4. Pillages

Une heure et demie plus tard

« Chut ! », Cruel montra le bas du coteau boisé. Un campement était aménagé dans une clairière avec des cabanons en bois et un grand feu en son centre. Tout autour apparaissaient diverses entrées de grottes.

Voici donc le bivouac des bandits. Les malfrats étaient des vicelards. Le groupe que je suivais m’avait expliqué qu’ils étaient des humanoïdes dotés d’une certaine intelligence et qu’ils avaient même une culture. Hélas, sur cette île, ce sont des brigands qui tuent, volent et violent à tout-va. J’observai un peu plus bas un de ces spécimens. C’était un être de type humanoïde, à la peau marron grisonnante, avec un groin à la place du nez qui lui donnait une face renfrognée. Il mesurait à peine un mètre quarante, avait le torse nu et poilu, et était muni d’une lance. Celui-ci devait être un vigile.

Bourru fit un signe. Nous le suivîmes dans les fourrés pour emprunter un chemin escarpé à l’abri des éventuels vicelards qui pourraient faire leurs rondes.

« Bon, ça ne va pas être facile. Même s’ils ne sont en général pas de haut niveau, le problème c’est leur nombre, et nous n’avons pas de DPS au corps à corps, chuchota Bourru.

— Je compte sur toi, Myr », continua-t-il. Il s’avança seul en sortant du fourré, tandis que Cruel tira un coup avec son arme, directement dans la tête d’un vicelard. Elle explosa, arrosant la zone de son sang. L’alerte était donnée.

Une dizaine d’entre eux arrivèrent en courant vers le tank. La jeune Maya utilisa une sorte de lance-pierre et jeta deux petites fioles en l’air qui se fracassèrent en tombant au sol, enflammant quatre des vicelards. Ils s’enfuirent dans tous les sens, affolés, répandant le feu derrière eux et élargissant ainsi la zone incendiée. Cruel tira en continu. Nos ennemis tombèrent comme des mouches. Maya jeta une fiole verdâtre qui se brisa sur la tête d’un des adversaires ; celui-ci commença à fondre dans une fumée blanchâtre tandis que Myr jetait des sortes d’écussons qui, en touchant Bourru, produisaient une lumière orangée. Les dix vicelards furent ainsi anéantis.

« Aller, on y va. Ce n’est que le début ! » me dit Maya en faisant un clin d’œil. On voyait qu’ils avaient l’habitude de travailler ensemble. Je suivis donc le groupe, me demandant si mes capacités pouvaient être mises à profit.

« À couvert ! cria Bourru en poussant Myr alors qu’une volée de lances venait se fracasser contre son bouclier.

— Dégâts de zone ! » cria-t-il. À l’abri derrière ce qui semblait être les restes d’un chariot, nous n’avions aucune visibilité. Maya lança deux fioles rouges.

— Pas assez loin ! » dit Bourru.

— J’peux pas faire mieux avec mon équipement ! rétorqua-t-elle.

— Fais voir deux potions, Maya ! » réclamai-je rapidement. Elle les sortit de son inventaire. Je les condensai en une bille de la taille d’une balle de plomb qu’utilisait Cruel, sous le regard ébahi de mes acolytes. Je la jetai à Cruel. Il chargea et tira. Une explosion se fit entendre, décimant les rangs ennemis.

« Cool ! » s’amusa Cruel. Je réitérai plusieurs fois l’opération. Au bout de quatre balles explosives, la troupe ennemie se dispersa et disparut dans les grottes, laissant plusieurs dizaines de cadavres sur le sol.

« T’es efficace en soutien pour un noob ! me complimenta Cruel d’un air taquin. Je lui répondis par un sourire de politesse. - Restez sur vos gardes ! » avertit le Tank.

Bourru sortit prudemment de notre cache derrière le chariot. Il fit quelques pas ; mais aucune attaque ennemie ne vint le contrer. J’avançais vers le centre de la clairière. Il y avait six entrées/grottes creusées dans les parois rocheuses. La place était remplie de débris des marchands ayant été pillés : carrosses, caisses de bois, cages en acier, etc., mais aussi des ossements animaux et humains. Au milieu, un immense bûcher brûlait doucement.

« Maya, quelles sont les autres potions que tu as ? demandai-je.

— À mon niveau actuel en tant que chimiste de combat, je ne peux en faire que trois offensives : fiole mineure d’acide, explosive et de poison, me répondit-elle sans hésiter.

— D’ailleurs, c’est quoi ta technique de tout à l’heure ? m’interrogea Bourru.

— Un sort du nom de « condenser ».

— Tous les mages ont ce genre de compétences ? demanda Cruel.

— Aucune idée, je n’ai rencontré aucun autre mage, lui avouai-je.

— En tout cas, pratique en combinant avec les talents de sniper de Cruel, dit Maya.

— Puis-je voir une fiole de poison ? lui demandai-je. Elle s’exécuta en me donnant une potion violacée. Je m’enquis des informations auprès du système.

Cocktail de poison mineur

Effet : inflige [poison] à un adversaire, lui octroyant des dommages durant un certain laps de temps. Les dégâts et la durée dépendent de la résistance au type poison de l’ennemi.

Je restai en réflexion devant le descriptif. Donc, si je veux obtenir l’effet désiré… Je réclamai une fiole d’explosion à Maya, ainsi qu’une autre de poison, et sortis une gourde d’eau. Je versai un peu d’eau au sol à côté de la potion rouge et des deux potions violacées. Je condensai le tout en une balle.

« Il est temps de tester !

— Tu as fait quoi ? me demanda Maya.

— Tiens Cruel, essaye de tirer cette balle dans une des entrées, suggérais-je au sniper. Il prit la balle, la chargea et visa.

— Préparez-vous aux combats », annonçai-je, me préparant à utiliser les armes ennemies laissées lors de la dernière escarmouche. Le coup de feu retentit. Une explosion se fit entendre dans la grotte. De la fumée violette s’éleva de l’entrée. Juste derrière, une dizaine de petits hommes au groin proéminent sortirent en toussant et en crachant. Ils semblaient affaiblis par le nuage de poison. Le combat fut donc court. Tandis que Maya jetait des fioles verdâtres d’acide, Cruel tirait à tout-va et je lançais des lances que je guidais avec ma télékinésie. En un rien de temps, les ennemis furent tous à terre. « Bien, plus qu’à faire la même chose sur le reste des grottes pour pouvoir ramasser notre butin ! » dit Bourru.

! Alerte : Vous gagnez un point de compétence [Condenser] !

! Alerte : Vous gagnez un niveau en [Magie] !

Nous venions de finir de nettoyer les six cavernes et j’avais compris quelque chose. L’expérience acquise ne dépend pas du nombre d’ennemis tués, mais plutôt de la pratique des compétences. Un ennemi tué ne rapporte pas d’XP ; ce qui en génère, ce sont les actions que tu effectues durant le combat, que ce soit en attaque, en défense ou en magie. Nous commençâmes donc à fouiller les corps et les grottes, récupérant ce qui avait de la valeur ainsi que les pièces d’argent et de bronze sur les cadavres. Lors de la fouille de la quatrième grotte, nous découvrîmes une porte renforcée de barres de fer. Nous décidâmes de finir de fouiller les autres grottes avant de l’ouvrir. Après avoir mis en commun nos trouvailles, je reçus ma part de récompense : quinze pièces d’argent et soixante-dix de bronze, un chandelier, trois rouleaux de soie rouge, un bracelet en or qui dégageait une drôle de sensation au toucher et deux parchemins dont je ne pouvais pas lire le contenu. C’est donc ainsi que les étrangers se faisaient de l’argent : en tuant les monstres, en les pillant et en vendant leur larcin.

Bracelet en or

Effet : Non identifié

Le bracelet était donc un objet magique… Il ne restait que la porte de la caverne à explorer. N’ayant pas trouvé les livres, j’avais bon espoir de les dénicher derrière celle-ci. Bourru l’ouvrit prudemment. Il faisait particulièrement sombre de l’autre côté.

« Attends, j’ai ce qu’il faut ! » proposa Maya en sortant une potion de son inventaire. Elle s’avança vers l’entrée et la secoua. La lumière se fit dans le flacon, révélant une scène terrifiante. Un immense vicelard, son armure ruisselant d’une lueur blanchâtre, arborait un sourire effrayant. Maya, sans pouvoir réagir, fut blessée d’une lance en plein dans le torse. Bourru la tira en arrière tout en repoussant la porte, son visage contracté par l’inquiétude. L’ennemi hurlait de l’autre côté tandis que Maya s’écroulait au sol, la respiration coupée. Myr se précipita, lui donnant les premiers soins, une incantation rapide et une légère lueur sur la blessure. Puis elle fit un signe négatif de la tête.

« On ne peut pas enlever la lance, elle en crèverait ! remarqua le guerrier en soutenant toujours la porte.

— Il ne va pas nous laisser partir comme ça ! commenta Cruel. - Vous inquiétez pas… Allez lui faire sa fête à ce salaud… dit Maya, le teint de plus en plus blême.

— Mac… Prends mes fioles ! » ajouta-t-elle en faisant apparaître des dizaines de contenants en verre au sol. Je me baissai pour récupérer les potions et lui fis un signe de tête de remerciement. Le bruit cessa de l’autre côté de la porte. Bourru prit une des flasques de lumière, la secoua et entrouvrit le passage. Le flacon de Maya qui était tombé au sol éclairait un couloir étroit creusé à même la roche.

« Allons lui faire sa fête ! » dit déterminé notre tank en regardant Maya derrière nous. Je suivais Myr qui elle-même était à la suite de Bourru, prête à lui fournir les premiers soins en cas d’attaque. Nous avancions dans la traverse étroite et sombre, à la lumière blanche de la fiole qu’avait actionnée le guerrier. Nous sommes arrivés dans une pièce circulaire. Le vicelard était là, il semblait nous attendre. Le premier javelot vola. Bourru le bloqua avec son bouclier.

« Cruel, à toi de jouer ! » cria Bourru. Je me retournai… personne derrière moi ! Où était Cruel ? La seconde lance vint se fracasser avec force sur la protection de notre tank.

« FAIS CHIER ! » hurla Bourru en entrant dans la salle et en dégainant son épée de sa main libre. Myr le suivit, cachée derrière lui pour se protéger. On n’y voyait pas grand-chose dans la salle. C’était clairement un désavantage. J’activai quatre fioles de lumière et les lançai en l’air, les guidant par télékinésie, je les plaçai autour de la pièce. La luminosité ainsi installée, Bourru se débarrassa de sa potion, se concentrant face à son ennemi qui semblait resté là, à observer, attendant une ouverture. N’ayant pas, à proprement parler, de compétences de combat, j’observais la situation. Derrière la masse de muscle qui faisait facilement deux mètres dix de haut en armure de maille étincelante se trouvait tout un tas de caisses et de coffres, sans aucun doute le résultat le plus précieux de leurs larcins. Autour de la pièce, aucun lieu où se cacher. Des roches plus ou moins grosses étaient éparpillées au sol. Je n’avais donc que les potions de Maya ? Que faire ? Je regardais le visage haineux de notre ennemi tandis qu’il frappait avec rage Bourru derrière son bouclier. Il fallait que je fasse des critiques, sinon on ne s’en sortirait pas. Je condensai un rocher de bonne taille et le récupérai par télékinésie. Il pesait au minimum quatre-vingts kilos. Je pouvais soulever plus lourd depuis que j’avais une télékinésie de niveau moyen. Il attaqua notre tank d’un coup violent de marteau en acier reluisant d’une couleur verte. Une arme magique ? Une compétence ? Je me concentrai sur la respiration du monstre.

« FAIS CHIER ! FAIS QUELQUE CHOSE MAC ! » cria Bourru qui semblait avoir de plus en plus de mal à bloquer les attaques de son adversaire géant. J’entendis le flux d’air dans la gorge du vicelard, puis l’expiration bruyante du groin, une inspiration moins audible. C’était maintenant ! Je lançai ma bille dans sa bouche entrouverte.

« Décondense ! » criai-je. Le rocher reprit sa forme dans la gueule du vicelard. Le poids et la taille de celui-ci arrachèrent la partie inférieure de sa mâchoire, lui causant par la même occasion de sérieux dégâts nasaux ainsi qu’à la trachée. Il couina dans un son informe, titubant en arrière tandis que du sang giclait devant lui, arrosant malencontreusement Bourru. Le guerrier resta figé, surpris par ce spectacle tandis que la pierre de quatre-vingts kilos s’écroula dans un bruit lourd sur le sol poussiéreux. Je lançai des billes de poison et d’acide, les guidant par télékinésie. Je les fis entrer dans l’orifice de la gorge du monstre titubant.

« Décondense ! »

Il hurla, s’écroulant au sol, se tenant le ventre tandis qu’un liquide verdâtre le rongeait de l’intérieur et que le poison directement dans son estomac s’infiltrait dans son système sanguin. Bourru attaqua avec son épée et l’acheva en lui tranchant la tête. Je m’écroulai assis contre un mur de la pièce. Ma tête tournait, sans doute à cause de tout ce mana que j’avais si soudainement dépensé. J’observai ma barre bleue vidée aux trois quarts. Bourru vint me rejoindre, s’asseyant à côté de moi, essoufflé tandis que Myr lui prodiguait des soins à l’aide de ses artefacts.

« Bien joué Mac ! me félicita le tank. Je lui répondis d’un signe de tête.

— Cet enfoiré de Cruel ! Attends un peu que je le… Bourru sembla pâlir.

— Quoi ? demandai-je.

— Cruel a été condamné pour de multiples viols et actes de torture… » me dévoila-t-il en se levant précipitamment et en se dirigeant vers l’entrée de la grotte. Je le suivis, armé d’une fiole de lumière. Nous arrivâmes devant la porte. Elle était bloquée de l’extérieur.

« Condenser ! », la porte tomba au sol sous forme de bille.

Nous entrâmes dans la pièce. Cruel n’était pas là. Maya était dénudée sur le sol, son corps couvert de plaies et de sang. Myr se précipita vers Maya.

« Atte… » n’eut pas le temps de finir Bourru tandis qu’un coup de feu retentit dans la grotte. Du sang coula des oreilles et de la bouche du guerrier au moment où il s’écroula. Cruel venait de le tuer d’une balle dans l’arrière du crâne. Cruel sortit rapidement du coin de la pièce et donna un offensive de la crosse de son fusil derrière la tête de Myr, qui s’écroula inconsciente.

« Nous voilà que tous les deux, le Noob ! fit remarquer Cruel en me menaçant de son canon.

— Pourquoi ne t’es-tu pas enfui ? lui demandai-je.

— Allons, y avait une autre demoiselle qui avait besoin de découvrir mes talents cachés ! me confia-t-il avec un sourire lubrique au visage.

— Cela faisait deux mois que je cherchais un moyen de me débarrasser de ce chiant de Bourru. J’ai pu m’amuser un peu avec cette chère Maya, mais elle était déjà blessée, elle n’a pas tenu longtemps. Elle n’a même pas pu apprécier ma sodomie, vu qu’elle était déjà morte ! continua-t-il avec un rire sadique.

— Cela dit… tout ceci ne te concerne plus, Mr le Noob… Mort ! » poursuivit-il en pressant la gâchette de son arme. Le canon se dirigea soudain vers le haut, sous mon impulsion. Le coup de feu partit faisant tomber de la poussière du plafond de roche. J’avais gagné en force télékinétique en passant au rang moyen. Je saisis sa tête de manière immatérielle et fis pression. Je le regardai se débattre contre une puissance invisible tandis que son visage devenait rouge et que ses yeux globuleux ressortaient doucement de leur emplacement normal. Ne pouvant même pas pousser un cri à cause de la compression que j’exerçais sur tout son crâne, il s’écroula inconscient, du sang s’écoulant de ses oreilles, de ses orbites et de son nez. Je le regardais au sol, la langue sortant honteusement de sa bouche.

Je me dirigeais vers le corps du guerrier, pris son épée longue et retournai vers le fusilier. Je plantai la lame à la base de sa nuque et, faisant levier, je dissociai son corps en deux parties. Je vis le liquide écarlate s’étendre en une mare sur le sol de la grotte. Quelque chose scintilla au niveau de son cou. Je me baissai et découvris, juste avant l’os occipital, une petite pièce métallique rectangulaire. Je l’extrais grâce à mon habileté au dépeçage.

Qu’était-ce donc ? On dirait une puce électronique. Je la mis dans mon inventaire et me dirigeai vers Bourru. En regardant sa nuque, je ne vis rien. Je sectionnai la peau et les muscles au même niveau que le composant de Cruel et découvris la même chose sous la chair. Je la récupérai ainsi que celle de Maya, déjà morte. Myr, inconsciente sur le sol, ne bougeait toujours pas. Je la soulevai par télékinésie et la fis me suivre en volant dans les airs derrière moi. Je retournai dans l’arrière-grotte, dans la salle aux trésors. La déposant délicatement au sol, ramassant une des fioles de lumière, je commençai ensuite à fouiller les caisses et repérai les livres de ma quête ainsi que d’innombrables autres richesses, pièces d’argent et d’or, et objets plus ou moins précieux.

Que devrais-je faire ? Tuer Myr et tout récupérer pour moi ? Je n’avais jamais été quelqu’un de cupide, et éliminer une personne pour de l’argent ne me ressemblait pas, même si la tuer en soi ne me dérangeait pas, mais pas pour cette raison. Je récupérai tout ce qui avait de la valeur, je fouillai aussi le boss et dropais divers produits non identifiés tels que la cotte de mailles ou le marteau.

Je sortis de la grotte en transportant Myr derrière moi. Je la posai dans la clairière à l’écart des cadavres de vicelards disséminés sur la place. Le soleil commençait à baisser. Il serait bien de rentrer au village avant la nuit. Je découvris une charrette à pousser parmi les différents restes des convois ayant été pillés. C’était comme une brouette en bois, mais plate et plus large avec juste une planche de chaque côté. J’installai Myr dessus. Je ne pouvais pas la laisser ici, du moins vivante. Elle se réveillerait seule, entourée de cadavres. En revenant au village, elle me causerait plus de problèmes qu’autre chose, alors autant l’emmener. Je lançai des potions rouges sur les corps et dans les grottes, m’assurant de brûler tous ce qui pouvait l’être. Il ne faudrait pas qu’une peste se répande par négligence envers les machabées. Je partis pour rejoindre le village en laissant derrière moi trois cadavres carbonisés d’anciens camarades, sans aucun doute les premiers d’une longue série.