Il est presque trois heures de l’après-midi et je commence à avoir envie de faire une sieste. Zoé et Sylvia sont parties après qu’on ait fini les pizzas, soustrayant Nino à mes câlins. Il a été réveillé étonnamment longtemps pour une petit de seulement quelques jours. Kyle est quelque part dans la maison avec Gray, je ne sais pas ce qu’ils font. De mon côté, je sirote un thé, allongée dans un transat que j’ai déplacé au soleil. Avoir quelques instants seule me permet de reprendre les derniers évènements, et surtout le plan que mes amis ont concocté, point par point.

Après les rumeurs lancées par la vidéo d’hier, Sylvia a décidé d’utiliser sa notoriété pour tenter de contrer. Comme elle apparaissait dans les vidéos de Pierre, ses abonnés savaient déjà qu’on était lié. Elle en a profité pour pousser une gueulante sur son compte. Je ne suis pas particulièrement enchantée par l’idée qu’elle entre de plein front dans cette histoire. Je sais qu’elle a, elle aussi, reçu des messages de la part de mes détracteurs. Elle m’a dit que ça faisait partie du job… mais quand même.

Kyle a contacté Ally. Elle était dévastée par ce qu’il s’est passé, de ce qu’il m’a raconté. Elle m’a envoyé plusieurs messages auxquels je n’ai pas encore eu le temps de répondre… Il faudrait que je l’appelle. Au moins pour la rassurer, lui assurer que les rumeurs sont fausses.

Je me redresse pour m’asseoir en tailleur et attrape mon téléphone. Je vais parmi mes derniers appels, et après le numéro de mes parents que j’ai appelé pour les rassurer plus tôt ce matin, il y a le numéro d’Ally. Après deux sonneries, elle décroche.

— Oh mon Dieu, Lily ! Je suis tellement contente de t’entendre, comment vas-tu ? Je suis tellement désolée de ce qu’il se passe ! Kyle t’a dit notre plan ? Je suis sûre que ça va fonctionner, on va leur fermer leurs grandes bouches à tous ces gens ! Ils ne savent pas à qui ils s’en prennent !

Entendre ma cousine déblatérer son monologue me fait sourire. Elle, au moins, ne changera jamais. J’attends qu’elle prenne finalement une assez grande inspiration pour me laisser le temps d’en placer une.

— Je vais bien, Ally. Plus de peur que de mal…

— Attends, attends, je t’appelle en visio !

La ligne se coupe, et deux secondes plus tard mon téléphone sonne. Lorsque je décroche, le visage d’Ally occupe tout mon écran.

— T’as l’air fatiguée ! Je suis tellement désolée que tout ça te soit arriver, Lily. Tu ne le mérites tellement pas…

Je ne lui dit pas que mon air fatigué n’a absolument rien à voir avec les évènements de la veille à la boutique et tout à voir avec le professeur Gray Sylvester. En parlant du loup, je le vois du coin de l’oeil. Il revient seul sur la terrasse, et s’assoit derrière moi, les jambes de chaque côté du transat. Il apparaît donc à la caméra pour Ally.

— Salut Gray ! Tu vas bien ? Dis-moi que tu vas bien, t’as l’air fatigué aussi…

— J’ai passé ma nuit à réconforter Lily, j’ai pas beaucoup dormi.

Je me tourne à moitié pour le toiser du regard, il me rend simplement son éternel sourire charmeur. À voix basse, je lui demande où est Kyle ; il me répond qu’il a eu un coup de téléphone de son avocat et qu’il a dû aller le voir d’urgence. Je ne sais pas si ça nous concerne, par rapport à Oliver, ou si cela a à voir avec le divorce ; je crois que Gray en sait plus mais qu’il ne veut pas m’en parler maintenant.

— Du coup, Kyle vous a parlé de son plan ? C’est un super plan !

— Il nous en a parlé, répond Gray. On doit juste discuter de quelques éléments avec un avocat, avant. Tu te doutes bien qu’il est hors de question qu’on laisse ça passer…

— Évidemment ! s’exclame Ally. C’est légitime de votre part. Du coup, on est d’accord qu’on garde la date du mariage, vendredi prochain ? Tout ça ne vous a pas donné l’envie de tout annuler ?

— On n’annule pas, déclare Gray. On a déjà payé, de toute façon.

— Tu as travaillé dur sur l’organisation, ça ne serait pas juste pour toi non plus, précisé-je.

— OK, c’est super ! Je vais terminer les quelques dernières choses à régler, du coup ! Et je vais réessayer de contacter Pierre. Je ne sais pas, il ne répond plus à mes messages depuis deux jours, j’espère qu’il va bien ! Je pense que je vais passer chez lui… Je pense qu’il pourrait aider avec son compte TikTok, il a beaucoup d’abonnés !

Ni Gray ni moi ne répondons quoi que ce soit. Un « au revoir » suffit, et je raccroche. Je n’ai pas le courage d’annoncer à Ally qu’il y a des chances que ces rumeurs et la vidéo diffamatoire soient une idée de Pierre.

— Tu es sûr que le plan de Kyle est une bonne idée ? demandé-je à Gray.

— Une bonne idée, je ne sais pas. Mais c’est la seule qui soit viable, je pense. On a affaire à l’avis public… c’est loin d’être facile à gérer. C’est bien pour ça que j’ai choisi d’avoir un nom de plume pour mes romans.

— Tu ne vas pas avoir de problème avec ta maison d’édition d’ailleurs ?

— Non, personne ne connaît mon identité civile, donc ça ne touchera pas la réputation de Lin Yi.

— D’ailleurs, j’ai une question à propos de Lin Yi… Où est-ce qu’il trouve son inspiration ?

Les bras de Gray viennent s’enrouler autour de ma taille pour me plaquer contre son torse – comme s’il ne passait pas déjà son temps comme radiateur personnel, toujours à avoir un contact physique avec moi. Non pas que ça me dérange, ça ne me dérange pas vraiment même avant toute cette histoire, je suis quelqu’un de tactile.

— Il l’a trouvée dans plusieurs choses… les dramas asiatiques, dans les romans à l’eau de rose de ses collègues, et peut-être un petit peu dans ses fantasmes d’une Titi…

— Sérieux ? dis-je sans pouvoir empêcher un sourire de se frayer un chemin sur mon visage.

— Bien sûr, dit-il en déposant un baiser sur mon épaule. Je crois que face à toi, j’ai toujours été un petit jeune amoureux d’une fille trop bien pour lui.

— Je suis pas trop bien pour toi, Rominet.

— Hm… si, un peu quand même.

Je secoue la tête et sens le souffle de Gray dans mon cou.

— Rominet…

— Hum ?

— Qu’est-ce qu’on fera une fois que le transfert de propriété sera fait ?

— Comment ça ?

— Pour le mariage… dis-je d’une petite voix.

— Tu voudras divorcer… ?

— Tu veux ?

— Certainement pas, annonce-t-il. Je t’aime, Titi. Et ça fait bien plus longtemps que les quelques semaines que dure le mariage… Mais je me plierai à ce que tu souhaites. Après tout, on n’a pas fait les choses dans l’ordre habituel. Je comprendrais que tu veuilles une vraie demande, un vrai mariage, avec tout ce qui va avec.

— Tu sais… Ça n’a jamais été trop mon style les grandes fêtes. Et puis, on l’a un peu eu avec Ally, au final… Et tu m’as offert une bague de fiançailles… Mais j’ai peur qu’on se brûle les ailes… Je sais pas quoi penser, soufflé-je.

— On peut aussi juste… y penser plus tard ?

— Monsieur, qui êtes-vous et qu’avez vous fait du professeur Sylvester ?

Gray rit dans mon cou.

— J’ai passé beaucoup trop d’années à trop réfléchir quand il s’agissait de toi, Titi, de notre relation, de ce dont je rêve avec toi. Je veux me focaliser sur le moment présent… Je me fiche qu’on ait pas suivi les règles.

Je me détache de son embrassade pour m’installer face à lui. Je prends son visage entre mes mains et l’embrasse.

— Faisons ça… Profitons du moment présent…

Le sourire de Gray me confirme que je n’ai pas de raison de m’inquiéter. J’ai confiance en lui. Même si on n’a pas fait les choses dans les règles, même si tout ça a démarré par un mensonge, je sais qu’avec Gray, ça se passera bien.