.
Je fronce les sourcils ; je ne peux pas aller voir de quoi elle parle, je n’ai pas l’application. Bientôt, heureusement, Sylvia me transfère une copie d’écran de son téléphone. Parmi une liste de sujets divers, le nom de ma boutique est effectivement inscrite en rouge et suivie du petit dessin d’une flèche montante et du mot « Tendance ». Je reçois bientôt un nouveau message de Sylvia avec une nouvelle photo, similaire.
Sylvia : Vos PRÉNOMS sont dans les tendances ! Ils vous ont même créé un nom de ship !
Sur la deuxième image, ce qui doit être la suite de la liste des tendances du réseau social se compose effectivement de « Gray », « Lily » et « Grily ». Quoi que cela puisse vouloir dire.
Lily : Grily ? Comme… comme Destiel ? Sérieusement ?
Sylvia : Comme Destiel, Stolitz, Sterek !
Cette histoire est en train de prendre une tournure inattendue. Pas forcément dans le bon sens.
Sylvia : Presque cinq mille personnes regardent le live de Pierre.
Lily : Je suis pas sûre de vouloir savoir ce que disent les gens.
Sylvia : Beaucoup complimentent la boutique et le choix de cookies. Certains font des remarques sur Simon, je les signale aussitôt. Il y en a aussi pas mal qui voudraient que Pierre fasse une interview de Gray et toi. Il te proposera sûrement à un moment.
Lily : J’ai pas vraiment hâte… il risque de poser des questions un peu trop précises.
Sylvia : Peut-être… mais vous connaissant tous les deux, vous allez vous en sortir comme des chefs. Vous vous connaissez trop bien pour faire la moindre erreur.
Lily : On n’est pas amis, Syl. Il y a plein de choses que je ne sais pas sur Gray et qu’il ignore à mon sujet.
Sylvia : Je suis pas si sûre… Il te regarde comme si tu étais son univers tout entier.
Sylvia : Et ça ne date pas de votre fausse relation.
Je ne réponds rien, je fixe les derniers messages de Sylvia un peu trop longtemps avant de ranger mon téléphone dans la poche de mon tablier. Qu’est-ce que je suis sensée répondre à ça ? Lui dire que ce n’est pas vrai ? Lui dire que c’est de la comédie ? J’en suis à un point où je ne suis plus sûre de rien en ce qui concerne Gray. Il m’embrasse dès qu’il en a l’occasion – plutôt dès que je lui en laisse l’occasion, il me tient la main, caresse et masse mes épaules… Il fait tout ce qu’un petit ami ferait, et j’ai l’impression qu’il ne le fait pas exprès. Comme si c’était automatique, presque instinctif. Je me demande s’il agit comme ça avec toutes ses conquêtes. Je n’ai pas l’impression qu’il en ait beaucoup eu qui aient dépassé le stade de coup d’un soir ou d’amant sans attache. Mais comme je le disais à Sylvia, il y a des choses que j’ignore à propos de Gray…

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