4. Premiers entraînements de groupe.

Les alentours de la métropole de Ress étaient relativement sûrs, grâce à la présence de nombreux aventuriers. On ne trouvait donc que quelques monstres et bestioles de faible niveau. C’était l’endroit idéal pour notre première sortie, afin d’évaluer notre cohésion de groupe et nos capacités individuelles. Il nous fallait connaître nos niveaux, expériences, facultés et aptitudes pour progresser ensemble.

Chacun monté sur sa monture familière – moi sur mon griffon doré, Seta sur une monture blanche aux bois de gnourf, Mathieu sur un simple cheval, Lulu sur un cerf aux cornes tordues, et Crok sur un sanglier à peau de fer – nous nous dirigeâmes vers l’est de la métropole. Une forêt abritait des cramés de fer, lutins gris aux dents acérées, carnivores de bas niveau mais redoutables par leur nombre, car ils chassaient en meute. Nous avions décidé d’affronter ces bestioles.

Mon œil de vérité, toujours précieux, me confirma que mes coéquipiers étaient tous au-dessus du niveau 35, selon l’échelle des aventuriers.

Nous pénétrâmes dans la forêt sombre et humide, où résonnaient les petits couinements de nos nouveaux ennemis, cachés dans les fourrés.

« Bien, testons nos capacités. Qui commence ? » demandai-je.

— « J’y vais, » répondit Seta avec assurance.

— « On te suit. Le but est de jauger nos compétences, magie et combat physique, il faut faire les deux, » expliquai-je aux autres.

Seta sortit ses deux dagues à courbe inversée et s’abaissa pour avancer silencieusement sous nos regards attentifs. Elle attaqua un fourré, ses armes rapidement couvertes de sang. Six cramés surgirent et l’encerclèrent, tournant autour d’elle. D’un geste précis, elle balança sa lame gauche à contre-sens, tranchant trois d’un coup. Les autres, en infériorité numérique, prirent la fuite. Elle enchaîna avec trois sorts rapides d’immolation. Les petits êtres hurlèrent de douleur avant de s’écrouler, dégageant une odeur de corne brûlée.

« Dagues recourbées, vitesse d’attaque et sorts de feu sont mes spécialités, » annonça Seta en revenant vers nous.

— « À moi ! » s’exclama Crok, tenant fermement sa lance.

— « Même si niveau magie je suis très limité, » précisa-t-il en s’avançant vers les fourrés.

Nous le suivîmes des yeux. Lançant un sort d’ombre, son corps commença à se fondre dans la pénombre de la forêt, pas complètement, mais assez pour une attaque furtive. Sa démarche silencieuse étonna, vu sa masse imposante. D’un coup de lance précis, il trancha un fourré et creusa une large entaille dans un arbre derrière lui. La moitié supérieure des cramés s’envola tandis que leurs cadavres suintaient dans les fourrés.

« Lance et sort d’ombre sont mes compétences principales, » expliqua-t-il.

Mathieu s’avança sans un mot. Il lança un sort de vent. Des lames tranchantes se formèrent, lacérant les fourrés et les créatures qui s’y cachaient. Un ou deux cramés prirent la fuite. Mathieu dégaina alors une petite arbalète de poignet et les abattit de deux tirs précis.

— « Je possède beaucoup de sorts de vent et des compétences à l’arbalète, mais hélas, peu de talents en combat rapproché… » précisa-t-il.

Lulu s’avança timidement.

— « Je… je ne connais pas de sort… » avoua-t-elle, la timidité toujours palpable.

— « Ce n’est pas grave, on fera le test, et on t’en apprendra selon ton domaine, » la rassurai-je avec un sourire.

Seta intervint :

— « Peux-tu nous montrer ta spécialité en tant que fantassin ? »

— « Bien, » répondit Lulu, déterminée. Elle dégaina son épée longue et attaqua avec agilité, repoussant les cramés vers leur refuge, puis les abattit dans une danse funéraire d’une efficacité redoutable.

— « Je pense que tu devrais prendre une arme plus légère, peut-être une rapière ? Tes attaques reposent sur la rapidité et la précision, tu perds en efficacité avec cette épée longue trop lourde, » analysa Seta.

— « Bien, à moi, » dis-je en m’avançant dans la clairière. Approchant doucement un fourré, je saisis une feuille qui s’anima et se transforma en une cage en bois, dont le socle emprisonnait les pieds des sept cramés à l’intérieur. Pour les achever, je serrai le poing, condensant la masse que je venais de modeler. Le piège se rétracta dans une giclée de liquide poisseux, ne laissant au sol qu’une balle de bois ensanglantée. Je dégainai mon épée de ville et attaquai rapidement un second fourré de trois coups précis, éclaboussant les arbres de sang pourpre. Essuyant ma lame avec un chiffon prévu à cet effet, je me retournai vers mes compagnons, découvrant leurs visages étonnés.

— « Eh bien ? » demandai-je.

— « Tu… nous expliques ? » interrogea Mathieu.

— « C’est de la magie de transformation, qui permet de modifier les objets à volonté. Mon arme favorite est cette épée de ville, semblable à une rapière, mais plus rigide et avec une lame un peu plus lourde, » répondis-je sous les rires complices de Seta.

— « Ma sœur est au top de sa forme ! » s’exclama-t-elle fièrement.

— « Ça vous dit de tester un travail d’équipe ? » proposai-je à mon groupe.

— « Comment ça ? » demanda Lulu.

— « Pour progresser, il nous faudra apprendre à collaborer. Je propose qu’on se lance dans une bataille sans stratégie, pas trop risquée, où chacun agira à sa façon. Ainsi, nous identifierons sur quoi travailler, tant pour nos points forts que pour les compétences opposées à notre classe, » expliquai-je.

— Les compétences opposées ?

— Oui, comme Mél l’a dit, notre but est que nous soyons tous dans la classe supérieure après le premier examen et pas forcément d’évoluer dans le classement tout de suite, précisa Seta.

— Pour ce, il vous faut développer vos compétences opposées. Ceux de la classe fantassin devront faire évoluer leur domaine magique, et ceux de la classe magie doivent se concentrer sur le côté martial, continuai-je.

— Ceci dit, ne devrions-nous pas aller le voir ? demandai-je à Seta.

— Peut-être après le test de groupe ? Que nous ayons des données correctes à lui fournir ? répondit-elle en fronçant les sourcils.

— Sinon, il sera fâché si nous ne faisons pas déjà le maximum entre nous… continua-t-elle pour elle-même.

— De qui parlez-vous ? demanda Mathieu.

— De… d’un maître… mais vous le rencontrerez bientôt, pas d’inquiétude, répondit Seta, crispée.

— Allons attaquer la grotte des cramés ! intervint Crok en tendant sa lance vers la caverne un peu plus loin, son regard embrasé par la perspective d’une bataille toute proche.

Nous partîmes alors vers celle-ci. Le combat fit rage. Nous manquions clairement de coordination, mais malgré cela, chacun faisait de son mieux dans ses attaques ou ses soutiens en essayant de prendre en considération les compétences déjà dévoilées des membres du groupe. Ainsi, au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans la cavité, l’extermination se fit plus facile, chacun apprenant à jauger les besoins et les points faibles des autres.

Une fois le raid nettoyé, nous nous retrouvâmes à l’entrée.

— Qu’en avez-vous pensé ? demandai-je.

— Nous ne sommes clairement pas coordonnés, il nous manque encore des renseignements sur chacun, dit Mathieu.

— Nous avons quand même pas trop mal combattu… dit timidement Lulu.

— C’était à chier ! dit Crok.

— Ne sois pas trop dur, mon chou ! dit Seta à Crok, qui sembla rougir un peu.

— C’était notre première fois ensemble, perso je trouve qu’on s’en est sortis mieux que je l’aurais pensé, précisa-t-elle.

— Je trouve aussi, dis-je.

— Bien… il est temps d’aller le voir… dit Seta avec hésitation.

— Il n’est pas si méchant, t’inquiète pas ! essayai-je de la rassurer.

— Allons-y alors…

Je sortis une fiole de cristal qui contenait une texture visqueuse de couleur violacée qui semblait bouger d’elle-même. Une fois que tout le monde se rapprocha de moi, je la débouchai et renversai le contenu sur le sol, qui dessina des symboles magiques dès qu’il atterrit. Nous nous retrouvâmes alors devant un champ labouré.

— Que ? demanda Lulu.

— Téléportation ? demanda Mathieu.

— Oui, c’était un cercle de téléportation. Nous voici sur une des îles de l’archipel céleste, dis-je en montrant derrière nous le précipice nous séparant des nuages plus bas.

— Vous allez rencontrer notre maître, il vous faudra être des plus courtois et polis, dit doucement, presque en chuchotant, Seta.

— Ha vous voilà ! dit une voix grave et forte, faisant sursauter Seta.

— Sir, mes salutations ! dis-je en m’inclinant face à un grand homme blond aux épaules carrées.

— Ne sois pas si formelle, Mélodie. Tu es la princesse de ce royaume, je ne suis qu’un citoyen.

— Sa… Salut Mitch… dit Seta, la voix tremblante.

— Ho voilà la petiote princesse, comment vas-tu ? As-tu bien travaillé tes exercices ? demanda le grand homme blond portant sa bêche sur son épaule, l’air amusé.

— Qui est-ce ? me demanda Mathieu en chuchotant.

— Permettez-moi de vous présenter. Ce monsieur est Sir Mitchel de Régnos, ancien chevalier de rang Saint, ayant pris sa retraite sur l’archipel céleste, dis-je en montrant l’homme.

— Enchanté ! dirent nos trois compères en chœur en s’inclinant avec respect.

— Ne soyez pas si formels, je suis à la retraite. Ainsi donc, vous êtes les apprentis chevaliers qui accompagnent nos deux princesses ? demanda Mitch.

— Bien, puisque vous êtes là, aidez-moi à bêcher ! dit-il amusé, ayant obtenu une réponse silencieuse des trois individus paraissant très stressés par sa présence.

— Vous aussi, mes demoiselles ! dit-il en nous regardant, moi et Seta.

— Seiran, va donc chercher le matériel pour tes petits camarades ! demanda-t-il.

— Avant cela, sachez que ceci est un entraînement. Mitchel va nous entraîner pour nous permettre d’évoluer. Aussi, toutes ses demandes sont des ordres absolus ! dis-je en regardant mes trois camarades tandis que Seta partit en courant vers la remise chercher des bêches.

C’est ainsi que nous commençâmes l’entraînement spécial loin des regards, sur une des nombreuses îles flottantes de l’archipel céleste.