2. Le groupe
Cela faisait deux semaines que les cours avaient commencé, lentement mais sûrement. Nous avions déjà suivi de nombreuses leçons : histoire du continent de Beldan, étiquette de la noblesse, hiérarchies féodales, titres de cour et leurs protocoles. Tout ce que les nobliaux considéraient comme essentiel à l’élévation morale d’un chevalier. J’avais supporté l’ennui avec résignation, même si certains pans historiques de Beldan avaient éveillé ma curiosité.
Enfin… les cours pratiques débutaient.
Notre première mise en situation consistait en une évaluation des classes dites « roturières ». Pour devenir de véritables chevaliers, nous devions former une coalition composée d’au moins un noble et un roturier. Une hérésie, selon certains camarades qui avaient geint pendant des jours. Mais le professeur Malcorme, un vétéran à la mâchoire brisée et à l’œil unique, avait tranché d’un ton sec : « Ce n’est pas négociable. Le peuple sera vos compagnons de route, vos soutiens, parfois vos sauveurs. Apprenez à les regarder en face, avant qu’ils ne soient vos juges. »
Les roturiers étaient regroupés en deux classes distinctes. La première, celle des fantassins, concernait les non-mages et ceux issus du continent de Graphe. La seconde, celle des mages, accueillait ceux doués en magie ou originaires d’Uruel, où l’éther imprégnait jusqu’à la terre. Ces élèves pourraient, en théorie, évoluer vers la classe supérieure… à condition d’être capables de manier lame et sortilège.
Je notai l’absence manifeste d’hommes-bêtes ou de races étrangères. Aucun d’eux n’était admis au cursus chevaleresque. Cette exclusion m’irrita. Si l’archipel céleste prospérait grâce à la mixité de ses peuples, pourquoi les académies impériales persistaient-elles dans cette vision raciale étriquée ? J’ajoutai une note mentale : changer cela, un jour.
L’épreuve du jour était simple : chaque roturier effectuerait une démonstration de ses talents. Ensuite, les nobles choisiraient leurs alliés parmi eux. Nous disposerions de deux mois de liberté pour nous entraîner en groupe, puis un examen évaluerait nos performances et établirait le classement académique des coalitions.
Les groupes se composaient de cinq membres minimum, sans autre exigence que la présence obligatoire d’au moins un noble et un roturier. Ce classement collectif donnait accès à divers privilèges, et le système poussait à la stratégie et à la coopération… ou à la manipulation.
Nous étions arrivés à l’arène, un large amphithéâtre de pierre où les roturiers s’échauffaient. L’effervescence régnait, mêlée à une tension sourde. En attendant le début des démonstrations, nous pouvions circuler librement dans les couloirs ou nous approcher des stands commerciaux bordant les gradins.
« On va faire un tour ? » me demanda Seta, l’air détaché.
Je lui glissai à voix basse :
« J’aimerais jeter un œil aux coulisses. Voir comment ils se préparent. »
Seta haussa un sourcil. « Avec nos uniformes, on va se faire repérer à des kilomètres. »
Je souris. « Pas si on change d’uniforme… et de visage. »
Nous nous éloignâmes des regards et, d’un mouvement fluide, je lançai un sort d’illusion. En quelques secondes, nous avions revêtu l’apparence de deux roturières banales.
Seta, grande et rousse, portait une masse aussi large que son dos. Elle avait l’air d’une baroudeuse impitoyable. Moi, j’avais choisi le visage d’une frêle blonde au teint pâle, couverte de taches de rousseur, un simple bâton de mage entre les mains. Les uniformes ternes des classes inférieures remplaçaient nos tenues aux tissus coûteux.
Ce n’était pas la première fois. Lors de nos anciennes quêtes, changer de visage et de nom faisait partie du jeu. Jouer un rôle, duper l’ennemi, s’infiltrer, observer… Tout cela faisait partie de notre formation d’aventurières, bien avant l’académie.
Ici, il était temps de voir ce que valait vraiment la génération montante des classes oubliées.
Nous entrâmes dans les coulisses de l’arène.
Il y avait là facilement cent cinquante roturiers, tous regroupés dans un vacarme de pas, de cris et de lames qui s’entrechoquent. Certains s’entraînaient seuls avec une concentration rageuse, d’autres, en petits groupes, échangeaient des conseils, des encouragements… ou des illusions.
Je m’approchai de trois filles qui bavardaient à voix basse, assises sur des caisses.
« C’est une chance d’approcher les nobles, dit l’une, l’air presque fiévreux.
— Oui… et en accordant certaines faveurs, peut-être pourra-t-on quitter ce rang de roturière.
— Si tu crois devenir noble en couchant… Au mieux, tu finiras maîtresse, au pire, jetée dans un fossé comme un chien galeux », répliqua sèchement la troisième.
Je passai mon chemin. Leur ambition me semblait aussi creuse que leur stratégie. Je ne cherchais pas des serviteurs rampants ou des courtisans en devenir, mais des compagnons, des égaux en puissance.
Plus loin, Seta bouscula involontairement une fille au teint pâle, aux cheveux châtain clair et aux yeux brun noisette. Sa silhouette fluette contrastait avec la robustesse de ses pairs. Elle trébucha, manqua de tomber, et je la retins de justesse.
« Mer… Merci », souffla-t-elle avec timidité.
« Tu vas bien ? Tu ne t’es pas fait mal ? » s’enquit aussitôt Seta, sincèrement inquiète.
« Non… ça va. »
« Tu es dans quelle classe ? » lui demandai-je.
Mon œil de vérité frémissait légèrement à sa présence. Son mana, bien que contenu, était conséquent pour une roturière. Je la pensais issue de la classe des mages.
« Fantassin », répondit-elle.
Je clignai des yeux. « Fantassin ? »
Elle hocha la tête. « Oui, je suis… disons, pas très douée. Et la magie, je la contrôle mal. Je crois que c’est ma seule chance de démonstration. Si je ne suis pas sélectionnée… je serai renvoyée. Et retourner au village, ce serait… »
Sa voix se brisa.
« Ils ont tout sacrifié pour m’envoyer ici. Toute l’épargne, tous les espoirs… »
Seta posa une main sur son épaule. « Si tu es ici, c’est que tu le mérites. »
« Si seulement… J’ai toujours rêvé d’être chevalier. Mais je suis faible… »
« Si c’est ton rêve, alors tu dois continuer. Ceux qui ne rêvent plus sont déjà morts », dis-je simplement, avant de m’éloigner.
Elle était frêle, certes, mais son potentiel magique était réel. Peut-être pas encore un allié… mais pas à ignorer.
Nous continuâmes notre inspection.
Beaucoup de ces jeunes gens étaient animés par un feu d’espoir, un besoin de fuir la misère. Je pouvais le comprendre… Mais ce feu-là ne m’intéressait pas. Ceux qui voulaient juste survivre sans combattre… ne seraient que des fardeaux en mission.
Un vacarme attira notre attention.
« Alors, le gros, tu supportes pas un petit coup de poing ? »
Une voix pleine de mépris. Nous nous approchâmes. Un jeune homme brun, plutôt massif, était recroquevillé au sol. Il respirait bruyamment, un filet de sang au coin des lèvres. Mon œil de vérité cligna : son apparence était brouillée, masquée par un artefact d’illusion.
« Seta. »
Elle comprit aussitôt. Sa masse d’arme se mit à luire d’un éclat froid.
Un des agresseurs se retourna, ricanant. « Qu’est-ce qu’elle veut, la grosse ? Elle cherche son repas ? »
Un autre ajouta : « La truie veut se rouler dans la boue avec son cousin ? »
Le troisième se contenta de rire, sinistrement.
Le quatrième, plus impulsif, fonça sur Seta.
Elle esquiva. Un seul coup de pied dans l’estomac suffit à le plier au sol, suffoquant. Deux autres se jetèrent sur elle. Elle les domina sans effort, les maîtrisant sans les blesser gravement.
Le chef du groupe, furieux, tenta de m’atteindre. J’esquivai proprement et lui assenai un coup de bâton bien placé à la nuque. Il s’effondra à genoux.
Les quatre étaient hors d’état de nuire.
Je m’approchai du garçon toujours au sol.
« Ça va ? »
Il grimaça. « Ouais. Ces enfoirés… Juste parce que je suis en classe mage. »
Son regard brûlait. Pas de larmes. De la colère. Une fierté blessée, mais intacte.
« On ferait mieux de partir », glissa Seta. « Si un prof nous surprend… »
« Viens avec nous », proposai-je à l’inconnu.
Il nous regarda, perplexe. Puis, lentement, se releva et nous suivit.
Après quelques pas, il demanda, suspicieux :
« Pourquoi… des gens comme vous m’avez aidé ? »
Je fis mine de ne pas comprendre.
« Vous portez des illusions. Je ne peux pas les briser, mais je les ressens. Vous n’êtes pas ce que vous prétendez être. Alors, pourquoi aider un inconnu comme moi ? »
Seta se gratta la tête, visiblement mal à l’aise.
Je haussai les épaules. « Nous non plus, on ne s’y attendait pas. »
Il eut un sourire bref, presque amusé.
« Je retiens ton visage, même si tu le caches. Pour la sélection. »
Je lui rendis un regard entendu, puis pris Seta par le bras.
Il était l’heure. Il nous fallait retrouver notre place parmi les nobles, et choisir.
≈
Dans les gradins réservés aux élèves nobles, Octave était affalé comme un prince sur son trône. À ses côtés, ses deux valets personnels, Darnel et Jorris, riaient à gorge déployée en observant les roturiers s’échauffer maladroitement dans l’arène.
« Obligés de choisir un roturier… C’est une honte », grogna Octave, en croquant dans un fruit juteux qu’il jeta ensuite au sol comme un déchet.
« On devrait pouvoir prendre un esclave à la place », lâcha Jorris, un sourire narquois aux lèvres. « Au moins, lui, il se la ramènerait pas. »
« Tsss… On va devoir supporter leur odeur, leur accent, et leur naïveté. »
« On pourrait toujours prendre celui qui ferme sa gueule. En faire notre porteur d’équipement, ou de sac à potions. Ça passera. »
Octave étira un sourire dédaigneux. « En effet. Un petit larbin bien dressé, ça a son utilité. Et puis, ce n’est pas comme si ces sous-hommes pouvaient faire illusion au combat. »
Il croisa les bras, son regard s’arrêtant un instant sur Mélodie, revenue dans les gradins, le visage impassible. Il plissa les yeux, méfiant.
« Par contre, elle, je la surveille. Cette sœur de Seiran… il y a un truc qui cloche. »
≈
Un peu à l’écart, dans un des couloirs menant aux zones de repos, Martin Restéas ajustait les sangles de sa tenue. Son épée bâtarde reposait contre le mur. Il leva les yeux lorsque son interlocuteur – un noble de seconde génération, à la posture rigide et au regard calculateur – arriva enfin.
« Tu as bien réfléchi ? » demanda Martin, sans détour.
« Hm. J’ai vérifié ton dossier. Tu es issu d’une famille influente… mais tu n’as pas de titre. »
« En république, on n’en a pas besoin. Ce que j’ai, c’est du poids dans les négociations. Et de l’argent. »
Le noble le fixa, silencieux.
« Si tu m’acceptes dans ton groupe, je financerai les enchantements de ton équipement pour ce cycle. Et je t’ouvrirai un accès au centre de formation de Budasta pour les périodes libres. Tu n’auras qu’à dire que tu viens sur mon invitation. »
Le jeune noble acquiesça lentement, les lèvres pincées.
« Très bien. Mais je veux que tu restes à ta place. Je commande. Tu conseilles. »
Martin sourit, sans chaleur.
« Tu peux diriger tant que tu ne dérailles pas. Je ne suis pas là pour flatter ton ego. Je suis là pour progresser. »
Ils se serrèrent la main.
≈
« Candidats et candidates chevaliers, la première sélection va commencer ! » annonça le professeur Malcorme. C’était un homme assez grand, aux cheveux blonds tirés en queue de cheval, une frange trop longue lui cachant presque les yeux, derrière lesquelles se cachaient de petites lunettes discrètes.
« Le principal, les deux vice-principales ainsi que cinq professeurs seront témoins de cette sélection », continua-t-il en désignant le gradin d’honneur du Colisée, surplombant l’arène.
« Que la classe supérieure prenne place dans les gradins. Nous vous rappelons néanmoins les règles rigoureuses de la sélection. Les classes fantassin et mage vont vous faire des démonstrations de leurs talents et de leurs pouvoirs. Vous pouvez ensuite noter les candidats si vous le désirez. Les candidats seront attribués à ceux qui leur auront accordé la meilleure note. En cas d’égalité, c’est au candidat de choisir son groupe. Les groupes incomplets à la fin de la sélection seront disqualifiés pour cette année. Les fantassins et mages non sélectionnés pourront soit intégrer les classes écuyer et soutiens, soit retenter leur chance l’année prochaine. Un groupe ne peut excéder cinq membres. Enfin, si certains parmi vous ont déjà conclu des accords pour former la base de leur équipe, gardez-les à l’esprit. »
Je n’avais pas conclu d’accords. Je restais avec Seta. Contrairement aux nobles des classes supérieures qui concluaient des arrangements souvent politiques, notre nation, principalement commerçante, ne pouvait favoriser un pays ou un territoire en particulier. Nous avions donc décidé de rester entre nous deux, pour sélectionner trois roturiers dignes d’intégrer notre équipe.
La présentation commença. Certains s’affrontaient dans l’arène pour démontrer leur valeur, tandis que d’autres utilisaient leur magie sur des mannequins. Je regardais avec Seta, mais aucun ne retenait vraiment mon attention pour l’instant.
Un homme s’avança au centre de l’arène. Il était grand, les cheveux roux coiffés en pics, un bandeau noir noué sur le front, dissimulant à peine ses oreilles d’homme-bête. Son regard balayait les nobles avec un mépris évident. Ses gestes, bien que calmes, révélaient une force physique impressionnante et une maîtrise précise.
Autour de nous, des murmures sceptiques s’élevaient. Comment un homme-bête pouvait-il prétendre à la noblesse ? Pourtant, il ne fit rien. Il planta sa lance dans le sol, ferma les yeux, et attendit, immobile. Aucune démonstration spectaculaire, rien d’autre qu’une présence imposante.
Sans hésiter, je levai mon panneau, lui attribuant la note de huit. Seule. Autour de moi, le silence s’installa, empli d’incrédulité.
« Bien… alors, rejoins ta nouvelle équipe… » dit le professeur Malcorme à la personne au milieu de l’aréne.
Celui-ci me regarda avec un regard assez dur avant de sortir de l’arène pour monter nous rejoindre dans les gradins. Il s’installa sans un mot derrière nous. Qu’importe, nous ferons connaissance après. Je souris à Seta pour la rassurer sur mon choix. Elle ne dit rien et se contenta de regarder la suite des présentations. Puis la jeune fille que nous avions bousculée entra sur le terrain, affrontant un autre fantassin. Armée d’une épée longue, elle parait les attaques avec une certaine aisance, mais sous la pression et les regards lourds de l’arène, elle trébucha brusquement. Un rire moqueur monta de la foule des nobles, glacé et cruel.
« Seta, ton avis ? » lui demandai-je doucement.
— Dommage qu’elle soit si tendue, répondit-elle à voix basse. Elle aurait pu mieux faire… Mais ses mouvements sont bons, elle a du potentiel, ajouta-t-elle avec une pointe d’empathie.
Je reportai mon attention vers notre rouquin dans les gradins, intriguée. « Ton avis ? » insistai-je.
Il ouvrit les yeux, surpris par ma question, et fixa la scène. « Nulle, elle aurait dû aller en classe mage, lança-t-il avec un haussement d’épaules avant de se détourner sans plus d’intérêt. »
— Je suis d’accord avec toi, murmurai-je, mais ses gestes trahissent une force encore brute. Il y a quelque chose à travailler.
Malgré les railleries qui fusaient autour d’elle, je lui attribuai une note de sept. Elle quitta l’arène, les joues rouges de honte, pour rejoindre le rouquin. Son regard évitait le nôtre, et son pas était hésitant.
Le suivant fut le jeune homme que nous avions défendu. Il déploya un sort de vent, léger et précis, amplifiant l’agilité d’un partenaire invisible. L’efficacité du soutien me parla aussitôt. Mais ce qui m’avait surtout impressionnée, c’était qu’il avait perçu notre illusion – un exploit. Je lui mis une note de huit.
Les autres groupes levèrent leurs notes. Finalement, trois équipes obtenaient la meilleure note : huit. Le jeune homme, au corps enveloppé et en sueur, scruta les groupes concernés. Puis, il nous choisit. Avait-il deviné qui nous étions ? Je n’en savais rien. Il rejoignit notre gradin, complétant ainsi notre équipe.
Nous étions désormais un groupe hétéroclite : un asocial méfiant des nobles, une fille timide et maladroite, un garçon corpulent essoufflé. Pourtant, malgré ces apparences, je sentais qu’après quelques jours d’entraînement, nous pourrions devenir redoutables.
« La sélection est terminée, annonça le professeur Malcorme. Vous devrez rester en groupe pendant les deux prochains mois. Aucun cours ne sera dispensé : c’est à vous de vous entraîner et de vous préparer pour l’évaluation de classement. »
« Tsss, regardez ce groupe de perdants », lança un des laquais d’Octave en passant près de nous, le ton méprisant.
Je fis signe à Seta d’ignorer cette provocation, mais je pouvais voir son poing se serrer, prête à exploser.
Nous quittâmes l’arène en silence, le poids de l’incertitude pesant sur nous. Personne n’osait briser le silence. Après tout, qui nous connaissait ici ? Qui savait qui nous étions réellement ?
Puis Seta rompit le silence, la voix forte et brute :
« J’ai la dalle ! »
Et soudain, un éclat de vie dans cette atmosphère lourde.
— On va manger un morceau et boire un coup ? proposa Seta, fidèle à elle-même, directe et sans détour.
— Allons-y, on vous invite ! répondis-je en souriant à notre groupe.
— Où va-t-on ? demanda Seta, toujours curieuse.
— Heu… excusez-moi, je connais un bon restaurant, pas trop cher, si… si cela vous convient… dit timidement Lulu.
— Alors, allons-y ! Bon et pas cher, c’est parfait ! s’exclama Seta en attrapant Lulu par les épaules d’un geste familier.
Une fois installés dans la taverne aux murs sombres, les cartes en main, la commande passée, il était temps de faire connaissance.
— Je me présente, je suis Mél, et voici ma sœur Seta, lançai-je avec un sourire calme.
— Lulu Mirok, fit la fille châtaine en hochant la tête.
— Crok, souffla le rouquin aux oreilles d’homme-bête discrètement cachées sous ses mèches.
— Mathieu Bernoss, termina le jeune homme corpulent à l’allure floue à mes yeux.
Je les regardai tous avec sérieux.
— Je vais être claire : ici, le statut de noble n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est l’efficacité. Ce ne sont pas les courbettes qui nous mèneront à la victoire, mais l’effort de chacun, soulignai-je, le regard franc.
Les nouveaux venus semblèrent surpris, mais l’atmosphère resta détendue.
— Hé oui, ma petite sœur est comme ça ! lança Seta en me serrant brusquement dans ses bras, avec ce mélange d’affection et d’impertinence qui la caractérise.
Je me dégageai doucement, tandis que le serveur apportait nos plats.
— Bienvenue dans l’équipe. J’espère qu’ensemble, nous irons loin, concluais-je avec conviction.
Mathieu sembla vouloir dire quelque chose, mais se ravisa.
— Seriez-vous… commença-t-il.
— Oui ?
— Non, rien… dit-il, gêné.
Seta, fidèle à elle-même, prit la parole avant moi.
— Tu veux savoir si c’est nous qui t’avons aidé dans les coulisses, hein ? demanda-t-elle, un sourire en coin.
Le visage de Mathieu se figea, surpris, et il se tut.
— Eh bien oui, c’est bien nous, annonça fièrement Seta en pointant son pouce vers elle-même.
— Allez, mangeons. On discutera de tout ça plus tard. Pour l’instant, priorité à l’estomac ! reprit-elle avec enthousiasme.
Curieusement, Crok, jusque-là silencieux, hocha la tête en émettant un son approbateur, comme si Seta venait de prononcer une sagesse universelle.
Le repas se déroula dans une ambiance bien plus détendue qu’au début. En sortant, je posai la question qui me brûlait les lèvres.
— Où logez-vous, en ce moment ?
— Crok et moi vivons à l’internat de l’académie, répondit Mathieu.
— Pareil pour moi, ajouta Lulu, la voix plus assurée.
— Ne sois pas si timide, Lulu, lança Seta avec un sourire malicieux. Vous êtes tous les trois les bienvenus chez nous pour quelques jours !
— Comment ça ? s’étonna Mathieu.
— Nous avons une villa pas loin, assez grande pour vous accueillir. Il y a aussi un terrain d’entraînement, une source chaude et tout ce qu’il faut pour se détendre, expliqua Seta avec enthousiasme.
Ils restèrent silencieux, visiblement surpris, comme s’ils ne s’attendaient pas à ce que des nobles leur proposent de partager leur toit. L’incrédulité flottait dans l’air, mêlée à une curiosité timide.
Ma sœur sortit un petit sifflet argenté de sa poche et souffla dedans. Aucun son audible ne se fit entendre.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Lulu, fronçant les sourcils.
— C’est un sifflet à familier, expliquai-je calmement. Il émet un ultra-son, inaudible pour l’oreille humaine.
— Des familiers ? Ce n’est pas pareil que des spirituels ? s’interrogea Mathieu.
— Oui, précisa Seta, en croisant les bras. On élève des grues cendrées. Elles sont précieuses pour se déplacer dans les airs.
— Dans les airs… murmura Crok, frissonnant imperceptiblement.
Au même instant, cinq imposantes grues cendrées, d’un gris cendré aux reflets métalliques, atterrirent avec majesté devant nous. Leurs ailes immenses faisaient frissonner l’air alentour. Je grimpai sur la selle de cuir rigide fixée sur l’une d’elles, invitant les autres à en faire de même.
Assis en équilibre, nous décollâmes, laissant derrière nous la ville fourmillante, montant vers le ciel orageux.
— Où va-t-on ? demanda Mathieu, la voix chargée d’émerveillement mêlé d’appréhension.
— Vers notre villa, répondis-je avec un sourire, en contemplant les nuages en dessous de nous.
Crok, lui, serrait les rênes de sa grue avec force, les yeux fermés, les dents crispées. Était-il sujet au vertige ? Je ne pus m’empêcher de me demander.
Au-delà de l’horizon, une île flottante se dessina peu à peu, suspendue dans les nuages comme un joyau oublié. Au centre trônait une somptueuse villa, aux murs de pierre claire, entourée de jardins luxuriants où des fleurs rares s’épanouissaient dans une lumière tamisée. Un arbre au feuillage rose vif s’élevait près d’un petit étang fumant, dont la vapeur semblait danser dans l’air frais.
Les grues se posèrent doucement sur la terre suspendue, leurs serres agrippant le sol avec une grâce presque surnaturelle.
— Mais… qui êtes-vous donc ? demanda Mathieu, les yeux écarquillés devant ce spectacle irréel, sa voix trahissant une fascination mêlée d’incrédulité.
— Nous sommes simplement des habitantes de l’archipel céleste, répondis-je en croisant son regard, un sourire énigmatique aux lèvres. Et ceci est notre demeure.

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