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Les Rejetons du Ciel

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tome 1, Chapitre 2 « Le Chant des Machines » tome 1, Chapitre 2

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Dans le garage ventral du grand cuirassé, autour du crochet qui servait d’habitude à arrimer le biplan de Jamal, un groupe d’une vingtaine de personnes s’était rassemblé. Il s’agissait principalement de mécaniciens et de pilotes, bien que quelques autres membres d’équipage se fussent joints à la cérémonie organisée par le chef mécano.

Tous les pilotes étaient présents, les rejetons Kitjakorn au premier rang. Prakai la sœur, grande et élancée, les yeux sombres et les cheveux noirs, fendus d’une mèche rouge. Épaules à épaule avec elle, Nawin, de quelques années son cadet, partageait nombre de traits communs avec sa sœur, bien qu’un peu plus petit et les cheveux court, rasé sur les côtés. Prakai pilotait l’Avia et Nawin, le Gloster. Un peu plus en retrait se tenait József Kiss, le pilote du Boomerang, un petit homme rond aux yeux clairs avec une moustache fournie du même brun doré que ses cheveux. Pas très loin de ce dernier se tenait la pilote du Blériot, Shihab Tariq, une femme, noire de peau, avec des tresses serrées plaquées contre son crâne. Son visage concave et ses pommettes saillantes faisaient ressortir ses yeux gris qui, en cet instant, brillaient d’humidité. Plus à l’écart, René Fonck, appuyé contre son Boeing P12, cigarette au bec, gardait un œil attentif vers la cérémonie, bien qu’il n’y prît pas vraiment part. Il portait un uniforme bleu clair en coton épais et une casquette à bord droit, assortie, couvrait sa chevelure blonde. Il s’agissait, selon ses dires, de l’uniforme de son pays natal : un royaume boréal lointain.

Au centre de l’assemblée se tenait un homme grand et sec, à la peau pâle, le crâne rasé à blanc. Un dessin schématique de moteur en étoile à huit pistons, tatoué sur son front à l’encre bleue, le marquait comme un membre de la secte mécanique. Il n’était pas rare que les mécanomanciens de ce culte rejoignent un équipage de dirigeable, même s'il s’agissait d’un bâtiment pirate. Là où résonnait le murmure des moteurs, le battement des pistons, le crissement des courroies — c’est là que les mécanomanciens trouvaient leur voie.

Les mains couvertes d’huile de moteur jusqu’aux coudes, il tenait ses avant-bras croisés devant son visage, les deux poings fermés. Les yeux clos, il faisait vibrer ses cordes vocales et, d’un bourdonnement rauque et profond, entonnait une mélodie lancinante. Autour de lui, l’assemblée reprenait ce chœur, dont les voix entremêlées résonnaient contre les parois de cuivre du hangar. 

De là où il était perché, sur une des plateformes grillagées qui surplombaient le garage, le pilote du Spitfire — un homme à la peau olivâtre — pouvait sentir les vibrations de la chorale résonner dans son sternum. Silvio ne s’était jamais senti l’âme dévote, mais il fallait admettre que cette chorale, ça lui remuait quelque chose, là, dedans. Le fait que Jamal ait été son ailier depuis plusieurs années n’était sûrement pas étranger à ce regain de ferveur. Sa mort avait été si abrupte, presque anecdotique dans la bataille. Une seconde, il était là, sur son aile gauche, et celle d’après, l’Arado partait en vrille. En entamant son virage, pour repartir à l’assaut de la corvette, Silvio avait jeté un œil par la verrière du Spitfire et aperçu le jeune pilote se faire catapulter hors de son cockpit.

Il passa les doigts sur sa fine moustache, aussi noire que ses cheveux bouclés, qu’il portait courts. Ses yeux bleu clair se perdaient dans la petite foule en contrebas, et il se demanda furtivement s'il y aurait autant de gens pour regretter sa mort, le jour où il finirait par planter son chasseur. Jamal avait toujours été plus sociable que lui. Il possédait ce genre de charisme magnétique qui attirait la sympathie sans engendrer de convoitise. Son petit sourire en coin, allié à son charme naturel, parvenait à percer les défenses les plus robustes.

Par tous les vents, voilà qu’il avait les larmes aux yeux ! C’est qu’il allait foutrement lui manquer, Jamal. La sécurité de l’avoir dans son escadrille, son calme sous la pression, la franchise de son sourire, le noir de ses yeux, la chaleur de ses bras. Oui… Il allait terriblement lui manquer. Quand le chant liturgique finit par s’éteindre, Silvio avait les joues striées de larmes et il se serrait dans ses propres bras.

Après un court silence, le mécano-clerc redressa la tête.

« Puisse Jamal rejoindre l’éternelle escadrille. Son corps est brisé, mais son esprit continue le long vol. »

Comme en réponse au clerc, le groupe déclara : « Le corps ploie, l’esprit endure. » 

« Puisse l’Arado, qui le portait de son vivant, l’accompagner désormais dans son trépas. » 

« L’esprit de la machine l’accompagne. » 

« Par le poids et la poussée. Par la traînée et la portance. » 

L’assemblée fit retentir la formule. Silvio la reprit à voix basse et, à sa grande surprise, quelqu’un d’autre la répéta derrière lui. Le ton de la voix le fit bondir, et il se retrouva, droit comme un cierge, face au capitaine Bordage. Ce qui aurait pu être pris pour un acte de déférence était, en l'occurrence, plus dû à la surprise qu’au respect qu’il portait à son capitaine. Elle avait beau être imposante, la grande femme savait se déplacer à pas de loup quand elle le voulait. Silvio mit quelques secondes à réellement réaliser qui était devant lui.

« Capitaine, » dit-il précipitamment avec un petit hochement de tête, un salut informel.

« C’était un pilote hors pair, je suis désolée pour vous, monsieur Scaroni. » 

« Merci… capitaine. C’était… un ami. » dit-il en essuyant rapidement ses joues.

« Vous pilotiez déjà ensemble quand vous avez rejoint l’équipage. Je me doute que c’est plus que la perte d’un ailier pour vous. »

Il la vit glissée la main dans une poche intérieure de son manteau, tout en lui parlant, pour en sortir une blague en cuir et y piocher une carotte de kif. La petite baguette était sombre, composée d’un concentré de résine narcotique douce, drogue à chiquer plutôt populaire. Après l’avoir cassée en deux dans un claquement sec, elle en mit la moitié dans sa bouche et proposa l’autre à Silvio. Le pilote, un peu surpris du geste, mais pas mécontent d’avoir quelque chose pour se détendre les nerfs, qu’il avait en pelote, accepta l’offre. Malgré le bâtonnet qu’elle mâchonnait dans un coin de sa bouche, ce fut avec un ton mesuré et articulé qu’elle reprit.

« Le deuil ne m’est pas un partenaire étranger. » Elle s’était avancée pour s’accouder à la rambarde de la passerelle, les yeux dans le vague. « Cette douleur… Ce vide au creux de la poitrine. On ne remplit jamais ce vide… Mais on s’habitue. On s’habitue à tout… »

Cette déclaration était tellement inattendue de la part de cette femme, au naturel plutôt énigmatique, que le jeune pilote ne savait trop que rétorquer. Elle ne semblait de toute façon pas attendre de réponse. Une respiration plus tard, elle se redressa. En quittant le hangar, Bordage fit une pause à sa hauteur. Après une brève hésitation, elle posa une main sur l’épaule de Silvio, puis reprit son chemin.

Étrange interaction. Jamal et lui avaient rejoint cet équipage à peu près trois ans auparavant. Malgré tout ce temps passé à bord, il n’avait pas l’impression d’avoir déjà vu le vrai visage du capitaine. Elle restait toujours masquée derrière un sourire enjôleur, un visage affable ou un regard glacial. Cette brève éclaircie de franchise, au travers du brouillard de maniérisme qu’elle semblait méticuleusement entretenir, apportait aux yeux de Silvio une perspective nouvelle et inattendue de la flibustière.

Du petit commando de gremlins envoyé sur le ballon, un était mort et deux grièvement blessés. La prise du couloir principal leur avait coûté trois hommes, celle du mess quatre de plus. Huit morts, plus d’une quinzaine de blessés, dont cinq graves, qui alourdiraient peut-être le bilan avant la fin de la nuit. Tout cela, c’était sans compter que cette petite escapade leur avait aussi coûté un excellent pilote et un avion en parfait état. Les mains dans le dos, Llewellyn faisait le bilan mental de l’attaque sur la corvette marchande, en remontant les couloirs de son cuirassé. Après s’être assurée que personne ne la voyait, elle s’autorisa un profond soupir. Cette petite bagatelle leur avait coûté fort cher pour une cargaison qui ne justifiait pas une attaque aussi musclée. Elle allait devoir rendre des comptes à l’équipage.

Le goût doux-amer du kif se répandait dans sa bouche ; elle se sentait agréablement planer, bien que sa démarche n’en laisse rien paraître.

Un groupe d’ingénieurs travaillait à la réparation d’un trou dans la coque quand elle passa à côté d’eux. Le petit canon de la corvette avait visiblement réussi à faire quelques dégâts avant l’abordage. Les ingénieurs la saluèrent à son passage sans vraiment se détourner de leur travail. Elle ne leur tint pas rigueur de ce manque de déférence à son égard : leur tâche actuelle était plus importante que les courbettes.

Coupant à travers la sainte barbe, où la responsable des munitions faisait le bilan des dépenses de la journée, elle se fraya un chemin dans un couloir qui menait vers une cage d’escalier. La volée de marches la mena jusqu’à un sas en métal noir ; elle dut faire plusieurs rotations de la grosse poignée circulaire pour l’ouvrir. En poussant l’épaisse porte, elle déboucha sur le gaillard avant du Chasseur de Typhon. La nuit était froide et claire sous la pleine lune. Quelques éclairages électriques illuminaient le pont du vaisseau. Des membres d’équipage escaladaient les échelles de cordes pour aller prendre leur quart de nuit au sommet des ballons. Llewellyn traversa le pont, dans toute sa longueur, en direction de la dunette arrière, profitant du froid qui lui rougissait les joues. Elle cracha le reste de sa chique de kif par-dessus le bastingage et se surprit à admirer les reflets de la Lune sur la masse sombre et mouvante de la mer de nuages. La lueur de l’astre allumait le contour des nuées, créant une myriade de serpents argentés ondulant lascivement au gré des embruns.

« Capt’aine ! » la voix profonde, bien que légèrement enrouée, arracha Llewellyn à sa contemplation. Le kif avait décidément fait dériver son esprit.

« Monsieur Snailgraves, » répondit-elle d’un ton laconique. Sans même se retourner, elle reconnut la voix si particulière de son second. Il vint se planter devant elle, petit et râblé, le crâne dégarni et la barbe fournie. Le contraste de la clarté lunaire sur l’obscurité nocturne qui envahissait ses traits, mettait en exergue les plis de son visage buriné. Tout en se grattant le nez du bout du lance-flammes fixé à la place de son avant-bras, ses yeux yoyotaient entre son capitaine et l’horizon, comme s’il essayait de comprendre ce qu’elle regardait. Il devait se demander si elle guettait un danger à l’horizon. Snailgraves avait beau être bourru, il était loin d’être arriéré, mais la beauté du balai astral lui passait loin au-dessus. Déjà parce qu’il était sobre, lui, et puis parce que, la poésie de dame Séléné dardant de ses rayons d’argent la sombre nuée, ça devait lui en toucher une sans faire bouger l’autre.

« Capt’aine… » il se pencha en avant, l’air conspirateur. « Le marmiton s’est mis à table. » Un petit sourire en coin indiquait qu’il était un peu fier de sa tournure de phrase.

« Et ?… Avons-nous un cap à suivre, monsieur Snailgraves ? »

« Oh oui, Capt’aine, on a un foutrement bon cap à suivre ! »

Détachant finalement son regard du banc d’anguilles lumineuses qui grouillait sous le vaisseau, elle reprit le chemin de la dunette arrière, le second sur ses talons, qui continuait à jeter des regards nerveux vers l’horizon.

« J’ai dû bigrement le secouer, le marmiton, mais il a fini par cracher. Ça aurait été plus commode d’avoir son foutu livre de bord : ç’aurait été plus facile à lire que le maître coq. À ce qu’il dit, on doit rattraper une p’tite corvette, c’est le capitaine qu’aurait la clé. La Rafflésia qu’il s’appelle. »

« La corvette ? » 

« Nan, le cap’taine. Bizarre nom, d’vait avoir une famille dans le commerce de fleurs. La corvette, c'est l’Aigrette. Elle fait escale régulière à l’Auberge des Cimes. » 

L’établissement était bien connu de tous les aéronautes qui sillonnaient les cieux alentour. D’ailleurs, auberge était un doux euphémisme, si on considérait la taille de l’établissement, qui relevait plutôt d’un petit aéroport de commerce. Ce qui tombait plutôt bien : ils avaient une cargaison à écouler. Située hors de toute juridiction, c’était un lieu où les équipages marchands, militaires ou pirates faisaient souvent étape en prenant soin de s’ignorer ostensiblement.

« Il est toujours en vie ? » 

« Le cap’taine Rafflésia ? » 

« Non, le cuistot. » 

« Oh… Euh, oui cap’taine. L’est pas vaillant, mais il respire. » 

« Beau travail, monsieur Snailgraves. Mettez-le au frais. Après tout, s’il marine encore un peu, il pourrait bien dégorger quelques informations supplémentaires. » 

« Aye aye, cap’taine ! » Et le voilà qui s’éloignait d'un petit trot surexcité, comme un gamin à son premier bordel. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle ne l’avait pas vu aussi avivé depuis la capture du Chasseur de Typhon. À raison, il fallait en convenir : si les informations du marmiton étaient exactes, ils étaient sur la piste de ce qui pourrait être la clé de voûte de tous les cieux austraux-orientaux.

En poussant la porte de la dunette, elle sentit une raideur dans sa jambe gauche, une sorte de crampe — une sensation qu’elle connaissait malheureusement trop bien. De son mollet jusqu’à son pied, tout s’était engourdi subitement. Cette perte soudaine de motricité faillit l’envoyer à la renverse. Elle réussit à camoufler son exclamation de surprise en un simple grognement.

Appuyant une main contre la paroi du couloir, elle prit un instant pour ajuster sa posture. Une fois dans une position plus supportable, elle reprit péniblement sa route. En passant devant les quartiers des officiers, elle fit de son mieux pour garder contenance, mais rien n’y faisait : elle boitillait sévèrement. Des échos de discussions et de disputes filtraient à travers la porte de la cabine des quartiers-maîtres. Impossible de comprendre de quoi il retournait ; néanmoins, les empoignades étaient monnaie courante, en particulier après un abordage, quand les esprits étaient encore échauffés. Elle contempla un instant l’idée d’écouter plus attentivement, pour voir si son nom ressortait dans les éclats de voix. Cependant, elle ne tenait pas spécialement à se faire prendre à écouter aux portes comme un vulgaire mousse. De toute façon, sa priorité actuelle était de rejoindre sa cabine avant de croiser qui que ce soit. Être en position de faiblesse face à son équipage — particulièrement ses officiers — n’était pas une perspective qui l’enchantait.

Elle traversa les derniers mètres qui la séparaient de la porte de sa cabine, en boitant avec une démarche gauche. Tout le bas de sa jambe, à partir du dessus du genou, ne répondait quasiment plus. Après avoir passé la porte, elle la rabattit et s’y adossa avec un grognement. Le bandana qui enserrait son front était humide de sueur, la traversée du couloir l’avait plus éprouvée qu’elle ne l’aurait cru. Son bureau de bois sculpté n’était plus qu'à quelques pas, devant une large verrière qui donnait sur le ciel nocturne. Sautillant sur sa jambe valide, elle traversa sa cabine pour s’asseoir sur le bord du bureau.

Ses doigts délacèrent rapidement les lacets tressés de sa botte, qu’elle ôta pour en délivrer la prothèse couleur crème qu’elle avait en lieu et place de son pied gauche. En retroussant son épais pantalon de vol jusqu'à mi-cuisse, elle dégagea le reste de l’appareillage qui remplaçait sa jambe jusqu’au-dessus du genou. La prothèse était relativement simple : les articulations du pied étaient d’un seul tenant, sans orteils. L’armature était en cuivre, et le revêtement en bois clair et poli. À la jointure entre la chair et le métal, une attache mordait dans sa cuisse, solidement fixée.

Sa main passa au creux de son genou, cherchant à l’aveuglette un commutateur. Elle le fit sauter avec un petit claquement sec, et un frisson lui parcourut l’échine. Le système électronique, directement relié à son système nerveux, venait d’être coupé, et une myriade de picotements lui aiguillonnaient la cuisse et remontaient le long de la colonne vertébrale. Elle arracha finalement sa prothèse, ne laissant qu’une couronne cuivrée rivée au bout du moignon. Sur le bureau était installé un appareil carré, à multiples cadrans et boutons, d’où s’échappaient de nombreux câbles. Llewellyn en saisit un pour le connecter à sa jambe synthétique, afin de recharger la batterie interne du membre factice. N’étant plus que sur une seule jambe, elle s’appuya des deux mains sur le bureau pour se soutenir et se traîna jusqu’à un gros fauteuil riveté au sol, où elle se laissa tomber lourdement, en poussant un long soupir de soulagement.

Elle était quand même sacrément grande, et sacrément confortable, cette cabine. Il fallait croire que l’amirauté de Sa Très Sainte et Très Gracieuse Majesté Impériale du Grand et Très Respectable Empire Australe ne se mouchait pas du coude quand il s’agissait de loger ses officiers. Elle était spacieuse, lumineuse et garnie de meubles sculptés en bois rouge vernis qui valaient à eux seuls une petite fortune aux yeux du bon commerçant. Llewellyn avait un temps caressé l’idée de les vendre, juste après la capture du cuirassé. Cependant, elle avait, au fil des ans, observé que le luxe et l’apparat ajoutaient à son aura de commandement et de respectabilité. Si un sourire mutin et une chemise ajustée à ses courbes étaient des armes de séduction efficaces sur le quidam moyen, le cœur marchand, lui, fondait devant une garde-robe outrageusement ostentatoire, portée avec sa désinvolture en sautoir. Rien n’attirait plus l’argent que l’argent, ou tout du moins, l’apparence d’en avoir.

Un regard en coin vers son moignon bagué de cuivre la ramena quelques années en arrière. La capture de ce grand vaisseau militaire lui avait coûté cher, et sa jambe n’était pas la plus grosse perte de cette journée. Ils avaient dû faire appel à deux autres vaisseaux pirates, en plus du sien, pour attaquer le gros cuirassé. Réussir à éliminer les deux autres capitaines ainsi que leurs officiers durant l’assaut avait été un exercice d’équilibriste particulièrement périlleux. Elle avait toujours en tête les yeux bleu clair, écarquillés dans une expression de surprise outrée, au milieu du visage si fin et avenant de la capitaine Horner. Llewellyn avait ressenti un certain regret en plongeant sa lame dans le ventre de la jeune femme — mais elle lui devait bien ça. Après tout, il lui avait fallu plusieurs semaines de séduction calculée, suivies de plusieurs mois de manigances et de combines pour l’amener à trahir le vieux capitaine Al-Mansour. Oui, elle lui devait bien au moins cette trahison les yeux dans les yeux. Un autre souvenir, plus vivace encore, vint la frapper. En arrachant sa machette des tripes En retirant sa machette du ventre d’Horner, elle avait eu le temps d’apercevoir une paire d’yeux vairons, à quelques pas derrière elle. Juste avant qu’une violente explosion ne vienne tout réduire en charpie : sa jambe, Horner… et ces yeux dépareillés…

Oui, la prise du cuirassé lui avait coûté cher. En revanche, le Chasseur de Typhon avait fait d’elle la capitaine pirate avec le vaisseau et l’équipage les plus redoutables de ce coin du ciel austral. Sous son étendard, plus d’une centaine de flibustiers, boucaniers et pilotes s’étaient rassemblés. Grâce à cette force, ils avaient pu s’attaquer à des prises bien plus importantes que celles auxquelles se seraient risqués les autres équipages du Conclave des Embruns. Maintenant, si le marmiton savait vraiment ce qu’il prétendait savoir, la puissance que cela pourrait offrir à Bordage n’en ferait pas juste une flibustiére redoutée. Elle pourrait forger l’une des puissances majeures des cieux austraux.

Llewellyn se couvrit le visage de son avant-bras. Dans l’obscurité de ses paupières, elle les revit. Deux yeux dépareillés, un brun clair et un bleu.

« Ces yeux… ces foutus yeux… » murmura-t-elle d’une voix empâtée par le sommeil et le kif.


Texte publié par Spider J., 2 aoĂ»t 2025
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