L’enfant pleure, hurle, court. Il boite, il a mal. Il ne sait plus quel chemin emprunter pour espérer rentrer chez lui. Il appelle sa mère, son père, mais personne ne répond. Est-il loin du village ? Il ne sait pas. Il n’en a aucune idée. Il a voulu faire comme son grand-frère le lui a appris, semer des cailloux sur son chemin pour ne pas se perdre et pouvoir rentrer chez lui avant l’heure du repas. Mais la nuit est tombée trop vite, trop rapidement que d’habitude et il s’est perdu, n’a plus retrouvé les cailloux. La peur a alors dévoré ses entrailles tandis que les animaux nocturnes se sont réveillés. Il sait pourtant qu’il n’a pas le droit de s’éloigner de la ville, mais son grand-frère lui a parlé d’un endroit, d’un point d’eau où on peut voir des feu-follets danser entre eux. De nombreuses petites flammes d’un vert qui bouge au-dessus des eaux comme une douce, lancinante et triste chorégraphie. Le petit garçon curieux ne voulait pas rater ça, souhaitait découvrir ce ballet enchanté. Mais maintenant, il ne voit pas le sentier, se cogne contre les troncs et se prend les racines. Tout lui fait peur.
Et la cime des arbres dissimule la lune et les étoiles.
Un rire l’effraie, l’oblige à ne pas ralentir. Peu importe s’il est perdu tant qu’il parvient à tenir la nuit et à trouver quelqu’un pour venir à son secours. N’importe qui. Une âme vagabonde, mais gentille. Il renifle, tient son bras gauche. Il n’y a plus de main, plus de coude. Un monstre invisible l’a arraché de ses doigts crochus. Ou était-ce des dents pointues ? Il l’ignore. Il a juste peur et n’a plus assez de larmes pour l’exprimer. Le sang coule trop, il est fatigué. Il a faim, froid, soif. Ses pas le mènent à un point d’eau, trempant ses pieds douloureux. Où est-il ? Et puis, une flamme verte volette au niveau de ses yeux et plusieurs autres dansent autour de lui. Ce sont eux. Les feu-follets. De sa voix enfantine et chevrotante, il les supplie de l’aider à retrouver son papa et sa maman, promet qu’il ne retournera plus dans la forêt. Étrangement, c’est comme si ces lucioles surnaturelles le comprennent et acceptent. Elles se déplacent de manière aérienne, forment une ligne à suivre, une voie à emprunter. Le garçon hésite, craint le pire, mais le rire effrayant derrière lui le décide et le voilà à nouveau en train de courir. En train de fuir.
Il ne sait pas combien de temps sa course dure, mais le soulagement lui dévore le corps quand il reconnaît les toits de sa ville, les lumières factices, les cris de ses parents qui l’appellent avec désespoir. Il hurle à son tour, redouble d’effort tandis que les feu-follets disparaissent. Le rire sinistre se rapproche tout comme la voix de son père qui sprinte jusqu’à lui. Le rire est dans ses oreilles, mais le géniteur le prend dans ses bras et l’enfant sait. Il comprend que le monstre a bien failli le rattraper, le capturer et le dévorer. Si son paternel ne l’avait pas plaqué contre son torse, il serait mort, dévoré. Ils reviennent rapidement dans la sécurité de la cité, affolés d’avoir entendu ce sinistre gloussement. Tous demandent de quoi il s’agit, qu’est-ce que ça bien être ? Et puis, ils voient le petit garçon bien trop pâle s’évanouir. La faim, la soif, la peur, la fatigue et surtout la blessure ont eu raison de lui. C’est au tour de la famille de courir. Ils l’amènent au centre médical qui le prennent immédiatement en charge. Ils ne promettent pas de le sauver.
C’en est trop pour cette humble ville. C’est le dixième enfant qui s’éloigne dans cette forêt. C’est le seul qui est parvenu à en revenir. Le régent décide qu’il est plus que temps d’agir, les Six ont bien trop fermé les yeux. Fort heureusement, il est entendu, écouté, et la mégalopole accepte de les aider. Dix volombres. Cela signifie que cette situation anormale est bien plus grave que ce qu’il imaginait. Dix volombres. Dix assassins. Il doit prévenir les familles. Il doit leur interdire de briser les lois et d’appeler leur enfant par leur prénom. Ou ce ne sera pas le monstre dans la forêt qu’ils vont traquer et tuer.
Ce seront eux.
Le silence est lourd, pesant, lorsque leur véhicule arrive enfin à destination. Ils descendent, déjà armés, déjà prêts à commencer les recherches et l’expédition. Mais chaque chose en son temps, ils se doivent tout d’abord de rencontrer le porteur d’alerte, le représentant de cette cité. Le régent. Ce dernier se présente mal rasé, les joues creusées, les yeux cernés et bien mal fagotés. Il s’excuse platement pour sa piètre présentation, mais depuis les attaques et les disparitions, il peine le temps à seulement se restaurer. C’est Manna qui parle, comme à chaque fois qu’ils doivent apaiser les esprits, rassurer les citoyens. Ils ont entendu, écouté, leur appel à l’aide et ont été envoyés pour les débarrasser de cette créature. Quoi que cela puisse être, la ville retrouvera la paix et la tranquillité. S’ils ne peuvent pas le promettre, ils feront au moins ce qu’ils peuvent.
— Racontez-nous dans les moindres détails tout ce qu’il s’est passé. Même si vos suppositions sont extravagantes, exige Ansuz de sa voix éternellement froide.
Et c’est ce que le régent fait immédiatement, ne prenant même pas la peine de les enjoindre à les suivre dans sa demeure ou de leur proposer un repas. Il est, lui aussi, épuisé, angoissé. Il peine à contenir le calme dans sa cité et maintenant que les renforts sont arrivés, il ne parvient plus à garder son propre calme. Il décrit le rire effrayant qui hante la vieille forêt, les enfants qui s’y rendent grande raison, juste poussé par la curiosité de découvrir des feu-follets, et qui n’en reviennent pas. Il décrit les nombreuses traces de sang dans les lits, sur l’écorce des arbres, des habits déchirés dans les flaques d’eau ou accrochés aux branches. Des enfants qui disparaissent et qui ne sont jamais revenus, du dédain des Six lors de ses multiples appels à l’aide. Les habitants de cette ville ne savent plus quoi faire pour protéger leurs bambins. Ils sont désespérés.
— Le rapport a indiqué un survivant, note Ansuz.
— Il a été envoyé au centre médical de toute urgence. La chose dans les Bois des Damnés lui a arraché l’avant-bras jusqu’au coude. Le garçon pensait à des crocs, mais les soigneurs sont formels : c’est comme si quelqu’un avait tiré sur le membre de toutes ses forces et l’avait arraché. Ils ont aussi souligné qu’encore quelques minutes et il perdait la vie. C’est un miracle qu’il soit encore vivant.
— Un miracle et de la chance, corrige la volombre. Manna va aller l’interroger lui et ses parents. Raidho… Raidho ?
Ladite Raidho n’a écouté que la moitié des explications du vieux régent. Dès lors qu’elle a entendu que le responsable se cachait dans la forêt, elle n’a pas tardé à s’y diriger, à se coller à lisière et en scruter l’intérieur. La jeune femme ne saurait pas l’expliquer, mais il y a bel et bien quelque chose à l’intérieur.
Quelque chose de malsain.
Ses yeux vairons se plissent tandis qu’elle est persuadée d’avoir entraperçu quelque chose au loin. Ça bouge, ça titille sa curiosité. Ça l’appelle. Elle veut avancer, vérifier ce dont il s’agit, mais une main se pose sur son épaule et elle n’a qu’à tourner la tête pour voir le regard désapprobateur d’Algiz. Il comprend sa réaction, la ressent lui aussi, mais ils ne peuvent pas prendre le risque de s’éloigner et de s’exposer au danger sans avertir les autres. Raidho est la leader du groupe, la cheffe de cette mission. Elle n’a pas le droit d’échouer. Alors, la volombre accepte de le suivre jusqu’au régent et Ansuz qui l’interroge sur son absence.
— Il y a bien quelque chose dans cette forêt. Nous l’explorerons demain, annonce-t-elle. Othala, tu vas regrouper tout ce qu’on sait sur les Bois des Damnés. Eihwaz, as-tu bien étudié les cartes de cette forêt ?
— Les forêts et les alentours, affirme-t-il.
— Bien. Manna avant d’interroger la famille du rescapé, tu vas me brancher sur la fréquence de Fehu, je dois lui parler. Les autres, vous interrogez les habitants. Pas seulement les familles des victimes. On ne doit rien laisser au hasard. Compris ? Alors exécution.
Tous opinent du chef sans rechigner. Ils savent qui doit diriger, qui doit ordonner. Ce n’est pas la première fois que Raidho doit les leader. Ce n’est pas la première fois qu’elle laisse Ansuz prendre sa place avant de la récupérer. Ce n’est pas la première fois qu’Ansuz veut prendre la place de cheffe, mais se la voit refuser par Fehu. La quatrième rune jalouse la cinquième qui ne s’en préoccupe guère. Elle-même ne comprend pas pourquoi ce rang. Fehu a pourtant connaissance des compétences supérieures de la froide volombre. Mais il est la première rune, celui qui les dirige et les guide. Il n’a pas à s’expliquer. Pas tout de suite.
— Connexion établie.
Les deux femmes sont dans le serpent de métal, à l’abri des ouailles et des regards curieux. Raidho remercie Manna et d’aller maintenant à sa prochaine tache. Elle lui demande également à transmettre ce message-ci à tous les volombres : qu’ils reviennent tous faire leur rapport une fois qu’ils auront toutes les informations. La jeune femme acquiesce et la leader a le temps de voir ses cheveux blonds disparaître derrière une maison avant que l’hologramme de Fehu daigne apparaître. Son expression trahit sa surprise et son mécontentement.
— Raidho. Tu ne dois pas me contacter avant demain. Tu brises le protocole.
— J’ai vu quelque chose dans la forêt, Fehu. Je n’y suis pas rentrée, mais il y a bien quelque chose de mauvais qui provoque les morts et les disparitions.
— Un vulgaire assassin…
— … n’a pas la force nécessaire pour arracher à main nue tout un avant-bras, même si cet avant-bras appartient à un enfant. Même Thurisaz ne le pourrait pas.
— L’enfant. Est-il encore en vie ?
— Aux dernières nouvelles oui. Manna est partie l’interroger lui et sa famille.
— Où est Ansuz ?
— Je l’ai envoyée avec d’autres interroger tous les habitants. Ils ne reviendront pas avant ce soir me donner leur rapport. Othala rassemble les données sur cette forêt. Je pensais la rejoindre après notre entrevue.
— Qu’en pense Ansuz ?
— Je ne lui ai encore rien dit.
— Je veux être le premier informé de tout ce que vous découvrirez dans cette forêt, c’est compris ? Tu as carte blanche pour agir, mais agir efficacement. Les Six… il y a quelque chose qui ne va pas, glisse-t-il sur le temps de la confidence. Depuis qu’ils ont entendu parler du problème des Bois des Damnés, ils semblent anxieux. Dis-le-moi si ça dégénère et je t’envoie les treize autres, c’est compris ?
Raidho opine du chef et l’hologramme s’éteint immédiatement après. Ses muscles se sont raidis à l’entente de la potentielle aide offerte. Si Fehu parle des Six avec inquiétude, s’il est capable d’annuler toutes les missions pour que les volombres soient réunis, c’est quelque chose de grave se prépare. La menace se trouvant dans les Bois des Damnés n’est pas à prendre à la légère. Mais pourquoi leur guide ne veut-il pas que Raidho informe Ansuz ? Pourquoi lui en premier ? Elle secoue la tête et soupire d’agacement face à ses questions sans réponses qui s’accumulent. Cette mission s’avère finalement plus difficile et plus grave que prévu. Seraient-ils tombés dans un piège ? Ce ne serait pas la première fois que des individus chercheraient à se débarrasser d’eux.
Les volombres ne sont que des assassins, des voleurs d’âmes et d’enfants. Ils n’ont pas leur place dans ce monde, dans cette vie. Ils n’ont pas le droit d’ôter des vies. Ils doivent disparaître ou mourir, ces monstres ! Sales monstres ! Sales monstres ! Dehors les monstres ! On n’veut pas de vous ! Vot’ mère aurait mieux faire de vous avaler ! À mort, les monstres ! Assassins ! Meurtriers ! Dehors !...
Voilà ce que la plèbe hurle aux racines des bâtiments. Voilà ce qui atteint les ouailles de ces porteurs de runes. Voilà pourquoi des personnes essaient par tous les moyens de les occire, de les éliminer jusqu’au dernier. Nul doute que ce devait être la première théorie de Fehu, mais l’annonce de l’enfant dorénavant manchot a dû mettre à néant cette classique théorie. Raidho s’empare de son talkeur accroché à sa ceinture – comme de nombreuses choses utiles pour sa survie – et se branche sur le réseau de l’historienne pour lui ordonner de la rejoindre sans plus tarder.
— Qu’a indiqué Fehu ?
Raidho sursaute. Plongée dans ses réflexions, elle ne s’attendait pas à ce que sa seconde apparaisse subitement derrière son dos. Voilà pourquoi Ansuz sera toujours plus forte qu’elle. Raidho lui raconte presque tout. Elle ne parle pas de ce qu’elle a vu, ou de ce qu’elle a cru voir, dans les bois. De la surprise de Fehu jusqu’à ses nouvelles directives, de son inquiétude et du potentiel rassemblement. Les vingt-trois réunis sous la directive de la première. Jamais le monde n’avait encore vu ça auparavant.
— Il me tient encore à l’écart, grogne Ansuz.
— Nous irons lui parler toutes les deux dès la fin de cette mission, promet Raidho. Nous lui dirons ensemble qu’il vaut mieux pour les prochaines missions groupées que ce soit toi qui nous diriges. Tu es la plus compétente de nous deux.
— Tu le penses vraiment ? Alors pourquoi je ne suis toujours que la seconde ? Il sait que ça me plaît de leader. Il sait que…
Fehu sait qu’Ansuz ressent de forts sentiments d’admiration à son égard et rêve de le ressembler un jour, de briller un jour comme lui. Et Raidho sait pourquoi il refuse à chaque fois.
— Nous le mettrons alors au pied du mur. Cette fois, on l’obligera à s’expliquer et à nous écouter.
Ansuz sourit, accepte cette main chaleureuse sur son épaule et pose sa main sur la joue de son adelphe. Elle lui souffle que la cinquième rune a bien de la chance d’avoir la quinzième rune dans son cœur. Tout comme elle envie Mannaz et Perthu de leur nouvelle relation naissante. Comme elle aimerait que Dagaz ouvre les yeux à son tour et ne la voit plus comme la froide et l’inaccessible sœur. Le soutien de Raidho se fait plus tendre. C’est ce que la plèbe n’a jamais su et ne serait pas capable de comprendre. Les volombres ne sont pas que des assassins ni des monstres.
Ce sont des orphelins qui n’ont qu’eux pour se soutenir, pour s’aimer et se chérir.
Sans une rune, ils ne sont rien.
Ensemble, ils sont tout.

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