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TW : avortement (passé)

Lily a pleuré dans mes bras pendant au moins cinq minutes avant de finalement réussir à calmer ses sanglots. Pendant ce laps de temps, j’ai refermé la porte de son appartement de mon pied et nous nous sommes installés sur le canapé : Lily assise à califourchon sur moi, le visage enfoui dans mon cou.

Reniflant et cachant son visage derrière ses mains, elle se redresse doucement. Je glisse mes mains le long de son dos avant de les faire reposer contre ses hanches. Mon puce trace, malgré moi, des ronds contre sa peau pour tenter de la rassurer encore. J’essaie d’apercevoir son regard à travers ses doigts entrouverts mais elle continue de me fuir.

— Tu peux tout me dire, Titi… Est-ce que j’ai fait ou dit quelque chose ? Est-ce que c’est mes parents ? Ma mère ? Elle peut ĂŞtre un peu…

— Non, non, dit-elle en secouant vivement la tĂŞte. C’est pas important.

— C’est important si ça te fait rĂ©agir de cette manière, Titi, dĂ©clarĂ©-je en caressant la ligne de ses cheveux pour remettre quelques mèches derrière son oreille. Je ne t’obligerais pas Ă  me dire si tu ne le veux vraiment pas, mais je m’inquiète de te voir comme ça. C’est littĂ©ralement jamais arrivĂ©. Sauf, si, peut-ĂŞtre pendant la pièce de théâtre de–

Le poing de Lily s’abat sans force contre mon torse pour m’empêcher de parler, et mon sourire se fraye de lui-même un chemin sur mon visage. Je sais comment la faire réagir. Son expression m’apparaît finalement : ses yeux sont rouges et gonflés, les traces des larmes coulées strient ses joues et les coins de son sourire sont tournés vers le bas. Je déteste la voir pleurer.

— Je t’ai dĂ©jĂ  dit de ne jamais reparler de ça.

— Je sais, pardonne-moi, Titi. Mais je m’inquiète vraiment…

Lily me frappe de nouveau de son poing fermé, toujours avec la force d’un oisillon. Ses sourcils se froncent alors que de nouvelles larmes semblent vouloir s’échapper.

— Tu m’énerves…

— Je sais…

Patiemment, j’attends qu’elle décide. J’attrape une larme échappée du bout du pouce. Je tente de rester concentrer sur les expressions de Lily, de ne pas trop analyser l’angoisse – la peur, même – qui compresse ma poitrine. Après de longues secondes, elle prend une grande inspiration, évite toujours mon regard et commence à triturer le bouton de manchette de ma chemise.

— Tu te souviens peut-ĂŞtre pas… La première annĂ©e de fac, j’ai dĂ» m’absenter pendant presque deux mois.

— Je m’en souviens, annoncĂ©-je doucement.

— J’ai eu des complications après une procĂ©dure…

La voix de Lily se brise, mais elle fronce les sourcils et se redresse, refusant de pleurer de nouveau. Je replace ma main libre – celle qu’elle n’a pas pris en otage – contre sa hanche et frotte doucement son côté.

— Deux mois avant, en fĂ©vrier, je suis tombĂ©e enceinte.

Lily ferme les yeux au souvenir, je me tends à l’entente de cette nouvelle information. J’ai envie de lui poser mille questions : Qui ? Quand ? Où ? Est-ce qu’elle était consentante ? Pourquoi elle ne m’en a jamais parlé avant ? Qui est au courant ? Mais je garde ma grande gueule fermée et attends. Elle me dira ce qu’elle a envie de me dire. Et je l’accepterai.

— Un type que je voyais Ă  l’époque, Daniel. C’était pendant une soirĂ©e dont j’avoue je me souviens pas complètement. On s’est revu peut-ĂŞtre trois ou quatre fois après ça, et puis on a fini par arrĂŞter, je sais mĂŞme plus pourquoi.

Une autre larme roule le long de sa joue, je l’écrase avec mon index et caresse sa joue. Elle n’a toujours pas levé le regard vers moi.

— Je lui ai jamais dit que j’étais enceinte. Je sais pas trop comment c’est arrivĂ©, on a utilisĂ© un prĂ©servatif, j’étais sous pilule. Mais bref. J’ai pris un rendez-vous au planning familial pour avorter. J’ai… Hum. J’ai dĂ» subir la chirurgie, c’était trop tard pour prendre les mĂ©dicaments. Et mon corps a pas bien rĂ©agit.

Un sanglot étrangle ses derniers mots, mais elle continue.

— Cacher Ă  mes parents non seulement la procĂ©dure mais les mĂ©dicaments que j’ai dĂ» prendre pendant plusieurs mois après a Ă©tĂ© un enfer. ZoĂ© et Sylvia savent pas non plus. J’avais tellement honte Ă  l’époque, j’ai–

Lily s’arrête et cache à nouveau son visage derrière ses mains. Cette fois, je les prends délicatement dans les miennes et accroche son regard. Je dépose un léger baiser sur ses phalanges.

— Tu n’as rien fait de mal, qīn'Ă i de… Toute l’histoire de la fausse grossesse te l’a rappelé ?

— C’est pas de leur faute, personne est au courant. Et j’y pense pas d’habitude. Mais je sais pas, là…

— Je suis dĂ©solĂ©e, Lily…

— Pourquoi t’es dĂ©solé ? Pourquoi tu– Tu m’énerves.

— Je suis dĂ©solĂ© que tu aies traversĂ© ça toute seule. Que tu aies eu l’impression Ă  l’époque que personne ne mĂ©ritait assez ta confiance pour t’aider dans ce moment difficile. Je suis dĂ©solĂ© d’être ton meilleur rival et pas quelqu’un Ă  qui tu peux tout confier sans peur…

— T’essaies de me refaire pleurer ? dit-elle en sanglotant lĂ©gèrement.

— Non, j’suis pas super fan d’une Titi en pleurs. J’me sens impuissant, c’est pas un sentiment très sympathique, dĂ©clarĂ©-je tandis qu’elle me lance un regard rĂ©probateur Ă  travers les larmes. Oui, je sais, je t’énerve.

Je m’approche lentement du visage de Lily et dépose mes lèvres contre son front. Je sens ses muscles se détendre, sa respiration retrouver un rythme à peu près normal. Des mots que je ne suis pas sensé lui dire se coincent dans ma gorge. Je déglutis pour tenter de m’en débarrasser, mais ça ne fonctionne pas.

— Et si on se commandait des sushis ? dis-je d’une voix un peu Ă©tranglĂ©e.

— Il est trois heures de l’après-midi.

— Je vois pas le rapport, et puis je suis sĂ»r que t’as pas mangĂ© ce midi.

J’embrasse très vite le bout de son nez froncé, et lui offre un sourire moqueur. Celui qu’elle connaît, celui dont elle a tellement l’habitude qu’il la rassure. Je sors mon téléphone et ouvre l’application de livraison. Je commande beaucoup trop de plats pour seulement deux personnes – surtout que j’ai déjeuné ce midi, donc je n’ai pas vraiment faim. Lorsque je pose mon téléphone sur le guéridon à côté du canapé, Lily me scrute du regard.

— Je sens que tu as une question, Titi.

— T’es vraiment pas le gourou d’un culte de masculinistes ?

— Tu trouves que je me comporte comme un masculiniste ?

— Non… Tu vends de la drogue ? Genre, des stimulants Ă  tes Ă©tudiants ?

— Je ne deal pas non plus, Titi… soupirĂ©-je.

Elle cherche à savoir d’où me vient l’argent dont ma mère a parlé tout à l’heure. Elle a raison, je ne gagne pas assez en tant que professeur universitaire pour qu’un mariage en grande pompe soit « largement dans mes moyens » pour reprendre les termes de ma mère.

— Tu veux pas me dire ?

Je suis incapable de lui refuser quoi que ce soit. Je le savais déjà, c’est bien à cause de mon incapacité à résister à ses grands yeux bleus que je suis dans cette situation à la base. Je laisse tomber ma tête contre le dossier du canapé et soupire longuement. Elle m’a raconté ce qui est probablement son plus gros secret, un traumatisme qu’elle n’a confié à personne. La raison de mes finances confortables est insignifiante à côté.

— Tu connais Lin Yi ?

— L’autrice de romances ? Oui, Sylvia en parle constamment. D’après elle, c’est la meilleure autrice du moment. « Elle Ă©quilibre parfaitement les sentiments amoureux, le drame sentimental et les scènes Ă©rotiques aussi poĂ©tiques que vivantes. » Je la cite, j’ai jamais lu ses livres. Pourquoi ?

Je grimace à l’entente de l’avis de Sylvia. Je sais qu’elle lit et apprécie ses livres. J’ai déjà vu certaines de ses vidéos YouTube, et j’ai même lu certains de ses articles. Elle fait d’excellents retours sur tout ce qu’elle lit, qu’elle ait apprécié ou non. C’est très appréciable pour un auteur…

— Gray… ?

— Tu me crois si je te dis que je suis Lin Yi ?

Le silence accueille ma question. Évidemment. C’est normal. C’est totalement improbable, et c’est pourtant vrai. J’ai envoyé un jour, il y a bientôt cinq ans, un roman que j’ai écrit pour passer le temps à une maison d’édition – ou plutôt douze, mais qui compte ? – et on m’a répondu positivement. J’ai sorti, depuis, quatre romans, tous sous le nom de Lin Yi. Tous dans le genre de la romance plus ou moins érotique, puisque c’est apparemment ce que mes lecteurs et lectrices aiment lire de ma plume. Mes romans se sont si bien vendus que je pourrais, techniquement, arrêté de travailler à l’université. C’est aussi parce que j’ai eu un excellent contrat pour le prochain roman, qui sort dans quelques semaines, que j’ai acheté la maison.

— Nan…, dit-elle septique.

— Je t’en supplie n’en parle Ă  personne… Ă  qui j’essaie de faire croire que tu vas m’écouter. ZoĂ© et Sylvia vont ĂŞtre au courant dans les vingt-quatre heures. Si tu peux juste pas le dire Ă  Kyle ? Faudra que je lui en parle moi-mĂŞme… un jour… peut-ĂŞtre.

— Tu Ă©cris professionnellement des romans d’amour Ă©rotiques ? Qui cartonnent en plus ? Hm… Et ils sont disponibles en livres audio ?

— Oui…, dis-je prudemment en la regardant sortir son tĂ©lĂ©phone de sa poche. Non, non, non, tu ne vas pas Ă©couter mes romans !

— Oh, ils sont lus par Tom Nigel et… jamais la mĂŞme autre personne. Ça veut dire que tu as un style de personnage rĂ©current, c’est ça ? Ou c’est toi qui a demandĂ© Ă  ce que ça soit lui qui lise Ă  chaque fois ?

— Lily…, tentĂ©-je de contrer sa recherche, mais en vain.

Elle se lève de là où elle était très confortablement assise, sur mes jambes, et commence à marcher dans l’appartement, se soustrayant toujours à mes tentatives de subtiliser son téléphone. On fait le tour du canapé et de l’îlot de la cuisine une bonne dizaine de fois pendant lesquels elle lit les titres des romans à voix haute tout en les ajoutant à son panier sur l’application. Finalement, elle s’arrête au beau milieu de la pièce et tourne l’écran dans ma direction. Elle vient de valider l’achat. Un immense sourire barre son visage, toute trace de ses précédentes larmes disparaissent progressivement de ses yeux rieurs. Je ne peux pas m’empêcher de refléter sa joie. Mes mains trouvent instinctivement sa taille, l’agrippent et l’attirent vers moi.

— OK, sussurĂ©-je. Sache deux choses avant de commencer ton Ă©coute. Toute ressemblance avec des Ă©vènements ou des personnes rĂ©els est totalement fortuite… mais je garantie que toutes les scènes d’intimitĂ© sont Ă  cent pour cent rĂ©alisables. Satisfaite ou remboursĂ©e.

Le visage de Lily vire au rose puis au rouge à la vitesse de la lumière. Son expression de surprise, lèvres entrouvertes, est une invitation à l’embrasser qu’il m’est presque douloureux de ne pas accepter. Je suis heureusement sauvé par la sonnerie de l’interphone. Notre commande de sushis. Lily s’échappe de mon étreinte comme si je l’avais brûlée et disparaît dans la cage d’escaliers. Elle n’a même pas pris le temps de mettre des chaussures, et la porte est restée grande ouverte.

Trois minutes plus tard, elle remonte les bras chargés de sac en papier brun eux-mêmes remplis de boîtes de sushis, makis et autres délicatesses asiatiques. Je la décharge et commence à sortir la commande sur la table basse. Lily évite de me regarder et s’occupe dans la cuisine.

— J’ai pensĂ© Ă  un truc, au fait, lĂ , en remontant… commence-t-elle.

— Oui…

— Vu qu’on n’a pas signĂ© de contrat prĂ©nuptial, vu que j’ignorais totalement que tu Ă©tais plein aux as… Je rĂ©cupĂ©rerai moitiĂ© de ta fortune quand on divorcera !

Elle me lance un sourire de défi. Je sais parfaitement que quand – « si » chuchote une petite voix dans ma tête – on divorcera l’année prochaine, elle ne voudra pas un seul centime. Mais ce qu’elle ne sait pas c’est que je peux lui donner tout ce que je gagne si elle me le demande.

— Ça c’est si t’arrives Ă  me dĂ©barrasser de moi, Titi…, rĂ©ponds-je moqueur, avant de changer de sujet : Tu as des baguettes ?


Texte publié par mad.autrice, 15 octobre 2025
© tous droits réservés.
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