3. Faisons connaissance

« Notre but premier, ce n’est pas de gagner le tournoi qui arrive », lançai-je à mes nouveaux coéquipiers alors que nous nous détendions dans la source chaude du domaine.

Lulu, le visage cramoisi à cause de la chaleur, releva la tête et demanda timidement :

« Quel est-il alors ? »

« Que vous passiez tous les trois en classe supérieure ! » affirmai-je fermement.

Seta, allongée dans l’eau, la chope d’hydromel à la main, sourit malicieusement :

« Ouais, bah… si on peut aussi éclater quelques trous du cul pendant le tournoi, j’suis pas contre ! »

Crok hocha la tête en signe d’approbation, un large sourire aux lèvres. Ces deux-là semblaient avoir trouvé un équilibre simple dans la vie : taper du noble, manger, boire et s’amuser.

Mathieu, qui semblait à bout sous la chaleur, marmonna en rougissant :

« Et comment comptes-tu faire ça ? »

« Ça, c’est votre boulot, répondis-je. Seta et moi, on va vous fournir les outils et la voie, mais c’est à vous de travailler dur. »

Lulu acquiesça d’un air résolu :

« C’est logique. »

Je poursuivis, plus grave :

« Ceci n’est que la première étape. Après ça, il faudra que nous progressions tous au-delà. Le minimum serait d’atteindre la classe commandant. »

Mathieu haussa un sourcil, curieux :

« Quel est ton objectif final ? »

Je laissai planer un silence, puis dis lentement :

« Montrer que la valeur d’une personne ne dépend pas de son rang ou de son nom, mais de son potentiel et de sa volonté. »

Un silence pesant s’installa, Lulu sembla soudain très mal à l’aise.

« Je… je peux sortir ? demanda-t-elle timidement. »

Seta la fixa d’un air sévère :

« Utilise ton mana, ça t’aidera à te sentir mieux. »

« Apprendre à diffuser son mana et à le récupérer, c’est la base. Si tu as mal, c’est que tu retiens ton énergie au lieu de la laisser circuler. Cette source chaude est saturée d’afflux éthériens, un vrai défi pour ton contrôle. Tant que tu ne maîtriseras pas ce flux, tu ne supporteras pas ce bain », expliqua Seta d’un ton presque dur.

Je soupirai doucement. Le temps nous était compté – deux mois seulement pour faire de nous une équipe. Elle avait raison, le contrôle du mana était primordial, la clé de toute compétence.

Je tournai la tête vers Crok :

« Pas de souci pour toi ? »

Il leva sa chope vide avec un sourire en coin.

« Ma chope est vide, sinon ça va. »

Je me tournai vers Mathieu et Lulu :

« Je vais vous guider pour un exercice d’extériorisation du mana. Vous n’aurez besoin d’aucun élément. Fermez les yeux. »

Ils obéirent, le front plissé par la concentration.

« Imaginez votre mana comme un tourbillon tournant autour de votre plexus solaire. Visualisez-le inverser sa rotation, parcourir chaque cellule de votre corps, rechargeant et purifiant, avant de s’échapper par vos mains et vos pieds. »

Une lueur douce, jaune pâle, illumina lentement l’eau bouillonnante autour de nous.

« C’est ça. Pour l’instant, ça demande un effort conscient, mais avec de l’entraînement, cela deviendra naturel. Votre mana circulera librement dans votre corps, vous permettant de mieux le contrôler, de le modeler et de l’exploiter », expliquai-je, satisfaite de leur progrès.

Après quelques minutes, nous sortîmes de la source éthérienne. Assise contre le tronc du cerisier japonais aux fleurs rose pâle, Seta discutait avec Crok, tandis que Mathieu et Lulu récupéraient de l’exercice, leurs respirations encore lourdes.

La brise légère agitait doucement les pétales. Faisant chanter les floraisons de l’arbre.

Une note cristalline, étrange, presque mélancolique, flotta dans l’air un instant. Personne ne sembla la remarquer.

Je clignai des yeux. Peut-être était-ce le vent.

Je sortis un petit feu de camp, installai mes ustensiles et disposai quelques légumes sur une table rustique en bois. Le moment était venu d’aborder un autre aspect tout aussi essentiel : la vie ensemble.

Mathieu s’approcha de moi.

« C’est vous qui cuisinez ? me demanda-t-il.

— Arrête avec le vouvoiement, je te l’ai dit, nous sommes collègues, il n’y a aucune raison de me vouvoyer.

— Oui… excuse-moi…

— Oui, c’est moi qui cuisine. Mon père est un passionné de bonne nourriture, il m’a transmis son virus, je dirais, répondis-je avec un sourire face à certains souvenirs.

— Je n’ai jamais entendu parler de l’archipel céleste. Elle se trouve où ? » me demanda Mathieu en m’observant découper divers ingrédients en lamelles.

« Elle se trouve là où le désirent mes parents, elle n’a pas d’emplacement précis, lui répondis-je.

— L’archipel est constitué de plusieurs îles comme celle où nous nous trouvons et se déplace au gré des commandes et des besoins, précisai-je sous son regard dubitatif.

— Tu nous montres ton visage ? demanda Crok qui arrivait avec Seta, leurs chopes à la main.

— Hum ?

Je fus surprise par cette demande.

— Je n’aime pas les nobles, même si Seta est différente ! me dit-il en m’observant.

— Pourquoi ne les aimes-tu pas ? demandai-je.

— Ils ont vendu ma famille comme esclave parce que mon village ne pouvait pas payer la taxe !

— Pourtant, tu es dans la classe fantassin, non ? demanda Seta.

— Oui, un riche marchand m’a acheté avant de me libérer de l’esclavage en m’adoptant, même si je suis un homme-bête ! » dit-il en remuant ses oreilles rousses et duveteuses, des esgourdes de lynx avec de longs poils noirs qui jusqu’à présent formaient des mèches sombres dans sa chevelure rousse.

« Tu es un homme-bête ? Tu as une queue aussi ? Tu me la montreras ? demanda Seta, excitée par cette découverte.

— Heu… oui… répondit Crok, gêné.

— Un marchand t’a acheté avant de t’adopter ? demanda Lulu, étonnée.

— Ouais, c’était pour sa femme. Cette vieille truie ne pouvait pas avoir d’enfant, alors il lui en a offert un qui ne puisse rien faire contre ce qu’il subirait », dit-il en serrant les dents.

À son expression et au ton de sa voix, on pouvait deviner que sa mère adoptive n’était pas du genre câlin.

« Et pourquoi veux-tu que j’enlève mon masque ? » demandai-je tout en confectionnant des brochettes de viande rouge.

« Tu parles d’équipe, d’évolution, qu’on passe tous dans la classe des nobles ! me dit Crok.

— Mais peut-on faire confiance à une noble se dissimulant sous un masque comme les acheteurs d’esclaves aux enchères ? continua-t-il.

— Je vois, je suppose qu’entre nous je peux l’enlever… »

Je me retournai et appelai Lulu, qui nous rejoignit.

« Ne prenez pas peur en voyant mon apparence ! » dis-je en ôtant l’illusion, laissant apparaître mon visage typé japonais aux regards de mes équipiers.

Crok eut le réflexe de vouloir m’attaquer ! Mais une lame courbe sous la gorge, tenue par Seta, l’en dissuada.

Tandis que Lulu et Mathieu eurent un geste de recul.

« Qu’est-ce que ça signifie ? » me demanda Mathieu, le regard craintif pendant que Crok semblait réfléchir à un moyen d’inverser sa situation.

« Mon père m’a recueillie et j’ai donc eu une éducation correcte. Je ne suis pas une vulgaire Kraal. C’est la raison pour laquelle je dissimule mon visage sous un masque illusoire, expliquai-je.

— Oui, et ceux qui tentent de s’en prendre à Mél s’en prennent aux pays de l’archipel céleste, donc gardons notre calme et discutons », ajouta Seta en retirant sa lame de la gorge de Crok.

« Cela te convient, Crok ? demandai-je.

— Hum… murmura-t-il.

— Allons remplir nos chopes ! » dit Seta d’un coup de coude dans les côtes de Crok, le traînant vers la réserve d’hydromel.

« Je comprends pourquoi vous cachez votre visage, dit timidement Lulu.

— Pas la peine de me vouvoyer, Lulu, nous sommes collègues, lui répondis-je.

— Si j’ai bien compris, c’est ton village qui t’a envoyée. Je peux te demander la raison sans indiscrétion ? demandai-je.

— Hé bien… en fait, il y a une famille noble, un vicomte, qui gère mon village, mais par gérance, je veux dire appauvrir en laissant mourir les villageois pour prendre toutes nos productions et s’enrichir personnellement. Le meilleur moyen pour se sortir de cette situation aurait été de demander l’aide d’un chevalier, mais voilà… nous ne sommes qu’un pauvre hameau. Alors, ils ont décidé de m’envoyer devenir chevalier pour revenir ensuite faire justice.

— Je comprends, mais pourquoi la classe des fantassins ? Tu as le potentiel magique pour celle des mages, non ? » demandai-je tout en continuant à préparer mes brochettes sous le regard de Mathieu.

« L’inscription pour la classe de fantassin était moins chère, surtout en fournitures… me dit-elle en toute franchise.

— Tu n’as plus à t’inquiéter de cela. Notre équipe prend en charge vos frais de formation dorénavant. Quoi que vous ayez besoin, il suffit de le demander à moi ou à Seta, on s’occupera des finances.

— C’est… c’est un peu…

— Pas d’objection ! » dis-je tandis que Seta et Crok, chope en mains, s’installaient vers nous.

« Si lors d’une mission on meurt à cause d’un manque d’équipement de notre équipe, l’argent ne nous sauvera pas. Par contre, si celui-ci peut permettre de vous munir de meilleurs équipements et d’avancer dans vos compétences, alors on aura bien plus de chance de survivre, continuai-je.

— Et si ça te gêne toujours, dis-toi que c’est un caprice égoïste d’une noble ! » affirmai-je.

Lulu eut un sourire mêlé de gratitude et d’une pointe d’amertume. Je jetai un coup d’œil à Crok, qui semblait s’être calmé – sans doute une discussion musclée avec Seta avait-elle eu lieu. Mon regard se posa sur Mathieu, les yeux rivés sur les brochettes qui grillaient lentement.

« Et toi, Mathieu ? » demandai-je doucement.

— « Moi, de quoi ? » répondit-il, tiré de sa rêverie, la salive perlant presque à ses lèvres.

— « Peux-tu nous montrer ta véritable apparence ? » insistai-je, sous les regards intrigués de mes compagnons.

Un soupir traversa ses lèvres.

— « Tu as deviné… On m’avait pourtant juré que rien ne pourrait percer mon illusion. »

Seta leva un sourcil, fière :

— « Rien n’échappe au regard de ma sœur. »

Mathieu hocha la tête et retira l’un de ses anneaux magiques.

Au moment où l’anneau quitta son doigt, l’illusion qui l’enveloppait se dissipa. Il retrouva sa forme originelle : un petit être aux longs bras tombant jusqu’aux genoux, recouvert d’un pelage beige clair, avec un visage renfrogné et un nez un peu enfoncé.

« Un Rainevars ? » m’étonnai-je.

— « Avec un tel don pour la magie, c’est inhabituel, » ajouta Seta.

— « Pourquoi suivre un entraînement de chevalier ? » demandai-je, curieuse.

Mathieu baissa les yeux.

— « Mon père est marchand entre Graphe et Beldan. Physiquement faible, mais doté d’un mana rare, je suis rejeté par mon peuple. Devenir chevalier est ma seule chance d’être accepté, c’est une exception qu’ils tolèrent. Mon père m’a envoyé ici, mais si j’échoue, je serai sans refuge. »

Le silence pesa un instant, puis je brisai la tension :

— « Tu as faim ? »

Mathieu reporta aussitôt son attention sur les brochettes.

— « Oui, qu’as-tu préparé ? »

— « Brochettes de frisk des cavernes, une sorte de serpent, tendres et savoureuses, accompagnées de fruits de cactus doré, sucrés et juteux, » expliquai-je en les disposant sur le feu.

Seta sourit et proposa :

— « On s’ouvre une bouteille de prude alcoolisée ? »

— « Tu n’as pas déjà assez bu ? » soupirai-je, tandis qu’elle partait chercher la bouteille.

Crok pencha la tête, intrigué :

— « Prude ? »

— « C’est un fruit de l’archipel céleste, ressemblant à une prune mais avec un goût aigre-doux et un noyau bien plus gros, » répondis-je.

Peu à peu, les regards se firent plus détendus. Les premières barrières tombèrent, les rires timides se mêlèrent à la conversation. Autour du feu, ce groupe disparate semblait enfin commencer à se trouver – unis par la nécessité, et peut-être, à terme, par l’amitié.

FICHE D’INFORMATION

Humain

Description :

Les humains sont la race la plus répandue. Ce sont des humanoïdes mesurant entre 1,60 m et 2 mètres, dotés de petites oreilles rondes. Leur couleur de peau varie du rose pâle au marron foncé. Ils sont relativement glabres, hormis les cheveux et la barbe, dont les teintes vont du blond très clair au noir profond.

Comportement :

Les humains vivent en société, principalement en raison de leur taux de reproduction élevé. Ils dominent numériquement les autres races, non par supériorité individuelle, mais par leur nombre. Leurs compétences en magie ou en combat varient énormément, à l’image de leur diversité croissante. Race invasive, ils n’hésitent pas à soumettre d’autres peuples pour agrandir leur territoire.

FICHE D’INFORMATION

Rainevars

Description :

Les Rainevars sont des humanoïdes plus petits que les humains, mesurant entre 1,20 m et 1,60 m. Ils possèdent une musculature saillante et une peau sombre, recouverte d’un fin pelage uni, dont la couleur varie du noir au beige. Leurs bras, plus longs que ceux des humains, descendent jusqu’à leurs genoux. Leur crâne, plus épais et profond, présente un large front, caractéristique de leur espèce.

Comportement :

Les Rainevars sont des combattants nés, disposant de très peu de compétences magiques. Ils vivent en grandes communautés soudées, dans des villes construites à partir de minerais comme le fer, le cuivre et d’autres métaux ferreux. Bien que peu versés dans la magie, ils sont réputés pour leur artisanat de qualité et leurs talents martiaux. On les trouve principalement sur le continent de Graphe.

FICHE D’INFORMATION

Homme-bête

Description :

Les Hommes-bêtes sont des descendants d’animaux ayant évolué en bipèdes. Leur taille et leur apparence varient selon leur espèce d’origine. Les plus courants sont ceux issus des canidés, félins, reptiles et rongeurs. Leurs traits distinctifs incluent des oreilles reprenant la forme de leur race initiale ainsi qu’une queue. Leur pelage ou leurs écailles diffèrent d’un individu à l’autre.

Comportement :

Les Hommes-bêtes sont souvent sous-estimés par les autres races, servant fréquemment d’esclaves ou de troupes de première ligne dans les armées des royaumes. Selon leurs capacités, certains exercent comme mercenaires au service de guildes marchandes, chasseurs de monstres ou aventuriers. Il est rare qu’un Homme-bête soit anobli, la majorité restant roturière ou esclave de naissance. Leurs compétences en magie ou en technologie varient beaucoup, mais ils manquent généralement des moyens financiers pour étudier la magie.