Le lendemain matin, Alain revint au commissariat de bonne heure mais il semblait avoir passé une très mauvaise nuit : des cernes se dessinaient autour de ses yeux. La secrétaire l’ayant aperçu, il l’informa :

« - Le patron voudrait vous voir. La lieutenante Lagarde est avec lui.

- Merci. »

Il se dirigea donc vers le bureau de son supérieur, qui l’autorisa à entrer. Il se renseigna :

« - On a du nouveau, patron ?

- Rose a prévenu la famille.

- Ouais, et ils ont tellement chialé qu’ils m’ont fait pitié

- Ça se comprend. Et on a eu l’autopsie ?

- Justement, c’est pour ça que je vous ai convoqué.

- Comment ça ?

- Le corps a été tellement déchiqueté que Damian n’a pas pu savoir si le gamin s’est suicidé ou s’il s’est fait trucider. En revanche, il nous a dit qu’il ait été drogué à l’antipsychotique.

- Hein ? Il est mort d’une overdose ?

- Non, mais la dose a été assez forte pour qu’il fasse des hallucinations. Ça rend donc la tâche d’autant plus compliqué. Mais d’après mes souvenirs, la victime était passée vous voir hier matin pour déposer une plainte contre elle-même, n’est-ce pas ?

- Euh, voui.

- Vous ne trouvez pas ça étrange ?

- Si, justement. Et Stefan dégageait une atmosphère… c’est à faire fuir n’importe qui.

- Je veux bien vous croire. Mais vous savez ce que ça veut dire ?

- Non.

- On va devoir interroger ses trois camarades de classe. Rappelez-moi les noms.

- Ashley Fontaine, Julien Vand et Maëlle Legrand.

- Très bien. Vous et Rose, vous allez voir chacun d’entre eux et essayez de leur soutirer des informations. Je veux le rapport ce soir, est-ce assez clair ? »

Les deux policiers acquiescèrent et quittèrent le bureau du commissaire pour partir en direction de l’établissement de la victime, là où se trouvaient également les trois éventuels suspects. En chemin, Alain demanda à Rose :

« - Lieutenante ?

- C’est Rose, au passage. Je t’écoute.

- Vous avez déjà eu affaire à une enquête aussi…

- Glauque ? Pas vraiment. Mais dangereuse, à côté de ce que j’ai vécu, c’est de la gnognotte, cette affaire.

- Ah bon ?

- Oui. En tant que flic, on se doit de protéger les citoyens, quitte à mettre sa vie en jeu, tant que c’est pour le bien des autres.

- D’accord, fit le jeune policier, pas entièrement convaincu.

- Ne me dis pas qu’on ne t’a jamais appris ça à l’école ? »

Il répondit par la négative, au grand dam de la lieutenante qui murmura :

« Rah, je vous jure… »

En arrivant au lycée, il était déjà presque midi et Alain trouvait plus judicieux d’attendre la fin des cours. Rose ne l’entendait pas de cette oreille et décida d’aller voir le chef d’établissement afin de convoquer les trois éventuels suspects. Ce dernier, après avoir appris la nouvelle, dit :

« - Je vois. C’est ce que j’ai cru comprendre. Que voulez-vous, en fait ?

- C’est très simple, répondit fermement Rose, nous voulons simplement voir trois de vos élèves.

- Puis-je savoir de qui il s’agit ?

- Ashley Fontaine, Julien Vand et Maëlle Legrand.

- D’accord. Vu l’heure, je pense qu’il faudrait attendre la sonnerie.

- Euh, navréede vous décevoir, mais il se trouve qu’on n’a pas de temps à perdre. Ou vous convoquez ces élèves, ou je viens les voir en personne.

- Mais vous n’avez pas le droit !

- On parie ? »

Le chef d’établissement céda :

« - Très bien. Je vais les faire convoquer.

- Ah, autre chose : je souhaite que vous n’interveniez pas. Restez dans la pièce, mais surtout, ne vous mêlez pas de la discussion.

- Vous n’êtes pas sérieuse ?

- A votre avis ? »

Le chef d’établissement contacta le CPE, à contrecœur, en demandant de convoquer les trois jeunes lycéens. Puis, après avoir raccroché, il annonça :

« - Monsieur David va convoquer Ashley et Maëlle. Quant à Julien, il est probablement à la cantine puisqu’il ne reprend pas avant treize heures.

- Très bien. Merci beaucoup. Alain ?

- Voui ?

- Va voir Julien et interroge-le. Comme ça, on gagnera du temps.

- Compris. » Alain Dester quitta donc le bureau du chef d’établissement pour prendre la direction de la cantine.

En arrivant, il montra son insigne à l’accueil de la cantine et partit à la recherche de Julien Vand. Seulement, il ne savait pas à quoi le lycéen ressemblait. Il chercha donc des élèves qui le connaîtraient. Il mit plus de temps que prévu avant d’y parvenir et partit donc en direction d’un jeune homme, qui était sur le point de s’attaquer à son dessert. Celui-ci s’arrêta en l’apercevant :

« - Bonjour. Qui êtes-vous ?

- Officier Dester, de la Police Nationale.

- Hein ?

- Je vous rassure, je ne suis pas là pour vous réprimander mais j’ai besoin de vous.

- De moi ? Pourquoi ?

- Parce que Stefan a été retrouvé mort cette nuit.

- Ah, merde ! Qu’est-ce qui s’est passé ?

- C’est ce que mes collègues et moi-même cherchons à savoir. Mais hier, Stefan est passé au commissariat pour déposer plainte contre lui-même.

- Ah bon ? C’est possible, ça ?

- Faut croire. Mais dans la plainte, il est indiqué que vous, Ashley et Maëlle étiez victimes de propos apparemment… comment dire…

- Vexants ?

- C’est ça. Pouvez-vous m’en dire plus ce qui s’est passé à ce moment-là ?

- Pour tout vous dire, j’étais pas au courant qu’il avait porté plainte contre lui-même pour ça. Je savais même pas que c’était possible.Je comprends pas.

- Je suis comme vous, je n’ai rien compris à son geste. Maintenant, ce que je veux savoir, c’est s’il a dit des choses vexantes.

- Si l’on veut.

- Comment ça ?

- C’était il y a trois semaines. Comme je traîne souvent avec Ashley quand c’est possible, Stefan avait pensé qu’on était ensemble. Ashley l’a mal pris mais moi, au fond, je m’en fous. Bon, après, on n’est pas ensemble. Et puis, on le connaît et on sait qu’il était du genre direct et franc. D’ailleurs, il s’en voulait à mort et nous a dit que s’il dit encore des trucs pas sympas sur nous et qu’on le prenne mal, qu’on leprévienne tout de suite.

- Qu’est-ce que vous voulez dire ?

- Stefan ne se rendait pas toujours compte de ce qu’il disait. S’il nous conseille ça, c’est qu’il en a conscience mais qu’il ignore comment s’en rendre compte.

- Un peu bizarre mais bon.

- Il est schizophrène. C’est pour ça qu’il ne se rend pas compte.

- D’accord. Est-ce qu’il fait des crises, ou quelque chose comme ça ?

- Non, pas que je sache.

- Était-il bien ces derniers temps ?

- Difficile à dire, il ne dévoile pas facilement ses sentiments. Mais c’est vrai qu’il n’était pas comme d’habitude.

- D’accord.Mais sinon, comment il était, en temps normal ?

- Comme je vous l’ai dit, c’était une personne directe et franche. Et puis il était aussi quelqu’un de très droit dans ses bottes.

- C’est-à-dire ?

- Il était très apprécié par les profs au point qu’il était le chouchou de certains, mais Stefan était souvent mal à l’aise.

- Vous voulez dire que c’était une personne qui se veut juste, c’est ça ? »

Julien acquiesça. L’officier posa donc une dernière question :

« - Savez-vous s’il yavait des gens qui pourraient luien vouloir ?

- Aucune idée. En tout cas, il n’y a personne, que je sache, qui lui en voudrait.

- Très bien. Merci de votre coopération. On vous recontactera si besoin. Au revoir. »