6. Ancienne alliée
Une odeur âcre, d’urine, d’excréments et de décomposition remonta dans mes sinus et me dérangea. Des nausées me prirent lorsque j’ouvris les yeux. Tout était flou.
Au bout de quelques secondes, je repris pleine conscience et maîtrisai ces envies de vomissements provoquées par l’odeur nauséabonde. Où étais-je ? Autour de moi, des murs de pierres taillées dégoulinaient d’humidité. J’étais assis sur une planche de bois, attaché au mur par des chaînes rouillées. À ma gauche, je distinguais une porte de fer forgé. En hauteur, à deux mètres et demi au-dessus du sol, une petite ouverture horizontale laissait filtrer un mince filet de lumière. J’étais dans un cachot ? Je me regardai. Ma cape, mon bâton et mes gants avaient disparu.
Agacement. On m’avait laissé mon survêtement, sans doute en pensant que c’était un habit ordinaire.
En effet, après avoir amassé pas mal d’argent, j’avais fait confectionner un survêtement noir et rouge avec des matériaux très rares. Bien qu’il eût l’air commun, il me conférait une armure digne d’un guerrier de classe triple A. J’essayai de me souvenir.
Trois mois s’étaient écoulés depuis que j’avais traversé la mer interdite et obtenu mon slime. Après avoir exploré les environs de Morrin, ville certes animée par de nombreux étrangers, j’avais décidé de franchir la frontière. Cette cité portuaire, à l’allure irlandaise et aux couleurs pastel variées, était indépendante de tout pays, tout comme l’île du portail. De ce que j’avais compris, personne ne voulait assumer la charge de l’arrivée des étrangers, pour deux raisons : la première était financière, car les étrangers pourraient coûter très cher avant d’être rentables, et la seconde concernait l’équilibre des pouvoirs. C’était donc la guilde des aventuriers qui s’était vu confier l’administration de la ville. J’avais donc franchi la frontière nord-est de la zone « neutre » et atterri dans le royaume de Burdasta, un pays dirigé par une noblesse privilégiant son confort à celui de sa population. Mais pour moi, cela importait peu, n’étant pas natif, je n’étais pas contraint. J’avais ensuite passé un long moment en compagnie de deux autres étrangers, à chasser et à augmenter nos niveaux dans les campagnes, tout en accomplissant diverses missions rémunérées par la guilde des aventuriers. J’avais pu faire fabriquer mon survêtement ainsi que mon anneau spirituel pour garder mon slime.
D’ailleurs, la bague était-elle toujours là  ? Pris d’une soudaine inquiétude, j’enlevai ma chaussure droite. À mon pied, à mon petit orteil, mon anneau couleur argentée pâle était là . Les deux autres anneaux magiques que j’avais aux mains, eux, avaient disparu. Je me levai de ma planche de bois. J’avais faim.
« Inventaire »
Il s’afficha devant moi. Étrange, les cases étaient grisées et inaccessibles.
« Statut »
La fenêtre s’ouvrit. Toutes les informations étaient grisées, comme si c’était une fiche vidée de son contenu.
« Aide »
! Message : Erreur Système : Le système n’est pas disponible dans la zone où vous vous trouvez !
Pas disponible ? Où suis-je ? Je m’assis sur la planche servant de lit, songeur. Mon dernier souvenir… Nous étions partis chasser un monstre classé double B en réponse à une mission de la guilde. Nous campions avant d’arriver à destination. J’ai mangé et je suis allé me coucher. Et c’est tout… Quelqu’un m’aurait enlevé durant la nuit ? Mais comment n’aurais-je pas pu me réveiller ? On m’a donné une drogue alors, c’est la seule explication. Un de mes comparses, ou les deux, m’auraient drogué et kidnappé ? Rien ne sert de se poser des questions ici, cela ne m’avancera pas.
J’avançai vers la porte et regardai par la lucarne. C’était un couloir éclairé par quelques orbes d’électricité. Je lance un peu de fluber dans un coin de la pièce. C’est une substance translucide sombre produisant des étincelles blanchâtres en atteignant sa cible. C’est la magie obtenue avec mon spirituel lié ; puis j’en jette dans le passage par la petite ouverture.
« Téléporte » Je disparus et réapparus dans le couloir là où avait atterris ma trace de fluber.
En évoluant, mon slime m’avait conféré ce pouvoir : me téléporter partout où j’avais laissé un morceau de mon fluber foudroyant, néanmoins dans une limite de zone autour de moi pour le moment. J’avais remarqué que plus j’augmentais de niveaux, plus l’endroit que je pouvais atteindre s’étendait. Quand je serais au plus haut niveau, ce sera de la téléportation longue distance.
Je n’avais quasiment rien montré de mes pouvoirs à mes deux compagnons temporaires. Ils pensaient juste que j’étais doué pour manipuler à distance mes armes de prédilection : des couteaux volants en titane, choisis pour leur légèreté. Ce sont de fines lames sans manches, attachées avec un fil d’acier. Pour les manier, le fil d’acier est relié à un anneau au doigt, permettant ainsi de récupérer ces armes ou de les manipuler différemment qu’en simple lancer. Bien sûr, pour ma part, ma télékinésie apportait un tout autre contrôle sur ces armes.
J’avançais dans le passage prudemment, écoutant le moindre bruit. C’était un couloir assez étroit. Je percevais dans les deux sens des portes identiques à celle de ma cellule. Je pouvais entendre des gens tousser ou gémir. Ça devait sans doute être un cachot ou une prison. J’avançais avec précaution, regardant dans les lucarnes que je croisais. Des prisonniers, plus ou moins en bon état. Certains semblaient au bord de l’agonie, portant des blessures graves. D’autres, comme moi, étaient frais comme des gardons qu’on se prépare à frire. Je continuais à avancer et regardais si je découvrais mes deux anciens compagnons.
Un bruit ! J’entendis le claquement de clefs dans une serrure en métal. Je m’approchai de la première cellule que je vis et, lançant une trace de fluber, je me téléportai à l’intérieur. Je me cachai dans l’angle mort de la porte et regardai dans la cellule. Une personne semblait allongée sur sa planche sans bouger. Je ne percevais même pas le mouvement d’une respiration. Un mort ?
« Et donc ?
— J’ai gagné 5 K sur le dernier combat !
— En même temps, c’était un pari risqué, il n’était pas bien coté.
— C’est pour ça que c’est utile d’être gardien contre un peu plus de nourriture, on peut connaître une botte secrète d’un gladiateur !
— Rho, tu veux dire que t’as triché ?
— Je ne dirais pas triché, mais j’ai utilisé mon métier pour obtenir un petit bonus ! Tu devrais essayer, ça paye !
— Ouais, bha, si le boss est mis au courant… »
Les deux gardiens s’éloignaient. Gladiateurs, hein… Je comprends mieux, ils veulent me forcer à faire du combat d’arène. Je m’approchai de ce corps sans vie et le retournai. Une silhouette féminine encapuchonnée. Je l’avais déjà rencontrée ! Je la regardai pendant quelques secondes.
Bien sûr, Myr ! C’était la fille de l’île du portail ! Dire que je m’étais donné la peine de la sauver… Quel gâchis… Une vague de dégoût me traversa. J’observai ses blessures : des coupures sur tout le corps. Je soulevai son T-shirt détrempé d’un sang refroidi et poisseux. Une large coupure était visible sur son abdomen, en plus des marques de brûlure diverses. Ces entailles ne semblaient pas provenir d’un combat, il semblerait plutôt qu’elle ait été torturée.
« Décidément, ces mammifères ne changeront jamais… » chuchotais-je tout en levant sa capuche.
J’avais toujours été curieux de découvrir à quoi elle ressemblait. Elle avait un beau visage doux au nez fin, recouvert de taches de rousseur. Des cheveux orange ornaient cette face si bien proportionnée, et des oreilles pointues ? Elles étaient deux fois plus longues que celles d’un humain, se terminant par ce qui semblait être du cartilage épais en forme de pointe vers le haut. Ce n’était donc pas une humaine.
Que faisait-elle alors avec ce groupe de débutants à l’île du portail. J’utilisai ma technique de télékinésie chirurgicale pour arracher la puce de son cou. Je la mis dans ma poche en attendant d’avoir accès à mon inventaire. J’avais pris l’habitude de prendre la puce de ceux que je tuais, mais pour Myr c’était différent. J’avais déjà les puces de ses trois compagnons de l’époque, il aurait été injuste de la laisser toute seule ici.
J’y pense, ces deux gardes se dirigeaient vers la direction de ma cellule. Même si ce n’était pas pour moi, il vaut mieux que j’y retourne ! De toutes les manières, j’ai laissé du fluber dans celle-ci, je pourrais revenir pour continuer mon exploration.
« Téléporte », murmurai-je. J’apparus dans mon cloitre. Je m’assis sur ma planche de bois, les entendant arriver vers la porte. Ils s’arrêtent devant ma cellule. L’un d’eux regarde par la lucarne.
« Tiens, celui-là est réveillé ! – Bienvenue en enfer ! » Il se mit à rire et continua son chemin sans me prêter plus d’attention. Je soupirai. Heureusement que j’avais eu la présence d’esprit de revenir, ça aurait pu être problématique.
« Mac, j’ai besoin de toi ! » J’entends des voix ? On aurait dit l’intonation d’une petite fille. Je cherchais du regard.
Rien, personne !
« Mac, j’ai vraiment besoin de toi ! » Une lueur commença à apparaître devant moi, comme une petite flamme blanche.
« Qu’est-ce ? » demandai-je pour moi-même en observant cette flamme flottante dans les airs. Serait-ce un esprit ? Elle se mit à grandir et à prendre forme, celle d’une jolie fillette aux cheveux roux, le visage recouvert de taches de rousseur, dont les oreilles en pointes désignaient ses origines magiques.
« C’est moi, Myr ! J’ai besoin de toi, Mac ! » me supplia-t-elle, ces yeux plongés dans les miens, un regard sombre et froid. Je regardais l’esprit, sans émettre la moindre surprise ni impression. Après tout, dans ce monde, je m’attendais à tout.
« Bonjour, Myr, tu as besoin de moi ? chuchotais-je.
— Oui, je souhaite obtenir vengeance ! me répondit-elle, les yeux toujours aussi froids et emplis d’amertume.
— Je comprends ton sentiment, mais en quoi pourrais-je aider un esprit ?
— En l’exécutant pour moi ! Cette vengeance est le fléau qui me maintient en ce monde !
— Je pourrais le faire, mais qu’obtiendrais-je en échange ?
— Je…
— Te souviens-tu quand je t’ai sauvé ? lui demandai-je.
— Oui, je me souviens ! » me répondit-elle, surprise par ma question sans rapport avec sa demande.
— Hé bien, à l’époque, si je l’ai fait, c’était uniquement parce que te laisser au milieu des cadavres de tes amis m’aurait apporté plus de problèmes qu’autre chose. Je ne fais jamais rien pour les autres de façon désintéressée ! lui expliquai-je.
— Je… Je comprends. » Elle sembla réfléchir. Je restai silencieux, l’observant.
C’était étrange qu’elle ait pris cette apparence de jeune fille rousse et frêle aux longues oreilles pointues et tombantes. Était-ce une évolution de la race humaine qui vivait dans ce monde ?
« Je suis arrivée dans ce monde il y a presque deux cents ans. Je connais bien des secrets, je pourrais te les révéler, me proposa-t-elle.
— C’est un bon début, mais à quel point désires-tu la vengeance ? lui demandai-je.
— Hé bien… Je t’offre aussi ma personne comme spirituelle ! me dit-elle après un moment d’hésitation.
— Ho ? Tu peux faire cela ?
— Oui, je peux ! me répondit-elle, son regard empli de détermination.
— Qu’est-ce que toi, en tant que spirituelle qui me sera liée jusqu’à ce que je meure, peux m’apporter de si précieux ? lui demandai-je de manière ironique.
— Je suis arrivée en ce monde avec la magie de soin ! Bien loin de celle d’ici qui utilise la lumière, la mienne est bien plus puissante.
— Intéressant, mais je désirais un moyen de locomotion comme second spirituel, alors je ne sais pas trop…
— S’il te plaît ! me supplia-t-elle.
— Je serais un moyen de transport aussi, je te le garantis ! S’empressa-t-elle de rajouter avec certitude.
— Tu as conscience que je n’ai rien d’ordinaire et que se lier à moi pourrait être pire que la mort sur le long terme ?
— Oui ! Je l’ai senti la première fois. Tu ne possèdes rien d’un humain, tu n’as aucun cœur, aucune empathie, ni désirs ni objectifs ! Je le sais, c’est pour ça que je te le demande, me dit-elle en me regardant dans les yeux.
— De plus, ce qui me conforte dans cette idée, c’est que tu as juste demandé ce que je t’apporterais, jamais rien sur ma vengeance en elle-même, précisa-t-elle
— C’est vrai, c’est un point qui pourrait sembler important. Alors, de qui ou de quoi désires-tu te venger ? lui demandai-je.
— De ce royaume entier ! me répondit-elle sans hésitation.
— D’accord ! lui répondis-je face à sa détermination.
— Quoi ? C’est tout ? me demanda-t-elle, interloquée.
— Oui, serrons-nous la main pour conclure le pacte. Nous verrons plus tard pour les détails.
— OK… » Elle me tendit sa petite main frêle. Le pacte fut scellé.
Type : Spirituel (lié forcé)
Nom : Myr
Race : Estrayant des plaines d’Ectesa
Niveau : 35
Rareté : unique
Éléments : Soin et malédiction (spéciale)
Bonus octroyé : Autorégénération (disponible aux niv 45), autoguérison (disponible aux niv 45)
Avantage métier : Tous les métiers utilisant le soin comme base (disponible aux niv 45)
Sort offensif octroyé : Maléfice de soin (disponible aux niv 45)
Sort de soutiens octroyé : Soin (disponible aux niv 45), guérison du poison, des infections et des maladies (disponible aux niv 45).
Transport : Carriole de marchand (disponible aux niv 45).
« Bien. Commençons par sortir d’ici, avant d’entamer notre pacte ! dis-je à Myr qui semblait troublée.
— Heu… oui…
— Pour le moment, viens t’installer dans l’anneau ! » lui conseillai-je. Elle s’exécuta et disparut. J’ignorais la nature exacte de sa vengeance, mais une chose était sûre : je n’allais pas m’ennuyer de sitôt. Je pointai la porte d’acier du doigt. Elle se transforma en bille.
« Bubulle ! » appelai-je.
Le slime apparut à côté de moi.
« Es-tu prêt pour un bon repas ? » lui demandai-je avant d’avancer vers la porte, la changeant en bille. Un homme, mal rasé et blessé, me regarda stupéfait. Je lançai un fluber foudroyant qui l’assomma. Je fis signe du doigt. Bubulle lui sauta dessus, l’enveloppant complètement sans un bruit. La chair, le sang, la peau et les os du corps de l’étranger se sont dissous rapidement, ne laissant sur le sol que la puce et ses plombages dentaires. Je récupérai le composant et passai à la suivante.
Ainsi, je nettoyais – ou du moins laissais à mon slime le soin de nettoyer – dix cellules avant la mienne et cinq après, jusqu’à celle de Myr.
Je réduisis ma densité et flottais dans les airs. Je montais jusqu’au plafond, au niveau de l’ouverture. Je ne voyais pas grand-chose dehors par la petite fenêtre à barreaux. Je lançai un fluber et me téléportai à l’extérieur.
Je me retrouvai face à un garde en faction. Surpris, il prit une inspiration pour donner l’alerte. D’un geste télékinétique, je lui arrachai la trachée et les cordes vocales. Il suffoqua, mais n’était pas mort, incapable d’appeler à l’aide. Il sortit son épée et me fonça dessus maladroitement, sans doute déstabilisé par la douleur. J’évitai avec aisance son coup d’épée et réduisis sa tête en bille qui roula sur le sol, laissant tomber un corps sans vie dont le sang se déversa comme une carafe de vin renversée. Il y avait une puce dans la mare ainsi formée. Je récupérai celle-ci. Les gardes étaient donc des étrangers.
J’étais dans l’enceinte d’un bâtiment aux hautes murailles. Je venais de sortir d’une tour d’une trentaine de mètres.
« Inventaire »
Toujours rien. Il fallait que je m’éloigne afin de reprendre le contrôle du système.
Utilisant ma télékinésie, je remontai sur mes pas jusqu’au sommet de la muraille. À l’extérieur, je pouvais distinguer une ville de style médiéval s’étendant sur facilement deux ou trois kilomètres de chaque côté. Je devais donc être dans la capitale du pays, ou du moin une ville importante pour celui-ci.
Réduisant ma densité, je sautai de la muraille et, tombant lentement, j’atterris sur un toit de tuiles rouges d’une maison bourgeoise.
Je descendis dans la rue de la même manière après avoir vérifié que personne n’était présent.
Dans un grésillement, ma mini-map s’activa. Je venais de récupérer le système.
J’ouvris mon inventaire et, me camouflant sous une cape, j’avançai vers la rue principale de la ville qui, en cette fin de journée, semblait s’endormir comme les braves gens dans leur chaumière.
Sur la route, je trouvai une petite auberge dans la rue principale.
Je m’installai sur le lit enlevant ma cape à capuche.
« Myr. » appelai-je.
La petite Estrayante apparut à côté de moi.
≈
Son pistolet à silex à la main, le coup de feu retentit alors que le sang se dispersa sur le sol de pierre derrière le garde, dont la cervelle était en lambeaux.
« Que s’est-il passé ? C’est la dernière fois que je le demande ! » hurla l’homme costeau tenant l’arme de poing.
« On ne sait pas, Boss, je t’en prie… » dit le garde agenouillé à côté du mort.
« Comment une quinzaine de prisonniers gardés dans la tour au cinquième étage peuvent-ils disparaître ? » Il tendit son arme sur le front du garde.
« Je suppose que vous ignorez la perte financière que cela a créée… » Il tira.
« Vous tous ! » s’adressa-t-il aux autres gardes réunis pour cette occasion, qui servait d’avertissement.
« Le premier prince du pays va être très déçu. Il faut retrouver, ne serait-ce que la fille, sinon il n’y a pas que ma tête qui tombera ! Mettez en route vos réseaux et utilisez vos jambes ! Ils ne doivent pas être loin, un groupe de dix prisonniers, ça ne passe pas inaperçu ! » poursuivit-il.
Il s’éloigna des gardes qui commençaient à courir dans tous les sens.
≈
J’étais assis en face de cette femme à capuche à l’une des tables de notre auberge.
« Voici vos plats, sieurs et dames ! annonça la serveuse en déposant notre commande sur la table.
- Mange, Myr, ne te fais pas prier ! dis-je.
- Tu sais que je n’en ai pas fondamentalement besoin ! me répondit-elle une fois que la servante se fut éloignée.
- Oui, mais comme je te l’ai expliqué, il est important que tu continues à être vivante, lui précisai-je.
- Oui, tu m’as expliqué que c’était important, mais tu ne m’as pas dit pourquoi ça l’était.
— Pour faire court, j’estime qu’au vu de l’histoire que tu m’as contée, ils vont sans doute être à ta recherche, c’est pour ça que c’est important.
— Ceci dit, je suis impressionnée que les spirituels puissent créer un corps solide comme ça.
— Bubulle aussi créait son propre corps ! me fit-elle remarquer.
- C’est vrai, je n’y avais jamais pensé. C’est un des mystères de ce monde…
— En parlant de monde, parle-moi du tien, Myr ! Tu es une Estrayante si j’ai bien suivi, continuai-je en grignotant le contenu de mon assiette.
- Oui, je suis de la race estrayante, originaire de la Forêt éternelle du monde nommé Trassvalte.
Je suis arrivée il y a environ deux cents ans. Je n’étais encore qu’une enfant à l’époque. Je me souviens qu’un portail s’était ouvert dans notre monde en guerre.
Notre race étant persécutée, nous avons fui par le portail, après l’avoir camouflé afin que nos ennemis ne puissent nous suivre.
Mon peuple est arrivé en ce monde, doué pour la magie ; nous avons donc, naturellement, rejoint le continent d’Uruel et ses quatre cités, créant ainsi une cinquième cité magique.
— Pourquoi étiez-vous persécutés dans ton monde ?
— Mon père m’a raconté qu’une divinité nommée Tokvielle avait envoyé des démons pour détruire notre race, parce qu’à l’époque, nous avons cru en un autre dieu du nom d’Aspharâtre qui ne nous a pas sauvés, nous forçant à l’exil.
— Une guerre de religion donc. Tous les mondes se ressemblent au final… dis-je pour moi-même.
- Dans ton monde aussi il y a des guerres de croyances ?
— Oui, enfin il y en a eu dans l’Antiquité. Maintenant, on nomme cela du terrorisme, mais ce n’est rien de plus que de l’instinct bestial, pour les raisons incongrues de ce que l’on désire croire. Et généralement, c’est la même chose pour tout le monde : la paix, l’amour, le bien-être !
C’est ce que prônent toutes les religions, mais parce qu’elles ne portent pas le même nom, on se permet les pires choses, tel qu’ôter la vie, de commettre des actes de torture, de viol ou d’esclavagisme à l’encontre de personnes que l’on considère comme des sous-êtres par différence de croyance.
Au lieu de simplement nommer les choses et dire que l’on est des bêtes et qu’on aime tuer, violer et faire souffrir nos semblables. Mais le pratiquer sans raison serait renier ce qu’on appelle la conscience, alors les gens disent que c’est pour le nom d’un Dieu ou d’une croyance. C’est stupide !
— Pourtant, tu ôtes des vies et fais souffrir sans sourciller toi aussi ? me fit remarquer Myr.
- En effet, ce qui m’énerve, ce n’est pas de commettre des actes que l’on pourrait nommer répréhensibles, de par la vision commune de la société, mais de le faire sous camouflage. Moi, je n’ai jamais donné de raison pour agir. Ma conscience est ce qu’elle est, j’assume mes propres péchés sans aucun regret ni excuse.
— Tu ne crois pas en un dieu ?
— Un dieu n’est qu’une illusion pour protéger sa propre conscience !
— D’ailleurs, pourquoi es-tu ici ? Toi ? me demanda Myr après quelques minutes
— Moi ? Dans mon monde, un portail a été découvert il y a dix ans. Comme il était impossible de certifier ce qu’il y avait derrière, les gouvernements mondiaux ont décidé de se débarrasser des « déchets » de la société et ainsi de dépeupler les centres carcéraux. Tous les étrangers qui viennent de la Terre sont les pires criminels de notre planète, moi y compris.
— Votre monde considère le portail comme une poubelle ? Alors que pour le mien, c’était une porte salvatrice… Quelle ironie…
— Je trouve aussi !
— Tu dis dix ans, mais tu es sûr de ne pas te tromper ?
— Comment ça ?
— Les premiers arrivés de ton monde appelé Terre datent d’il y a cent vingt ans. Ce sont d’ailleurs eux qui ont mis en place ce système de guidance que tu as dans la nuque afin de gérer le flux d’arrivants.
— Cent vingt ans ? Donc les premiers arrivés ici doivent être morts alors ?
— Non, celle qui a créé ce truc et me l’a implanté est toujours là , en pleine forme. Elle est même devenue l’une des dirigeantes du centre de recherche magique de l’empire Grivas.
— Comment est-ce possible ? Elle devrait être morte…
— Je me souviens qu’elle avait parlé de flux temporel différent. Elle avait utilisé une échelle d’un pour douze.
— Ho, je vois… Donc ça ne fait même pas un an que je suis arrivé dans ce monde. Dans mon monde d’origine, cela ne ferait même pas un mois. Si c’est du un pour douze, un mois sur Terre correspondrait à une année ici.
— Oui, c’est ce qu’elle avait expliqué et avait fini par dire qu’il était impossible pour votre race de se reproduire dans ce monde.
— Comment ça ?
— Même si vous êtes des races proches, les humains de ce monde et vous avez des gènes différents, comme deux sous-espèces éloignées. Il est donc improbable qu’une reproduction puisse avoir lieu. Et pour ce qui est entre votre propre espèce venant de la Terre, l’échelle des un pour douze rend impossible la procréation, résultant d’une fausse couche au bout d’un an en moyenne.
— Ho ? Tu veux dire que la grossesse prend douze fois plus de temps de ce fait, le corps ne l’accepte pas ? Donc j’en tire la conclusion, notre corps vieillit aussi douze fois plus doucement ?
— C’est ça !
— Donc, si la moyenne de vie est de soixante-dix ans, ayant trente-deux ans, cela fait que je vivrais encore quatre cent cinquante-six ans ici, bien sûr, si je meurs de vieillesse.
— Ça fait une sacrée longévité, même si au premier abord, peu de ceux qui arrivent par le portail ne dépassent les dix années de vie dans ce monde, se faisant soit tuer par leur semblable, soit par un monstre. Les seules exceptions sont les étrangers restant dans les zones d’arrivée, ainsi que ceux que l’on nomme les grands aventuriers, prenant tous les risques au péril de leur vie et surpassant les dangers.
— Je deviendrais sans aucun doute un grand aventurier ou je mourrais. La première des catégories n’est pas pour moi. Sais-tu pourquoi j’étais considéré comme un criminel dans mon monde ?
— Je suppose que c’était dû à des meurtres ?
— En effet, j’ai été diagnostiqué sociopathe. C’est une maladie d’inhibition des sentiments. Je tuais pour chasser l’ennui de ma vie, jusqu’au jour où ça aussi, ça m’a ennuyé. Alors je me suis rendu à la police pensant être condamné à mort et en finir avec cette vie vide de sens. Et finalement, une nouvelle chance s’offre à moi. Depuis que je suis arrivé dans ce monde, toutes ces nouvelles choses, toutes ces découvertes, cette vie faite de violence et de chasse aux monstres ont fait disparaître l’ennui qui me rongeait. Alors si je dois mourir, autant que ce ne soit pas d’ennui par peur de choses que je ne connais pas.
— Je comprends… Inhibition des sentiments ?
— Oui, l’on ne ressent pas grand-chose. Pour ma part, ce que je peux ressentir, ou du moins que je pense avoir, car parfois à force de faire semblant d’être normal, on finit par s’auto-convaincre des sentiments que l’on s’invente. Du moins jusqu’à ce que le voile se lève et que l’on retombe de haut… Ces sentiments sont l’ennui, l’exaspération et parfois la colère.
— As-tu fini de manger ? demandai-je en regardant une pile d’assiettes au coin de la table.
— Oui, merci ! me répondit l’Estrayante.
— On va remonter dans la chambre pour préparer notre plan d’action pour détruire ce royaume ! » dis-je sereinement à Myr. C’était la première fois que je parlais autant et me confiais à quelqu’un. Était-ce parce que Myr m’appartenait ? Qu’elle était déjà morte et que son âme m’était liée jusqu’à la mort ? Je ne saurais le dire. Ce qui est certain, c’est que je respecterais la promesse faite, et que cette nation vivait ses derniers mois !
FICHE D’INFORMATION
L’ESTRAYANT
Les Estrayants sont une race humanoïde de taille comparable aux humains. Ils ont des cheveux de bleu turquoise à vert foncé pour les mâles et de blond à rouge écarlate pour les femelles. Leurs yeux sont généralement de couleur rose clair, leur spécificité physique est leurs longues oreilles en cartilage.
À l’origine, les Estrayants sont un peuple vivant dans le royaume de la forêt éternelle, ils sont sédentaires, mais ne vivaient pas pour autant en communauté, préférant leur liberté individuelle.
Suite à un conflit sur leur planète d’origine, pour survivre, ils ont dû fuir et se sont retrouvés sur le continent d’Uruel formant ainsi leur capital, la cinquième cité de magie.
Les Estrayants ont une très grande habileté avec la magie liée aux éléments de la nature tels que l’eau, le vent, le bois et la terre. Ils ont une très bonne vue qui fait d’eux de très bons tireurs d’élite et des éclaireurs reconnus pour leurs habilités.

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