L’accouchement de Sylvia s’est éternisé. On n’a donc, évidemment, pas pu rester pour avoir des nouvelles, les heures de visites se terminant – nous n’étions pas qualifié comme « famille proche ». Kyle est rentré chez lui, et je m’attendais à ce que Gray vienne à l’appartement. Mais il m’a annoncé avoir besoin d’aller chercher quelque chose dans sa maison. Je n’ai pas l’impression qu’il me mente, mais il ne me dit pas tout. Kyle et lui ont discuté de quelque chose qui a changé sa manière de se comporter. Ce n’est pas flagrant, mais son assurance d’il y a quelques heures a disparu.
Je m’attendais à ce qu’il me suive à l’appartement et qu’on « reprenne là où on s’est arrêté » pour reprendre ses mots. Mais à la place, j’ai dormi toute seule, et je me suis réveillée toute seule alors que ça fait une semaine qu’il fait office de radiateur dans mon lit. Pendant ce temps là , il a fait Dieu sait quoi dans sa maison.
Je ne suis pas déçue à proprement parler… Un peu énervée, peut-être. Mais c’est tout, je m’attendais pas non plus à quoi que ce soit, c’est pas comme s’il m’avait promis monts et merveilles. On n’est qu’un faux couple, il n’y a rien entre nous. Je n’ai aucune raison d’être fâchée ou vexée ou déçue.
— C’est quoi cette tête de déterrée, Lily. C’est toi ou moi qui ai passé la nuit à sortir un mini être humain de mon corps ?
— Pardon ! Pardon, Syl, dis-je en secouant la tête pour arrêter de penser à Gray.
Une grappe de ballons multicolores flotte au dessus de ma tête, et une demi-douzaine de bouquets de fleurs s’alignent contre la fenêtre de la chambre d’hôpital. Sylvia a l’air absolument parfaite malgré le peu de sommeil auquel elle a eu droit. Mon très cher filleul est né en fin de soirée, et il est actuellement avec son autre maman. Elle doit le ramener dans la chambre pour que je le rencontre enfin. J’ai tellement hâte !
— Il s’est passé quelque chose avec Gray, c’est ça ?
— J’suis pas sûre que ça soit vraiment le moment d’en parler… dis-je en fronçant le nez, prête à changer de sujet.
— C’est exactement le bon moment. Après, tu vas être après mon fils, et tu vas oublier de nous en parler. Et je te vois venir, si tu me dis que c’est pas important je te fais bouffer un ballon.
— T’oserais pas… T’es en convalescence.
— Essaie pour voir. Tu sais, ma chérie, t’es pas habile avec le maquillage. On le voit le suçon dans ton cou.
Je place ma main contre la rougeur qui décore la base de ma nuque, juste derrière mon oreille. Elle est encore sensible, bien qu’elle date d’hier après-midi. Gray n’y est pas allé de main morte. Je masse la marque et évite le regard de Sylvia. Ce qui serait génial, là , maintenant, c’est que Zoé arrive avec le bébé. Comme ça, je n’aurais pas à parler de ce qu’il s’est passé hier entre Gray et moi. Et je n’aurais pas à parler de ce que je ressens aujourd’hui, du fait qu’il n’ait pas dormi à l’appartement, et qu’il ne m’ait pas donné d’explication à pourquoi.
— Lily…
— Je vais bien. Je gère. C’est pas le sujet du jour. Aujourd’hui, on fête la naissance de mon filleul. Qu’est-ce que fais ta femme, d’ailleurs ?
Sur ces mots, la porte de la chambre s’ouvre sur Zoé. Elle entre à reculons, faisant rouler l’un de ces berceaux d’hôpital. Je me lève, et commence à sautiller sur place. J’ignore le regard de Sylvia qui me dit clairement, silencieusement, que la conversation n’est pas finie.
J’embrasse et félicite Zoé avant de me tourner vers le petit être blotti dans une couverture, un bonnet vert sur la tête. Il est absolument adorable. Il a la peau foncée et les cheveux frisés, exactement comme Zoé, et ses grands yeux cherchent qui regarder.
— Il est si beau…
— Tati Lily, je te présente Nino. Tu veux le porter ?
— J’ai le droit ?
Zoé sourit et prend le bébé dans ses bras, puis le positionne pour que je puisse le prendre à mon tour. Il est minuscule. Il gigote un petit peu avant de gazouiller en regardant vers moi. J’essaie de ne pas penser à il y a dix ans, je dois me concentrer sur ce petit bout de chou qui va être le plus pourri gâté de tous les enfants.
— Félicitations, il est parfait, dis-je sans cesser de l’observer.
De son côté, Zoé contourne le lit pour embrasser sa femme, et vois les deux grands sacs que j’ai déposé là en arrivant. Ils sont remplis de vêtements pour enfants que j’ai faits moi-même au crochet. Il y en a de toutes les tailles et de toutes les couleurs.
— Mais ça va pas, non ?
— Je vais très bien, et il y en a pour au moins un an là -dedans. Sachant que je vais en faire d’autre entre temps. Et je n’accepterais aucun refus. Vous avez décidé de faire de moi la marraine de cet enfant, assumez.
Je leur tire la langue tandis que Sylvia rit et Zoé lève les yeux au ciel. Alors que je m’installe sur le fauteuil au coin de la chambre, cent pour cent focalisée sur Nino, je ne remarque que trop tard les regards que s’échangent Sylvia et Zoé, et le changement de posture de ma meilleure amie alors qu’elle se tourne vers moi.
— Tu as couché avec Gray ?
Elle a de la chance que je ne sois pas du genre à être facilement surprise – et que j’avoue, je m’attendais un peu à la question. Je relève si vite la tête vers Zoé qu’une tension vient se placer dans ma nuque et le long de ma colonne vertébrale.
— Ca va pas de me poser cette question quand je tiens ton fils ?
— Justement, t’es bloquée, t’as pas le choix que de répondre à la question.
— Pourquoi ça vous intéresse tant si j’ai couché avec Gray ou pas, boudé-je.
— C’est pour savoir si je dois me créer un alibi ou pas.
— Et surtout pour savoir qui a gagné le pari entre Zoé et Kyle ! sourit Sylvia.
— Quel pari ? Et pourquoi t’aurait besoin d’un alibi ?
— S’il t’a touché sans ton accord, j’ai besoin d’un alibi pour quand son corps réapparaîtra sur la côte.
— Zoé… commencé-je avant que Nino ne me rappelle à lui en gazouillant. Bébé, ta maman fait peur, tu sais ? Elle veut faire du mal à ton Tonton Gray.
— C’est pas son oncle, marmonne Zoé.
— Bien sûr que si c’est son Tonton Gray ! s’exclame Sylvia. Au même titre que ce sera Tonton Kyle.
— Mouais, mouais. T’as pas répondu à ma question, Lily, n’empêche. Est-ce que je dois me créer un alibi ?
— Il ne m’a pas touchée, soupiré-je. Enfin… un peu, mais pas…
J’allais dire « pas assez ». Je grimace et regarde Nino qui s’endort pour éviter de croiser les expressions de mes deux meilleures amies. Je sais que Zoé va être sceptique, et que Sylvia va avoir un grand sourire sur les lèvres. J’ai pas besoin de le voir.
— T’aurais voulu, c’est ça ? demande Zoé. Ça se voit sur ta tête, ma chérie. Et merde, j’voulais une excuse pour lui en mettre une…
— Tu dois dix balles à Kyle, chantonne Sylvia à l’intention de son épouse.
— Nope, je ne lui dois rien pour l’instant. Tous les termes ne sont pas encore atteints.
— Vous avez parié sur ma relation avec Gray ?
— On n’a pas parié… on a émis des hypothèses.
— Vous avez parié. Vous êtes sérieux ?
— Ca fait quinze ans que je vous vois vous tourner autour, et Kyle n’a jamais été convaincu qu’il ne se passait rien entre vous. Donc on a juste fait ça pour passer le temps. Qui aurait pu prédire qu’il y ait besoin d’un faux mariage pour que le pari avance !
— Qui a parié quoi, du coup ? Ca m’intéresse.
Je tourne la tête vers la porte qui était restée ouverte. Gray se trouve dans l’encadrement, un sac en papier dans une main et un petit paquet rectangulaire dans l’autre. Il se penche vers Sylvia, sourire aux lèvres.
— Salut, j’peux entrer ?
— Bien sûr, entre Gray ! répond Syl en lui rendant son sourire.
Je me ratatine dans le fauteuil et me concentre à nouveau sur le visage endormi de Nino. Je suis peut-être encore un peu vexée qu’il ne soit pas revenu à l’appartement hier soir. Et surtout qu’il ne m’ait pas donné de raison. Du coin de l’œil, je le vois quand même s’approcher de Zoé et Sylvia ; il tend le sac à l’une et le paquet à l’autre.
— J’espère que vous ne m’en voudrez pas, je me suis dit que les mamans aussi avaient le droit à des cadeaux. Il y a un petit quelque chose pour le bébé.
Zoé ouvre le sac en papier dans lequel se trouve d’abord une petite boite rouge, qui ressemble beaucoup à un écrin à bijou. En l’ouvrant, elle découvre une sorte de décoration faîte de perles vertes et d’un petit poisson rouge doré.
— C’est une décoration à accrocher dans la chambre, ou sur l’un de ses sacs à langer, c’est au choix vraiment. Le jade et le poisson rouge sont des talismans pour apporter chance et prospérité dans la culture chinoise.
— C’est magnifique ! s’exclame Sylvia.
— Merci beaucoup, Gray… dit Zoé en admirant le cadeau. C’est très gentil.
Je lève les yeux vers Gray ; il est tout sourire, et ne me regarde absolument pas. Je ne suis pas vexée. Zoé plonge sa main dans le sac et en sort un paquet d’assez grande taille. Je me demande si c’est Gray qui a fait l’emballage, on dirait du travail de professionnel.
— J’espère que tu fais toujours du scrapbooking, sinon je vais avoir l’air très con.
Zoé arrache le papier pour révéler un set de scrapbooking que je suis certaine elle n’a pas déjà et doit coûter assez cher parce qu’elle lance à Gray un regard à la fois reconnaissant et meurtrier.
— Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait du professeur Sylvester ?
— Content que ça te plaise, Zoé, répond-il simplement d’un rire.
Elle marmonne un « merci » qui ne fait qu’agrandir le sourire de Gray. De son côté, Sylvia déchire l’emballage et ses yeux s’ouvrent aussi ronds que des soucoupes. Son attention passe de Gray au livre qu’elle tient dans ses mains à de multiples reprises.
— Ne flippe pas, dit-il en prévention. Oui, c’est le prochain roman et il est dédicacé. Et c’est pas un service presse, c’est un cadeau. Tu en fais ce que tu veux.
— Merci, merci, merci ! s’extasie Sylvia en lisant la dédicace sur la page de titre. Je vais le savourer.
— Tu parles, elle l’aura lu d’ici demain, marmonne Zoé.
— Fais attention petit Nino, ton Tonton Gray essaie de se mettre tes mamans dans la poche, il faudra que tu les protèges, OK ? déclaré-je au petit endormi dans mes bras.
— Écoute pas Titi Lily, elle raconte n’importe quoi. Bienvenue dans le monde, petit Nino.
Nino ouvre un œil et gazouille avant de se rendormir.
— Je rêve ou tu m’as appelé Titi Lily ? C’est pas comme–
Je suis coupée dans ma phrase, Gray m’embrasse juste quand je relève la tête vers lui pour l’enguirlander. Son expression est un peu moqueuse, mais c’est autre chose que je lis principalement dans son regard. Quelque chose qui ressemble à de la tendresse ?
— Bonjour qīn’à i de… murmure-t-il contre mes lèvres.

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