16. Jugement
Plusieurs semaines après leur retour à l’académie, le moment décisif arriva.
La salle du conseil académique n’avait jamais semblé aussi glaciale.
Même la lumière des cristaux suspendus au plafond peinait à dissiper le froid pesant qui régnait ici. Mon groupe se tenait debout, silencieux, face au long bureau noir marbré où siégeaient trois instructeurs – le professeur Malcorne étant assis au centre comme instructeur principal.
Il n’y eut pas de long discours. Pas de félicitations non plus.
Seulement quelques mots, jetés comme des verdicts.
— Mission d’enquête… validée. Vous passez à la classe Commandant. Allez chercher vos nouveaux uniformes dès demain. Préparez-vous pour la seconde phase du test final.
La voix de Vorn était calme, mais chaque syllabe sonnait comme un couperet.
Crok serra discrètement le poing, Seta esquissa un sourire bref, Mathieux ne broncha pas, Yeolset se contenta d’un hochement de tête. Moi, je restai droite, le regard fixe. Ce n’était qu’une étape.
La cour intérieure de l’Académie bouillonnait d’étudiants, certains rassemblés pour les bilans du test final, d’autres simplement attirés par l’agitation. Notre groupe venait à peine de sortir de l’amphithéâtre, le sceau de promotion fraîchement gravé en main, que les voix se mirent à monter.
— Encore eux… maugréa Seta.
Et effectivement, Octave et ses laquais s’approchaient déjà . Le noble se planta droit devant nous, les bras croisés, sourire crispé.
— Félicitations, commandants, lâcha-t-il avec un ton de moquerie mal contenue. L’ascension est fulgurante, pour certains.
— Tu veux une interview ? lança Crok.
— Je me demandais juste, poursuivit Octave, le regard mesurant Crok comme un simple esclave… combien de faveurs royales il faut pour compenser un QI de palourde ?
Seta fit un pas en avant. Mél posa une main discrète sur son épaule. Trop tard.
— Dis ça encore une fois, et je te fais bouffer tes dents, murmura Seta.
Octave sourit, levant les mains en signe de reddition.
— Pas la peine d’être si agressive, il n’est qu’un homme-bête, un esclave ! sourit-il, s’en prenant au roturier le plus sensible de notre groupe.
— Ferme ta gueule ! affirma Seta, tandis que de la chaleur s’échappait de ses poings fermés en fixant le groupe de nobles méprisants.
Alors que la dispute continuait, un de ses acolytes, penché vers un autre, murmura :
— Tout ça, c’est du faux-semblant. Comme l’autre pute. Au moins, elle, elle a eu ce qu’elle mérit…
Octave se retourna immédiatement vers lui.
— Tais-toi, imbécile !
Le silence s’abattit entre les deux groupes. Même les élèves alentour avaient entendu. Seta devint livide. Yeolset ne bougea pas, mais ses yeux s’étrécirent d’un éclat métallique.
Une tempĂŞte de gel pourrait se lever Ă tout moment.
— Répète, souffla-t-elle.
Le laquais blĂŞmit, recula.
— Je… j’ai rien dit…
Seta et Crok avancèrent vers le laquais. J’aurais bien voulu moi aussi m’en prendre à lui, mais… l’académie avait des règles.
— Stop. Pas ici. Pas comme ça, murmurai-je assez fort pour être entendue.
Je lançai un regard à Seta et Crok. Puis je tournai les talons.
— Je vais parler à Dame Élodie.
Octave et ses acolytes blêmirent à vue d’œil, mais j’étais déjà partie dans le couloir sombre et froid de l’académie.
Dans le bureau de la vice-directrice, la pièce sentait le bois ciré et la cendre froide. Elle m’écouta sans m’interrompre, le visage durci.
— Je vais convoquer un mage mémoriel. Nous ferons extraire la vérité directement dans la conscience de ce garçon. S’il ment, ça se verra, annonça-t-elle.
Le mage arriva avant la fin de l’heure. Le souvenir fut extrait, cristallisé, et condensé dans une gemme rouge, pâle et palpitante.
Dame Élodie prit le cristal en main, seule dans son bureau. Les images horribles de la scène où ils s’en prenaient à la pauvre roturière fraîchement promue apparurent dans son esprit, la faisant blêmir.
Mais dans le souvenir, elle ne vit pas le meurtre lui-même. Après avoir infligé de la souffrance à la jeune fille, ils s’éloignèrent pour aller boire un coup dans une taverne…
Elle soupira bruyamment. Ces nobles avaient commis un crime, mais pas assez pour être sanctionnés comme il se doit. Après tout, Lulu, même si dans la classe de haut niveau, restait une roturière.
Même si cela lui déplaisait, Élodie avait les mains liées par les statuts de noblesse. Elle trouvait cela risible…
Lorsqu’elle revint, son visage était fermé comme une tombe.
Regardant le groupe d’Octave, convoqué pour extraire le cristal mémoriel, et le groupe de Mél, qui avait révélé le crime, une idée lui vint. Il n’y avait donc plus qu’une solution, surtout en cette période d’examen.
— Ce que j’ai vu dépasse ce que je pouvais craindre. Mais selon les lois académiques et conformément aux droits des Maisons nobles, nous ne pouvons pas faire grand-chose.
Aussi, ma décision est celle-ci : un crime a été commis. De par le code de chevalier, j’annonce un duel d’équipe, qui fera partie de la continuité de l’examen en cours.
Octave souriait, imbu de sa personne, certain qu’ils s’en sortiraient face à ce duel intégré à l’examen.
Un silence glacé s’installa alors que Miss Élodie observa les deux groupes.
— Un duel à mort n’est pas à proscrire, annonça-t-elle d’un ton froid, rendant les visages nobliaux de nos ennemis pâles comme des linges à la pleine lune.
Le lendemain.
L’arène d’entraînement s’étendait sous un ciel voilé. Les gradins débordaient de jeunes recrues avides de sang. Le sol de sable noir semblait assoiffé, prêt à boire la vie de chacun.
Nous portions nos nouveaux uniformes : des tenues de combat noires rehaussées d’argent, sigle de notre promotion. Nos regards n’avaient plus rien d’élèves. Juste… des juges, et des bourreaux.
Mon cĹ“ur battait la chamade, la vengeance pour notre coĂ©quipière Ă portĂ©e de main. Je jetai un regard Ă mes camarades. Seta avait les yeux en flammes, d’un rouge incandescent, ses poignards dĂ©goulinaient d’étincelles ardentes. Crok faisait tournoyer sa lance, prĂŞt Ă transpercer la chair. Mathieux rechargeait son arbalète calmement, dĂ©jĂ enveloppĂ© d’un halo de vent bruisÂsant. Yeolset, les bras croisĂ©s, fixait nos ennemis d’un regard dur et sombre. Quant Ă moi, le masque sur le visage, j’extirpai mon Ă©pĂ©e de ville, mes yeux brĂ»lant d’une dĂ©termination glaciale.
Les visages de nos adversaires, trop sûrs d’eux, étaient masqués d’arrogance, mais leurs doigts tremblaient sur la garde de leurs armes, trahissant la peur sous le vernis.
Dame Élodie leva la main.
— Le combat commence.
Ils se ruèrent sur nous, Octave restant en retrait, figé comme un général pathétique.
L’un de ses laquais brandit une rapière et tenta de transpercer Mathieux. Une bourrasque invisible le projeta brutalement contre une colonne du décor magique. Un craquement sinistre retentit. Il ne se releva pas.
— Trop lent, murmura Mathieux, sans se presser, rechargeant son arbalète.
Un autre s’élança sur Crok, lourd sabre à la main. Une ombre surgit derrière lui. La lance noire de Crok transperça sa cuisse avec un bruit humide. Le noble hurla, un filet carmin gicla sur le sable. Crok retira lentement sa lame, la faisant tournoyer dans la chair déchirée, prêt à prolonger la torture si nécessaire.
Seta jaillit entre deux éclairs de flammes, ses poignards traçant des croissants de feu meurtriers. Elle affronta son assaillant, esquivant de justesse des sorts terreux maladroits. Une rapide estafilade trancha le bras de l’adversaire tandis que les flammes léchaient la blessure ouverte, consumant son visage dans une agonie rauque, ponctuée de hurlements étouffés.
Yeolset éclata le sternum de son opposant d’un seul coup de paume, ses yeux brillants d’une rage froide. Le corps s’écroula dans un dernier râle, sans un mot.
Enfin, je m’avançai vers Octave.
Il recula, trébucha sur lui-même, sentant la fin proche.
— Tu lui as fait quoi ? demandai-je, la voix basse mais glaciale. Lulu. Dis-le. Ici. Maintenant.
— C-c’était une erreur… Je voulais juste… elle a résisté… mais je l’ai pas tuée ! hurla-t-il en s’agenouillant, les mains tremblantes. Je le jure, je l’ai pas tuée !
Je levai mon épée. Il ferma les yeux, attendant le coup fatal.
Mais le coup ne vint pas.
Je pensai à Mac. À ce que tuer ce rat immonde coûterait à nos alliés. Aux contrats, à la stabilité fragile, aux conséquences incommensurables. Je me doutais que Mac s’en ficherait, mais il valait mieux lui en parler avant d’agir.
Je baissai lentement la lame.
— T’as pas cette chance-là . La mort, c’est trop douce pour toi.
Je me retournai. La voix d’Élodie claqua comme un couperet.
— Le duel est terminé. L’Académie retiendra l’aveu. Octave Corgeant du royaume d’Amblios est banni et incarcéré jusqu’au jugement final.
Plus tard, dans le bureau d’Élodie, Octave fut déclaré coupable et enfermé dans une geôle de l’académie en attendant que sa famille présente un recours. Ses plaintes n’y changèrent rien.
Tard dans la nuit,
Le Duc Corgeant était penché sur son bureau, la lueur vacillante d’un chandelier projetait des ombres tremblantes sur les murs. Il froissait nerveusement un parchemin entre ses doigts, le front plissé par l’inquiétude.
— Fils stupide… tu as fait du tors à notre maison, murmura-t-il.
Soudain, l’air vibra, une distorsion subtile, comme un souffle glacé dans la pièce close. Sans prévenir, Mac D Vel apparut au milieu du bureau, matérialisé d’un halo d’énergie sombre. Il ne fit aucun bruit, aucune annonce. Sa présence seule fit vaciller la flamme du chandelier, projetant des ombres plus longues, plus menaçantes.
Le duc sursauta, son cœur s’emballa, ses mains tremblantes lâchèrent le parchemin qui tomba au sol avec un bruissement sec. Il se redressa brutalement, ses yeux cherchant une fuite imaginaire.
Le regard de Mac, froid et perçant comme une lame aiguisée, s’abattit sur lui avec la violence d’un prédateur fixant une proie prise au piège. Le duc se recroquevilla sur son siège, le souffle court, chaque muscle figé dans une terreur viscérale, comme un lapin pris dans les mâchoires d’un loup.
— Duc, dit Mac d’une voix grave et glaciale, vous auriez dû mieux éduquer votre rejeton. L’académie a pris une décision clémente, il me semble. Vos soutiens doivent être merveilleux.
Le duc ne put qu’émettre un faible balbutiement, incapable de croiser ce regard d’acier.
— Vous feriez bien de contacter vos alliés rapidement, poursuivit Mac sans un geste, notre nation a décidé de suspendre toute fourniture de matériel et de munitions militaires.
Le silence pesa lourd, oppressant.
— J’espère que votre soutien saura vous aider dans les temps sombres qui viennent, conclut Mac.
— Sieur, je vous en prie, c’est une erreur d’enfant… tenta de s’expliquer le duc, mais la silhouette de Mac avait déjà disparu aussi brusquement qu’il était arrivé, ne laissant derrière lui qu’un froid glacial et un duc tremblant, vidé de toute assurance.
≈
Au nord du domaine de Corgeant, un noble de statut moyen enfermé dans une salle de pierre taillée regarda la carte de son territoire.
« Capitaine, à la frontière ici, la mine d’argent serait intéressante non ? »
— Oui, Mon seigneur, acquiesça le soldat en armure.
— Les informations sont fiables ? demanda encore le noble prudent.
— Oui, sieur, nos espions sont formels, le duché de Corgeant n’a plus le soutien de l’archipel céleste. La famille royale, ne voulant pas être impliquée, s’en est détournée, rassura-t-il.
— Bien, lançons cette invasion, la mine d’argent sera un atout pour nous. » annonça le noble plus sûr de lui.
≈
Dans une taverne anodine d’une petite ville, un marchand regarda son client luxueusement habillé.
« Je vous assure, seigneur, en tant que principal acteur commercial de la ville d’Hénéttis, nous serions heureux que vous nous preniez sous votre mécénat.
— Et le duc Corgeant ? Ne va-t-il pas réagir si votre ville annonce sa soumission à mon territoire ? demanda-t-il en buvant une gorgée de vin.
— Non, je vous assure, seigneur, ils n’ont tout simplement plus les moyens de s’opposer, annonça le commerçant sûr de lui.
— Donc cette rumeur est vraie alors… le fils du duc aurait offensé les princesses de l’archipel céleste.
— Oui, monseigneur.
— Mais de là à briser tout commerce et faire s’effondrer un territoire reconnu comme le duché de Corgeant… » le noble frissonna.
— Je ne dois jamais offenser cette nation, se murmura-t-il.
≈
Dans la cour de l’Académie emplie des élèves en attente, des murmures sur les événements de la veille pouvaient être entendus ici et là .
Le professeur Malcorne fit son entrée, le silence pris sa place. Son regard perçant balayait l’assemblée d’étudiants rassemblés, prêts à affronter la prochaine épreuve.
— Écoutez-moi bien, lança-t-il d’une voix grave et sans appel. Vous avez passé l’épreuve d’enquête, mais le vrai défi commence maintenant.
Un murmure parcourut la foule.
— Vous serez dispersés en équipes rivales. Votre mission : survivre en territoire sauvage, hostile et corrompu par la magie noire. Chaque affrontement, chaque prise de risque sera comptabilisée. Les équipes s’affronteront sans pitié pour s’approprier les ressources vitales et les artefacts cachés.
Malcorne marqua une pause, ses yeux brillants d’un feu inquiétant.
— La survie n’est pas seulement une question de force, mais d’intelligence, de ruse et de cruauté. Ne laissez aucune faiblesse. Que le plus impitoyable triomphe.
Le sol sembla vibrer sous leurs pas, comme si le destin lui-mĂŞme appelait Ă la guerre.

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