Il n’y a plus d’enfants. La sorcière les a dévorés un à un jusqu’au dernier. Les bambins ne rentraient plus dans la forêt, ne s’approchaient pas non plus de la bordure. Alors, l’estomac aussi vide que le trou où aurait dû se trouver un œil, elle s’était résignée à quitter la sécurité de ses bois. La cabane branlante qui avançait de ses pattes de poulet ne se contentait plus d’effrayer les randonneurs. Les citadins étaient terrorisés et ni le feu, les fourches, les lames ou les canons n’étaient venus à bout de la mégère et de sa demeure. À la terreur s’était ajoutée la maladie et la famine. Puis est arrivée la guerre. Le pays a été englouti par un autre et la cabane a pu avancer plus loin encore et ni les armes à feu ni les bombardements ne purent seulement abîmer sa vieille toiture. Et la sorcière continuait de dévorer les enfants avant que la fièvre, la faim ou les combats ne les emportent. Jusqu’à ce que ces terres soient conquises par un autre pays et les pattes de poulet étendent leur malheur.

Cinquante lunes se sont déroulées de cette manière. Et il n’y a plus d’enfant. La sorcière est morte de faim, mais elle a jeté une malédiction sur les terres maudites où elle est née. Quand un enfant de sa patrie naîtra, elle reviendra. Et elle le dévorera.