Chapitre 17 – Épreuve finale
Le vent charriait une odeur de fer et de mousse rance. Autour de nous, la forêt formait un écrin sombre, hérissé de troncs tordus et de lianes pendues comme des cordes de pendus. Le ciel était chargé de nuages noirs, obstruant les dernières lueurs du jour. L’atmosphère était oppressante. Même les oiseaux s’étaient tus.
« On installe ici », déclara Yeolset en posant son sac à terre. Il désigna la colline rocheuse sur notre flanc gauche – surélevée, défendable, avec une vue partielle sur la forêt. L’autre équipe devait être postée sur la colline jumelle, en contrebas de l’autre côté du ravin. Une vieille rivière sèche les séparait.
Je posai mon sac près d’un arbre mort, la main toujours sur la garde de mon épée. Mon masque me collait au visage, moite, lourd. Le silence était trop dense.
Puis un craquement.
Un râle.
Et le hurlement strident d’un loup.
Surgissant de la brume, une meute de loups sanguinolants se rua sur nous. Leurs pelages noirs étaient hérissés de piques osseux et leurs gueules bavaient une salive rougeâtre, brûlante comme l’acide. Leurs yeux n’étaient que cavités brûlantes, noyées de haine.
« Formation ! » cria Seta, ses lames s’illuminant d’un feu dévorant.
Je levai ma main et, d’un mouvement de doigts, détournai les restes d’un arbre mort pour ériger une barrière de racines et d’écorce compacte devant nous. Les loups s’écrasèrent contre, l’un d’eux brisant ses crocs sur le bois noueux que j’avais forcé à se densifier. Mais deux autres nous contournèrent par les flancs. Crok fit tournoyer sa lance, empalant l’un d’eux d’un coup précis au niveau de la nuque. Le corps se convulsa en rejetant un flot de sang noirâtre sur le sol.
Mais ce n’était que le début.
Des grondements métalliques retentirent derrière nous.
Un ours.
Non… deux ours, à la peau couverte de plaques d’acier organique, jaillirent entre les troncs. Leurs pattes défonçaient la terre, leurs crocs luisaient d’un éclat d’acier. L’un d’eux écrasa une pierre d’un coup de patte comme si ce n’était que poussière.
Mathieux invoqua une tempête de vent, lançant des projectiles tranchants qui s’écrasèrent contre le blindage naturel de la bête, sans l’arrêter. Yeolset s’interposa, poing en avant, et fracassa la mâchoire inférieure d’un coup chargé de mana brutal.
Seta enflamma l’air autour de nous, déclenchant une série d’explosions contrôlées qui brûlèrent les loups restants.
La bataille fut brève.
Brutale.
Sanglante.
Quand le silence retomba, nous étions couverts d’éclats d’os, de sang visqueux et de crasse. Je repris mon souffle, mes genoux tremblants malgré moi. Même maintenant… la mort rôdait, à chaque instant.
Crok nettoya sa lame d’un revers de cape. Son regard se porta vers la colline ennemie, presque invisible dans la brume.
« Je pars en éclaireur », dit-il simplement.
Personne ne protesta.
Il disparut dans les ombres, aussi silencieux qu’un prédateur. Nous, nous reprîmes la construction du camp – fortifications légères avec branches mortes, pièges rudimentaires, feu étouffé. Il fallait faire vite. Et rester vivant.
L’heure passa, puis deux.
Quand Crok revint, son visage était fermé, grave.
Le soleil n’était qu’un souvenir rougeoyant entre les ramures. L’ombre avalait peu à peu la forêt, comme une bête affamée. Crok venait de revenir au camp, couvert de terre, le souffle court.
— Deux kilomètres à l’est, murmura-t-il. Une clairière en hauteur, fortifiée à la va-vite. Leurs ressources sont stockées au centre, près d’une tente bleue. Le drapeau est sur un mât, visible. Et y a deux veilleurs – un humain et une strige.
— Combien ils sont ? demanda Yeolset en s’étirant les doigts comme pour tester leur solidité.
— Cinq. Mais j’ai vu que deux d’entre eux sont occupés à chasser les bêtes nocturnes. C’est notre meilleure fenêtre.
Seta se redressa. Son regard brillait à la lumière du feu de camp mourant.
— On y va vite, on frappe, et on se replie. Discrètement. Pas un bruit, sauf si ça dégénère.
Je serrai les sangles de ma tenue. Mon masque coulissait parfaitement, froid contre ma peau. Je rangeai ma vieille épée de ville dans mon dos et sortis deux couteaux modelés à partir de fragments de métal arrachés à l’épave d’un ancien bouclier trouvé plus tôt.
On se mit en route. La forêt était humide, le sol spongieux. Des branches craquaient sous nos pas, mais nous avions appris à marcher en silence. Pas un mot. Juste les regards.
Nous atteignîmes la colline ennemie. Dans la clairière, des lanternes suspendues diffusaient une lumière verdâtre, presque maladive. Les tentes formaient un cercle irrégulier. Deux silhouettes parlaient près d’un feu.
Yeolset s’approcha comme une ombre. En un mouvement silencieux, il bondit et fracassa la nuque de la strige d’un coup sec, la maintenant contre lui pour étouffer le bruit de sa chute. Crok se chargea de l’humain, le tirant dans l’ombre et lui brisant la gorge de ses griffes renforcées.
Le silence demeura.
Seta fila entre les tentes. Elle repéra les réserves – caisses de ration, sacs d’armes, potions. En quelques gestes, elle en prit une bonne partie et nous la rejoignit.
— Drapeau, indiqua Mathieux en pointant du doigt.
Il s’envola brièvement dans un courant de vent, décrocha le drapeau, et nous fit signe de fuir.
Mais au moment de la retraite, un cri.
Un des ennemis était revenu plus tôt que prévu.
— Ils nous volent ! hurla une voix, suivie d’un sifflement magique.
Une boule de feu fendit l’air, explosant non loin de nous. Des éclats de roche brûlants nous écorchèrent les bras.
— On court ! criai-je.
La fuite fut brutale. Crok nous ouvrait la voie à coups de lames contre les branchages. Seta couvrait nos arrières. On entendait les bruits de course derrière nous, les imprécations de ceux qu’on avait volés. Et surtout… la voix de Martin Restéas.
— Donnez-moi juste celle au masque ! Laissez les autres ! Je veux elle !
Son cri avait la rage d’un animal blessé.
Je sentis mon sang se glacer.
Nous atteignîmes un dénivelé, un petit ravin boisé.
— Séparez-vous, hurla Seta. Mél, par là  !
Elle m’indiqua une faille dans les rochers, un ancien lit de ruisseau devenu couloir naturel. J’y plongeai sans réfléchir.
Je courus encore, seule cette fois. Le bruit de la forêt s’effaçait peu à peu. Mais derrière moi… des pas. Rapides. Précis.
Je débouchai dans une enclave naturelle, cernée par deux falaises. Trop abruptes. Aucune issue possible.
Et déjà … Martin me rejoignit.
Son épée scintillait sous une lumière illusoire, vibrant d’une énergie presque vivante. Son regard… n’était plus humain. Juste une lueur abyssale de haine.
Il ferma d’un geste l’unique sortie derrière moi.
— Enfin… murmura-t-il. Toi. Le masque. Le monstre déguisé en fille.
La falaise refermait l’espace comme une mâchoire. Aucun arbre, aucun refuge. Je reculai d’un pas, sentant le mur de roche me presser le dos. Devant, Martin avançait lentement, sans hâte, tel un prédateur rassasié mais joueur. Sous ses pas, la terre craquait à peine.
L’illusion autour de lui se dissipa, révélant l’épée – massive, noire, gravée d’un blason ancien : celui de la maison Guiransdill.
Mon souffle se suspendit. Je restai silencieuse, les yeux passant de l’arme au porteur, cherchant une faille, un angle, un moyen d’évasion. Rien.
Martin, lui, souriait.
— Tu ne comprends pas encore, hein ? » dit-il d’un ton presque tendre. « Bien sûr que non. Tu n’as jamais compris.
Il fit tourner l’épée entre ses doigts, l’air songeur.
— Elle est belle, non ? L’ultime vestige d’un monde réduit en cendres. Un royaume majestueux, droit. Le sang des rois coulait dans ses pierres. Et dans mes veines.
Il s’arrêta, la lame pointée vers le sol.
— Mon père… Mon père était un héros. Le plus grand. Fort, juste… Et moi, son fils, même s’il ne l’a jamais dit à haute voix. Un bâtard, peut-être. Mais pas un moins que rien. Je portais son sang. Je portais son nom.
Son regard s’enflamma, dérailla.
— Et il est mort… comme un chien. Emporté par lui. Tu sais de qui je parle, pas vrai ? Mac… Mirage. Le spectre de la vengeance. Le boucher aux yeux de braise. C’est lui qui a tout détruit.
Il tourna sur lui-même, bras grands ouverts, exalté.
— J’ai vu le ciel en feu. J’ai vu le palais s’élever comme une tombe volante, la révolte consumer notre gloire. J’ai vu mon père emporté dans le ciel et, plus tard… sa tête jetée comme un trophée devant ces porcs de la république.
Il s’arrêta net, ses yeux perçant les miens.
— Tu marches à ses côtés. Tu ne le vois pas ? Il t’a prise sous son aile, t’a modelée comme une poupée de verre.
Un silence pesant.
— Et moi, je l’attends. Depuis ce jour-là , dans les ruines, les flammes, la poussière. Je suis resté caché, j’ai survécu… serrant cette épée. Elle m’a parlé. Elle m’a promis vengeance.
Son souffle s’accéléra.
— Je voulais le faire souffrir. Mais il est loin, pas vrai ? Alors j’ai trouvé autre chose. Une faille dans sa petite création.
Un ricanement rauque fendit l’air. Sans prévenir, il leva l’épée d’un geste théâtral.
— Tu sais ce qui m’a aidé à tenir ? Ce moment… où j’ai planté cette lame dans la poitrine de ta pathétique amie. Lulu, je crois ?
Il scruta ma réaction. Rien. Son sourire s’élargit, carnassier.
— Ah… voilà . Tu ne le savais pas ? Elle m’a vu avec l’épée. Elle s’accrochait à moi, dans un dernier espoir après ce que ces fils de pute de nobles lui avaient fait… J’ai joué le jeu, j’ai fait semblant, puis…
Il gronda entre ses dents, déformé par la rage.
— Elle n’avait aucune idée de ce que j’ai perdu. Elle voulait être la seule à souffrir ! Elle m’a supplié. Je l’ai tranchée. Ça m’a soulagé. Juste assez pour attendre toi. Pour attendre lui.
L’épée vibra, irradiant une lumière rougeâtre.
— Tu veux fuir, n’est-ce pas ? C’est fini. Tu es au bout. Comme tous les tiens.
Je restai figée, incapable d’articuler un son.
Le silence entre nous était lourd, presque palpable.
Incrédule. Comment… pourquoi ?
Elle est morte… parce qu’il voulait me faire souffrir. Parce que c’était plus facile que de s’attaquer à lui, à Mac. Parce qu’il était rongé par une rage qui le consumait.
C’était une vengeance… personnelle. Une folie qui déformait la réalité.
Je voulais crier, hurler que ce n’était pas juste. Que Lulu ne méritait pas ça. Qu’elle était bien plus que la « pathétique amie » dont parlait Martin.
Mais aucun son ne franchit mes lèvres.
Il avançait encore, ses yeux brillant d’une haine abyssale.
— Tu crois que je suis fou ? Parfois, je me demande si je ne le suis pas. Mais cette folie… elle m’a sauvé. Elle m’a permis de tenir debout, de survivre dans un monde qui m’a tout pris.
Je sentis une colère sourde monter en moi, mêlée à la douleur. Une part de moi voulait lui répondre, le confronter, le faire payer.
Mais une autre part… voulait fuir.
Je cherchais désespérément une échappatoire, un moyen de reprendre le dessus.
— Tu ne me briseras pas. Pas aujourd’hui. Pas comme lui.
Mes poings se serrèrent.
Je devais rester forte. Pour Lulu. Pour moi. Pour tous ceux qu’on avait perdus.
Je poussais un soupir pour me reconcentrer.
— Alors tu dois savoir ce que je vais faire maintenant, lui dis-je en tendant la pointe de ma lame dans sa direction.
— Tu vas me tuer ? Essaie donc. Ton masque, tes illusions… ne me feront plus rien. Je me suis éveillé. Cette épée est le dernier souffle des Guiransdill. Et moi… je suis sa colère.
Il leva la lame. La magie s’enroula autour, menaçante. Je pris une grande inspiration. Mon regard ne quitta pas le sien. C’était un enfant. Mais aussi un soldat. Un damné.
Et moi ? Moi, j’étais celle qui devait venger Lulu. Celle qui devait l’arrêter.
— Je suis Mélodie Fruss, soufflai-je, plus pour moi que pour lui. Et tu ne survivras pas.
Il cria. Et l’épée fondit sur moi.
L’acier chanta.
Il fondit sur moi avec une rage contenue depuis des années, la lame de son épée traçant une traînée noire dans l’air, saturée de mana vicié. Je parai de justesse avec mes dagues, mais la force de l’impact me fit reculer d’un pas. Mon épée de ville vibrait contre ma cuisse, encore dans son fourreau. J’avais besoin de mes deux mains. De ma lucidité.
Martin enchaîna.
— Je suis l’ombre qui réclame justice !
Ses mots se perdirent dans le vent. Déjà , une déferlante d’ombres se répandait autour de lui. Des chaînes surgies du néant claquèrent à mes pieds, cherchant mes jambes comme des serpents affamés.
Je bondis de côté, roulant dans la terre, mon manteau s’accrochant à une racine. L’une des chaînes me frôla le mollet, mais je réussis à me redresser en érigeant à la hâte une barrière de terre. Un mur épais jaillit du sol, stoppant net les chaînes – mais pas la lame.
L’épée fendit le mur d’un coup net, le mana noir dévorant la matière.
Je reculai encore. Mon souffle était court, mais mon esprit en alerte. J’arrachai un poignard planté dans ma ceinture et projetai une volée de piques de bois, formées d’une souche morte, droit vers lui. Martin leva la main : un bouclier d’ombre absorba l’attaque dans un râle d’agonie surnaturel.
— Tu ne comprends pas, grinça-t-il. La douleur que j’ai endurée… Je vais te la rendre cent fois.
Il disparut. Littéralement.
La pénombre gagna soudain en densité. Son corps sembla s’effondrer dans l’ombre elle-même. Un instant plus tard, un coup me frappa dans le dos – violent, brutal, une décharge de douleur m’éblouit. Je roulai au sol, du sang sur les lèvres.
— Je suis partout, Mélodie. Et toi… tu n’es rien.
Je me relevai en titubant. Un instant, mon esprit vacilla. Mais je refusai de tomber. Je plaçai ma main au sol et créai une poussée de racines, une onde végétale qui balaya le terrain. Martin réapparut en bondissant en arrière, l’œil injecté de mana rouge.
Je dégainai mon épée. Ma magie modela l’air, fit vibrer les poignards dans mes mains. Je soufflai.
— Tu veux l’ombre ? Je vais te la renvoyer.
Je frappai.
Lames croisées. Étincelles. Chocs métalliques et respirations haletantes. Il attaquait comme un possédé – et peut-être l’était-il. Des coups larges, démentiels, mais précis. Moi, je ripostais avec agilité, utilisant ma taille et ma rapidité pour esquiver, pour frapper dans ses angles morts. L’un de mes poignards tailla sa cuisse. Il hurla, mais sa magie jaillit aussitôt : une vague d’obscurité me submergea.
— Aveuglement.
Plus rien. Juste la nuit.
Je tombai à genoux, paniquée. Le silence se referma sur moi comme un cercueil. Et puis… un pas. Un seul. Lent. Terrible.
Je sentis la lame sur ma gorge.
Mais j’avais gardé une arme. Un dernier atout.
Dans l’instant d’avant sa frappe, je posai la main sur le sol, concentrant toute ma magie dans une pierre unique, que je compressai jusqu’à la faire vibrer. Une onde jaillit. Un souffle brutal qui repoussa les ténèbres un instant. La lumière revint. Juste assez.
Ma dague fendit l’espace. Elle frôla son flanc. Il recula en jurant.
Je me relevai, pantelante, ensanglantée.
Martin haletait. Sa main gauche pendait, blessée. Sa magie avait brûlé ses bras. Il n’était plus qu’un enfant consumé par sa haine.
— Tu vas… me le payer, souffla-t-il. Mon bras… mon sang… mon nom… Tout ça pour une traînée comme Lulu ?
Je ne répondis pas.
Il hurla, leva l’épée.
— condense ! Dis-je.
Je n’avais plus le choix.
Ma main son bras son bras tenant l’arme. Toute la matière, chair, os, acier – fut aspirée en un seul point. Une bille. Parfaite. Lisse. Légère. Qui tomba au sol dans un cliquetis sec.
Martin tituba.
— Non… Qu’est-ce que tu… m’as fait ?
Il regardait son bras manquant. Son épaule ouverte. Mais il ne saignait même pas. L’onde magique avait cautérisé l’impact.
Son esprit, lui, était brisé.
— Père… je… j’ai échoué ?
Il tombait Ă genoux.
— J’étais ton fils…
Ses yeux croisèrent les miens.
Il n’y avait plus de haine.
Juste une détresse glaciale. Celle d’un enfant abandonné.
Je m’approchai.
Je levai mon épée.
Et je l’abattis.
Sans cris. Sans joie. Sans victoire.
Je regardai son corps sans vie, un pauvre orphelin victime de la vengeance de Myr à l’époque, vengeance que Mac avait mis en œuvre.
Une pointe de tristesse emplis mon esprit en pensant à Lulu simple victime collatéral, sa vie prise pour rien.

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